Algérie / Corruption : 26 milliards de dollars. Qui s’en souvient ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah**

« Une bande de voleurs n’est forte que par la justice qui règne entre ses membres« . Alain, philosophe français

Le 20 mars 1990 n’a vraiment pas été un jour de chance pour Abdelhamid Brahimi (fils de Cheikh El Mili, un des fondateurs du mouvement des Oulémas, ex-Premier ministre englouti par la tempête d’Octobre, ex-ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire, président, à partir de 1981, de la toute puissante Commission des grands équilibres par laquelle transitaient les opérations financières à l’étranger, ex-représentant de Sonatrach aux Etats-Unis d’Amérique, ex-wali de Constantine et il se serait alors opposé au « coup d’Etat » militaire du 19 juin 1965 , ex-officier de l’Aln…, etc.).

Une journaliste du quotidien du soir El Massa était présente lors d’une de ses conférences tenue à l’Institut des sciences économiques du Caroubier (Alger). Et, pour répondre à l’attente d’un public de plus en plus friand de « révélations », notre reporter n’a saisi que ce qui lui a paru essentiel, et qui sera publié dans l’édition du 22 mars : l’ex-Chef du gouvernement a fait état de commissions de 20% versées à des opérateurs sur les marchés contractés avec l’extérieur. En calculant sur une base de 20 ans d’importations, cela donnait le chiffre effarant de 26 milliards de dollars, soit un peu plus que le niveau de la dette extérieure du pays.

Devant l’esclandre, une mise au point a été faite quelques jours après. Elle précisait que le chiffre a été le fruit d’une gymnastique intellectuelle se basant… sur la déclaration d’un haut responsable… en l’occurrence Monsieur Mouloud Hamrouche qui, lors de journées d’études parlementaires, avait critiqué les « surcoûts des importations », qu’il évaluait à 20%. « Ce que j’ai dit », devait-il préciser par la suite, dans une interview accordée à l’Aps, « n’a rien à voir avec les accusations de détournement et de pots-de-vin ».

Dans une interview accordée le 21 octobre 1990 au quotidien El Moudjahid, celui par qui le scandale était arrivé et qui, par la suite, se « réfugia » en Angleterre à partir de fin avril 1992, puis en France pour, dit-on, y enseigner « l’économie islamique », donnait plus de précisions sur sa mésaventure intellectuelle, précision qui prouvaient seulement une certaine inconscience ou légèreté des interventions publiques des hommes politiques de l’après-Octobre, soucieux, par ailleurs, de se placer ou de se replacer dans un échiquier bouleversé : « J’ai évoqué, devant les étudiants, les conditions de la relance économique et les mesures à prendre pour lutter contre le chômage, après avoir énoncé les principes économiques et techniques et pour assurer la relance économique. J’ai dit que ces mesures sont nécessaires mais pas suffisantes. Il faut, en outre, restaurer la confiance pour que les citoyens puissent adhérer et soutenir la politique d’austérité engagée. Ceci passe par la lutte contre la corruption.

J’ai cité la corruption externe, et pour arriver à 26 milliards, je suis parti d’un calcul de 20% sur une période de 20 ans d’importations. Je peux dire davantage. Non seulement, je maintiens l’estimation des 26 milliards mais, si je tiens compte de toutes les déperditions, outre la corruption et les surcoûts comme par exemple le manque à gagner dû au faible taux d’utilisation de nos usines et le gaspillage, la « facture » dépasserait largement ce chiffre. Peut-on accepter cette fuite sans contrepartie dans le contexte que vit notre pays ?

Deuxièmement, j’ai parlé de la constitution de milliardaires, de fortunes dans des délais très courts par les procédés illicites aggravant, par là-même, les inégalités et les tensions sociales.

Troisièmement, j’ai parlé des trafics d’influence, de la corruption générée par les pratiques bureaucratiques au plan interne à tous les niveaux et dans tous les secteurs d’activité. Donc, il faut des mesures claires et sérieuses.

Pourquoi, d’ailleurs, la presse nationale n’a retenu que la première question appelée l’affaire des 26 milliards et n’a rien dit sur les deux autres questions non moins importantes que j’ai soulevées ».

Dans un article publié par Alger Républicain, en mai 1990, Larbi Chaâbouni, prenant appui sur la « bombe » lâchée par Brahimi, est parti à la découverte du monde algérien de la corruption en citant son évolution à travers des dossiers épineux :

