Algérie / Dr Arslan Chikhaoui, Expert en Géopolitique : «L’entrée aux BRICS est éminemment politique»

Le Docteur Arslan Chikhaoui, expert en géopolitique, revient dans cet entretien sur les répercussions, implications et les conséquences que pourrait engendrer une éventuelle adhésion de l’Algérie au sein des Brics. Il détaille dans cet entretien, les opportunités et les avantages dont pourrait bénéficier l’Algérie, par cette adhésion, notamment l’apport des banques des Brics. Toutefois, il mettra en exergue les failles et les chantiers structurels à relancer et, surtout à parachever pour prétendre à une adhésion en bonne et due forme.

L’Expression: Quelles sont les implications de cette éventuelle adhésion sur le plan de la géopolitique?
Docteut Arslan Chikhaoui: Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a évoqué, récemment aux médias nationaux, la possibilité que l’Algérie adhère aux Brics; le groupe d’États qui réunit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Un intérêt affiché dans un contexte de nouvel ordre politique mondial. Il a indiqué que «les Brics nous intéressent, car ils permettent de s’éloigner de l’attraction des deux pôles».Cette déclaration a été faite après qu’il ait participé par visioconférence, fin juin 2022, au sommet des Brics. Selon des observateurs avertis, une entrée dans ce club a une dimension éminemment politique à l’ère de la nouvelle reconfiguration des alliances et de la mise en place d’un monde multipolaire. Ceci permettrait donc à l’Algérie d’avoir des relations directes avec les puissances émergentes et de rehausser son statut diplomatique d’un pays qui se veut non-aligné. Il pourrait y avoir aussi des opportunités économiques avec, notamment la banque des Brics. En effet, l’Algérie pourrait bénéficier de financements octroyés par cette banque et d’autres opérations économiques pourraient avoir lieu, comme des échanges commerciaux et la création d’un système alternatif au rôle du dollar américain. Les Brics, de leur côté, affichent le principe de leur ouverture sous l’impulsion de la Russie et de la Chine, le tout dans un contexte de nouvel ordre politique mondial.

L’Algérie a-t-elle les atouts et les potentialités nécessaires pour prétendre à une telle adhésion?
Selon nombre d’experts, l’Algérie a tous les attributs nécessaires pour faire partie des Brics. C’est un pays influent sur la scène internationale, un pays important du point de vue des ressources minières et de l’équilibre pétrolier et gazier mondial et également un pays sans dettes extérieures. Il a une influence régionale, notamment dans la région sahélienne, ce qui intéresse beaucoup la Russie, la Chine et l’Afrique du Sud. Mais en même temps, c’est une ouverture de principe. Le processus d’entrée de l’Algérie dans les Brics sera incontestablement progressif. Avec une structure économique dominée par les hydrocarbures, l’agriculture et les services à faible valeur ajoutée, une population de 44 millions d’habitants, un PIB de 166 milliards d’USD, un revenu par tête d’habitant de 3720 USD en 2021, une faible intégration à l’économie mondiale, la Banque mondiale et le FMI qualifient l’Algérie de pays exportateur de pétrole à revenu moyen.

Cela risque-t-il de poser problème dans cette perspective?
Il est clair que l’Algérie est loin de faire partie du groupe des pays émergents qui se distinguent, entre autres, par une croissance et une stabilité fortes et soutenues qui peuvent produire des biens à plus forte valeur ajoutée et présentent des similarités avec les économies avancées non seulement en termes de revenus, mais aussi de participation au commerce mondial et à l’intégration des marchés financiers. Seules des transformations structurelles importantes et un arrimage progressif à l’économie mondiale permettront à l’Algérie d’acquérir un poids et une voie sur la scène internationale. Par conséquent, sur la seule base de critères économiques, l’Algérie ne se qualifie pas pour être membre des Brics dans l’immédiat. Par contre, si les Brics se donnent une stratégie à long terme pour devenir un acteur puissant dans la gouvernance mondiale et peser sur cette dernière, et si les critères d’admission sont élargis aux pays qui aspirent à devenir émergents, l’Algérie devrait alors rejoindre ce groupe.

