Algérie / Le Yatanahaoue Ga3e dans l’histoire : Plaidoyer pour la raison

«Pitié pour la Nation qui porte un habit qu’elle n’a pas tissé, mange un froment qu’elle n’a pas récolté, et boit un vin qui ne vient pas de son pressoir. (…) Pitié pour la nation dont les sages ont été rendus muets par les années, (…) ». Gibran Khalil Gibran.

 » (…) et dont les hommes forts sont encore au berceau. Pitié pour la nation divisée en fragments, chaque fragment se considérant lui-même comme une nation.» Gibran Khalil Gibran.


Le président de  l’Etat a annoncé que l’Etat aidera à l’organisation des élections propres et honnêtes sans y participer. Il en est de même du rôle de l’armée qui serait là pour accompagner le processus et empêcher toute interférence malsaine visant à faire capoter les élections. On peut comprendre le souci de ne pas déclarer l’Algérie  en apesanteur constitutionnel si on devait amener jusqu’au bout sans protection, le processus de « Yatanahaoue ga3e ! » : «  Qu’ils dégagent tous ! » J’ai toujours dit que la superstructure qui fait « marcher » l’Etat  est, pour l’immense majorité, besogneuse et respectueuse de la norme. Il est vrai qu’il peut se trouver au sein de l’administration des personnes tapies dans l’ombre qui ont grappillé à la marge. Chaque chose en son temps.

 A titre personnel mon plus grand souhait en tant que professeur est de voir, enfin, le système éducatif sur rail. Il ne faut pas croire que l’Algérie n’a souffert que des profiteurs des voleurs insatiables qui ont même génétiquement généré des voleurs qui roulent carrosse, sans avoir rien  donné à l’Algérie. L’Algérie a souffert  de responsables qui ont cassé le système éducatif. Notamment ces vingt dernières années. On peut récupérer peut être des fortunes volées mais nous avons problématisé l’avenir de générations futures qui ont été mal formées. S’il n’y a pas de délit pénal en l’occurrence il y a un jugement symbolique  sévère du peuple  à l’encontre de celles et ceux qui n’ont pas assuré, la tache difficile qu’ils ont acceptée.

 Dans cet ordre je mets en garde contre la tentation d’ouverture de la boite de Pandore de l’utilisation des langues, dossier qui renvoie à la mise en place nécessaire du projet de société dans le calme et la sérénité une fois que l’Algérie a conforté ses institutions avec une présidence légitime, une assemblée légitime et en étudiant toutes les implications de ce saut dans l’inconnu sans précaution.

Le Forum National  pour le dialogue

 Le Forum National pour le Dialogue a eu lieu ce 06 juillet sous la présidence de Abdelaziz Rehabi. Pour Abdelaziz Rehabi ce forum  « promouvoir le cadre du dialogue, sa conduite, ses mécanismes sous la forme d’une Instance nationale d’organisation et de supervision des élections », précisant que « l’offre comportera tous les détails et les modalités de sa création, sa composition et les garanties de son indépendance ». Il s’agit d’“une base pour un dialogue global qui doit aboutir à la mise en place des garanties pour un scrutin transparent, régulier et crédible ». L’avenir nous dira comment tout cela va fonctionner.

Reçu dimanche, à l’émission L’Invité de la rédaction de la chaine 3 le 7 juillet, monsieur Rahabi a eu un  discours plus offensif  expliquant qu’il s’agit d’un processus qui est susceptible de durer et qui ne devrait cesser qu’après qu’ait été dégagée “une solution politique, négociée, consensuelle et pacifique”, basée sur l’établissement de la confiance entre les Algériens et les autorités. Pour parvenir à cette sortie de crise, il considère qu’il faut en passer par un “compromis solide”, basé sur les garanties que le pouvoir doit donner pour montrer qu’il est disposé à céder de ses prérogatives, qu’il est prêt à entrer dans une phase de transformation démocratique et à organiser des élections transparentes.

Commentant le dernier discours du président de l’Etat, monsieur Rahabi observe que celui-ci n’aura évolué que sur le plan technique, pour lui “peu de chose ont changé”. Il cite  les entraves apportées à l’exercice de liberté de réunion mais également aux interpellations, aux intimidations  pendant les marches, à la fermeture du champ de l’audiovisuel public… Il conclut en déclarant : « Les élections présidentielles seront organisées quand toutes les mesures de confiance seront mises en place et quand les Algériens seront convaincus de la sincérité du gouvernement d’organiser des élections transparentes et régulières car nous sommes dans une impasse politique qui doit trouver une solution politique, négociée, consensuelle, graduelle, pacifique, pour sortir de la crise »

Bref nous restons sur notre faim  et attendons la suite, sans savoir de qui viendrait l’initiative.

Que pensent les  jeunes du  Hirak de ces discussions ?

