Algérie / Développement de l’industrie automobile : une grande supercherie

par Farouk Nemouchi

Durant la dernière décennie, le gouvernement a autorisé de nombreux concessionnaires automobiles à importer des véhicules toutes catégories. En 2012 on recensait 39 opérateurs qui ont acheté des véhicules pour un montant de 7,6 milliards de dollars. 

L’apparition d’un déficit commercial croissant et la baisse des réserves de change ont conduit les autorités à imposer des quotas à l’importation et pris la décision de créer une industrie automobile nationale pour satisfaire la demande intérieure. Quatre années après, le ministère de l’industrie fait un constat accablant : il parle d’importation déguisée et en guise de montage de véhicules, ce sont des kits pré-montés qui font l’objet d’une simple opération de boulonnage pour obtenir le produit fini, Le gouvernement révise la règlementation et adopte un nouveau cahier de charges qui a pour effet de stimuler l’activité de production. Constatant que le montant relatif à l’importation des véhicules finis et des collections CKD/SKD reste élevé (2,13 milliards de dollars en 2017), de nouvelles mesures de restriction entrent en vigueur en 2019. Il faut dire qu’il y a de quoi rester perplexe devant un tel cafouillage et la légèreté avec laquelle le dossier de la filière automobile est pris en charge. Conformément au nouveau cahier tout candidat à l’investissement dans le secteur de l’automobile est tenu d’atteindre un taux d’intégration minimum de 15 % après la troisième année d’activité et de 40 % à 60 % après la cinquième année. Le degré d’intégration de l’activité est un ratio qui mesure la contribution de l’entreprise dans la production d’un bien. 

Lorsque ce ratio progresse, elle crée plus de richesses, le chômage diminue et le coût en devises des intrants acquis auprès des fournisseurs étrangers baisse. Le ministère n’a communiqué aucune information sur les taux d’intégration réalisés par chaque constructeur y compris pour Renault. Cependant si l’on doit faire un bilan global, force est de constater que la situation n’a pas varié d’un iota et que le mode d’assemblage des véhicules est toujours assimilable à une importation déguisée. En réalité il n y a rien de surprenant à cela et tout observateur attentif de la situation économique du pays sait que les objectifs en matière d’intégration relevaient de l’utopie. On se demande si le gouvernement a effectué une étude globale pour apprécier la faisabilité d’un tel projet sachant que la mise en œuvre d’une politique industrielle requiert au préalable un diagnostic de la base industrielle existante et une vision de long terme qui précise ses objectifs stratégiques et les moyens à mettre en œuvre sur le plan financier, infrastructurel et celui du capital humain. Il s’agit entre autres de jauger le potentiel industriel du pays et les perspectives qu’il offre pour le développement de la filière automobile. 

Le premier constat à faire c’est qu’a partir du début des années 80 la base industrielle nationale a subi un démantèlement qui a fait chuter sa valeur ajoutée dans le PIB à hauteur de 5% au cours des deux décennies écoulées. En d’autres termes l’état du tissu industriel n’est pas propice au développement d’une activité de sous-traitance au profit de l’industrie automobile et par conséquent en faveur d’une activité plus intégrée. 

C’est une lubie que de croire que la promotion de la sous-traitance industrielle peut se faire sur le court terme dans un contexte de désertification industrielle. 

Le deuxième constat concerne le comportement des concessionnaires investisseurs qui ont exprimé leur surprise en découvrant l’absence de sous-traitants alors qu’ils ont mis en place les infrastructures, acquis les equipements.et recruté du personnel. Lorsqu’un entrepreneur réalise un investissement de grande envergure comme c’est le cas dans l’industrie automobile, il met au point une étude technico économique comme l’exige d’ailleurs le cahier des charges. L’analyse de marché fournit des informations sur les fournisseurs potentiels avec lesquels s’engagent un processus de négociation sur les conditions d’approvisionnement notamment en termes de prix et de quantités. 

Au Maroc l’usine Peugeot installé à Kénitra a passé des commandes pour 600 millions d’euros de pièces auprès de fournisseurs locaux alors que le démarrage est prévu pour 2019. 

Le troisième constat plus préoccupant concerne le volume de production des véhicules. Tout entrepreneur vise la rentabilité mesurée par le retour sur investissement et pour y parvenir il est nécessaire de tirer avantage des économies d’échelle. C’est une règle de l’économie industrielle qui énonce que lorsque les quantités produites augmentent, les couts diminuent et il en résulte une baisse des prix à la vente et une plus grande compétitivité. Partant de cette considération, il est légitime de s’interroger sur l’engouement manifesté par de nombreux postulants pour le montage automobile alors que la concurrence est rude à l’échelle internationale et régionale. Pour ne citer que Renault, l’usine de Tlelat dans l’Oranie est entrée activité en 2014 avec une capacité de production de 75 000 unités et à ce jour elle peine à atteindre les 60000 voitures. Que dire alors des autres entreprises dont le nombre de véhicules montés pour chacune d’entre elles est loin d’assurer le retour sur investissement. 