Y a-t-il des raisons que cela puisse concorder avec les aspirations de l’Algérie, dans ce nouveau contexte mondial naissant?
Oui, parfaitement. Deux raisons fondamentales sont à relever alors; l’Algérie a une longue tradition de lutte en faveur d’une gouvernance économique mondiale équitable, d’un transfert de ressources aux pays en développement et d’un renforcement des échanges commerciaux Sud-Sud. Ces thèmes ont été au centre du discours historique prononcé le 10 Avril 1974 à la tribune de l’ONU par feu le président Boumediene. La voix de l’Algérie devrait également continuer à porter dans ce forum des Brics. En second lieu, une dynamique économique à l’Algérie sera offerte en appui d’une trajectoire en direction du statut de pays émergent. Pour ce faire, le pays devra se doter d’une stratégie de développement à long terme et créer une économie forte en entamant, d’ores et déjà un plan ambitieux de réformes structurelles de seconde génération pour une insertion productive au sein de l’économie mondiale. L’intérêt de l’Algérie à adhérer aux Brics est donc à rechercher du côté de son histoire et dans les visions du monde qui structurent et encadrent les relations internationales. C’est tout simplement l’aspiration, comme pour tous les peuples, de contrer la domination de l’Occident. Il y a ensuite la volonté de protéger sa souveraineté politique pour ne pas céder ou être embarquée dans des aventures politiques à l’extérieur de ses frontières, dont le coût est énorme aussi bien politiquement qu’économiquement. En ce sens que l’Algérie entretient depuis la guerre de libération contre la colonisation française des liens amicaux, soutenus par des relations économiques et militaires nécessaires, avec les pays influents des Brics. De plus, au regard de l’Algérie, les pays des Brics n’utilisent pas comme arme de pression politique le principe de «conditionnalités», contrairement aux pays occidentaux qui ont intérêt à maintenir le pays dans un rapport dominant/dominé. Tous ces facteurs sont importants et jouent un rôle dans la construction d’une économie qui protège la souveraineté de l’Algérie. Toutefois, il est une circonstance qui prend de court un pays, mais qui ne le désarme pas et fait que ledit pays saisit cette occasion pour secouer l’énergie d’un peuple furieux contre l’auteur de cette atteinte à sa souveraineté. Cette circonstance a pour nom «embargo», sanction qui renferme une forme de «déni de droit». Cela fut le cas de l’Algérie dans les années 1990 alors qu’elle était confrontée à une crise multidimensionnelle additionnée à une violence terroriste sans précédent et où elle a subi un embargo non déclaré. Par exemple, la Russie sous embargo agricole en 2014 a révolutionné son agriculture et est devenue première exportatrice de blé. L’Iran a réussi à vendre son pétrole et à développer son industrie militaire et continue par-là même,vis -à-vis de la première puissance mondiale que sont les Etats- Unis d’Amérique, de s’incruster dans ses espaces territoriaux maritimes et aériens.

L’adhésion aux Brics sonne comme un leitmotiv pour relancer cette dynamique de développement économique?
En somme, l’Algérie ambitionne, cependant, de saisir cette occasion d’adhérer aux Brics pour mettre en route la machine d’un développement durable et s’arrimer à l’économie mondiale et de facto construire de nouvelles alliances stratégiques. Ceci lui permettrait d’être un levier diplomatique pour poursuivre ses négociations en vue de son accession éventuelle à l’Organisation mondiale du commerce OMC et dont le processus a débuté en 1995 et, également, pour revisiter l’Accord d’Association avec l’Union européenne UE tout en mettant en oeuvre les zones de libre-échange arabe et africaine…

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