Algérie / Un nouveau découpage administratif – Pour un SNAT de l’intelligence

par le Professeur Chems Eddine Chitour.

« L’essentiel en toute chose est de faire le minimum d’erreur »

En  conseil des ministres du 26 novembre 2019, un nouveau découpage administratif a porté le nombre des wilayas à 58 et parallèlement la création de 44 wilayas déléguées sur l’ensemble du territoire national. Dans la forme cela paraît comme étant une bonne nouvelle pour les populations de ces régions isolées, mais dans le fond cette décision « express » laisse planer des interrogations.

Les wilayas en chiffres

Le nombre de communes restant le même 1541 les dix nouvelles villes transformés en wilayas regroupent au total 26 dairas et 58 communes pour une superficie de 691998 km2 et une population de 908814 habitants, soit en moyennes une wilaya pour 14000km2 et en moyenne 20.000 habitants avec les statistiques de 2008 si on admet que la population a augmenté de 50 % cela ferait une wilaya pour 30 000 habitants avec des disparités importantes, celle la Wilaya de Djanet, wilaya pour 17618 habitants ou encore mieux In Guezzam qui a la superficie de l’Autriche avec la population deux fois moins que celle de la Casbah ! (1)

C’est dire que ce n’est pas le nombre ou la surface qui est importante mais les conditions de vie de ces populations. Lors de mon interview j’ai déclaré : « l’informatique et l’intelligence artificielle auraient été des solutions plus efficaces et moins coûteuses pour répondre aux besoins de ces populations. L’Algérie a-t-elle vraiment besoin de ce nouveau découpage administratif ? Et surtout en a-t-elle les moyens ? « En fait, on va augmenter la masse salariale, le parc immobilier et roulant ainsi que la consommation d’énergie », a soutenu ce spécialiste joint, hier, par téléphone. Pour cet universitaire, l’efficacité de cette décision n’est pas du tout évidente. Comment l’État va réaliser cet objectif dans les conditions socio-économiques actuelles. « Comment allons-nous faire ? Va-t-on convertir les daïras actuelles en wilayas? Cela montrerait que cette décision n’a d’autre signification que politique ».

La seule chose qui pourrait rendre attractif un tel découpage est le fait qu’il entre dans le cadre du Schéma National d’Aménagement du Territoire (Snat) avec une visée productive, afin de rendre ces régions plus attractives. Néanmoins, on peut douter de cela, en estimant que le timing et la façon dont a été prise cette décision renforcent ses doutes. L’argent qui sera dépensé aurait été plus utile aux habitants de ces régions s’il était investi dans des infrastructures d’utilité publique. Surtout que l’apport de l’informatique et l’intelligence artificielle aurait été plus efficace et à moindre coût. On est au XXIe siècle. Il faut réfléchir comme au XXIe siècle en profitant de l’apport de l’informatique pour rapprocher le citoyen de l’administration. Cela est d’autant plus vrai du fait que nous avons fait de grands pas dans l’administration avec la dématérialisation des documents et la mise en place de documents biométriques», a-t-il poursuivi, non sans plaider pour une fluidification de l’information en décentralisant les grandes décisions qui concernent ces régions. « C’est la seule chose qui peut améliorer le quotidien des citoyens ».

La priorité dans ces régions est l’accès aux soins et à l’éducation. C’est d’ailleurs ce pourquoi les populations de ces régions ont beaucoup d’espoir de voir leurs villes se transformer en wilayas  pensant que c’est là la solution. Car, dans la logique actuelle de nos dirigeants on construit les hôpitaux dans les…wilayas. « Faut-il être une wilaya pour avoir un hôpital ou une école ? Non ! L’argent qui sera dépensé dans ce projet suffirait à construire ces infrastructures. On est donc devant une grande grenade dégoupillée qui a été mise entre les mains du futur chef de l’État. Ce découpage plein de promesses pour ces zones isolées, risque d’être contre- productif  quand les habitants verront que pratiquement rien n’a changé dans leur quotidien, mis à part le matricule de leurs voitures…Va-t-il poursuivre dans cette logique, sachant que les moyens sont limités ou va-t-il l’abandonner ? Dans les deux cas, le risque est grand !

Ce qui existe ailleurs pour la gestion des territoires

Sur quels critères ce découpage a été réalisé. Il est vrai que ce découpage, dont on parle depuis des années, n’a pas pu être réalisé, faute de moyens, et de retour sur investissement. L’État doit, certes, rapprocher l’administration des citoyens, particulièrement pour ces zones reculées, dans notre cas le jeu ne vaut pas la chandelle.  Le découpage  peut être  à la « hussarde »,  a –til pris en compte les  proximités des populations ? Il est possible de mette en œuvre une réorganisation administrative du pays par le biais de la décentralisation, une démarche qui a fait ses preuves partout dans le monde. Sans crainte que la régionalisation amènerait au régionalisme partout dans le monde, les expressions régionales sont favorisées ; Je sais que les 48 chaines d’information pour les 48 wilayas ont été d’un apport bénéfique à la respiration démocratique de chacune des wilayas. On peut s’inspirer graduellement de différents modèles d’organisation de par le monde comme celui de l’Allemagne avec les Länder, la Suisse avec ses 26 Cantons. On peut même et c’est le meilleur en terme de mutualisation et d’optimisation de l’utilisation des moyens; il est possible d’envisager la création de Régions proches du modèle français qui comporte 13 Régions métropolitaines. A nous de nous en inspirer et de trouver la formule la mieux adaptée à notre situation. Pour cela, il faut faire preuve d’imagination et dépasser l’idée erronée selon laquelle la régionalisation favoriserait le régionalisme.

