Algérie : oligarchie, gouvernance, corruption et perspectives offertes par la blockchain

 

Par Farid DAOUDI

Cet article propose une analyse des formes structurelles de la corruption et de la concentration des pouvoirs en Algérie, replacées dans leurs dimensions historiques, institutionnelles et économiques. Il s’appuie sur des exemples concrets, notamment dans les secteurs foncier, des importations, des collectivités locales, mais aussi dans les industries stratégiques du pétrole et des mines. Le potentiel de la technologie blockchain est abordé en considération d’un contexte national marqué par une opacité administrative persistante, ainsi qu’une absence généralisée d’identification des responsabilités publiques. L’ouvrage L’Algérie aléatoire – Ses maux-clés endogènes – Une matrice transversale de sous-développement¹ sert de référence centrale pour comprendre ces dynamiques.

L’oligarchie algérienne : genèse historique et institutionnelle

Trois caractéristiques fondamentales structurent l’économie et la gouvernance algériennes :

  • Une économie fortement contrôlée par l’État et centralisée.
  • Une élite politique et administrative intimement liée aux rentes pétrolières et minières² ;
  • Une circulation restreinte de l’information publique qui limite le contrôle citoyen³.

Ces éléments donnent lieu à ce que l’on qualifie d’« oligarchie d’État » : une structure institutionnelle où un groupe restreint détient et contrôle l’accès aux ressources stratégiques, telles que les hydrocarbures, les minerais, et les circuits administratifs décisionnels⁴. Ce système complexe engendre une matrice transversale de sous-développement affectant simultanément plusieurs secteurs économiques et sociaux¹.

Corruption systémique et secteurs vulnérables

1. Foncier : incertitudes cadastrales et fragilités juridiques

L’insuffisance et l’incomplétude des cadastres dans plusieurs wilayas renforcent les zones d’ombre foncière⁵, compliquées par une toponymie héritée de la colonisation marquée par des doublons et des incohérences⁶. Cette situation alimente des pratiques arbitraires dans l’attribution et la gestion des titres fonciers⁷.

2. Importations : rente commerciale et prescriptions opaques

Les mécanismes d’octroi des licences, des quotas et des autorisations bloquent les flux d’importation⁸. Ils favorisent des circuits opaques, où facturations sous-déclarées ou surévaluées facilitent les transferts illicites de devises et l’émergence de réseaux oligarchiques¹⁰⁻¹¹.

3. Collectivités locales : tensions entre compétences accrues et ressources limitées

Les communes bénéficient de compétences étendues mais souffrent d’un déficit structurel de ressources financières¹². La centralisation administrative accentue l’opacité dans la gestion des marchés publics et des permis délivrés⁽¹³⁾.

4. Secteur minier : réformes et enjeux stratégiques

Bien que représentant actuellement environ 1% du PIB, le secteur minier algérien détient un fort potentiel stratégique et économique⁽¹³⁾. Riche en ressources telles que le fer, le phosphate, les métaux précieux et industriels, il fait l’objet d’une réforme majeure opérée par la Loi n° 25-12 du 3 août 2025. Celle-ci abaisse la participation obligatoire de l’État dans les projets miniers de 51% à 20%, favorisant ainsi l’entrée de capitaux étrangers⁽¹¹⁻¹⁴⁾. Cette loi ambitionne de moderniser le secteur et d’accroître l’attractivité des investissements, tout en maintenant le contrôle étatique dans les projets stratégiques. Néanmoins, la structure oligarchique demeure prégnante, orientant les jeux d’influence autour de ces ressources⁽²¹⁾.

5. Sonatrach : pilier concurrentiel confronté à des risques de gouvernance

Le secteur des hydrocarbures génère la majeure partie des recettes publiques. Sa gestion centralisée confère des marges discrétionnaires importantes, rendant la surveillance publique difficile⁽¹⁴⁻¹⁵⁾.

L’anonymat dans la vie publique : entrave à la responsabilité

L’absence systématique d’identification claire des responsables dans la prise de décision administrative limite la traçabilité et entrave la reddition de comptes⁽¹⁶⁾. L’usage de tampons ou l’absence de signatures nominatives sur les documents officiels empêche un contrôle démocratique effectif⁽¹⁷⁾.

Problèmes de toponymie et registres territoriaux

Les incohérences toponymiques, liées aux doublons et aux variations linguistiques entre arabe, français et tamazight, compliquent l’action administrative et la gestion territoriale⁽¹⁸⁾. Elles affectent négativement la gestion cadastrale, les infrastructures et les bases de données territoriales⁽¹⁹⁾.

La blockchain : levier potentiel de transparence et gouvernance

La blockchain, par son caractère infalsifiable et traçable, peut consolider la transparence dans différentes sphères : transactions foncières, gestion des importations et des dépenses publiques, archivage des décisions avec identification des auteurs⁽²⁰⁾. Des expériences étrangères attestent de son efficacité dans la sécurisation des systèmes cadastraux et de gouvernance numérique⁽²¹⁾. Toutefois, son succès dépend de la numérisation complète des registres, de la coordination interinstitutionnelle et d’une volonté politique affirmée⁽²²⁻²³⁾.

