Algérie / Abdelaziz Rahabi, ancien diplomate et homme politique : «Une nouvelle initiative politique sera bientôt lancée»

   L’ancien ministre de la Communication estime que la scène politique algérienne est très radicalisée et qu’il faut une convergence sur un projet démocratique, cela sans exclure aucun parti.

L’ancien diplomate et homme politique Abdelaziz Rahabi affirme que l’Algérie est bel et bien «encerclée».

Commentant l’éditorial du dernier numéro d’El Djeich appelant les Algériens à être prêts à faire face à toute menace extérieure, cet ancien diplomate considère que l’Algérie est entourée de zones de conflits qui pourraient impacter sérieusement sa sécurité.

«Il y a des conflits armés à nos frontières et dans lesquels beaucoup de puissances étrangères sont impliquées.

Cette implication directe de puissances étrangères dans des conflits à nos frontières est largement suffisante pour sonner la mobilisation», estime M. Rahabi, lors de son passage à l’émission «LSA direct» du quotidien Le Soir d’Algérie, selon lequel le pays est dans une situation conflictuelle difficile.

Ces menaces sont-elles plus pesantes en l’absence du président de la République pour des raisons de santé ?

«Il y a le problème de la sous-représentation diplomatique du pays. Nous avons connu cela pendant l’absence de Bouteflika. Nous avons un système qui concentre tous les pouvoirs entre le chef de l’Etat. Si le Président n’est pas là, pour des raisons de santé ou autres, l’appareil de l’Etat s’arrête.

Je ne souhaite pas que notre pays retrouve la situation qu’on a connue avec Bouteflika», souligne M. Rahabi qui plaide pour la réduction des pouvoirs du Président au profit d’autres institutions de la République.

Droits de l’homme

Interrogé sur la résolution du Parlement européen sur les droits de l’homme en Algérie, Abdelaziz Rahabi relève la persistance de l’Algérie dans sa perception traditionnelle des relations internationales. «Nous avons une perception encore traditionnelle des relations internationales.

Nous ne mesurons pas à quel point le monde change, à quel point la question des droits humains est importante, même si elle est traitée de façon sélective par l’Occident», soutient ce diplomate chevronné.

«Je suis très surpris, voire choqué par le fait que les Algériens soient aussi sensibles et réactifs à ce qui se dit sur eux à l’étranger, tout en étant sourds à ce qui se dit sur eux à l’intérieur», poursuit-il, précisant qu’«il y a des détenus d’opinion en Algérie, ce qui est inacceptable et complètement décalé par rapport aux questions des libertés, antinomique avec l’esprit du hirak et tout à fait en contradiction avec les engagements internes et internationaux de l’Algérie». Abdelaziz Rahabi fait état de «la judiciarisation de la vie politique».

«Le juge fait de la politique en Algérie, c’est lui qui détermine les privations de liberté pour une expression politique.

Nous connaissons une véritable dérive en termes de libertés individuelles et collectives. Qu’avons-nous retenu de l’indépendance ? Très peu de choses. Nous en avons retenu le fait d’avoir chassé le colonisateur.

Mais nous n’avons pas retenu que l’indépendance était aussi un combat pour les libertés. Les Algériens ont besoin de s’exprimer librement. Malheureusement, il y a des dérives autoritaires chez nous sur la question des droits de l’homme», affirme-t-il.

Classe politique

Sur la crise politique qui persiste en Algérie, M. Rahabi affirme être sur le point de lancer une nouvelle initiative, qui sera dans la continuité de la conférence du dialogue national organisée en juillet 2019.

«Il y a des initiatives en ce moment. Mais on préfère attendre que le Président revienne.

Ce qui me préoccupe le plus n’est pas autant la maladie du Président que l’absence d’un accord politique global autour de la situation actuelle et comment sortir de la crise. C’est ce que nous avons essayé de faire à Aïn Benian. Mais nous n’avons pas pu le faire de façon complète.

La scène politique algérienne est très radicalisée. Il nous faut une convergence sur un projet démocratique, sans exclusion», affirme-t-il, refusant de fournir plus de détails sur cette nouvelle démarche politique qui aura pour objectif «un accord politique le plus large possible».

Sahara Occidental

Abordant les derniers développements que connaît le conflit du Sahara occidental, Abdelaziz Rahabi précise qu’il s’agit d’une question de décolonisation.

Pour cet ancien diplomate, le principe du droit à l’autodétermination était admis au début de ce conflit. «Les Sahraouis devaient jouir d’un référendum d’autodétermination, accepté par le Maroc en 1977 et proclamé officiellement par le roi du Maroc au sommet de l’OUA de Nairobi en 1981.

C’est un engagement qui a été répété par le Premier ministre marocain (Mohamed Karim) Lamrani en 1985 à l’Assemblée générale de l’ONU», souligne-t-il, précisant que «quand ils ont repris en 1988 leurs relations diplomatiques avec l’Algérie, les Marocains se sont engagés à organiser dans les meilleurs délais et sans contrainte un référendum d’autodétermination au Sahara occidental».

