A Alger, le sit-in de Mouwatana réprimé, marche pacifique contre le 5e mandat

24.02.2019
Mehdi Alioui

En voulant disperser la centaine de manifestants qui ont répondu à l’appel du mouvement Mouwatana à la place Audin, les forces de l’ordre ont provoqué une marche dans les artères de la rue Didouche Mourad, contre le 5e mandat. C’est la troisième manifestation pacifique de rejet contre la nouvelle candidature de Bouteflika en trois jours, dans la capitale.

En début de journée, ils étaient des dizaines de citoyens à se rassembler à la place Audin, faisant face à l’impressionnant dispositif policier mis en place par les forces de l’ordre. Zoubida Assoul, membre du mouvement, était la première à arriver sur les lieux de la manifestation.

Rapidement, une foule imposante se formait derrière l’ex-porte-parole de Mouwatana, l’avocate Zoubida Assoul, contraignant les forces anti-émeutes à procéder aux premières interpellations musclées des manifestants, embarqués de force dans les fourgons disposés autour de la Place. Il n’en fallait pas plus pour pousser à la “révolte” les protestataires.

Sit-in de Mouwatana à Audin

Les premiers slogans fusent:  “Djazair, Hourra, Democratiya”. Les drapeaux algériens sont aussitôt déployés. Certains en ont apporté des neufs et les ont distribués. Des pancartes contre le 5e mandat sont brandies avant d’être vite arrachées par des officiers en civils, dépassés, nerveux face à la centaine de citoyens qui scandaient “silmiya, silmiya” à la moindre recrudescence de la répression.

La rupture

Celle-ci a atteint un stade supérieur lorsque un élément des forces anti-émeutes a jeté une bombe lacrymogène au milieu de la foule. Un autre  l’aspergeait discrètement avec un spray avant de se retirer.

La Place Audin a été vite évacuée. A la montée du Boulevard Mohamed V, deux personnes âgées étaient par-terre et respiraient difficilement, devant les cris de panique de leurs proches. Des protestataires, les yeux larmoyants et le nez rouge, continuaient à scander “Djazair, Hourra, Democratiya”. D’autres secouraient les personnes atteintes en leur offrant de l’eau et du vinaigre.

L’un des fondateurs du mouvement Mouwatana, Sofiane Djilali, venait alors d’arriver. Il a vite été encerclé. Résistant à une tentative d’interpellation musclée, il a tout de même réussi à se libérer pour se mettre debout sur la Place et faire des déclarations aux médias. 

Une grande partie de la foule s’était entre-temps rapidement rassemblée à nouveau, cette fois-ci plus loin à la rue Didouche, en face des terrasses. Les éléments anti-émeutes étaient déjà présents et accueillaient la foule pour la confiner. Brandissant un drapeau, quelques dizaines personnes continuaient à scander des slogans contre le pouvoir. 

Tandis que certains officiers en civil essayaient d’extraire, de force, des protestataires de la foule, d’autres surprenaient les citoyens qui filmaient le sit-in. Les journalistes filmant avec des téléphones portables étaient constamment interpellés avant d’être relâchés.

Les interpellations musclées révoltaient les Algériens. “Hagarin ! Pourquoi vous faites ça”, criaient des dames âgées à des éléments des forces de l’ordre. Dépassés, ceux-ci ont une fois de plus lancé des bombes lacrymogènes devant la foule.

Les premières personnes tombent. Un homme, la trentaine, étouffait par-terre devant le regard d’un officier, qui se faisait gronder par un citoyen. D’autres s’échappaient en cachant leurs visages. Des protestataires distribuaient en même temps des bouteilles des vinaigres et aspergeait des tissus et des t-shirt avant de les distribuer.

La naissance d’une marche pacifique

Le rassemblement s’est mué peu à peu en une marche que les forces de l’ordre ne pouvaient plus contrôler. Des citoyens, regardant les protestataires fuir les lignes des policiers et leurs bombes lacrymogènes, se sont à leur tour joint à la manifestation.

Peu à peu, les slogans “Ya Bouteflika, Makanch El Khamsa” scandés en choeur, de plus en plus fort, montaient dans les cieux d’Alger-Centre.

Les automobilistes étaient obligés de s’arrêter. Ils klaxonnaient et scandaient à leur tour les slogans contre le 5e mandat de Bouteflika. 