 A priori ils ne se sentent pas concernés car personne ne leur a encore expliqué  les enjeux, d’autant qu’une condition importante émise par le peuple du 22 février :  la nécessité de la  “transition”  expression qui a disparu du lexique utilisé par les participants notamment les partis politiques. Tout en comprenant fort bien les préoccupations des jeunes et leur souci de pureté, je pense qu’il n’a pas eu assez de pédagogie. Beaucoup de hauts parleurs idéologiques ressassent à l’infini les mêmes mots d’ordre : «  Yatnahaoue Ga’e »,  « Sarrakine »,  « 3issaba » . Toutes expressions justes qui ne font pas avancer le débat d’autant qu’il ne se passe pas de semaines sans que d’une façon mesurée, la justice fasse son travail  pour rendre justice au peuple.

 Je suis de ceux qui pensent que la conférence du 6 juillet a eu  l’immense privilège de  se tenir. On ne remerciera jamais assez les organisateurs. Même si les résultats sont en deçà des attentes, il fallait démarrer. Mettre sur rail les négociations, faire émerger quelques sauveurs qui acceptent de  s’impliquer pour la bonne cause, mettre en place la commission de supervision de l’élection présidentielle, tout ceci nécessite du temps. Ce temps qui nous est compté  fait que nous n’allons pas continuer à nous méfier les uns des autres. Il est possible de réussir avec le seul souci que l’Algérie gagne en dehors de toute ambition personnelle qui ferait apparaitre cette solution comme un hold up de plus au détriment du peuple par des personnes plus intéressées à se placer dans la nouvelle configuration en empruntant la légitimité du Hirak pour leur propre trajectoire. Il en est ainsi à titre d’exemple de certains politiques notamment de l’Alliance présidentielle qui – hier encore- soutenaient bec et ongle le cinquième mandat d’un président grabataire. Dans tout les cas le peuple de la Révolution Tranquille du  22 février ne se laissera pas voler son utopie. Il chassera les nouveaux ripoux comme les précédents.

Le Yatanahaoue ga3e dans l’histoire

 Cette façon de percevoir d’une façon globale les évènements , n’est pas le fruit d’un quelconque coup de tête. Le peuple algérien est connu pour sa résilience, sa patience, on dit que le peuple algérien est comme la cavalerie russe. Il  met du temps à monter à cheval mais une fois sellé ses montures plus rien ne l’arrête ! Il en est ainsi de nos fulgurantes révolutions qui ont lieu d’une façon imprévisible et déterminée.

Ainsi le peuple qui a tant souffert d’une colonisation abjecte, n’a jamais voulu des accommodements à des doses homéopathiques. Il n’a jamais voulu d’une indépendance au rabais. En fait, tout au long de la colonisation il ne voulait pas de demi solutions c’est à dire de fausses solutions proposées par les partis politiques de l’époque et oulémas qui s’accommodaient des miettes de Liberté octroyées par le pouvoir, exception faite du PPA, dont la réplique la plus connue est celle de Messali Hadj tout juste débarqué venant de Marseille, il rejoignit le stade des Annassers le 2 aout 1936, il bouleversa le protocole du meeting du Congrès Musulman qui devait adouber les propositions de Blum Violette : « Cette terre bénie qui est la nôtre, cette terre de la baraka n’est pas à vendre, ni à marchander, ni à rattacher à personne. Cette terre a ses enfants, ses héritiers, ils sont là vivants et ne veulent la donner à personne.” Ce fut le premier Yatnahaoue Ga3e du XXe siècle intimant par là au colonat qu’il n’y a pas de demi mesure : L’indépendance ou rien..

Yatnahaoue Ga3e tel était le mot d’ordre des 6 historiques de la révolution  qui, las des atermoiements des partis politiques déclarèrent quand les partis politiques sont dépassés. Il faut faire partir les colons : ‘Yatanahaoue Ga3e ce fut  la Révolution de Novembre. Le ticket d’entrée au FLN d’après Abane Ramdane est d’abandonner les partis politiques traditionnels qui doivent tous être dissous. Ce sera le cas du PPA, MTLD, Parti communiste PCA. Les L’AOMA n’ayant rejoint le mouvement que bien plus tard.  Bref  là aussi Yatnahaoue Ga3e

 Pour les historiens, Yatnahaoue Ga3e telles étaient les décisions du Congrès de la Soummam de Larbi Ben Mhidi et Abane Ramdane aux offres de Lacoste Soustelle et Gui Mollet. Yatnahaoue ga3e telle était  aussi la réponse des présidents du Gprs Ferhat Abbas Benyoucef Benkhedda aux offres fourbes de de Gaulle avec ses trois tentatives pour diviser et affaiblir la Révolution :  « Paix des braves », le Sahara mer intérieure qui a ses riverains, une enclave spécifique pour les Français d’Algérie.

 Chaque fois le FLN opposait une fin de non recevoir. Les colons doivent partir Yatnahaoue Ga3e même si dans la foulée, nous aurons pu faire preuve de discernement en permettant aux Européensd’Algérie, qui n’avaient pas trempé dans les crimes coloniaux de rester pour aider l’Administration naissante, comme le fera bien plus tard, Nelson Mendela en créant la Nation arc en ciel et en mettant en place, l’instance «  Vérité et réconciliation » qui a permis d’une certaine façon d’apaiser les haines et les rancœurs.

