Algérie / Covid-19 : les affabulations du pouvoir et la catastrophe qui nous attend -décryptage-

-Décryptage-

La pandémie de Covid-19 fait peser sur le monde de sérieux risques de catastrophe sanitaire avec des conséquences énormes en pertes humaines. Le spectre d’une tragédie mondiale commence à apparaître ; les morts se comptent désormais par dizaines de milliers de morts en attendant l’évolution de la pandémie qui n’est qu’à ses débuts dans la plupart des pays, notamment ceux qui ne disposent pas de systèmes de santé capables d’endiguer ce tsunami viral. Ce qui est le cas de l’Algérie.
Abdelaziz Djerad, lors de sa visite à Blida.

En plus d’un système de santé sous-développé, l’Algérie a d’autres entraves qui sont autant de sources d’inquiétudes quant à la préparation du pays à affronter l’épidémie qui est déjà arrivée depuis un bon moment déjà.

Pendant les premières semaines, les mesures prises par le gouvernement semblaient constituer des échos à celles prises, surtout, par le gouvernement français, pour l’essentiel alors que les services de santé des deux pays sont incomparables, les approches sociales et sociétales sont différentes, de même que les systèmes économiques. Les différences, dans ces mesures, sont dans les méthodologies et un assaisonnement à la « sauce algérienne ».

L’illégitimité du pouvoir et sa contestation par le peuple l’ont considérablement affaibli. Depuis les premiers signes de cette pandémie, il est apparu faible, hésitant en quête de soutiens « légitimants ».

On n’a pas besoin de sortir d’une grande école, ou d’être dans le secret des dieux, pour comprendre que le pays allait être sérieusement touché par cette infection virale rien qu’en pensant aux flux des voyageurs entre la France, touchée par la pandémie, et l’Algérie. Connaissant les capacités et les moyens du système de santé que le régime a « édifié », il fallait réagir vite. Très vite.

Si les Français, et les autres Européens, ont adopté une stratégie différente de celle des Chinois, des Coréens ou des Japonais, c’est pour des raisons économiques et idéologiques. La puissance économique de la Chine et son régime politique lui ont permis de prendre des mesures drastiques pour confiner totalement une province de 58 millions d’habitants et d’imposer des restrictions très sévères pour le reste du pays. Les Européens pensaient gérer l’évolution de la pandémie de façon à permettre à leurs systèmes de santé de faire face à la cris sanitaire pour limiter le nombre de pertes humaines, ce qui sous-entend le sacrifice d’un nombre important de leurs citoyens. Ces systèmes libéraux voulaient sauver leur économie et essayer de limiter les pertes en vies humaines. Pour eux les pertes allaient surtout survenir dans des catégories sociales autres que celles dont ils avaient besoin pour leurs appareils de production : les sujets âgés et les personnes souffrant de problèmes de santé chroniques ou sévères, c’est-à-dire des personnes qui représentent une certaine charge pour les économies des pays. C’est toujours ça de gagné pour le capital et ses valets.

Le rétropédalage des USA et de la Grande Bretagne

Les USA et la Grande Bretagne ont d’abord choisi l’option « immunité naturelle », c’est-à-dire laisser le Covid-19 contaminer autant qu’il voulait au sein de leur population et tuer ceux qui ne le supporteraient pas ; ceux qui s’en sortiraient seraient immunisés. Les classes sociales aisées ayant les moyens de se soigner et de rester « confinés » en attendant le passage du cyclone s’en sortiraient, évidemment, avec nettement moins de pertes que les classes sociales défavorisées. Et tant pis pour les vieux et les malades : des fardeaux en moins. Le vice-gouverneur du Texas n’a pas hésité à demander aux « vieux » de son Etat de « se sacrifier » pour les autres : cela a le mérite d’être clair même si c’est immoral et inhumain. L’essentiel serait sauvé : l’économie et le capital. Mais la perspective de pertes humaines énormes et la disqualification politique des idéologies politiques dominantes ont fait changer au dernier moment les stratégies des deux pays.

