L’Algérie veut intégrer les BRICS pour « changer les rapports de force » dans le monde

     L’Algérie adhérera très probablement au groupe de pays composant les BRICS. Avec quels objectifs ?
Le président chinois Xi Jinping, le Premier ministre indien Narendra Modi, le président russe Vladimir Poutine, le président sud-africain Cyril Ramaphosa et le président brésilien Jair Bolsonaro au onzième sommet des BRICS, le 4 novembre 2019 au Brésil (AFP/Sergio Lima)
Le président chinois Xi Jinping, le Premier ministre indien Narendra Modi, le président russe Vladimir Poutine, le président sud-africain Cyril Ramaphosa et le président brésilien Jair Bolsonaro au onzième sommet des BRICS, le 4 novembre 2019 au Brésil (AFP/Sergio Lima)

« L’Algérie s’intéresse aux BRICS, en ce qu’ils constituent une puissance économique et politique. » C’est en plein milieu de l’été que le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a annoncé la volonté de l’Algérie d’intégrer le groupe des BRICS, composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud.

Ce dernier pays, moins riche que les autres – son produit intérieur brut (PIB) est de moins de 500 milliards de dollars annuels –, a été intégré aux BRICS comme représentant du continent africain, un privilège dont n’ont pas bénéficié ailleurs des pays dont l’économie est plus performante, comme la Turquie, le Mexique ou encore la Corée du Sud.

Les puissances émergentes qui composaient le groupe au départ ont fortement progressé dans l’économie mondiale : alors que ces pays représentaient il y a vingt ans 16 % du produit intérieur brut mondial, ce chiffre pourrait passer à 40 % d’ici à 2025.

Comme pour répondre aux interrogations sur les capacités réelles de l’Algérie à intégrer ce club, le chef de l’État algérien a affirmé que l’adhésion aux BRICS était « tributaire de conditions économiques auxquelles l’Algérie satisfait en grande partie ».

Il est revenu à la charge le 24 septembre, à l’occasion d’une réunion avec les walis (préfets) réunis à Alger, en précisant que parmi les objectifs de son gouvernement figurait « le développement du revenu national d’une manière qui nous permette d’entrer dans le groupe des BRICS ».

Un axe africain

Au mois de juin, le président algérien a participé à un sommet des BRICS par vidéoconférence en compagnie de son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi en tant que représentants de pays « observateurs », les deux seuls à bénéficier de cet avantage.

Selon plusieurs sources, l’Algérie ne serait pas le seul pays africain à intégrer prochainement ce conglomérat de puissances émergentes.

Vladimir Poutine, ici lors du dernier sommet des BRICS organisé par vidéoconférence le 23 juin 2022, ne « serait pas opposé », selon les termes de son ambassadeur à Alger, à l’entrée de l’Algérie dans les BRICS (AFP/Mikhail Metzel)
Vladimir Poutine, ici lors du dernier sommet des BRICS organisé par vidéoconférence le 23 juin 2022, ne « serait pas opposé », selon les termes de son ambassadeur à Alger, à l’entrée de l’Algérie dans les BRICS (AFP/Mikhail Metzel)

« Les membres actuels des BRICS veulent créer un axe africain qui sera acquis à leur cause : Alger-Abuja-Prétoria », prédit à Middle East Eye Smain Lalmas, expert et consultant algérien en économie, qui estime que sur le plan purement économique, « l’Algérie n’a rien à gagner » parce que son « économie n’est pas diversifiée » et qu’elle « est, géographiquement, loin des autres pays » composant cet ensemble.

Pour Ali Harbi, consultant en stratégie de développement durable et gouvernance, sollicité par MEE, l’Égypte pourrait les rejoindre, de sorte à ce que ces « quatre pays [Algérie, Nigeria, Afrique du Sud, Égypte] constituent un poids lourd de développement économique intégré ».

Mais ce groupe de pays n’a en réalité, selon lui, rien « d’une organisation formelle et structurée de développement économique comme par exemple l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE] ».

L’économie algérienne est d’ailleurs loin d’égaler celle de certains pays comme le Brésil pour justifier une adhésion aux BRICS.

Avec un PIB de 193 milliards de dollars d’ici la fin de l’année en cours, elle n’est que la quatrième puissance économique africaine derrière le Nigéria, l’Égypte et l’Afrique du Sud.