Ils étaient une centaine à tenir un sit-in avant d’être réprimés. Quelques minutes plus tard, ils étaient plusieurs centaines entre la descente de Victor Hugo et Didouche à crier “Djoumhouriya machi memlaka”. 

Les policiers, en civils ou en tenue, qui arrachaient les pancartes des mains des protestataires et qui avaient réprimé un sit-in d’une centaine de personnes, ne pouvaient plus le faire. “Non au 5e mandat”, “Bouteflika dégage”, “Un seul héros, le peuple”, étaient affichés sur des pancartes et des cartons. Les drapeaux  de plus en plus nombreux, flottaient dans les airs.

Plus haut, les protestataires et ceux qui ralliaient la marche se réunissaient peu à peu au niveau de la rue Victor Hugo, où deux rangs des forces anti-émeutes étaient déjà mobilisés. Arrivés à quelques mètres, les manifestants se sont ainsi assis, criant en choeur “silmiya, silmya” puis “Had echa3b la yourid, Boutefliak ou Said”.

Dès que les rangées des policiers s’approchaient pour les confiner, “Ya pouliciya ntouma khawetna” remplaçaient vite les slogans anti-pouvoir.

Didouche coupée en deux, cartons rouges à Bouteflika

Des dames âgées, des parents avec leurs enfants, montants de la rue Victor Hugo, se joignaient à la marche et chantaient, à gorges déployées, “Min djibalina”. 

Quelques minutes plus tard, les manifestants se sont levés pour rebrousser chemin et redescendre sur la rue Didouche Mourad. D’autres pancartes contre le 5e mandat étaient déployées. Une dizaine brandissaient des cartons rouges et scandaient “Djoumhouriya machi Memlaka” ou “Bouteflika, makanch 3ouhda el khamsa”.

Devant la rue menant à l’Institut Cervantès, les forces anti-émeutes étaient encore mobilisées pour freiner l’avancée des manifestants. D’autres centaines de manifestants étaient également bloqués à partir de la Place Audin jusqu’au même endroit. La rue Didouche était ainsi divisée en deux.

Les forces de l’ordre empêchaient ainsi toute personne de franchir la ligne, obligeant les journalistes ou les citoyens à rejoindre l’autre côté via la rue Khelifa Boukhelfa. 

Après quelques minutes d’immobilisme, un rang des forces charge les manifestants qui tiennent tête et provoque une bousculade. Ces derniers entonnent rapidement “silmiya, silmiya”, avant de reculer pour se réorganiser. Cela ne semblait pas suffire aux forces anti-émeutes qui ont une fois de plus utilisé des bombes et des sprays à lacrymogènes pour disperser la foule et libérer la route à la circulation.

La foule se scinde alors en deux: une partie s’est ainsi dirigée vers les escaliers menant au Boulevard Med V, tandis qu’une autre descendait à la rue Khelifa Boukhelfa pour se débarrasser des effets des bombes lacrymogènes.

Vidéo intégrée

Leïla Beratto@LeilaBeratto

#alger
Il reste des manifestants. La police tente de disperser.

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Zahra Rahmouni@ZahraaRhm

Un cordon de police encercle la place Audin pour éviter un autre rassemblement. Concert de Klaxons à #Alger centre

“Ce n’est pas la grande foule du vendredi, mais les quelques milliers de manifestants qui ont bravé le gigantesque déploiement policier à Alger ont montré une détermination et un entêtement admirable. Ils refusent le 5eme mandat et mettent tout le régime dans l’impasse”, estime un universitaire présent à Audin.

A l’heure où nous mettons ces lignes, des engins anti-émeutes ont été stationnés sur la rue Didouche Mourad. Les éléments de la police, boucliers et bâtons à la main, essaient de confiner des dizaines de protestataires sur chaque trottoir pour libérer la circulation. 

Des miliers de manifestants à Alger pour réclamer le changement de régime politique

La police a tiré des bombes lacrymogènes pour disperser la foule qui ne cesse de grossir. Plusieurs manifestants ont été arrêtés dont Soufiane Djilali, président de Jil Djadid et coordinateur national du mouvement Mouwatana.