« … La révélation de Monsieur Brahimi a fait l’effet d’une véritable bombe. Silence pesant et consternation générale. Puis, réagissant à cette accusation à la fois « diffamatoire, tendancieuse et imprécise », selon les termes du communiqué de la Fédération nationale des associations des gestionnaires du service public (FNAG), le gouvernement de Monsieur Hamrouche, en accord avec la présidence de la République, a publié une déclaration en date du 6 avril 1990, dans laquelle, il appuie, sans réserve, la constitution d’une commission d’enquête parlementaire proposée et adoptée récemment à l’Assemblée nationale. Selon le délégué des auteurs, Falek, cette dernière est chargée de faire « la lumière », délimiter les responsabilités des uns et des autres et lever l’immunité des institutions qui ont permis la signature des contrats ayant amené des pots-de-vin ». D’autre part, la déclaration gouvernementale rappelle que « le dispositif en place, engagé dans le cadre des réformes vise, notamment en matière de commerce extérieur, la mise en place de mécanismes transparents qui permettent d’en finir, dans tous les domaines (…) avec les pratiques supposées ou réelles de manipulations occultes des hommes et des biens publics qui jettent le discrédit sur la gestion de 28 années d’indépendance et de protéger les gestionnaires contre les allégations et rumeurs démagogiques ». A la Fnag, les gestionnaires du secteur public, refusant de continuer à servir de boucs émissaires, ont exigé plus de précisions, de faits concrets et d’actes délictueux, les noms des coupables et la date de signature des contrats, après avoir menacé d’introduire une action judiciaire pour la défense de leurs intérêts moraux. « Conscients des enjeux », comme il a tenu à l’affirmer dans sa lettre remise à la presse, publiée le 28 avril 1990, Monsieur Brahimi a, non seulement, lavé de tout soupçon les opérateurs économiques et les cadres gestionnaires, mais il n’a pas dévié d’un iota de sa position initiale. Ceci constitue une manière comme une autre de clarifier les responsabilités.

Mais, derrière les cliquetis des armes, par-delà les enjeux politiques réels, l’affaire des 26 milliards est-elle l’iceberg ou une partie de l’iceberg ? Tout concorde, en fait, à croire qu’elle est loin de constituer un fait isolé. C’est, tout d’abord, le sens premier que l’on donne à l’offensive de Monsieur Belaïd Abdeslam qui, après avoir lancé le débat sur la politique gazière sur la place publique, considère que le manque à gagner, ces dernières années, est de 40 milliards de dollars. Pas moins de 35 milliards de dollars de l’avis des experts. Dans la foulée, il cite le cas de détournement des crédits destinés au financement de GNL 3, consentis par les Canadiens, au profit de la construction de Riadh El Feth, entraînant une majoration du taux d’intérêt. « Nous n’avons rien à redouter, soutient-il dans une interview parue à Horizons, même des quelques scandales que nous avions découverts, des gens qui ont reçu des commissions ».

Comme pour mieux enfoncer le clou, le Canard enchaîné publie une information selon laquelle, en 1981/82, un négociateur algérien aurait réclamé le versement d’une forte commission en Suisse, lors des négociations sur le contrat pour la fourniture de gaz à la France. Le journal satirique note que l’ancien Premier ministre, Monsieur Mauroy, a finalement refusé, après avoir sondé les experts français.

Tous ces éléments associés versent dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler le dossier noir de la corruption et accréditent la thèse d’une généralisation de ce mal aux différents niveaux du système de gestion économique. Affaires pour affaires, il y a lieu de relever la dénonciation du projet de l’Institut Pasteur (NIPA) par des députés. Selon l’un d’entre eux, le Nipa est une affaire encombrante qui a englouti une somme colossale et pourrait être le début effectif de l’enquête sur les 26 milliards de dollars de pots-de-vin. Pour d’autres parlementaires, il est surtout question de mauvaise gestion, de corruption et de détournement.

Ce projet, datant de 1975, a abouti à un arrêt des travaux à la suite d’un contentieux financier avec la société chargée de sa réalisation, la Sodeteg. Réévalué à trois reprises, son volume d’investissement a été porté de 110 millions de dinars à 698 millions de dinars. Les surcoûts engendrés, nous dit le ministre de la Santé, Monsieur Khedis, sont liés à deux facteurs essentiels : la conception du projet, ambitieux dans sa finalité (il est destiné à couvrir les besoins en vaccins de l’Afrique) et sa réalisation qui a souffert de l’absence de suivi et d’évaluation. Le ministre rejette toutefois, catégoriquement, l’idée de corruption ou de vol en prenant appui sur les conclusions des 7 commissions d’enquête précédentes. La seule anomalie relevée concerne l’inexistence de caution bancaire (15%) pour laquelle, le directeur général, le responsable de la comptabilité et le chef de projet, installé actuellement à Nice, ont été sanctionnés. Pour le reste, aucune trace de preuves concrètes. C’est le verdict des dossiers.

La tempête souffle également fort dans les milieux du secteur privé. Par CNC (Chambre nationale du commerce) interposée, les accusations pleuvent et portent sur des cas de surfacturation, d’importation d’équipements anciens à la place du neuf, des licences d’importation de complaisance au bénéfice d’élus siégeant dans des commissions. C’est ce que semble retenir l’Apn qui a décidé d’instituer une commission d’enquête sur la gestion de la Cnc.

Trois années seulement après sa création, la Cnc, dépendant du ministère du Commerce, est violemment contestée. L’enjeu : la répartition de l’enveloppe budgétaire pour l’importation des équipements et des matières premières, évaluée à 6 milliards de dinars pour des besoins réels de l’ordre de 20 milliards de dinars. Ces restrictions sont à l’origine de frictions et de pratiques douteuses, selon certains.

Parmi les cas litigieux, le promoteur du projet d’intégration KMD souffle à cor et à cri qu’il est l’objet d’un « délit d’initié » commis au profit de son concurrent immédiat, la boutonnerie Brahmia qui se trouve être la propriétaire d’un élu, président de la Commission des investissements (il serait aussi parent du plus haut fonctionnaire du ministère de l’Economie, version 1990).

