Algérie / Attention à l’impasse !

par Kamel DAOUD

1- «Vous voulez vraiment qu’on aille vers des élections ?» Et on poursuit : «Avec ce régime ? Ces lois ?» Parfois, on appuie la question par une grimace d’étonnement, de déception. Comment se fait-il qu’après avoir rêvé, dans la passion et la radicalité, la chute du régime, on rêve aujourd’hui, pour le chroniqueur, d’autre chose ? Parce qu’il s’agit du même rêve : voir ce régime partir, le pousser à sortir et redonner le pays à ses nouveaux propriétaires : les plus jeunes et, surtout, à ceux qui ne sont pas encore nés. C’est la même passion, sauf que le chroniqueur vit dans ce pays et ne voudrait pas y souffrir encore, ni lui ni ses proches. Comme nous tous.

Dans quelques mois, risquent d’arriver les saisons dures des pénuries et des salaires manquants, des ruptures des chaînes d’approvisionnement. Et c’est dans les assiettes vides que vont venir se poser les oiseaux du malheur, les islamistes, les radicaux et les populistes. Ils nous vendront le paradis et ce qui va avec : la mort, la guerre aux différences et la soumission. Il faut le rappeler.

Faut-il pour autant accepter que le régime reste là pour nous éviter ce désastre possible ? Non : le régime et les populistes islamistes sont liés, les uns servent l’avènement perpétuel des autres. Le régime a produit les islamistes et ceux-là ont besoin de lui pour leur récit de martyrs, leurs recrutements, leur proposition de «Salut». Cette boucle a déjà été vécue par les Égyptiens.

Que faire alors ? Il s’agit aujourd’hui de faire en sorte que la chute brutale du régime ne conduise pas à la récupération par les islamistes et les populistes à cause d’une crise économique qui va être sévère. Et il s’agit de ne pas laisser sur place un régime qui produit corruption, soumission et violences propices à ces populistes religieux. Il s’agit de briser cette fatalité en prenant conscience de l’urgence de s’organiser et d’investir le réel. 

Le «dégagisme» radical est une passion, belle et utile. Mais s’il est accentué jusqu’à l’anarchie, il servira surtout aux futurs ayatollahs du pays et aux charlatans que les médias populistes mettent déjà en scène. Ces néo-islamistes activent déjà sur les réseaux sociaux pour détruire toute possibilité d’émergence de leaders algériens qui ne sont pas de leur «famille». Dès qu’une tête émerge, leurs journaux, leur armée et leurs starlettes TV vous attaquent avec virulence. Au nom d’Allah, de Ben Badis, de la mémoire nationale, de la langue et avec un usage impressionnant de mensonges, diffamations et insultes. Ainsi, dans quelques mois, lorsque les Algériens seront fatigués entre la rue et l’inconnu, les ayatollahs locaux viendront de Londres ou d’ailleurs proposer de mener le pays et la prière. Nous le regretterons. Amèrement.

C’est maintenant donc qu’il faut faire de la politique.

2- L’économie du pays est en ruine. Quelques voix nous en alertent déjà. A cause de la prédation, de la corruption, du manque de vision, du parasitage par «l’informel» concédé aux islamistes et à cause du manque de liberté pour les vrais entrepreneurs algériens. Et pourtant la solution est là, avec l’entreprise algérienne : une économie forte et saine nous aidera à fabriquer des citoyens contribuables, conscients de leurs droits. Car il faut redéfinir le but d’être Algérien : c’est être heureux et riche, pas d’attendre le paradis ou de revivre la mémoire du passé comme un remake sans fin.

Il nous faut travailler, créer de la richesse, de la propriété, libérer l’entreprise et l’initiative, restaurer la valeur du travail, corriger l’image mentale de la richesse et en finir avec ce populisme qui nous fait croire que travailler, c’est être idiot et être riche, c’est être voleur et être pauvre, c’est être vertueux. Le pays sera debout lorsqu’il sera riche. C’est-à-dire lorsque l’idée de la richesse ne sera pas définie par une dictature, et que l’idée du bonheur ne sera pas définie par les islamistes et leur «paradisme».

3- C’est ce que le chroniqueur croit : une nécessité de préserver l’Etat, une «débouteflikisation» lente et sans concession, mais sans précipitation, un investissement du «politique» qui cessera de confondre Facebook avec un parti. Il nous faut des leaders, une échéance électorale fixée et précise, même avec des lois boiteuses et des appareils de prédation tout autour. 

4- Facebook : la révolution algérienne est «silmiya» (pacifique) dans la rue, sanguinaire dans les réseaux. Facebook nous a permis de nous rassembler, le rassemblement nous a permis de marcher et marcher nous a aidés à faire partir Bouteflika en attendant les autres. Mais Facebook n’est pas le réel. Il est un champ dangereux parfois : soit il accentue les divisions (le régime et les populo-islamistes en abusent), soit il accentue la virtualisation : y poster quelque chose donne l’illusion d’avoir accompli quelque chose.

La politique c’est l’investissement dans le réel. Il nous faut investir les associations, les partis, en créer de nouveaux, aller vers les réseaux de la ruralité algérienne, l’université, les syndicats, réformer les lois et décentraliser, libérer, respirer. Dégager des figures et leur faire confiance. Sinon, on sera coincés entre ceux qui parlent au nom de la kasma et ceux qui crieront : «Nous sommes Allah». Et dans quelques mois, on aura une partie des Algériens qui va avoir la nostalgie du régime et une autre qui va avoir la nostalgie du paradis.

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