Un constat : Dans l’Algérie actuelle 95% de la population se trouvent sur 10% du territoire, amenant de plus en plus des populations paupérisées vers le nord, favorisant des constructions anarchiques, un taux accéléré d’urbanisation avec des bidonvilles autour des grandes villes, avec de nouvelles formes de violence. Tout ceci parce que le Sud est abandonné à lui-même. Mon sentiment est que ce découpage territorial devra s’inscrire dans le cadre d’une vision globale des grands pôles régionaux, devant utiliser les nouvelles technologies pour réduire les coûts personnels pléthoriques et la rigidité administrative qui terrasse le citoyen. Ce découpage fictif car il faudra du temps pour le mettre en place, trouver les hommes et les femmes, les former, construire les infrastructures, trouver les moyens financiers ne calmeront pas fondamentalement le mal vivre du Sud

Il nous faut  une autre vision de l’aménagement de l’espace.  

Cela implique une nouvelle architecture des villes, des sous-systèmes de réseaux mieux articulés, plus interdépendants bien que autonomes dans leurs décisions, évitant le gigantisme. Elle devra forcément se situer dans le cadre d’une stratégie plus globale dépassant l’espace. La commune 2.0 est au service du citoyen. Elle est un espace où le citoyen devra trouver toute les commodités et devenir un espace de convivialité qui intègre dans sa démarche l’action citoyenne du mouvement associatif. La commune devra être ainsi un service public de proximité sans donner l’impression de l’assistanat, elle ne peut avancer que par une transparence dans tout ses actes, mais le citoyen  devra aussi se départir de la mentalité du Bayleck. La commune doit se préparer à une mutation radicale devant faire passer du stade de collectivité locale providence gestionnaire des concours définitifs de l’État, à celui de collectivité entreprise responsable de l’aménagement, du développement et du marketing de son territoire.

La e-administration, la e-santé, la e-éducation

A  l’heure où on  peut faire des consultations médicales par skype ou Viber et autres, faire même des opérations voire aussi des conférences par visioconférences, créer des structures lourdes ingérables avec des réflexes administratifs qui nous collent à la peau, on n’aura pas loin en terme d’efficacité. Pourtant  il y a  quelques années la carte d’identité numérique, le passeport numérique avaient donné l’illusion que nous rentrions de plein pied dans la e-administration

Nous avons besoin d’un internet haut débit qui permettra ces prouesses administratives, médicales voire de l’enseignement. Il est possible à titre d’exemple que le millier d’élèves de Bordj Badji Mokhtar puissent suivre les mêmes cours des lycées sur leurs tablettes ou micro même dans la salle –avec une bonne connexion-  au lieu d’imprimer des manuels dont la durée de vie ne dépasse pas l’année ; Il en sera de même des étudiants du Sud qui pourraient suivre les meilleurs cours du Massachussetts Institute of Technology (MIT) de Stanford sans aucun  problème. Toute la connaissance du monde est sur internet ! La nouvelle révolution numérique ne semble pas intéresser les décideurs actuels !!

Houda Feraoun, ministre de la Poste, des Télécommunications, des Technologies et du Numérique (MPTTN)

L’État doit continuer à être  garant de l’équité des territoires en matière d’éducation et de santé, l’introduction du numérique, la diversification économique et du développement local. Dans ce cadre ce qui créerait une nouvelle révolution technologique économique et même sociologique par le brassage de population est un développement du Sahara avec la Révolution électrique. Le Sahara est une pile électrique qui ne demande qu’à fonctionner. Dans ce cadre la création de villes nouvelles viables est tout a fait possible quand l’électricité verte est disponible pour les forages et la disponibilité de l’eau. La mise en place d’une « transsaharienne » électrique permettra d’irriguer le Sahara avec une électricité « gratuite »  et permettra aussi de drainer vers le Nord les richesses agricoles du Sud. Cela pourrait se faire avec une politique de grands travaux, à l’instar de ce qu’avait mis en  place Franklin Delano Roosevelt avec le New Deal, en faisant des États-Unis un vaste chantier pour la création de routes, de chemins de fer, de constructions bref  il a pu réduire le chômage.