« On en veut, aussi, explose Monsieur Ali Ouarab, à la direction générale de la Cnc qui a cautionné la machination contre ce projet. Cet élu et certains de ses complices ont même fait savoir que le projet doit profiter à des entreprises spécialisées dans le montage des fermetures à glissière ». Ce projet, installé dans la zone industrielle d’Es-Sénia, est conçu pour fabriquer des chaînes spirales et fermetures-éclair, auparavant entièrement importées pour un coût global de 26 milliards de centimes.

Il est prévu une quantité de 7 millions 500 mille mètres linéaires sur une estimation globale de 36 milliards. Après la construction du site (bâtiment, infrastructure), le projet est déposé, en 1988, sur les bureaux de la Cnc pour accéder à une licence d’importation des équipements évalués 13.500.000 dinars en devises : « A l’exception de Sitas et de Matex où je dispose d’actions, aucun dossier n’a été déposé avant mon projet ». Mais, par lettre notifiée en date du 17 avril 1989, la Cnc a apposé son refus, alors que 8 mois plus tard, la société Brahmia a disposé de licences d’importations pour le même projet d’intégration. De ce fait, l’usine KMD, qui emploie 250 travailleurs ayant aussi investi dans la formation, se trouve fermée. Pour le secrétaire général, assistant du Dg, Monsieur Bettahar Rachid, il n’y a pas lieu de penser à des pratiques de favoritisme ou autres. L’explication réside dans la saturation du créneau et une large couverture des besoins nationaux. Dès lors, nous encourageons l’intégration des sociétés existantes. « A l’évidence, sur la Cnc autant que sur l’affaire des 26 milliards, les commissions d’enquête instituées ont vraiment du pain sur la planche. En auraient-elles jamais assez pour aller jusqu’au bout et redonner confiance, en nos institutions, sérieusement entamée par de telles pratiques, et gagnées par toutes sortes de remous. L’enjeu est de taille. C’est la crédibilité et de restauration de l’autorité et de la morale de l’Etat qu’il s’agit. Ni plus ni moins ».

Cet article peut être complété par un autre, celui-ci publié par le journal Jeune Afrique, en date du 15 avril 1990, sous le titre objectivement bien malveillant : « Algérie : les ripoux du socialisme ». Le journal cité, lui, remonte le temps : après s’être référé aux déclarations de Abdelhamid Brahimi, son journaliste Hamza Kaïdi écrit notamment : « Les révélations de Brahimi n’ont pas surpris grand monde en Algérie. Car, on ne se fait guère d’illusions sur les tripatouillages sur les marchés d’Etat. Chacun sait que bien des fortunes bâties depuis l’indépendance, à l’ombre de la révolution socialiste, ont pour origine les pots-de-vin empochés de diverses manières, mais aussi les détournements de deniers et de biens publics. L’étalage tapageur de richesses dans lequel se complaisent, en Algérie même, certains apparatchiks et leurs proches, les fortunes placées à l’étranger sous forme d’hôtels, de restaurants, de commerces divers et parfois même d’unités industrielles, en sont le meilleur témoignage ». Kasdi Merbah a estimé, un jour, à 15 milliards de dollars l’argent détenu par les Algériens à l’étranger. Il avait d’ailleurs précisé que c’est avec l’augmentation du prix du pétrole au début des années 70 que la corruption a fait son apparition dans la société algérienne. Et, dans une interview accordée à Algérie-Actualité, n° 1419, 23-29 décembre 1992, il précisera, « qu’à partir de 1976-1977, la corruption est devenue une préoccupation importante, et au cours de 1978, une réflexion avait été engagée par Houari Boumediène sur la façon de combattre la corruption… »

« Bien avant Brahimi, sur ce sujet, un autre ministre avait provoqué quelques remous, certes limités, car l’information n’avait guère circulé. Alors qu’il détenait le portefeuille des Finances dans le gouvernement Boumediène, Mohamed Seddik Benyahia signalait, dans un rapport interne, que ses services avaient dénombré plus de deux mille nouveaux milliardaires (en centimes) – 3.550 en 1978 selon Liberté en date du 27 juillet 1992 – et ce, à une époque où le commerce extérieur, les grands outils de production et même les terres agricoles étaient détenus par l’Etat. Le seul moyen qui restait pour accumuler des richesses : la corruption.

« Des fortunes impressionnantes se sont constituées à l’époque. Celle de Messaoud Zeggar, ami de Boumediene et commissionnaire d’Etat, n’est sûrement pas l’une des moindres. Avant l’indépendance de l’Algérie, celui qu’on appelait, à l’époque, Rachid « Casa », résidait au Maroc, où il vivotait d’un petit commerce de légumes. Au milieu des années soixante-dix, il acquiert une certaine réputation dans les milieux d’affaires internationaux ».

Il ajoute : « Peu avant cet incident, l’ex-numéro deux du régime, Kaïd Ahmed, passé dans l’opposition, avait dénoncé le Président Boumediène dans un tract où il affirmait que le Chef de l’Etat algérien avait placé plusieurs millions de dollars, sous son propre nom, dans une banque américaine. Il donnait le montant exact de l’un des versements et le numéro du compte. En 1989, le colonel Ahmed Bencherif, ex-patron de la gendarmerie, a confirmé ces faits dans une interview accordée au journal, de l’ex-Président Ben Bella, Tribune d’Octobre.