Mais voilà que le statu quo a bien duré. Selon cet ancien diplomate, les Sahraouis sont en droit de dire que la communauté internationale n’a pas respecté ses engagements. Ils ont eu cette opportunité de sortir du statu quo qui leur a été imposé.

Construction maghrébine

M. Rahabi relève, au passage, une «contrevérité» historique sur la construction de l’Union du Maghreb. «Les chefs d’Etat qui se sont réunis en 1988 à Zéralda et en 1989 à Marrakech avaient décidé de découpler la question du Sahara occidental de la question de la construction maghrébine», souligne-t-il.

M. Rahabi rappelle les soutiens dont bénéficie le Maroc. «Le Maroc bénéficie d’un soutien direct et inconditionnel au Conseil de sécurité de la part de la France et il a le soutien financier à l’effort de guerre des pays du Golfe.

Comme il a incontestablement joué la carte de la Palestine en se rapprochant d’Israël sans aller vers la normalisation à cause d’éventuelles résistances internes», affirme-t-il.

Mais ce qui nourrit cette intransigeance du Maroc à engager un processus de discussions avec les Sahraouis, c’est à la fois «son sentiment d’être fort et la fébrilité de l’Algérie». Abdelaziz Rahabi parle de la stratégie marocaine de tension permanente avec l’Algérie.

«Quand vous mettez un pays sous tension permanente, qu’est-ce qui arrive ? Il mobilise son armée, il démultiplie donc son budget militaire», indique-t-il, assurant qu’il y a une guerre d’usure déclarée contre l’Algérie pour qu’elle change ses priorités : «au lieu de s’orienter vers le développement, on s’oriente vers l’armement».


   ABDELAZIZ RAHABI INVITÉ DE «LSA DIRECT» :«L’Algérie est soumise à une stratégie de tension permanente»

par Tarek Hafid

https://www.youtube.com/watch?v=1VuitQr01HQ&feature=emb_logo

Invité de l’émission «LSA Direct», Abdelaziz Rahabi a estimé que la présence de puissances étrangères aux frontières de l’Algérie est un élément qui conforte l’appel à la mobilisation de l’ANP. Face aux caméras du Soir d’Algérie, l’ancien diplomate et ministre de la Communication a fait part de la préparation d’une «initiative politique» qui devrait être lancée dès le retour du Président Tebboune. Rahabi n’a pas manqué de dénoncer «une judiciarisation de la vie politique» qui a conduit à l’incarcération de dizaine d’Algériens pour leurs opinions.

Jeudi 10 décembre, Hakim Laâlam accueillait l’ancien Abdelaziz Rahabi. Il a été question de sécurité, de relations extérieures et de politique intérieure lors de cette nouvelle édition de «LSA Direct». Interrogé sur le rôle de l’Armée nationale populaire en cette période de fortes tensions au Maghreb et au Sahel, l’ancien diplomate a confirmé que l’appel à la mobilisation lancé dans le dernier éditorial d’El Djeïch est parfaitement justifié. «L’Algérie est encerclée, c’est une réalité. Il y a implication directe de puissances étrangères à nos frontières. Cela est largement suffisant pour sonner la mobilisation», a-t-il souligné.
Selon Rahabi, il est du ressort de l’ANP d’attirer l’attention de la société algérienne au sujet des menaces qui existent dans l’environnement direct du pays. «On parle beaucoup de l’armée en raison de son implication en politique. L’armée est une institution permanente de la République, elle n’est pas conjoncturelle. Donc l’ANP a pour mission d’assurer la défense de l’intégrité territoriale, la paix et de la sécurité du pays. Mais elle a également la mission de consolider et d’affiner le lien avec le peuple. C’est valable pour toutes les armées du monde.
Le peuple doit s’identifier à son armée en termes de protection du pays et l’armée doit s’identifier au peuple car elle doit diffuser la sérénité et absorber les inquiétudes de la société dans des situations conflictuelles. Aujourd’hui, nous sommes face à une situation conflictuelle difficile. Nous avons des conflits à nos frontières. En Libye, au Mali, il y a la tension permanente avec le Maroc.»

Stratégie de tension permanente

L’invité de «LSA Direct» a également expliqué que «les stratèges proches du Maroc» soumettent l’Algérie à une «stratégie de tension permanente». «Cela a pour objectif de conduire le pays à mobiliser son armée, à démultiplier les budgets. Cette guerre d’usure vise à nous obliger à changer nos priorités. Ainsi, au lieu de nous concentrer sur le développement, nous sommes tenus d’aller vers l’armement.» Il a indiqué que la protection d’un pays aussi vaste et qui dispose de plusieurs milliers de kilomètres de frontières «exige beaucoup de moyens et une grande vigilance». À ce titre, il a précisé que l’Algérie peut compter sur la Russie et la Chine, «deux pays avec qui nous avons des relations militaires privilégiées. Des relations bâties sur la confiance qui est la base des relations internationales».

