Algérie / Interrogations et réflexions

Par Kaddour Naïmi

Au stade actuel des manifestations populaires en Algérie, voici des observations qui semblent exiger des éclaircissements.

Mystères.

Concernant les auteurs réels de ce mouvement populaire, plusieurs hypothèses (ignorons les  allégations plus ou moins fantaisistes) se présentent. Elles se basent toutes sur les caractéristiques surprenantes du mouvement populaire : son émergence soudaine, sa composante inter-classiciste (cependant, toutes ces classes souffrent, d’une manière ou d’une autre, d’une humiliation qui provient de leur exclusion du « gâteau » constitué par les richesses naturelles), sa discipline, son pacifisme résolu allant jusqu’au « sourire » et aux gestes de fraternisation avec des policiers, ses mots d’ordre consensuels, et cela malgré un très étonnant manque (apparent) d’encadrement par des leaders.

Examinons donc les hypothèses.

1. Le mouvement serait principalement téléguidé par des agents d’officines étrangères impérialo-sionistes (états-unienne, française, anglaise) et impérialo-moyennes orientales (Turquie et Qatar, avec l’organisation des « Frères musulmans », d’une part, et, d’autre part, Arabie Saoudite et Émirats, avec le wahabisme, d’autre part), par l’intermédiaire de leurs harkis locaux.

Cette réalité, seuls un naïf, un ignorant ou un agent de ces officines la contesteraient. En effet, les oligarchies étrangères font leur « normal » travail de guerre (clandestine, dans une première phase) : par la manipulation du peuple, tenter de s’emparer des richesses naturelles (à exploiter) et du territoire algérien (à occuper comme base militaire).

2. Le mouvement serait principalement guidé par un clan (disons plus correctement : une couche oligarchique) interne au pays, laquelle a vu ses intérêts économiques remis en question par la couche oligarchique dominante de l’ex-président Bouteflika.

Cette hypothèse s’appuie sur l’exclusion du système étatique, durant le règne d’A. Bouteflika, d’hommes d’affaires (tel Issab Rabrab) et de généraux (tel l’ex-chef des services de renseignements DRS, ou autres généraux contraints à une retraite forcée).

Là encore, il n’y a pas à s’étonner que des personnes dont les intérêts ont été remis en question cherchent à se venger et récupérer leur position, cependant par des moyens occultes, parce qu’imposées par les circonstances actuelles. Cette hypothèse s’appuie sur les plus récentes déclarations du chef d’État-Major, Monsieur Ahmed Gaïd Salah.

Toutefois, on s’est demandé pourquoi l’ex-chef du DRS se serait réuni avec Saïd Bouteflika, pour comploter ensemble, alors qu’auparavant, ce dernier, alors conseiller tout puissant de son frère président du pays, avait contribué à démettre cet ex-chef du DRS de ses fonctions. On pourrait répondre qu’il n’est pas étonnant que deux personnes, auparavant ennemis, mais devenus toutes les deux exclues de l’oligarchie dominante, cherchent à s’unir contre leur ennemi commun pour tenter de reprendre leur position dominante dans l’oligarchie. Pour des dominateurs, la fin justifie les moyens.

3. Le mouvement serait téléguidé par les membres de l’oligarchie déjà au pouvoir, celle d’A. Bouteflika, lequel continuerait à manœuvrer de manière occulte.

Le but serait de semer un désordre, menant à ceci : la désaffectation des citoyens concernant les élections présidentielles, dans le but de laisser voter seulement les partisans de l’oligarchie dominante. Cette action accorderait, de manière formellement démocratique et constitutionnelle, la présidence à une personne voulue par l’oligarchie dominante.

Les partisans de cette hypothèse la justifient par des constatations. Outre les caractéristiques déjà mentionnées du mouvement populaire, notamment l’absence de toute forme de répression policière.

Aussi incroyable que puisse paraître cette hypothèse, elle n’est pas à exclure. En effet, toute oligarchie dominante menacée peut recourir aux moyens les plus incroyables pour se maintenir au pouvoir.

Cependant, cette hypothèse semble invalidée par des faits ayant eu lieu le vendredi 12 avril 2019 : répression policière (mais le porte-parole du gouvernement déclara que les services de sécurité n’avaient reçu aucune instruction de réprimer les marches, alors qui a donné l’instruction ?), apparition de manifestants brandissant le Coran, polémiques autour du drapeau amazighe durant les manifestations, action de « baltaguias » s’attaquant à un véhicule de police et détruisant des bâtiments privés.

On objecterait que ces actions justifient la tenue d’une élection présidentielle par l’affaiblissement du mouvement populaire, dès lors terrorisé et donc contraint d’abandonner l’espace public.

Mais, alors, comment expliquer le maintien de la candidature, devenue unique, d’Ali Ghediri,  soutenu par les personnes qui l’ont déclaré publiquement, telles le patron milliardaire Issab Rabrab ?… Certains avaient émis l’hypothèse qu’il se serait qu’un « lièvre », produit par l’oligarchie dominante elle-même. On objecterait, toutefois, que ce candidat fait des déclarations contre l’oligarchie dominante. Et, en même temps, s’est déclaré au coté du peuple.

Pourtant, ce peuple, lors de ses manifestations de rues, a déjà exprimé clairement sa volonté : le refus d’une élection présidentielle organisée par les agents du système social contesté, car elle serait manipulée. Plus encore, des magistrats et des présidents d’APC s’y sont solidarisés, les premiers refusant de superviser l’élection, et les seconds de réviser les listes électorales.

Selon l’hypothèse examinée ici, le peuple (ainsi que ces magistrats et présidents d’APC, sans oublier les partis politiques hostiles à la tenue de cette élection) seraient tous manipulés, à leur insu, pour refuser la tenue de l’élection, afin que le candidat voulu par le système social actuel l’emporte, de manière formellement constitutionnel et démocratique.

Ce fait rend plus énigmatique le maintien de candidature de la part d’Ali Ghediri, lequel fut abandonné même par son directeur de campagne, Mr. Mokrane Aït Larbi, qui a préféré rejoindre la position populaire de refus d’élection dans les conditions actuelles.

Dans l’hypothèse examinée ici, notons un point commun entre le système social qui a provoqué le soulèvement populaire, et ce dernier lui-même : une opacité en ce qui concerne l’encadrement. Dans l’oligarchie dominante comme dans le mouvement populaire, cette opacité réside dans la difficulté, quand pas l’impossibilité, de savoir qui sont les réels agents décideurs.

4. Le mouvement populaire serait dirigé par des leaders sincèrement partisans du peuple, mais qui demeurent dans l’anonymat pour ne pas être éventuellement assassinés.

Cette hypothèse est invalidée par un fait. Si réellement des leaders de ce type avaient provoqué les manifestations populaires, ils auraient en même temps encouragé et aidé le peuple, une fois les manifestations réussies, à s’auto-organiser rapidement de manière à créer ses propres institutions démocratiques, donc ses propres représentants, à opposer aux institutions et aux représentants du système social rejeté. Par conséquent, le manque évident de cette auto-organisation  générale permet de douter de la présence d’agents authentiquement du peuple, ayant provoqué ses manifestations.

5. Le mouvement serait né de manière totalement spontanée, sans aucune forme de manipulation externe, ni d’action dirigeante de leaders internes ; ce mouvement populaire de 2019 serait donc à l’image du soulèvement populaire anti-colonial de décembre 1960.

Au stade actuel, cette hypothèse ne dispose pas de preuves qui l’affirment ou l’infirment. Elle est toutefois possible. Dans ce cas, le surgissement des manifestations populaires serait, cependant, le résultat de nombreuses années de luttes diverses et de tragédies sanglantes, qui ont préparé et produit ce surgissement soudain, massif, national, spectaculaire et étonnant par sa (auto ?) discipline.