Au cours des années quatre-vingt, le nombre des commissionnaires d’Etat se multiplie. Leurs hommes de paille, et eux-mêmes, sont connus du grand public, à Alger, et même dans l’intérieur du pays où ils ne négligent d’ailleurs pas les placements, surtout immobiliers. Dans bien des localités, il n’est pas rare qu’un passant vous indique l’immeuble (de rapport) de telle ou telle personnalité.

Même de nos jours, la pratique de pots-de-vin est toujours en vigueur. Les responsables de sociétés étrangères, traitant avec l’Algérie, le confirment.

Plus grave, certaines opérations réalisées relèvent de la pure escroquerie. L’an passé (1988), une cargaison de sucre acquise par l’Algérie, et évaluée à plus de 20 millions de dollars s’est évanouie dans la nature. Comme par hasard, les précautions d’usage (lettre de crédit, assurances) n’avaient pas été prises.

Quelques semaines plus tard, un autre scandale éclatait. Des médicaments périmés achetés par tonnes avaient été entreposés dans les réserves des pharmacies d’Etat, sans aucun contrôle.

De tels détournements ne peuvent avoir lieu sans la tacite complicité de hauts-fonctionnaires. Curieusement, ces deux affaires connues du grand public, n’ont provoqué ni sanctions ni poursuites.

Sans prêter foi au chiffre avancé par Abdelhamid Brahimi, il est difficile de mettre en doute ses révélations. Mais, le silence du gouvernement ne cesse de surprendre.

Certes, une commission parlementaire a été formée pour enquêter sur la question. Mais, parions qu’à l’instar de celles constituées pour d’autres affaires, elle n’aboutira pas à des résultats probants tant cela mettrait de puissants intérêts en cause. Ses filets retiendront quelque menu fretin et les gros requins passeront à travers les mailles ».

Le journaliste de Jeune Afrique ne croyait pas si bien dire : l’enquête parlementaire sur la Chambre nationale de commerce a connu son épilogue le 25 décembre 1990. En effet, le rapport de la commission présenté devant les députés, puis soumis au débat, venait d’être approuvé à une très large majorité (moins deux voix contre, au cours d’un vote à main levée). Les députés ont adopté, par la suite, à l’unanimité, une résolution, à soumettre au gouvernement, lui demandant de saisir la justice pour ce dossier et ce, conformément au règlement intérieur de l’Apn.

Le quotidien privé, El Watan, titrait, le 26 décembre 1990 : « Les masques ne sont pas tombés » comme pour répondre au quotidien Fln, El Moudjahid qui, pour sa part, titrait : « les masques sont tombés ».

Qu’a donc fourni la Commission, officiellement installée le 16 mai 1990 (2000 pages d’audition et 36 cassettes d’enregistrement en vidéo) : un rapport de 67 pages, sept annexes, une liste nominative de 5.000 demandeurs de licences d’importation et les décisions de la Cnc les concernant… mais, aucune révélation fracassante et, surtout, aucun nom de hauts responsables comme l’attendait l’opinion publique chauffée à blanc.

En dehors de certaines affaires citées dans le rapport (la Commission signale, entre autres, que parmi les élus de la Chambre de commerce, 29 sur 91 ont bénéficié de 43 projets d’une valeur globale de 666 442 163 dinars. Elle note, à cet égard, que la valeur d’un projet en faveur des élus est de 15,5 millions de dinars, alors que la moyenne de l’ensemble des autres projets agréés est de 10 millions de dinars… et, globalement, 9 cas d’irrégularités sur 6.000 dossiers traités), ce dernier fait l’impasse totale quant à l’identification des auteurs des délits (c’est un bilan et non une enquête, a conclu le député Ayad, ex-vice-président de la commission d’enquête qui avait démissionné avec fracas, à cause de la méthode de travail alors choisie par la commission, et contre le manque de transparence). Peu de noms sont cités, hormis ceux de : Soufi Tahar (ancien fonctionnaire de la Société algérienne d’assurances, devenu très gros industriel blidéen, « réunificateur » en décembre 1990 du Psd alors déchiré entre Adjerid et Hamidi Khodja, financier, et alors propriétaire (à 50 %, par le biais de son fils) du Nouvel Hebdo et, comme par hasard, traduit en justice en décembre 1990 pour une affaire de détournement d’Agi en devises (1 milliard 300 millions de centimes) et d’impayés de droits et taxes douanières, Tahar Lounis-Khodja, décédé fin janvier 1991 (Président de la Confédération générale des opérateurs économiques algériens, patron connu dans les milieux du bâtiment, grand perdant dans les élections des branches de la Chambre de commerce en 1990 et qui, dit-on, voulait utiliser les secteurs de cette institution comme tremplin pour accéder à la présidence de la Chambre de commerce… et grand ami de Kamel Belkacem depuis l’époque d’Algérie-Actualité), Omar Ramdane (homme d’affaires et président de la Cnc en 1990), Kamel Belkacem (Directeur général du Nouvel Hebdo et ex-directeur d’Algérie-Actualité), le député Abdelkader Cherrar (de Boufarik, et délégué des auteurs de la proposition de loi qui a donné lieu à la constitution de la commission d’enquête parlementaire sur la Cnc…), les deux derniers cités par l’ancien président de la Chambre nationale de commerce, Masmoudi, comme les acteurs d’un complot tramé contre sa personne et contre le Cnc, et Ayad, député. Etrange tout de même !