On l’aura compris, cette vision du futur permettra  de laisser un viatique aux générations futures, par l’épargne de ce qui reste de gaz et de pétrole. Une dizaine  de villes  nouvelles pourrait alors changer d’une façon intelligente en valeur ajoutée le Sud par un développement de l’agriculture. Pour tout projet de développement du Sud il nous faut  d’abord une vision du futur crédible avec un SNAT Spécifique aux provinces du Sud, des compétences avérées. L’aspect financier sera de loin moins important que ce qui est prévu. Quand aux résultats, c’est une seconde Californie que nous pourrions mettre en œuvre. Il n’y aura plus alors de régions en retard. L’informatique, la e-administration, l’intelligence artificielle permettront à l’Algérie de rentrer de plein pied dans la 3e Révolution industrielle.

Professeur  Chems Eddine Chitour

École Polytechnique Alger

1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_wilayas_d’Algérie

2. https://www.lexpressiondz.com/nationale/l-algerie-en-a-t-elle-les-moyens-324180 Interview Professeur  Chems Eddine Chitour


>> Nouveau découpage administratif : L’Algérie en a-t-elle les moyens ?

Walid AÏT SAÏD

Connu pour son pragmatisme, le professeur Chitour estime que l’informatique et l’intelligence artificielle auraient été des solutions plus efficaces et moins coûteuses pour répondre aux besoins de ces populations.

Bensalah a-t-il laissé un cadeau empoisonné à son successeur ? Mardi dernier, le chef de l’État a présidé un Conseil ministériel où il a été annoncé un nouveau découpage administratif pour l’Algérie avec la création de 10 nouvelles wilayas dans le Sud et 14 wilayas déléguées dans les Haut-Plateaux. Dans la forme cela paraît comme étant une bonne nouvelle pour les populations de ces régions isolées, mais dans le fond cette décision «express» laisse planer des interrogations. L’Algérie a-t-elle vraiment besoin de ce nouveau découpage administratif ? Et surtout en a-t-elle les moyens ? Connu pour son pragmatisme, le professeur Chems Eddine Chitour résume en une phrase ce passage à 58 wilayas. «En fait, on va augmenter la masse salariale, le parc immobilier et roulant ainsi que la consommation d’énergie», a soutenu ce spécialiste joint, hier, par téléphone. Pour cet universitaire, l’efficacité de cette décision n’est pas du tout évidente. D’ailleurs, il s’interroge sur le comment l’État va réaliser cet objectif dans les conditions socio-économiques actuelles. «Comment allons-nous faire ? Va-t-on convertir les daïras actuelles en wilayas? Cela montrerait que cette décision n’a d’autre signification que politique», a mis en avant le professeur. Pour Chems Eddine Chitour, la seule chose qui pourrait rendre attractif un tel découpage est le fait qu’il entre dans le cadre du Schéma national d’aménagement du territoire (Snat) avec une visée productive, afin de rendre ces régions plus attractives. Néanmoins, notre interlocuteur doute fort de cela, en estimant que le timing et la façon dont a été prise cette décision renforcent ses doutes. Il s’interroge même sur quels critères il a été réalisé . Il est vrai que ce découpage, dont on parle depuis des années, n’a pas pu être réalisé, faute de moyens, et de retour sur investissement. L’État doit, certes, rapprocher l’administration des citoyens, particulièrement pour ces zones reculées, mais comme l’explique le professeur Chitour, dans notre cas le jeu ne vaut pas la chandelle. L’argent qui sera dépensé aurait été plus utile aux habitants de ces régions s’il était investi dans des infrastructures d’utilité publique. Surtout que comme il l’affirme, l’apport de l’informatique et l’intelligence artificielle aurait été plus efficace et à moindre coût. «On est au XXIe siècle. Il faut réfléchir comme au XXIe siècle en profitant de l’apport de l’informatique pour rapprocher le citoyen de l’administration», a-t-il souligné. «Cela est d’autant plus vrai du fait que nous avons fait de grands pas dans l’administration avec la dématérialisation des documents et la mise en place de documents biométriques», a-t-il poursuivi, non sans plaider pour une fluidification de l’information en décentralisant les grandes décisions qui concernent ces régions. «C’est la seule chose qui peut améliorer le quotidien des citoyens», a-t-il soutenu. Ce spécialiste met en avant le fait que la priorité dans ces régions est l’accès aux soins et à l’éducation. C’est d’ailleurs ce pourquoi les populations de ces régions ont beaucoup d’espoir de voir leurs villes se transformer en wilayas. Car, dans la logique actuelle de nos dirigeants ont construit les hôpitaux dans les…wilayas. «Faut-il être une wilaya pour avoir un hôpital ou une école ? Non», peste-t-il en insistant sur le fait que l’argent qui sera dépensé dans ce projet suffirait à construire ces infrastructures. On est donc devant une grande grenade dégoupillée qui a été mise entre les mains du futur chef de l’État. Ce découpage plein de promesses pour ces zones isolées, risque de lui exploser à la figure, quand les habitants verront que pratiquement rien n’a changé dans leur quotidien, mis à part le matricule de leurs voitures…Va-t-il poursuivre dans cette logique, sachant que les moyens sont limités ou va-t-il l’abandonner ? Dans les deux cas, le risque est grand ! C’est cela travailler avec des réflexes du XXe siècle au XXIe siècle…


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