 La Révolution tranquille du 22 février est de ce fait aussi un tsunami dans la droite ligne de la révolution de Novembre. Le peuple veut un nouveau départ. C’est à la fois son devoir vis-à-vis des générations futures. Il devra cependant de mon point de vue, faire preuve de tempérance et arriver au but recherché par étapes en ne négligeant rien et en savourant cette autre victoire qui est celle d’organiser les élections en dehors du pouvoir qui n’est là que pour dire à la face du monde que l’Algérie est gouvernée et qu’elle n’est pas en apesanteur et qu’elle s’en sortira seule avec la bienveillance de ses enfants soucieux d’aller à l’essentiel.

Et maintenant ?

Plus que jamais nous sommes à une croisée de chemin. Au risque d’être un prophète de malheur, cette situation d’euphorie du vendredi où globalement le peuple reprend confiance en lui, commence à croire en la justice avec les charrettes hebdomadaires de responsables et de leur enfants indélicats et qui rendent compte à la justice qu’ils croyaient n’être là que pour punir les petits.  L’Algérie reste plus que jamais un pays vulnérable, dont la loi des finances est indexée sur le cout fluctuant d’un baril. Depuis 2015, nous sommes en train de consommer ( consumer) les dernières réserves et sans reprise en main, nous allons vers des temps encore plus difficiles. La prochaine décennie risque de nous plonger dans une crise économique aiguë. Il y a urgence à anticiper en urgence les périls qui nous guettent.

 Plus un système est transitoire, plus il est vulnérable ! du fait d’interférence de tout ordre visant à amortir le signal et à engager l’Algérie dans la voie sans issue de la fitna. Aucun pays arabe n’a intérêt à voir l’Algérie se tourner vers l’avenir, mettre en œuvre une démocratie réelle. Aucun pays occidental ou autre ne veut avoir un pays africain qui réussit sa transition. Il en est des pays européens dont la France qui se sentirait en danger pour cause de contagion d’autres pays africains à l’aspiration à la démocratie réelle.

 Si on y ajoute la situation économique qui n’incite pas à l’optimisme, du fait que même le gouvernement actuel ne fait pas ce qu’il doit faire pour diminuer le train de vie de l’Etat, s’engager dans le développement durable, bref gérer cet intérim d’une façon honnête au lieu de se lancer dans des chantiers de fond qui nécessitent une légitimité que ce gouvernement n’a pas. Evitons de nous fragmenter et allons à l’essentiel. Des élections honnêtes, une constitution de qualité pour remettre rapidement au travail pour espérer tenir son rang dans un monde de plus en plus chaotique.

Conclusion

 Consolidons la nécessité rapide des élections car nous ne sommes pas seuls dans l’univers. Beaucoup de parties malfaisantes tapies dans l’ombre- et ceci en ne s’interdisant pas de parler de complot-  attendent des dérapages. Soyons unis et rassurons les jeunes : Plus rien ne sera comme avant. Ils on droit au bonheur. La Deuxième République c’est leur victoire mais c’est aussi leur devoir que d’aller vers le travail bien fait qu’il faut réhabiliter, la compétence en dehors de toute autre combine, seule la compétence devra être notre guide.

 Nous devons donner sa chance à ce processus de sortie de l’impasse actuelle et nous jugerons sur pièce cette organisation pour que le processus réussisse.  L’armée qu’on se le dise est une armée du peuple qui n’a rien à voir avec les armées du tiers monde où même des pays arabes qu’il ne faut surtout pas prendre en exemple. Notre armée est la digne héritière de l’Armée de Libération Nationale issue du peuple du FLN qui en son temps a étonné le monde à telle enseigne que des thèses se soutenaient aux Etats Unis sur la Révolution de Novembre. Le Monde était suspendu à la sentence de mort de Djamila Bouhired de Djamila Boupacha dont le portrait fut immortalisé par Picasso.

 Le peuple algérien du  22 février  a, une fois de plus, étonné le monde par l’élégance des marches. Il a réhabilité les marches de la non-violence de Gandhi, de Martin Luther King. Nous n’avons pas de leçons à recevoir d’un Occident qui pense détenir un magister moral. Nous frayons notre chemin d’une façon singulière et si par miracle l’Algérie tient encore debout, qu’elle na pas basculé dans l’horreur, c’est parce que tous autant que nous sommes Algériennes et Algériens, quels que soient nos bords ( laïcs, islamistes, modernistes, même tentés par l’allégeance à l’ancienne puissance coloniale) nous connaissons, pour avoir été vaccinés pendant la décennie noire, les fils rouges que nous ne devons pas dépasser car il s’agit de l’Algérie  qui est gardienne d’un héritage indivis de trente siècles d’un récit historique qui, sans être exceptionnel, est le notre et nous y tenons  en assumant le meilleur et le pire.

 Belle fête à  toutes  les Algériennes et tous les Algériens.

 Gloire aux martyrs

 Professeur Chems Eddine Chitour

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