L’Etat a alloué des crédits forts importants à la Cnc. Certes, une partie de cet argent a été bien utilisé, mais il est quasi-certain, au vu même des multiples irrégularités relevées par la commission (répartition des licences d’importation, de manière occulte, inégalité dans la base de répartition, surfacturation, acquisition de manière occulte, irrespect des procédures d’agrément des projets…, etc.) qu’une partie importante a été « exploitée » par les gros « trabendistes » dont les « parrains » se trouvaient encore dans les rouages d’un système en place, système qui a largement profité des retombées du capitalisme d’Etat… ce qui a fait que la Commission n’est pas allée bien loin dans ses investigations, laissant ce soin ingrat, pour ne pas dire chargé de risques, soit à la justice soit à la prochaine Assemblée nationale. C’est à peu près la même démarche qui a été adoptée pour « l’affaire des 26 milliards de dollars ».

Le jeudi 27 décembre 1990, les membres de l’Assemblée populaire nationale adoptaient, par 91 voix contre 8 et 10 abstentions, le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur « la soi-disant affaire des 26 milliards de dollars » pour reprendre l’expression malheureuse, « utilisée » en français par les traducteurs du service presse de l’Apn, lors de la distribution du document, et ont décidé de la transmettre à la justice.

En six mois, 40 hauts responsables (de la Police, de la Gendarmerie, de la Sécurité militaire, de la Justice, de la Cour des comptes, de l’Inspection générale des finances, du Gouvernement… et un seul wali, Merazi – Oran – qui se serait présenté volontairement, ont été auditionnés (le seul refus a été enregistré, par 3 fois, de la part du président du Conseil constitutionnel, ex-ministre de la Justice et ex-secrétaire général de la Présidence de la République, Abdelmalek Benhabylès), 120 lettres de citoyens ont été étudiées (au mois d’août, le Parlement avait invité « les Algériens détenteurs d’informations ou documents « en relation avec les révélations de A. Brahimi à les adresser aux commissions d’enquête), et des milliers de dossiers ont été traités (le plus brûlant aurait été celui de la construction en préfabriqué destinée à la ville de Chlef après le séisme d’octobre 1980, et dont l’ex-wali avait été « expédié » dans une ambassade africaine, dès la fin de l’opération).

« … La commission a souligné que le chiffre de 26 milliards de dollars avancé par Monsieur Abdelhamid Brahimi a profondément atterré l’opinion publique d’autant qu’il était presque l’équivalent de la dette extérieure de l’Algérie dont les citoyens ne comprennent pas l’origine.

A l’écoute des multiples intervenants au cours de l’enquête, la commission estime que ce qui caractérise l’ensemble des thèses est l’absence de distinction précise entre la corruption au sens juridique du terme (art. 126 à 134 du code pénal) et les cas de détournement, de surcoûts, de réévaluation découlant de retards de réalisation et l’absence de maîtrise dans la gestion. En d’autres termes, estime la commission, et au-delà de la définition juridique de la corruption, les thèses avancées prennent pour base « les signes extérieurs de richesse non conformes aux revenus personnels ». L’accent a été mis, les personnes interrogées, « sur une classe qui a exploité différentes positions dans le pouvoir pour renforcer des privilèges » et qui se manifeste par des constructions somptuaires, l’acquisition de voitures de luxe, la multiplication des résidences et des voyages à l’étranger. Relevant la difficulté de qualifier la corruption « en raison des précautions prises par le corrupteur et le corrompu », la commission, indique le rapport, a pris en compte « les cas de mauvaise gestion et les comportements irrationnels qui relèvent d’arrière-pensées ne pouvant être expliquées que par de la corruption ».

Certaines affaires évoquées au cours des auditions, remontant à plus de vingt ans, « ont été tranchées par justice et bénéficient par conséquent de l’autorité de la chose jugée », indique le rapport qui relève que la majorité des personnes auditionnées avaient une approche personnelle visant à se faire connaître et éviter l’oubli, à défendre les positions qu’ils avaient prises afin de lever le doute les entourant, à disculper leur gestion passée, à revenir de nouveau sur la scène en exploitant le nouveau contexte politique et même pour des mobiles de vengeance politique. Certaines des affaires citées, ajoute le rapport de la commission d’enquête, sont au niveau de la justice ou font l’objet d’enquêtes judiciaires. La commission rappelle que la pratique des intermédiaires et l’octroi de commissions étaient des activités légales au regard du droit. Jusqu’à la promulgation de la loi 02/78 du 19 février 1978 portant sur le monopole sur le commerce extérieur. Ce monopole, indique le rapport, qui cite certains analystes, « a permis au monopole, à l’extérieur et aux intermédiaires à l’intérieur, et même au niveau des structures officielles relevant des différentes sociétés nationales à prendre un aspect organisé et à faciliter la corruption des responsables ».