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Ali Harbi estime que les BRICS incarnent davantage « une réaction » à la réalité des rapports de force dans le monde. Et il n’est pas le seul à le penser.

« Ces pays ont la capacité de remettre en cause l’ordre établi par la domination politique et économique des États-Unis, qui se fait notamment au travers des instruments financiers que sont le dollar et les mécanismes de la dette internationale », explique Ali Harbi.

Pour lui, les BRICS sont « un cadre opportun pour les pays émergents en vue d’évoluer vers un meilleur équilibre des forces internationales et une multipolarité visant par exemple à encourager les échanges monétaires hors dollar et hors euro et à encourager le commerce entre pays en développement ».

Smaïn Lalmas explique à MEE qu’en frappant à la porte des BRICS, l’Algérie cherche à se positionner. « L’Algérie a déjà signé un accord d’association avec l’Union européenne, établi un autre cadre d’association avec les pays de la zone de libre-échange arabe [GZALE] et des pays africains. Mais cela n’a rien donné. Elle cherche désormais à peser en adhérant aux BRICS. »

Il estime également que la possible intégration de l’Algérie au sein des BRICS répond à une volonté des grandes puissances de ce groupe, à savoir la Russie, la Chine et l’Inde, de pousser à la création d’un monde multipolaire.

Une monnaie concurrente au dollar ?

« Pour l’Algérie, il s’agirait d’un positionnement très clair en faveur d’un nouvel ordre économique mondial davantage basé sur les échanges entre pays en développement et appuyé par des puissances comme la Chine, l’Inde et la Russie, par opposition à un ordre dominé par les États-Unis et l’Europe », appuie Ali Harbi.

Le discours tenu en juin par Abdelmadjid Tebboune corrobore cette hypothèse.

Que gagnerait l’Algérie de cette nouvelle alliance ? Pour Ali Harbi, « d’importantes opportunités de développement se construiront notamment par la coopération Sud-Sud, appuyée par la puissance financière de pays comme l’Inde et la Chine »

« Les tensions et les soubresauts qui secouent les relations internationales aujourd’hui nous interpellent tous, non seulement au vu des défis de l’heure qui se posent aux efforts visant à instaurer la paix – mettre fin aux conflits et impulser la roue du développement –, mais aussi pour les dangers de la polarisation qui augurent un changement des rapports de force sur la scène internationale et présagent les contours du nouvel ordre mondial », a indiqué le chef de l’État devant ses homologues des BRICS et de l’Égypte.

Depuis début septembre, les principaux pays composant ce groupe affichent leur soutien à une éventuelle adhésion de l’Algérie.

Des réunions bilatérales se sont tenues entre des représentants algériens et brésiliens pour signer fin août un accord de défense, puis le ministre algérien des Affaires étrangères a rencontré à New-York son homologue chinois, lequel a affiché le soutien de son pays à une entrée de l’Algérie au sein des BRICS.

L’ambassadeur de Russie en Algérie a également déclaré que Moscou « ne s’opposait pas » à la volonté de l’Algérie de rejoindre le groupe. Abdelmadjid Tebboune doit d’ailleurs se rendre en Russie avant la fin de l’année.

Que gagnerait l’Algérie de cette nouvelle alliance ? Pour Ali Harbi, « d’importantes opportunités de développement se construiront notamment par la coopération Sud-Sud, appuyée par la puissance financière de pays comme l’Inde et la Chine ».

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Selon lui, il faudra « tenir compte de la possibilité que les BRICS lancent une monnaie concurrente au dollar, y compris au travers de l’évolution de la devise chinoise ».

Seule ombre au tableau : le risque, selon Smaïn Lalmas, de « l’éloignement géographique » entre l’Algérie et les grandes puissances économiques qui composent ce groupe.

Par ailleurs, « l’économie algérienne est encore assez faible » pour profiter de ce nouvel axe. Elle ne produit quasiment rien en dehors des hydrocarbures, ce qui, selon lui, l’expose aux mêmes travers qu’après l’accord d’association avec l’Union européenne : elle deviendra dans le meilleur des cas un grand marché pour les produits chinois ou autres.

À cela s’ajoute la guerre en Ukraine. « Dans l’absolu, intégrer les BRICS est une bonne chose. Mais l’Algérie a choisi le mauvais timing puisqu’un membre fondateur du groupe, à savoir la Russie, est en guerre », objecte-t-il. Car, selon lui, si Moscou perd la guerre, il entraînera tous les autres membres avec lui.


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