6. La dernière hypothèse considère que toutes les hypothèses précédentes ont, d’une manière ou d’une autre, contribué à la production de ce mouvement populaire. C’est, peut-être, à l’heure actuelle, l’hypothèse la plus probable ; elle répond à la logique sociale la plus acceptable, à défaut de preuves concrètes privilégiant les autres hypothèses examinées.

Propositions.

Ceci étant dit, il est utile de s’efforcer à découvrir les agents réels, sinon uniques du moins principaux et décisifs, de ce mouvement social. Pour cela, il est indispensable d’éviter les allégations farfelues et présomptueuses. Seul mérite considération un raisonnement fournissant des preuves concrètes et vérifiables.

Il faut, encore, et surtout, réfléchir et proposer des pistes d’action qui permettent au mouvement populaire de ne pas être manipulé par quiconque. Ci-dessus, constatation fut faite que ce genre de propositions, excluant la manipulation du peuple, sont minoritaires.

Pour éviter cette manipulation, plus ou moins sournoise, la première condition méthodologique est de supposer que tous les agents externes au mouvement social, mentionnés auparavant, agissent. Ces interventions externes font partie du conflit social en cours. Il ne s’agit pas, ici, d’obsession complotiste, mais seulement de conclusion produite par l’observation du déroulement des faits sociaux, quelque soit le pays et l’époque. Quoiqu’on dise, les classes sociales et les luttes entre elles existent, parce que existe l’enrichissement des uns par l’exploitation économique.

Supposer que des agents externes au mouvement populaire agissent implique de chercher comment le mouvement populaire peut et doit les neutraliser.

Des propositions diverses sont faites.

Certains manifestants, à la suite de la majorité des membres de l’élite politico-intellectuelle,  privilégient l’intervention de ces derniers, à condition de n’avoir pas profité du système social contesté.

Cette proposition semble la plus réaliste, la plus raisonnable. En effet, des personnes détenant un savoir politico-intellectuel, éventuellement sanctionné de diplômes et d’une activité sociale correspondante, semblent l’unique moyen de transition vers une société de « droit » et de « justice » réels, comme on la décrit généralement.

Cette conception déclare éprouver les plus nobles intentions en faveur du peuple, et même parler en son nom, donc s’auto-ériger en représentant des intérêts du peuple.

Cependant, cette conception implique, sans jamais le reconnaître formellement (elle ne peut pas l’oser, sans se disqualifier aux yeux du peuple) que le peuple est incapable d’avoir (de produire) en son sein des personnes susceptibles d’être reconnues et choisies par lui de manière démocratique. Cette  conception est donc une autre manière, plus subtile et sournoise, mais typique de la couche élitaire, de traiter le peuple de « ghâchi », « foule », « populace », « masse » ignorante et incapable. C’est que la majorité de l’ « élite » politico-intellectuelle, quelque soit le pays et l’époque, a dans sa structure psychique, produit par sa position de classe privilégiée (même si réprimée par l’oligarchie dominante) de s’auto-glorifier comme seule capable de « sauver » le peuple. Ce fait légitime l’occupation du pouvoir par cette « élite », avec les privilèges qui s’ensuivent, et d’abord des salaires de fonction et un montant de retraite très élevés par rapport au salaire et au montant de retraite moyens des citoyens. 

Cette conception ignore ou occulte les expériences historiques qui, dans le monde, ont prouvé que le peuple est capable de produire sa propre auto-organisation (ses propres institutions) et ses propres leaders. Mais la conception élitaire, hiérarchique et autoritaire, est incapable de reconnaître ces faits, pourtant historiques, parce que leur caractère égalitaire et consensuel récuse radicalement  l’antique mais toujours dominante, – hélas ! -, mentalité élitaire, hiérarchique autoritaire.