Quant à l’idée d’exporter alors que l’industrie automobile algérienne est à l’état de balbutiements, c’est prendre des vessies pour des lanternes. 

Le Maroc compte deux constructeurs: Renault et Peugeot. La production des usines Renault a atteint 402.000 véhicules en 2018 et celle de PSA dont le démarrage est prévu en 2019 devra produire 200 000 véhicules, soit une capacité de production supérieure à 600.000 voitures. Grâce à cette à performance, les ventes de voitures à l’étranger représentent 25% du total des exportations et placent le pays au premier rang en Afrique. 

Grâce aux investissements massifs des entreprises locales et étrangères dans la sous-traitance, le taux d’intégration des véhicules Renault atteint 50,5% alors que pour Peugeot il est de l’ordre de 60% et l’objectif retenu est de 80 % avec la création d’une usine de moteurs. En d’autres termes la sous-traitance ne se limite pas à des accessoires légers mais se concentre de plus en plus sur des composants à forte valeur ajoutée. La comparaison des quantités produites par les deux pays voisins montre qu’en termes de compétitivité, le combat est inégal, c’est David contre Goliath. Par conséquent il est illusoire de penser que les entreprises algériennes sont en mesure d’acquérir des parts de marché et s’imposer sur le marché des exportations. 

D’ailleurs on peut observer que le prix des premiers véhicules montés localement est supérieur à celui du même produit dans les pays de provenance alors que le modèle low-coast est par définition produit et cédé aux utilisateurs à bas prix. 

Sur un autre plan, on sait que la loi de finance 2017 exempte les activités d’assemblage et de montage pour une période de cinq ans les composants et matières premières importés ou acquis localement destinés aux industries de montage et celles dites CKD. Comment ne pas exprimer aussi son étonnement lorsqu’on accorde des avantages fiscaux tel que le taux réduit en matière de TVA en faveur d’industries de montage dont plus de 75% des composants utilisés dans le produit final sont achetés auprès de fournisseurs installés à l’étranger. L’augmentation du taux d’intégration est un objectif de long terme et il serait utopique de penser que les exonérations fiscales à elles seules ont le pouvoir d’opérer des changements à caractère structurel. Si le taux d’intégration au niveau national reste dérisoire, le soutien apporté par l’Etat sous différentes formes ne sert pas l’investissement et la production nationale. Pire que cela, le trésor enregistre un manque à gagner qui se traduit par une contraction des recettes fiscales. Un autre cadeau et non des moindres réside dans le soutien des banques algériennes aux constructeurs étrangers alors qu’ils sont censés s’impliquer davantage dans les opérations de financement. L’Etat gratifie les firmes étrangères de privilèges qui les dispensent de prendre le risque de réaliser des investissements conséquents en Algérie comme c’est le cas au Maroc. Les grandes firmes bénéficient d’un concours inespéré favorable aux politiques de délocalisation des activités de montage pour se consacrer au développement des opérations à forte valeur ajoutée qui se trouve en amont de la filière de l’industrie automobile. Elles préparent les stratégies du futur à l’instar de Volkswagen qui prévoit à l’horizon 2025 la fin du moteur diesel et le programme de développement du véhicule électrique, la voiture autonome et les modèles low-cost qui sont délocalisés dans les pays émergents. 

Tout ce qui a été entrepris dans le domaine de l’industrie automobile est en réalité une grande supercherie pour contourner les mesures de compression des importations de voitures suite à la baisse des réserves de change. L’alliance tissée entre les firmes étrangères et les féodalités financières locales et soutenue par les autorités du pays depuis quelques années a donné lieu à un vaste plan dont le seul but est de poursuivre une politique d’accaparement de la rente et le transfert de capitaux à l’étranger par le truchement de pratiques prédatrices. 

L’Algérie a besoin d’une stratégie de développement globale qui définit les priorités dans chaque secteur et particulièrement celui de l’industrie. Au-delà des compétences et des moyens qui doivent être mobilisés, il y a lieu de compter d’abord sur des responsables qui servent leur pays avec amour et patriotisme en puisant dans le réservoir de cette magnifique jeunesse qui a montré sa disponibilité à prendre en charge les destinées de ce grand pays. 

  • Universitaire 

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