La place Maurice Audin, au coeur d’Alger, a vibré au rythme des cris « chaâb la yourid Bouteflika wa Said (le peuple ne veut plus du président Bouteflika et de son frère Said» scandé par des milliers de personnes qui ont pris part au rassemblement organisé par Mouwatana, aujourd’hui dimanche, pour exprimer leur « rejet » du système politique en place.

Le rassemblement a commencé vers 12h00, en présence de centaines de manifestants. La foule n’a pas cessé de grossir, pour atteindre plusieurs milliers de personnes dont des femmes qui lançaient des youyous.

Vers 13h00, la police tire des bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants. Plusieurs personnes ont été arrêtées dont Soufiane Djilali, président de Jil Djadid et coordinateur national du mouvement Mouwatana.

Pour rappel des dizaines de milliers de manifestants sont sortis dans la rue, vendredi dernier,  dans la plupart des villes algériennes pour dire non à un 5emandat pour Abdelaziz Bouteflika.


Silence gêné au sommet

Rassemblement vendredi dernier devant le Palais du gouvernement (Photo : Lyes Habbache)

Quelle sera la réponse du pouvoir à la revendication populaire de vendredi dernier ? Les partisans du 5e mandat du président Bouteflika s’entêteront-ils à maintenir leur option et défier la vague, grossissante, de la contestation ?

Au lendemain de la mobilisation historique contre la candidature du chef de l’Etat et pour le changement, les tenants du pouvoir observent toujours le silence. Assommés visiblement par l’ampleur du mouvement, ils n’ont toujours pas repris conscience.

Ni le gouvernement, ni la Présidence et encore moins le directeur de campagne du chef de l’Etat n’ont réagi, jusqu’à hier après-midi, aux demandes des Algériens.

Seuls deux partis de l’alliance présidentielle se sont exprimés sur la question. Ils réagissent maladroitement. Le premier est le FLN, locomotive des soutiens du Président sortant. En déplacement hier à Oran, le coordinateur de l’instance dirigeante de cette formation, Mouad Bouchareb, donnait l’impression de ne rien comprendre aux revendications des manifestants.

Dans son discours devant ses militants, le responsable du FLN n’envisage pas le retrait de la candidature du président Bouteflika.

Il s’en prend même à l’opposition qui réclame cette option. «Je dis à ceux qui veulent le changement, faites de beaux rêves !» déclare-t-il. Une manière pour lui de défier les milliers de manifestants qui ont exprimé clairement le vœu d’un changement démocratique dans le pays. Mouad Bouchareb a réitéré à nouveau la «menace de désordre» qui réduirait, selon lui, «à néant le rêve du changement».

«La Constitution algérienne garantit la liberté d’expression pour tous les Algériens qui ont le droit d’exprimer leurs revendications, leurs opinions et mêmes leur mécontentement avec les méthodes pacifiques. Mais vous avez tous vu ce qui s’est passé dans des pays que vous connaissez.

Il a fallu que des adeptes de la fitna infiltrent le mouvement pour que ces pays sombrent dans la violence et le désordre», affirmait-il, comme pour dire qu’il ne sert à rien de recourir à la rue.

Ce faisant, il tente de réduire la mobilisation à une simple «histoire de réformes» qui, selon lui, seront engagées par le président Bouteflika. «Bouteflika veillera sur les réformes en cours. C’est d’ailleurs le but de la conférence nationale annoncée par le président. Celle-ci sera basée sur les revendications de la population», dit-il.

Très prudent, le président du parti TAJ, Amar Ghoul, a salué «le caractère pacifique des manifestations qu’ont connues, hier, plusieurs régions du pays». Il rend aussi hommage aux services de sécurité «pour leur professionnalisme lors de ces événements caractérisés par le calme et la perspicacité des médias qui ont su prendre en charge la marche loin de toute provocation ou exacerbation».

Le président de TAJ ne s’est pas gêné aussi de faire référence «aux fléaux de la violence et des agendas extérieurs» qui pourraient profiter de la ferveur des jeunes. «Il est impératif d’ouvrir les portes d’un dialogue responsable, sérieux et fructueux avec toutes les parties et de traiter les questions et préoccupations soulevées avec sagesse et raison pour l’intérêt du pays», déclare-t-il.

Ces deux responsables des partis au pouvoir expriment-ils les grandes orientations du régime ?

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