Et, vu que le terrain idéologique est majoritairement dominé par cette « élite », il n’est pas étonnant de voir des citoyens du peuple, conditionnés idéologiquement, adhérer à cette conception, sans se rendre compte qu’ils ne font rien d’autre que de changer de dominateur, la seule différence étant que le second se distingue du premier par la concession de flatteries démagogiques et de miettes économiques (1).

Il n’est donc pas étonnant que seulement une très petite minorité, tant de citoyens que d’intellectuels, croit le peuple capable de s’auto-organiser lui-même, afin de choisir en son sein ses représentants, de manière démocratique, sur mandat impératif. Malheureusement, cette conception égalitaire (anti-hiérarchique) et consensuelle (anti-autoritaire) est encore minoritaire (2). Ce n’est pas là un motif pour ignorer cette conception minoritaire. Au contraire, il y a un plaisir particulier à défendre ce qui est favorable au peuple, même si la position est minoritaire. Toutefois, avec l’espoir que l’idée fera son chemin.

Autoritarisme et autorité.

Beaucoup ont parlé du refus des manifestants de se reconnaître des leaders, même représentatifs, et une organisation, même autonome. Çà et là, néanmoins, ont surgi et continuent à surgir des comités, composés de manifestants, pour protéger les marches dans les rues contre les provocateurs, des comités d’étudiants ou d’autres catégories professionnelles, des appels d’intellectuels dans et hors du pays à s’auto-organiser. En outre, des manifestants, en dehors du temps de la démonstration de rue, se rencontrent et débattent de manière autonome de leur mouvement pour l’auto-organiser, et quelques leaders spontanés (de groupes restreints) apparaissent.

Malheureusement, le mouvement n’est pas arrivé à la conscience claire et suffisante de la nécessité stratégique de construire son auto-organisation de manière systématique, partout et dans toutes les activités sociales, de manière à instituer les structures d’un pouvoir populaire, capable de  remplacer celles du pouvoir oligarchique contesté (3).

Voici des hypothèses sur des causes de cette situation.

Il semble que la majorité des membres du mouvement populaire confondent deux formes d’autorité : la première est contraignante (autoritarisme) tandis que la seconde est consensuelle.

Le rejet populaire de l’autoritarisme est totalement justifié. En effet, ce dernier est l’instrument de domination de l’oligarchie, laquelle ne peut exister que par l’exercice d’une autorité imposée, appuyée en dernière instante sur la violence répressive.

Toutefois, ce rejet populaire de l’autoritarisme porte à ignorer qu’il existe une forme d’autorité qui n’a rien de contraignant, parce que, d’une part, elle émane de la volonté consensuelle du peuple, et, d’autre part, s’exerce sans contrainte, donc là encore par le consensus librement exprimé.

Pour toute activité sociale, une forme d’autorité est indispensable, pour concrétiser les décisions. Cette autorité est, comme exposé ci-dessus, soit contraignante, exercée dans une structure hiérarchique allant verticalement d’une base à son sommet, soit égalitaire, exercée dans une structure allant horizontalement de la périphérie au centre.

Pour le peuple qui veut se débarrasser de son oppression, cette autorité doit être uniquement l’émanation libre et démocratique des citoyens, et doit être exercée sans contrainte, selon le respect du principe majoritaire, lequel ne doit pas diaboliser, encore moins réprimer la minorité. À cette dernière reste la possibilité de continuer à expliquer et à défendre ses arguments, tout en acceptant l’application des décisions prises par la majorité. Les expériences prouvent qu’à un certain moment, soit les succès des décisions prises par la majorité finissent par convaincre la minorité, soit que les échecs de la majorité redonnent de la valeur aux idées défendues par la minorité.