En France, au début de l’épidémie, on avait entendu le président Emmanuel Macron demander aux proches de pensionnaires des EHPAD (maison de retraite) de faire le sacrifice des liens familiaux pour préserver la vie des aînés. Aujourd’hui, les autorités françaises n’osent pas encore donner les chiffres des décès dans ces établissements arguant qu’elles étaient incapables de les recenser pour le moment. L’huis-clos a dû être tragique au point qu’on n’ose pas compter les morts parmi les aînés « chers » à Emmanuel Macron. D’autres choix vont s’avérer coûteux en termes de vies humaines comme le maintien du premier tour des élections municipales du 15 mars dernier, le manque de moyens de protection ou l’usage limité de tests au Covid-19, pour ne citer que ceux-là.

La fatwa génocidaire 

Après avoir fermé les établissements scolaires et universitaires, les crèches et les centres de formation professionnelle, le gouvernement algérien interdit les rassemblements, les rencontres sportives et culturelles. Mais ce gouvernement fut inaudible sur le plan de la prévention : pour l’immense majorité des élèves et étudiants, c’étaient des vacances inespérées.

Lorsqu’arriva le tour des mosquées, lieux de rassemblements importants (5 fois par jour sans compter les prêches du vendredi), le gouvernement se défaussa sur la commission des fatwas (imams de service) qui en pondit une d’une débilité à la mesure de ladite commission.

Les enfants, les femmes, les personnes âgées et les malades chroniques devaient s’abstenir de fréquenter la mosquée pendant que le reste de la population pouvait continuer cette fréquentation comme si ces groupes sociaux vivaient sur des planètes différentes ou que ceux qui pouvaient encore aller à la mosquée étaient immunisés contre le Covid-19. Après avoir validé, dans un premier temps, cette fatwa génocidaire, le gouvernement rétropédale et ordonne la fermeture de toutes les mosquées deux ou trois jours plus tard.

Cette fatwa, une concession à la mouvance islamiste, est un aveu de faiblesse du régime d’Alger. C’était aussi un calcul politicien : le gouvernement ne voulait pas paraître comme une instance de pouvoir qui doute du pouvoir divin à protéger les croyants de ce mal.

On sait que c’est un rassemblement évangélique de 2000 personnes, qui a eu lieu dans l’Est de la France, qui a fait perdre le contrôle de l’épidémie aux autorités sanitaires françaises, avec comme conséquences l’explosion du nombre de cas dans cette région et l’extension de l’épidémie dans d’autres régions du pays. Une véritable bombe virale. Le gouvernement algérien n’ignorait pas cela mais cela ne l’empêcha pas d’hésiter à fermer les mosquées. Certes, la pression des islamistes était forte mais cette épidémie représentait une menace sur tout le peuple.

Les mosquées représentent l’espace le plus important de la dimension politique de l’islam. Espace que se disputent les islamistes et le pouvoir car il permet d’influer, de manipuler et de contrôler en continu les Algériens qui les fréquentent. Fermer les mosquées pendant plusieurs semaines équivaut à prendre des risques quant à l’emprise exercée depuis des siècles sur les fidèles. Parmi ces derniers, un certain nombre peu comprendre qu’on n’a pas besoin de mosquée pour l’exercice de la spiritualité avec, à la clé, la tentation de déserter les lieux de culte et d’échapper ainsi à l’emprise subie.

Fermer les mosquées, après la Mecque, représente aussi un risque pour le pouvoir divin : ces temples dédiés à Dieu, ainsi que la «maison » qui lui est attribuée, ne seraient pas, en fin de compte, des sanctuaires. La désertion de ces lieux de culte, d’autant plus que les autres religions monothéistes sont confrontées au même problème, peut paraître comme un acte de foi extrêmement faible et un aveu de défiance à l’omnipuissance divine. Il y a un risque d’écroulement de ces édifices, au moins en partie. Et le régime algérien, dont le pouvoir repose sur le Coran et la matraque, ne veut pas voir son fonds de commerce idéologique subir une faillite.

Quand Tebboune se débine

Arrivé à la phase du confinement, le gouvernement algérien a encore recours à cette fameuse commission de fatwas pour inciter le peuple à se confiner. Encore un clin d’œil aux islamistes et une confirmation de la faiblesse qui le caractérise réellement : la légitimité religieuse est indispensable pour sa survie. Dans les pays évolués, on fait appel aux scientifiques et aux médecins pour expliquer la dangerosité de la pandémie et inciter les populations au confinement et au respect des gestes barrières recommandés par l’OMS.