La commission relève que les services chargés du contrôle ont indiqué « que tout dossier examiné et relevant une atteinte à l’économie nationale ou une infraction de la loi comportant des preuves et des documents étaient transmis à la justice ». Ces services, ajoute le rapport, demandent à Monsieur Brahimi à donner des preuves que des dossiers n’ont pas été transmis à la justice et affirment que ce responsable n’a jamais déposé de plainte ou transmis de dossiers au cours de la période où il exerçait des responsabilités.

La commission d’enquête note avec regret que cette affaire a porté atteinte à « la réputation du pays et a entaché sa crédibilité au niveau interne et externe » et souligne qu’il y a des « entreprises et des cadres et des travailleurs qui ont fait des efforts sincères et gigantesques » pour le bien du pays. Si la corruption, ajoute le rapport, a touché des individus, « on ne peut, en aucun cas, la généraliser avec cette simplicité et semer le doute dans l’esprit de tous les Algériens… »

La commission a cité un grand nombre de dossiers qui mériteraient une enquête approfondie en raison de la suspicion qui les entoure. Il s’agit de nombreux contrats conclus par des entreprises nationales, du dossier du préfabriqué en référence au programme mis en place après le séisme de Chlef, le dossier des céréales, du café, du sucre, des tomates, des épices, du dossier Bouygues, l’achat de 3 Airbus, le dossier de l’Institut Pasteur, l’Enafec, l’Enapharm, El Hamma, la Sntf, les textiles, les silos de céréales, la Cnan, l’Oncv, l’Université, et d’autres comme le cas d’annulation d’impôts et le dossier des biens vacants, dossiers derrière desquels les observateurs de la scène politique nationale depuis 1965 devinent aisément les personnalités ou les personnages impliqués ou soupçonnés… Le rapport de la commission d’enquête relève que les noms de personnes se rapportant à ces dossiers ne sont pas cités car les informations recueillies sont partielles et qu’il faut des enquêtes approfondies avant de porter des accusations.

Dans ses conclusions, la commission d’enquête relève que la loi 04/80 portant sur la fonction de contrôle de l’Apn est très restrictive et qu’elle a été élaborée dans le cadre d’un système ne connaissant pas la séparation des pouvoirs et où le gouvernement n’était pas responsable devant l’Assemblée. En outre, indique le rapport, le délai de 6 mois fixé par cette loi est très insuffisant et que la prescription sur les affaires est fixé à 10 ans, « alors que l’atteinte aux intérêts supérieurs du pays et la corruption ne doivent pas connaître de prescription ».

La commission estime, également, que la faiblesse de la prise en charge matérielle des fonctionnaires et des opérateurs facilite les déviations de ceux-ci face aux sollicitations des étrangers et des multinationales. Enfin, l’absence d’application du principe « d’où tiens-tu cela ? » a permis « à des éléments parasitaires à profiter de la faiblesse de la dissuasion et d’étaler leur richesse ».

Après avoir souligné la nécessité d’approfondir l’étude des dossiers en recourant à des experts spécialisés, la commission a proposé de maintenir le dossier ouvert afin qu’il soit examiné par la future Assemblée ou de la transmettre à la justice… » (Aps).

Si pour l’affaire de la Cnc, les masques ne sont pas tombés, pour l’affaire des 26 milliards, le titre d’Alger Républicain est aussi catégorique : « La montagne et la souris : rien de bien spectaculaire dans le rapport… »

Pression ou impasse naturelle, s’interrogeait le journaliste dès le « chapô » de l’article. Les deux, certainement : sans doute se souvenait-il que, début octobre, le Président Chadli Bendjedid réagissait, pour la première fois, lors d’une émission télévisée, en qualifiant de « fantaisistes » et de « salonnards » les propos de A. Brahimi, et en ajoutant que son ancien Premier ministre « devait apporter des preuves ». A. Brahimi montait au créneau, deux semaines plus tard, démissionnant du Comité central du Fln, tout en maintenant ses révélations. Dans une interview au quotidien El Moudjahid, il affirmait sans ambages que « le Chef de l’Etat était au courant de tout ». Il ajoutait même que le Premier ministre Mouloud Hamrouche avait déclaré, lors d’une session du Comité central du Fln, que « des dossiers sur la corruption existent bel et bien, mais qu’il n’en déterrerait aucun ». Dans une interview publiée le 24 novembre 1991 par le Quotidien d’Algérie, il est plus précis : les dossiers existent… et ils sont à la Présidence.

26 milliards de dollars selon Brahimi, 37 milliards selon un bureau d’études suisse, une cinquantaine selon le New-York Times, 2 milliards tout au plus selon Hamrouche, 1,5 selon Mahfoud Nahnah, le chiffre, en fait importe peu.

Surtout lorsqu’on sait que le peuple a surtout condamné, une première fois, par la très forte sanction négative du Fln, lors des élections locales du 12 Juin 1990, les faits eux-mêmes qui n’avaient rien à voir avec la morale la plus élémentaire et, surtout, avec les principes de la politique socialiste ou de justice sociale tant prônée depuis près de 28 années. Les citoyens auraient voulu non des bilans mais une véritable enquête, avec des noms, non ceux des exécutants mais des commanditaires ce qui, objectivement, ne pouvait être fait par les tenants du pouvoir du moment, tant la corruption a éclaboussé, peu ou prou, tout le monde…, certains députés de l’Assemblée nationale y compris.

