Algérie / Quelles leçons tirer de cette crise sanitaire ?

par Kheir-eddine Merad Boudia

Depuis quelques semaines, le Coronavirus s’est installé dans nos villes et villages avec son lot de décès, d’hospitalisations et de contaminations. Le nombre augmente sans cesse mais si la situation est grave, elle n’est pas désespérée, car même si nous n’avons pas les capacités des pays riches, nous avons des moyens substantiels en matériel, médecins, aides-soignants et des infrastructures implantées partout en Algérie même dans les régions les plus extrêmes.

Avec tout ce potentiel, on peut se poser la question, sans que cela ne soit un réquisitoire, si tout a été fait et bien fait, comme par exemple en Corée du Sud ou à Singapour. Sans remuer le couteau dans la plaie, à mon avis, on a été trop lents à réagir : l’épidémie qui déferle sur le monde a débuté en décembre 2019, nos responsables, surtout à l’étranger, auraient pu nous avertir qu’un grave danger nous menaçait. Dès lors, les services de santé, avec leurs collègues des autres ministères, auraient dû déployer le plan ORSEC qui a l’avantage de mobiliser tous les moyens pour endiguer ce virus menaçant nos vies et nos économies.

A ces moments, on ne peut que regretter que nos structures de santé aient été tragiquement délaissées et la formation de nos aides-soignants drastiquement freinée. Les services de réanimation ont été littéralement sacrifiés, et je veux pour preuve celui de l’hôpital Mustapha qui, plus adapté à prendre en charge des petites agglomérations que la capitale, m’a alerté à plusieurs reprises et depuis des années, sur la nécessité d’ériger un grand pavillon des urgences, alors que les centres de réanimation, de par le monde sont les plus privilégiés et des hôpitaux spécialisés dans les urgences ont vu le jour.

Ainsi, j’ai préconisé que le terrain faisant face à l’hôpital Mustapha puisse abriter un centre de réanimation digne de ce nom. Le ministre de la Santé (il se reconnaîtra lui-même) que j’ai interpellé m’a semblé indifférent et m’a répondu que ce terrain était destiné à devenir un jardin.

En effet, il est devenu un parc recevant quelques dizaines d’oisifs par jour. N’étant pas un spécialiste de ce genre d’infection, je peux dire que ce qui est recommandé actuellement (avec un peu de retard) : le confinement et le traitement par la chloroquine à condition qu’elle soit administrée avec les précautions d’usage et après enregistrement d’un électrocardiogramme sont les moyens les plus adaptés que l’on puisse offrir en attendant les nouvelles thérapeutiques à l’essai et les vaccins. Je sais que beaucoup de chercheurs s’y emploient et que peut-être dès l’automne, ces nouveautés verront le jour.

Ce que j’ai constaté et c’est important de le dire, ce Coronavirus a mis à nu nos insuffisances dans les institutions autres que celles de la santé. En premier lieu, il faut dénoncer les carences des banques qui restent dramatiquement archaïques, certains spécialistes les trouvent moins performantes que celles des pays qui sont moins nettement nantis que le nôtre, et en deuxième lieu, il faut reconnaître l’inefficacité du réseau Internet qui est à mettre sur le même palier et qui est moins efficient que celui de nombreux pays africains.

Les services de la poste ont reculé de façon drastique, les opérations se font presque manuellement et le courrier n’est plus distribué depuis des mois (comme à Hydra par exemple). Je peux citer d’autres institutions qui sont largement dépassées, comme l’éducation qui, en cette période de confinement, est incapable d’organiser des cours à nos enfants.
L’heure est tragique car nous avons un tueur aveugle !! Que dire de notre économie suspendue à l’importation qui concerne même des produits aisément réalisables dans nos usines.

En ma qualité de cardiologue, je ne suis pas habilité à prodiguer des conseils si ce n’est que faire miens ce que préconisent nos services de santé, les gestes barrières suivants : le confinement, la distanciation et le port du masque selon leur disponibilité. Par contre, je pense m’adresser à mes chers patients souffrant d’une maladie du cœur : «Prenez au sérieux ce qu’on vous dit, les menaces qui pèsent sur vous sont bien réelles car vous êtes affaiblis par votre maladie et votre âge. Alors plus grave que tout autre, faites attention, appliquez le confinement avec la plus grande rigueur et vigilance en attendant les jours meilleurs.»

A nos autorités, je leur dis que c’est le moment de réfléchir sur ce que nous avons fait à ce jour. Que cette catastrophe serve de leçon et qu’on reparte du bon pied, pour élaborer une économie qui soit solidaire indépendante et que le «compter sur soi» soit le maître mot. Et de grâce, penchez-vous sur la santé, ses structures, ses médecins et ses aides-soignants. Cette épreuve va finir mais elle peut revenir, soyons vigilants !

Je terminerai en reproduisant les propos écrits par Albert Camus dans son ouvrage La Peste et qui sont toujours d’actualité :
«Écoutant en effet les cris d’allégresse qui montaient de la ville, le Dr Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée, car il savait ce que cette foule en joie ignorait ce qu’on peut lire dans les livres que le bacille de la Peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses et que peut-être le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.»

Je souhaite humblement que ces avis et conseils soient dans le conscient des hommes et que l’on se prépare à faire face à toute épidémie future qui peut nous menacer.

Par le Pr. Kheir- Eddine Merad Boudia  , Professeur en Cardiologie


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