En Algérie, le gouvernement s’en remet aux imams. La démarche n’est pas dépourvue de sens : ces derniers sont plus audibles que les scientifiques et les médecins dans la société que ce régime a édifiée. En agissant ainsi, le gouvernement travaille pour la légitimation des religieux au détriment des scientifiques même dans une situation où seuls la science et la médecine peuvent apporter des solutions et sauver l’humanité. Une façon de contribuer à sauver les meubles de la mosquée.

La gradation dans les mesures de confinement en Algérie semble plus rapide qu’en France ou d’autres pays européens. L’absence de mesures coercitives envers les personnes défiant le confinement a entraîné des réunions importantes qui auraient pu constituer des foyers de propagation du virus. Je ne parle pas de l’irresponsabilité de certains activistes politiques qui continuaient à appeler la population à participer aux marches du vendredi et du mardi contre le pouvoir malgré le début de l’épidémie en Algérie. Quand on a vu des « personnalités » politiques participer à ces marches, on comprend mieux l’hécatombe intellectuelle vécue par le pays.

Navigation à vue

Etant inaudible, en entraînant avec lui les scientifiques et les médecins, le gouvernement navigue à vue ; la « pédagogie » des imams ne peut s’occuper de médecine et de science. Il ne restait au peuple, abandonné, d’autre choix que de se prendre en charge pour échapper au tsunami viral qui le guettait. Les réseaux sociaux, notamment facebook, ont été sollicités par des particuliers pour sensibiliser sur les dangers imminents qui menacent le pays. La menace devenant de plus en plus évidente, chaque jour, des voix et des claviers se joignent à la campagne de sensibilisation.

L’auto-organisation comme ultime recours

Depuis quelques jours, on voit des villages de Kabylie s’organiser pour sensibiliser et désinfecter des espaces ; cela ne plaît pas au gouvernement qui voit ce qui lui restait de pouvoir lui échapper. Après avoir essayé de mettre fin à cette organisation, sans succès, le pouvoir « concocte » un programme d’organisation basée sur les villages et les quartiers mais sous son contrôle : il montre ainsi que sa première préoccupation c’est l’exercice du pouvoir, même dans des moments aussi difficiles. La santé des citoyens apparaît comme secondaire.

C’est lorsque le gouvernement arrive à l’étape d’un confinement plus sévère, surtout avec le couvre-feu, total à Blida, et partiel dans d’autres wilayas, qu’il semble maîtriser quelque peu, son sujet : la matraque. Sans pour autant maîtriser la situation.

Les règles de confinement ne sont pas respectées par tous ceux qui devraient le faire. Depuis les premières mesures de confinement, on a assisté à des comportements inconscients et irresponsables dans beaucoup de domaines sociaux : des jeunes qui organisent des parties de football, des cérémonies de mariage et des funérailles regroupant beaucoup trop de monde, des personnes qui ne respectent pas les gestes barrières dans les espaces publics, etc. Le travail de pédagogie sous-traité par des imams, qui n’étaient ni compétents ni convaincus, a été infructueux. Parmi tous ces inconscients, il y en a qui sont dans le déni tandis que d’autres sont dans la bêtise alors que pour certains c’est une manière de surmonter leur peur. Je ne parle pas des gens qui sortent pour des raisons psychologiques (exiguïté du logement, troubles psychologiques, etc).

La fermeture tardive des frontières aux voyageurs est aussi une erreur qui coûtera beaucoup de vies humaines. On savait dès le départ que le virus voyageait avec les personnes qui arrivaient des pays où l’épidémie avait commencé.

Dans un pays qui ne vit pratiquement que par les recettes des hydrocarbures, on pouvait se permettre un confinement drastique dès le départ tout en protégeant la Sonatrach et ses travailleurs, c’est-à-dire la colonne vertébrale de l’économie. De toute les façons, ce confinement inévitable arrivera même tardivement. Dans un pays qui ne dispose pas d’un système de santé solide et performant, on ne peut pas se permettre des lenteurs et des erreurs.

Des mirages pour lutter contre le Covid-19

Les mots des gouvernants quant à la préparation de notre système de santé à faire face à cette épidémie ne sont qu’un mirage pour ceux qui peuvent s’y accrocher pour ne pas désespérer. Lorsqu’on voit la première puissance mondiale (USA) débordée par cette pandémie, on comprend que les dirigeants algériens se foutent littéralement de tout le monde. Les appels de très nombreux médecins en direction de la population pour l’inciter au confinement est aussi un démenti au discours officiel, si on avait encore besoin de le démentir.