Ce qui vient d’être dit est possible ! Dans le monde, les expériences sociales historiques d’auto-organisation (auto-gestion, auto-gouvernement, auto-institution) populaire l’ont prouvé. Hélas ! Dans le monde entier, ces  expériences sont soit ignorées, soit occultées par les « élites » politico-intellectuelles. Et il est aisé de comprendre pour quel motif : la règle majoritaire de l’ « élite » est de ne pas perdre ses privilèges d’élite.

Spontanéisme et organisation.

Toute l’expérience historique des peuples montre que la spontanéité populaire dans le déclenchement de rupture sociale, si elle est nécessaire, n’est cependant pas suffisante. Car toute action sociale exige une forme d’organisation pour la concrétiser.

Comme pour l’autorité, il s’agit de préciser qu’il existe deux formes d’organisation sociale. La première, la plus répandue jusqu’à aujourd’hui, partout dans le monde, est caractérisée par la hiérarchie oligarchique, dont l’obéissance (autoritarisme) est la condition de son fonctionnement. C’est la forme d’organisation préférée et pratiquée par la majorité des soit disant « élites », quelque soit leur idéologie.

Cependant, des expériences sociales historiques ont montré l’existence et la validité pratique d’une  conception toute à l’opposé de celle hétéro-organisée, hiérarchique ; il s’agit de l’auto-organisation créée par les citoyens eux-mêmes. Pour se limiter à l’Algérie, lors du mouvement citoyen, appelé « printemps », de 2001, les traditionnelles assemblées de village en Kabylie (« arches ») ont abandonné leur forme « élitaire » pour fonctionner de manière démocratique. Auparavant, juste après l’indépendance, les ouvriers et paysans avaient pratiqué l’authentique autogestion économique, avant qu’elle ne soit supprimée et calomniée par le soit disant « socialiste » président Ben Bella.

Si on prend la peine d’étudier attentivement toutes les expériences d’auto-organisation du peuple, partout dans le monde, et cela depuis la Commune de Paris de 1871, on apprend que ses protagonistes les plus éclairés ont tiré tous la même conclusion. L’échec de ces expériences fut attribué notamment à des causes internes : l’insuffisance d’organisation et d’autorité adéquates, conformes aux principes d’égalité, de liberté et de solidarité.

La nécessité stratégique.

Un ami lecteur m’a écrit en me demandant de quantifier le processus d’auto-organisation comme durée, coût, etc. Évidemment, personne n’est en mesure de connaître ces données, pas même le peuple lui-même, ni ses éventuels leaders. Tout au plus, on peut et doit s’efforcer à déceler des indicateurs concrets, permettant d’émettre des hypothèses plausibles. C’est le contenu de ce texte et de précédents publiés (4). Pour le reste, tout ce qui est possible est de contribuer, chacun selon ses possibilités, à rendre claire l’urgence de la nécessité stratégique pour le mouvement populaire de se doter de ses propres institutions démocratiques, seule manière pour construire le système social auquel il aspire.

C’est l’unique manière de neutraliser toutes les hypothèses (indicateurs plausibles) mentionnées en première partie de ce texte, si le peuple veut ne pas être, encore une fois, réduit au dindon d’une farce, autrement dit si le peuple ne veut pas que ses grandioses et admirables manifestations publiques ne se révèlent pas, en définitif, n’être qu’une immense manipulation à son insu. Dans ce funeste cas, le peuple donnerait raison à ceux qui le traite comme « masse » d’ignorants, manipulables à merci. À ce sujet, rappelons-nous les peuples japonais, italien et allemand manipulés de la manière la plus abjecte et la plus sanglante par leurs « élites » politico-intellectuelles fascistes ; rappelons-nous comment des peuples furent manipulés par ces autres « élites » politico-intellectuelles qui leur firent croire au paradis sur terre, par la « dictature du prolétariat » ou par le « socialisme spécifique » ; rappelons-nous comment des « élites » politico-intellectuelles dites « libérales » livrent leurs guerres impérialo-sionistes avec le soutien de la majorité de leurs peuples ; rappelons-nous comment les « élites » politico-intellectuelles taliban ont fait du peuple d’ Afghanistan, du temps de leur domination au pouvoir étatique.