Conclusion

L’Algérie possède des ressources géostratégiques et humaines considérables. Pourtant, la gouvernance oligarchique, l’opacité administrative, les faiblesses institutionnelles et la gestion inéquitable des secteurs stratégiques freinent le développement durable. La récente réforme du secteur minier illustre un double enjeu : accompagner la diversification économique tout en confrontant la permanence des logiques oligarchiques. La blockchain offre des promesses intéressantes en matière de transparence, à condition qu’elle s’inscrive dans une réforme profonde des pratiques institutionnelles et une responsabilisation accrue des acteurs. /

 

* Notes de bas de page explicatives

  1. L’Algérie aléatoire – Ses maux-clés endogènes – Une matrice transversale de sous-développement, achevé en 2018 (4 Tomes), présenté par La Tribune Diplomatique internationale, Éditions Universitaires Européennes, 2023.
  2. La rente pétrolière et minière concentre le pouvoir économique dans certaines sphères étatiques.
  3. La circulation limitée des informations publiques réduit le contrôle citoyen.
  4. L’oligarchie d’État se caractérise par un exercice cumulatif du pouvoir économique et administratif.
  5. Les cadastres incomplets génèrent une insécurité juridique.
  6. La toponymie coloniale entraîne des doublons et incohérences.
  7. Un régime foncier multiple favorise un pouvoir discrétionnaire. 8.–11. Arbitrages opaques dans les licences, quotas et importations. 12.–13. Déséquilibre entre compétences municipales accrues et moyens financiers insuffisants. 14.–15. Centralisation et secret industriel dans le secteur pétrolier. 16.–17. Anonymat administratif entravant la traçabilité des décisions. 18.–19. Problèmes de toponymie et gestion territoriale confuse. 20.–23. Potentiel et conditions de succès pour la blockchain dans la gouvernance.

* Bibliographie académique et institutionnelle

 *Banque mondiale, Algérie – Diagnostic systémique de pays, Washington, 2018.                                                 *CNES, Rapport sur la gouvernance et la performance du secteur public, Alger, 2019.                                                  *FMI, Algérie : Consultation au titre de l’article IV, Washington, 2021.                                                                            *Hibou, B., La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, 2012.                                                     *Vandewalle, D., North Africa: Development and Reform in a Changing Global Economy,                                             *Georgetown University Press, 2018. *L’Algérie aléatoire – Ses maux-clés endogènes – Une matrice transversale de sous-développement, Éditions Universitaires Européennes, 2023.                                                                               *La Nouvelle République Algérie, « L’Algérie Aléatoire :un ouvrage prémonitoire du Hirak 201 9», https://www.lnr-dz.com/2024/04/20/un-ouvrage-premonitoire-du-hirak-2019/ .                                                                                          *CREAD, Études sur la gestion territoriale en Algérie, Alger, 2018–2022.                                                                        *Aït Amara, H., « Gouvernance locale et développement territorial », Revue Maghrébine d’Économie, 2017.                 *Bencherif, S., « Décentralisation : limites et perspectives », Revue Algérienne d’Administration Publique, 2019.         *Mebtoul, A., Gouvernance foncière et régulation en Algérie, CREAD, 2020.                                                                *Bessaoud, O., « Les systèmes fonciers maghrébins », Options Méditerranéennes, CIHEAM, 2015.                           *Djellouli, Y., « Problèmes de toponymie en Algérie », Revue de Géographie Maghrébine, 2020.                                    *OPEP, Annual Statistical Bulletin, Vienne, 2020.                                                                                                            *Aïssaoui, A., Algeria: The Political Economy of Oil and Gas, Oxford Institute for Energy Studies, 2016.                       *Cherfaoui, T., « Le secteur pétrolier algérien : enjeux », Revue Algérienne d’Économie et de Gestion, 2019.   *Banque mondiale, Trade and Competitiveness in the Maghreb, Washington, 2019. *OCDE, North Africa: Trade Policy Review, Paris, 2020.                                                                                                                                                *Aghrout, A. & Zoubir, Y., Economic Policy and Political Liberalization in Algeria, Routledge, 2009. *ONU, E-Government Survey, New York, 2022.                                                                                                                                *Swan, M., Blockchain: Blueprint for a New Economy, O’Reilly Media, 2015. *Tapscott, D. & Tapscott, A., Blockchain Revolution, Portfolio, 2016. *Graglia, M. & Mellon, C., « Blockchain and Property Records », Global Development Incubator, 2018.                                                                                                                                            *Bayart, J.-F., L’État en Afrique, Fayard, 1989.                                                                                                                *Crozier, M., Le phénomène bureaucratique, Seuil, 1963.                                                                                               *Scott, J. C., Seeing Like a State, Yale University Press, 1998.                                                                                       *Hibou, B., « Bureaucratie et contrôle social en Afrique du Nord », Critique Internationale, 2006.

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