Concernant le traitement des personnes infectées par le Covid-19, la décision annoncée était un écho à une décision des autorités françaises : pour les cas graves, une association médicamenteuse préconisée par le professeur Didier Raoult de l’IHU de Marseille, l’hydroxy-chloroquine et l’azithromycine (un antipaludéen et un antibiotique). Heureusement que les médecins algériens ont suivi les recommandations du professeur Didier Raoult et non celles du gouvernement : le traitement doit être administré à tout porteur du covid-19 dès son dépistage pour diminuer la charge virale et accélérer la guérison, ce qui évitera au maximum les hospitalisations massives des malades et la multiplication des aggravations de la maladie chez un nombre important de sujets. Cela contribue aussi à diminuer les risques de contamination Lorsque le sujet arrive en réanimation, la chloroquine n’est plus utile car ce sont d’autres organes endommagés par l’attaque virale qu’il faut soigner (poumons, reins, etc.).

La controverse que suscite la chloroquine en France en ce moment a pour causes une guerre d’egos entre les chercheurs marseillais et parisiens et, surtout, un lobbying des grands laboratoires pharmaceutiques. Que gagneraient les laboratoires Sanofi en vendant de la chloroquine dont le prix en pharmacie est d’environ 5 euros la boite ? Les médicaments que produit ce laboratoire comme les antiviraux utilisés pour traiter les porteurs du VIH coûtent 40 fois plus cher. Un de ces médicaments est intégré dans les essais cliniques du moment au même titre qu’une autre molécule du même laboratoire, Sarilumab, un médicament utilisé en immunologie (immunosuppresseur) qui coûte 846 euros la boite de deux seringues pré remplies à 1,14 ml : il est 170 fois plus cher que la chloroquine. Heureusement, pour nous, que l’Algérie n’a pas les moyens (financiers) de participer à cette foire des laboratoires.

Sur le plan médical, les médecins et les usagers des hôpitaux algériens savent l’état déplorable dans lequel ils sont et le manque de personnel soignant et d’équipements. On ne peut croire à ces mensonges des autorités quant aux capacités de ce système de santé à faire face à la pandémie. A moins qu’ils ne parlent des hôpitaux de l’armée et de la police qui vont les soigner, eux et leurs proches, en cas d’infection au Covid-19. Il suffit d’aller sur les réseaux sociaux pour lire ou écouter de très nombreux soignants qui déplorent les moyens dérisoires dont ils disposent pour affronter l’épidémie. Même chose pour le dépistage avec la centralisation de l’analyse des tests au niveau de l’Institut Pasteur d’Alger qui n’a les moyens de réaliser que quelques dizaines d’examens par jour.

Il y a plusieurs jours, des chercheurs de l’université de Tizi Ouzou avaient mis au point un laboratoire pour faire ce genre d’analyses mais le gouvernement avait refusé de les autoriser : l’initiative avait le tort de venir la Kabylie en plus de l’obsession du régime à contrôler les chiffres et la communication autour de cette épidémie. Le gouvernement algérien s’y connaît en matière de manipulation de chiffres ; il n’y a qu’à voir ce qu’il fait avec les résultats des élections pour réaliser son génie en la matière. Certes, sous la pression de la demande de tests qui explose, le gouvernement a fini par autoriser le laboratoire de l’université de Tizi Ouzou et, même étendre la tâche à d’autres laboratoires de CHU, mais toujours sous le contrôle de l’Institut Pasteur.

Seuls une conscientisation massive de la population algérienne, le respect de règles d’hygiène et de sécurité strictes, l’adoption des gestes barrières préconisés par l’OMS et un confinement de quelques semaines peuvent permettre au pays d’éviter une tragédie.

Le président français s’est entouré d’un conseil scientifique et d’un autre médical : un véritable parachute pour l’après crise. Si cela tourne trop mal, il sera « responsable mais pas coupable », une parade juridique bien française. Quant à Abdelmadjid Tebboune et les décideurs qui l’accompagnent, quelle que soit l’issue de cette crise, ils ne risquent même pas d’être acculés à plaider « responsables mais pas coupables ».

Auteur : Nacer Aït Ouali


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