En Algérie, depuis le funeste coup d’État militaire de 1962, la majorité de l’ « élite » politico-intellectuelle a adoré le système hiérarchique autoritaire, même sous sa forme de dictature militaire, en le parant, et en se parant elle-même, de vertu « révolutionnaire » et de « sauveur » du peuple. Cette « élite », tout en ayant plein la bouche le « peuple », ne l’a jamais aidé à se sauver par lui-même, mais a toujours prétendu, elle, le sauver, de manière hiérarchique autoritaire (le fameux « caporalisme ») (5). 

Il n’est donc pas étonnant, durant ces splendides manifestations populaires de 2019 (quelque soit leur opacité en ce qui concerne l’encadrement), de constater que cette même « élite » politico-intellectuelle, dans sa grande majorité, croit encore que sans elle il est impossible d’effectuer une transition démocratique à un système social également démocratique (au sens authentique et non pas « libéral » du terme).

Il n’est pas, non plus, étonnant, que les luttes du peuple algérien, malgré les échecs de l’autogestion de 1962 et du mouvement citoyen de 2001, ait pu produire un significatif soulèvement populaire en 2019. Quand un peuple en arrive aux extrêmes limites de son oppression, il ne lui reste que devenir des « âmes mortes » ou se révolter. Il semble bien que le fait de voir des jeunes algériens et algériennes préférer servir de nourriture aux poissons de la mer plutôt que de rester au pays fut l’élément le plus tragiquement humiliant de l’oppression subite par le peuple algérien.

Toutefois, ce mouvement populaire de 2019, d’une part, ne semble pas être le résultat d’une stratégie auparavant planifiée comme auto-construction sociale autonome, ni, d’autre part, produire  rapidement des institutions populaires autonomes. Tout le problème de ce mouvement populaire réside dans ces deux faits. Il ne réussira qu’à la condition de créer ses propres institutions, de manière démocratique. C’est dans cette entreprise que l’énergie dépensée dans les manifestations de rues devrait déboucher. En sachant bien que s’il a été difficile de parvenir à manifester pacifiquement dans les rues, il est peut-être plus difficile de s’assembler pour discuter et prendre des décisions de manière libre, égalitaire et solidaire.

Tout est possible dans ce monde, le pire et le meilleur ; les peuples, aussi, sont capables du pire et du meilleur. À celles et ceux qui aiment le meilleur d’y contribuer, en sachant que même si l’absence d’auto-organisation entraînera l’échec final du mouvement populaire, au bénéfice d’une oligarchie de forme nouvelle, il faut néanmoins faire partie de ce mouvement populaire, selon ses personnelles possibilités. Non pas pour le suivre de manière grégaire ou opportuniste, non pas pour le diriger de façon élitaire et démagogique, mais pour y participer de manière égalitaire. Ma yabga fal ouâd ghîr hjârou (Ne reste dans la rivière que ses pierres).

(1) Dans une prochaine contribution sera explicité l’emploi de cette dernière expression.

(2)  Des hypothèses concernant cette constatation seront exposées dans un prochain texte.

(3)  Voir « Auto-organisation ou l’échec » in https://www.lematindalgerie.com/auto-organisation-ou-lechec

(4)  Voir la rubrique « Peuple-démocratie » in http://kadour-naimi.over-blog.com/

(5) Voir « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », Livre 5, Annexe 23 « Naïmi Kaddour : Quelques appréciations sur un artiste que j’ai connu il y a plus de quarante ans », disponible ici : http://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre.html

K.N.  / [email protected]


Alger: 02.04.2019 Des centaines d’étudiants ont manifesté, aujourd’hui mardi à Alger, pour réitérer leur attachement à la revendication populaire, portant départ de tout le régime en place.
19.04.2019

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