Le report continuel, par les exécutifs, de la loi (promise juste après octobre 1988, par le Chef de l’Etat lui-même qui, faut-il le rappeler, s’en était pris en septembre – avec une formule lapidaire Min ayna laka hada – à l’enrichissement illicite de certains responsables de l’Etat et du Parti) sur le contrôle des fortunes des responsables politiques et administratifs exerçant à titre d’élus ou de fonctionnaires nommés…

L’affaire des attributions illicites de terres agricoles des domaines socialistes (3.831 cas), avec une publication commandée, dit-on, par le Chef du gouvernement et visiblement amputée de l’essentiel des noms des bénéficiaires, n’a fait, par un « effet boomerang » visible seulement en politique, que renforcer le scepticisme de l’opinion publique quant à la véracité de la volonté de changement démocratique des tenants du pouvoir : le système ne basculait pas comme promis ou comme attendu; il évoluait tout simplement au rythme des intérêts et des ambitions, avec même des retours en arrière.

Bien sûr, le 12 mars 1991, on apprenait que le parquet d’Alger venait de requérir l’ouverture de deux informations judiciaires sur « l’affaire des 26 milliards » et sur « la Chambre nationale de commerce ». Deux magistrats instructeurs étaient chargés le 16 février de l’investigation grâce à des commissions rogatoires… qui n’auront pas la tâche facile d’autant que les dossiers qui ont abouti sur la table du procureur se trouvaient amputés des procès-verbaux des témoins (Horizons, 13 Janvier 1991) : la partie la plus importante si l’on sait que l’affaire des 26 milliards comprend une trentaine d’autres affaires. D’ailleurs, une année après, on apprenait de la bouche même du ministre de la Justice du gouvernement Ghozali, interviewé par El Massa, qu' »aucun dossier n’a été présenté à la justice…, faute de preuves solides »… les documents transmis n’ayant pas été complétés. Il faudra attendre avril 1992 pour, qu’enfin, les services techniques de la Cour d’Alger reçoivent tous les documents.

Bien sûr, la fameuse, « affaire de la Bea » (24 milliards de centimes, et non pas 17 comme il avait été dit, « volatilisés ») a connu un premier grand procès du 23 février au 19 mars 1991 avec 22 inculpés et trois peines de mort (Mouhouche Rachid, le principal inculpé âgé de 22 ans, le directeur de l’Agence Bea d’El Harrach et un fuyard : « des boucs émissaires selon Libre Algérie, d’avril 1991), mais n’était-il pas trop tard pour faire disparaître les doutes sur la complicité des appareils ou calmer la colère du peuple, colère qui s’est déjà faite sentir le 12 juin 1990, et colère qui allait être encore plus grande lors des élections législatives toutes proches.

Le Fis en a d’ailleurs bien profité et son journal El Mounquid a ressorti les affaires de gros sous à un mois des élections. Il ne rate pas le coche puisqu’il publie le procès-verbal de l’entretien réunissant la commission d’enquête de l’Apn et Messaoudi Zitouni, conseiller auprès de la présidence de la République, président de la Cour des comptes créée en 1980 et dont les objectifs ont été rapidement dévoyés entre 1983 et 1984 (Bouteflika, Keramane, Ghozali et bien d’autres en ont fait les frais), ex-ministre des Industries légères… et grand pourfendeur de Houari Boumediène (Alger-Républicain, 7 Mai 1991)… et de Ben Bella. En fait, ce n’était là qu’une forme de désinformation pour consolider le doute déjà existant dans les esprits des citoyens et faire aboutir à la conclusion que tous ceux qui ont participé au pouvoir depuis 1962 sont des corrompus… Il faut, donc, les disqualifier. Et, le discours de la privatisation du secteur public développé par les gros « nouveaux riches occultes », comme tout ou partie essentielle de la solution à la crise, n’allait pas arranger les choses, les observateurs voyant, derrière la démarche, une foule de « parrains » et une volonté de blanchiment de l’argent détourné.

Par la suite, avec la radicalisation de la vie politique nationale, radicalisation qui a mis à nu (malgré les restrictions imposées à la liberté d’expression des partis politiques – on a vu, ainsi, l’interdiction faite au Rcd et au Ffs de tenir des meetings organisés à l’occasion du 1er juillet – et surtout des journalistes) toutes les tares de la société, avec l’incapacité des gouvernants successifs à maîtriser les crises et avec une libéralisation retardée de l’économie, renvoyant aux calendes grecques les éventuels plans des « parrains » pour « reconvertir » leur argent, on s’aperçoit assez vite que le mal était profond et quasi-inexpugnable.

La corruption s’était, au fil du temps, étroitement liée au très grand trabendo (import-export clandestin), au commerce parallèle (avec seulement la France, la masse d’argent qui circulait sous forme de « trafic de devises » était évaluée, en 1990, à 7 milliards de francs lourds, et un journal a même évoqué l’existence d’un gros « banquier » clandestin algérien, installé en France, par lequel toutes les grosses opérations de change devaient obligatoirement transiter)…et, semble-t-il, au processus de déstabilisation politique du pays.