À propos de la question du Sahara Occidental, Abdelaziz Rahabi a précisé que le voisin de l’Ouest «ne peut bouger seul». «Le Maroc dispose d’un soutien diplomatique direct et inconditionnel au Conseil de sécurité de l’ONU à travers la France et d’un soutien financier à l’effort de guerre de la part des pays du Golfe. Il a incontestablement joué la carte de la Palestine avec Israël même s’il n’est pas allé jusqu’à la normalisation à cause de résistances internes.» Donald Trump finira par confirmer cette stratégie puisque quelques heures après la diffusion de cette émission, le Maroc procédait à la normalisation avec Israël contre la reconnaissance par les États-Unis d’Amérique de la «marocanité» du Sahara Occidental.

Revenant aux fondamentaux de ce conflit, il a rappelé que «le Sahara Occidental est une question de décolonisation». «Il est important de rappeler que lorsque l’Algérie a repris ses relations avec le Maroc, ce dernier s’est engagé à organiser un référendum d’autodétermination dans les plus brefs délais. Le référendum est l’expression de la volonté des peuples. Puis le statu quo s’est installé et il a duré.
Le Maroc occupe le terrain et profite des richesses. Les Sahraouis continuent de vivre un statut de réfugiés en Algérie. À ce titre, je dois dire que j’ai lu l’interview de l’ancien Président tunisien Merzougui qui me paraît tout à fait scandaleuse. Il ne reconnaît pas aux Sahraouis le droit d’avoir un État sous prétexte qu’ils ne sont que 200 000.
Je connais beaucoup de pays, y compris dans le monde arabe, qui ont moins de 200 000 autochtones. Il est désolant qu’un ancien Président tienne un discours qui relève de l’anthropologie coloniale», note Rahabi. Hakim Laâlam fera d’ailleurs remarquer que «ce n’est pas la seule infamie de Merzougui».

Sous-représentation diplomatique

Interrogé sur la relation entre l’augmentation subite des tensions contre l’Algérie et l’absence du Président Abdelmadjid Tebboune, l’ancien ministre de la Communication a relevé les dangers de la «sous-représentation diplomatique». «On m’en a voulu d’avoir dit que l’Algérie avait un problème de sous-représentation diplomatique pendant la maladie d’Abdelaziz Bouteflika.
La réalité est qu’un pays est représenté par son chef de l’État. Je vous cite un détail technique : durant un sommet ou une conférence, lorsqu’un chef d’État est absent, son représentant n’a pas le droit d’assister aux réunions à huis clos. Il n’a donc pas accès au processus de prise de décision. C’est ce qui s’est produit durant la maladie de Bouteflika. Je ne souhaite pas que notre pays retrouve la situation que nous avons connue sous l’ancien Président. Mais il faut le dire, c’est une des tares du système politique algérien qui concentre tous les pouvoirs aux mains du chef de l’État», a-t-il insisté.

L’absence du Président Tebboune est également problématique sur le plan interne. Rahabi a fait part de la préparation d’une «nouvelle initiative politique» qui ne sera dévoilée qu’à son retour. «Il y a en ce moment des initiatives mais nous préférons attendre que le président de la République revienne pour les lancer car elles sont destinées à relancer la vie politique», révèle-t-il. Pour lui, il est inconvenant et inutile de faire une proposition politique en l’absence du chef de l’État. Il affirme, cependant, être contre la marginalisation des partis politiques. Abdelaziz Rahabi envisage-t-il de lancer son parti ? L’invité de «LSA Direct» répond avec un large sourire : «Je regrette de ne pas avoir la culture du parti politique. En Algérie, on a toujours interdit aux militaires, aux diplomates et aux magistrats de militer dans un parti politique.»

Dérive autoritaire

Celui qui a présidé la Conférence de l’opposition à Zéralda de 2016 et celle de Aïn Benian en 2019 a dénoncé l’existence de dizaine de détenus d’opinion dans les prisons algériennes. «Nous vivons une judiciarisation de la vie politique. Le juge fait de la politique en Algérie, c’est lui qui détermine les privations de liberté pour expression politique. Nous connaissons une véritable dérive en matière de libertés individuelles et collectives.
Nous avons très peu retenu de l’indépendance. Nous avons juste retenu le fait d’avoir chassé le colonisateur et oublié que c’était un combat pour la liberté. Les Algériens ont besoin de s’exprimer librement dans un cadre légal. Seule la loi doit donner des garanties aux Algériens. Ce n’est pas aux politiques, aux hommes les plus influents, aux forces organisées ou informelles à donner des garanties aux citoyens. Malheureusement, il y a des dérives autoritaires chez nous sur la question des droits de l’Homme.»
Abdelaziz Rahabi a affirmé ne pas être «très sensible à ce qui se dit sur l’Algérie à l’étranger » mais être «plus sensible à la demande interne en matière de libertés fondamentales».
T. H.


 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *