Algérie / Entre poids de la religion et quête de libertés

Arezki Aït-Larbi, correspondant à Alger

Alors que le pouvoir mise sur l’essoufflement du mouvement pour cause de ramadan, qui débute ce lundi, les manifestants tentent de concilier révolution et spiritualité.

Malgré les caprices de la météo, la révolution ne faiblit pas. Hier, 11e vendredi de mobilisation générale, des millions d’Algériens sont descendus dans les rues, à Alger et en province, pour exiger le changement démocratique et le respect des libertés. Plus encore que la semaine dernière, le général Gaïd Salah est arrivé en tête des personnalités les plus conspuées par les manifestants, qui reprochent au chef d’état-major de protéger les barons corrompus du sérail, pour assurer la survie du régime.

Alors que le débat est centré sur les questions de pouvoir, un « Collectif pour les Libertés, la dignité et la citoyenneté » tente de baliser les enjeux : « La société algérienne est plurielle. La diversité de nos convictions politiques, philosophiques et religieuses, la pluralité de notre identité, de notre culture, et de nos langues sont des richesses à promouvoir, et non des menaces à combattre. » Parmi la centaine de signataires de la déclaration publiée mardi, figurent Djamila Bouhired, héroïne de la guerre d’indépendance, Abdennour Ali Yahia, vieux militant des droits de l’Homme, et les écrivains Kamel Daoud et Boualem Sansal.

En quête de consensus

Loin de ces joutes, le pouvoir est à la manœuvre. En pariant sur l’essoufflement du mouvement, notamment avec le ramadan qui débute lundi, il espère sans doute un miracle. Le jeûne rituel, qui dure de l’aube au coucher du soleil sans boire ni manger, met l’organisme des musulmans à rude épreuve. Pour les autres, il est impossible de trouver un restaurant ou un café ouverts durant la journée, excepté dans les grands hôtels qui accueillent des étrangers.

Parmi les manifestants, le débat est animé depuis quelques jours. « Le ramadan est reporté pour cause de révolution ! » ironise l’écrivain Arezki Metref. Comme chaque année, le débat sur la liberté de conscience revient comme un marronnier. Rachid, enseignant de mathématiques à l’université d’Alger plaide le respect mutuel : « nous sommes dans une société plurielle ; chacun doit y trouver sa place de citoyen. Pourquoi ne pas autoriser les restaurants et les cafés à ouvrir durant la journée, par respect aux non jeûneurs? » Un vœu pieux qui a peu de chance de trouver un écho auprès des autorités. Mais aussi chez les islamistes qui veillent au grain.

Malgré sa barbe fournie, Hakim, enseignant quadragénaire, ne dédaigne pas le débat avec les laïques ; mais la tolérance a des limites : « Le peuple algérien est musulman ; il faut respecter ses valeurs civilisationnelles. Ceux qui violent le caractère sacré du ramadan n’ont qu’à le faire en cachette, chez eux ! »

Pour les manifestants de tous bords qui veulent, malgré tout, garder l’unité du mouvement et continuer le khawa khawa (fraternité) entre laïques et islamistes, l’équation n’est pas insoluble. Pour Hakim, « il faudra manifester la nuit, après les tarawih(prières rituelles qui suivent la rupture du jeûne) ».

Rompre le jeûne pour manifester

Alors que les jeunes s’accrochent à la religion qui les a formatés dès l’école, les plus âgés sont plus ouverts. Sur les réseaux sociaux, une proposition utopique chauffe les débats. « L’idéal serait de trouver un imam moderniste qui va autoriser les Algériens à ne pas jeûner les vendredis, jour de la grande manifestation hebdomadaire », propose un internaute. Un autre invoque la tradition du prophète qui aurait autorisé la rupture du jeûne pendant les batailles contre les mécréants : « nous sommes en guerre contre un pouvoir impie. Nous avons le droit de manger pendant la journée pour continuer à manifester… ». Plus œcuménique, Liess, conseiller pédagogique, tente la synthèse : « on peut organiser une manifestation légère dans la journée, et une autre le soir après la rupture du jeûne ! »

Ce bras de fer entre le poids de la religion et la quête de libertés est au cœur de la crise algérienne. Dans cette conjoncture déterminante pour l’avenir du pays, les islamistes jouent la carte de la démocratie, réduite aux élections ; ils sont persuadés de rafler la mise par la voie des urnes, pour imposer leur volonté au nom du « choix du peuple ».

Le Collectif Libertés, dignité, citoyenneté met en garde contre les aventures sans garde-fous : « La démocratie est un ensemble de valeurs, sans lesquelles le suffrage universel risque de s’abimer dans la régression liberticide. Préalable à tout scrutin, la préservation de la paix civile passe par l’adhésion de tous les acteurs politiques à une charte des libertés – toutes les libertés individuelles et collectives – qu’aucune majorité électorale ne saurait remettre en cause ».


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