Des « prélèvements » (qui sont à l’origine de quelques grosses fortunes d’aujourd’hui) opérés en 1962 sur les fonds du Fln au pouvoir de la corruption (bien maîtrisée, surtout qu’elle se déroulait à l’ombre des négociations des gros contrats !) du temps de Houari Boumediène et aux pouvoirs corrompus et corrupteurs du temps de Chadli, le pas est vite franchi : des groupes organisés en « mafia (s) » existent bel et bien en Algérie, même si, après le décès de Mohamed Boudiaf, curieusement, on ne parle plus que de « spéculateurs » ou de « groupes d’intérêts très solides qui ont des intérêts conjoncturels », et que le grand public voit ses rêves de grands procès partir en fumée.

La mafia utilise tous les moyens (dont l’assassinat) pour se maintenir. Certains crimes commis, surtout après janvier 1992, contre des civils ou contre des représentants des services de sécurité (double crime « démentiel » de Hydra commis le 9 mars, le gardien de la résidence d’une éminente personnalité politique et le fils d’un ex-ministre ayant été abattus, meurtre à Paris d’un témoin de l’affaire de la Bea, le 23 mai 1992, assassinat d’un commandant de groupement de gendarmerie, frère d’un douanier « incorruptible », début septembre, meurtre d’un officier supérieur du contre-espionnage à Bachjarah…), certaines actions meurtrières (assassinat du président Mohamed Boudiaf…), et certaines opérations (trop bien) médiatisées (affaires Hadj Bettou, information concernant la fausse arrestation de Hadj Akhamoukh, le chef touareg, affaire Act-Enapal, fuites du bac, découverte, fin mai 1992 à la Bna d’une utilisation détournée de 45 milliards de centimes, remous dans les douanes, détournements de 27 milliards de dollars (?) à la Cnc…) restent à élucider, bien qu’il a été facile, pour beaucoup, d’accuser « l’intégrisme » d’être derrière la plupart d’entre elles.

Tout en n’excluant pas « les fantasmes des aînés », pris dans le vertige des règlements de comptes (exemple des accusations portées par Ahmed Ben Bella contre l’ex-Président Chadli) et des chiffres (puisqu’on en est arrivé à ne plus les maîtriser et à jongler sans discernement avec les milliards de dollars et de francs lourds), il s’est très vite avéré, pour beaucoup d’observateurs, que le grand banditisme et la « mafia politico-financière » y sont pour beaucoup, les intérêts en jeu dépassant de très loin la vente ou l’achat de biens de l’Etat ou même le « trabendo » traditionnel qui allait subir, le premier, les « foudres » de l’Etat : Si, en 1991, les services de la Dgsn n’avaient saisi que pour 21 500 000 dinars de marchandises importées frauduleusement, en 1992, le chiffre était multiplié par 30.

Fin décembre 1992, le ministre de la Justice du gouvernement Belaïd Abdesselam décidait de désigner dix magistrats instructeurs près la Cour d’Alger pour se consacrer uniquement à l’examen des grands dossiers économiques, c’est-à-dire principalement ceux de la corruption. Mais, plus personne ne se faisait d’illusions, et dans l’esprit des citoyens moyens, l’idée est toute faite. Définitivement ! Seuls, des « hommes de paille » seront, de temps en temps, livrés à la vindicte publique ou à la justice (Dg « hamrouchien » de l’Enapal, Dg de l’Enafroid, employés ou cadres moyens des douanes…, etc.). Et, les « parrains » continueront à jouir de « leurs » gains, recyclés et blanchis. La grosse corruption, l’insaisissable, continuera : ainsi, pour ce qui concerne « l’affaire des douanes », la répression s’est polarisée sur « le transit et le D.15 » qui sera suspendu alors que l’immense trafic s’était déroulé avec « l’admission temporaire et le D.18 ». Et, on n’osait pas encore dénoncer farouchement le trafic des armes et surtout la drogue, au risque de laisser s’armer et se développer le banditisme et le terrorisme.

Après tout, l’Italie et la Sicile sont si proches et l’Algérien n’est pas un saint. Hocine Mezali, un « vieux » journaliste algérien, très au parfum, a d’ailleurs écrit un assez bon roman (publié, durant l’été 1992, en feuilleton, dans le Soir d’Algérie) qui en dit très long sur le sujet. Indirectement et sous la forme fictionnelle, cela va de soi : c’est l’histoire d’un richissime intermédiaire algérien (un Monsieur 10%), un certain « Mustapha Zebbar » – ami du Président B…, précise-t-il – qui, par le biais d’un ex-garde du corps de Al Capone, un Algérien, va essayer de se rapprocher de la mafia américano-sicilienne. Il y réussira, mais on ne connaîtra pas la suite et la publication sous forme d’ouvrage, bien que promise, ne verra jamais le jour. Une histoire presque vraie, très « reality » ! Et puis, ne dit-on pas que le mot mafia est, en réalité, d’origine arabe.

*Chapitre extrait de l’ouvrage de Belkacem A-Djaballah,  » Chroniques d’une démocratie mal traitée  » (octobre 1988 – Décembre 1992), édité aux  » Editions Dar El Gharb  » (Oran, 2005, 325 pages)… tiré alors en petite quantité, très mal diffusé… puis mystérieusement  » retiré  » du catalogue de l’éditeur. Une mesure de rétorsion ? En tout cas, une forme de censure assez originale. Diffusé actuellement en version numérique, in Calaméo


*Ancien Professeur associé à l’Ecole nationale supérieure de journalisme d’Alger, journaliste indépendant


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