Algérie-France : L’écriture d’une histoire commune, mission «non souhaitable»

  par S. M.

Cinquante-huit ans après l’indépendance, les blessures de l’histoire demeurent profondes dans les deux rives de la Méditerranée.

    Le temps n’a pas guéri toutes les blessures et la volonté politique pour une écriture d’une histoire commune entre l’Algérie et la France peut-t-elle cicatriser les plaies ouvertes de la mémoire ? Abdelmajid Chikhi, directeur général des Archives nationales et Conseiller du président de la République, chargé des Archives nationales et de la mémoire nationale, a révélé, jeudi, en marge d’une cérémonie en hommage à l’avocate et militante Gisèle Halimi, décédée mardi dernier, que l’écriture commune de l’histoire entre les deux pays «n’est ni souhaitable, ni possible». «L’Algérie attend de savoir les intentions françaises suite à la désignation de Benjamin Stora pour travailler sur le dossier de la mémoire avec l’Algérie et quel volet sera évoqué pour le lancement de ce travail commun (…) l’on parle d’une écriture commune de l’histoire, qui est, toutefois, ni souhaitable ni possible», a-t-il affirmé en ajoutant que «Benjamin Stora était à l’origine de l’initiative de l’écriture commune de l’histoire, mais il y a longtemps, en exprimant le souhait de voir des historiens, algériens et français, se rencontrer afin d’écrire l’histoire commune. Je pense qu’il a renoncé, dernièrement à cette idée, lorsqu’il avait reconnu que c’était difficile». Abdelmajid Chikhi se dit convaincu que «cela est vraiment très difficile, compte tenu de motivations qui diffèrent d’une partie à une autre». «Nous voulons une histoire nationale homogène et chronologique, alors qu’ils veulent une histoire fragmentée», a ajouté le directeur général des Archives nationales, soulignant qu’il y a beaucoup de questions (…) qu’ils veulent peut-être dissimuler et que le peuple algérien était victime d’une période coloniale féroce». Chikhi a cité les déclarations du Président Tebboune qui avait affirmé que «l’Algérie ne peut renoncer à son histoire, mais elle peut œuvrer avec l’autre partie à construire des relations équilibrées, ce qui est primordial dans les relations internationales. Néanmoins, l’histoire appartient au peuple algérien qui a le droit de savoir ce qui s’est passé».

  A une question sur la démarche de restitution des archives, M. Chikhi a indiqué que le dossier est «en cours de traitement, en coordination entre plusieurs services de l’Etat afin de rapprocher les vues». Le constat de Chikhi sur l’impossibilité de l’écriture d’une histoire commune, entre les deux anciens ennemis, semble partagé du côté français par l’historien Benjamin Stora, chargé par le président français d’une mission sur «la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie». Benjamin Stora a, en effet, déclaré récemment dans une interview à RFI (Radio France Internationale) qu’une écriture commune de l’histoire de la colonisation reste assez problématique : «C’est très difficile parce qu’il existe des rapports à cette histoire qui sont très différents d’une rive à l’autre. L’histoire de la décolonisation et de la colonisation fabrique du nationalisme des deux côtés, c’est-à-dire le nationalisme impérial, colonial, du côté français, pendant très longtemps, et naturellement le nationalisme de libération nationale de l’autre côté de la Méditerranée. Ce sont des points de vue qui sont naturellement différents d’une rive à l’autre.» D’après lui, «chaque pays, chaque groupe, possède ses mémoires, fabrique une identité à partir d’une mémoire particulière (…) On ne peut jamais définitivement réconcilier des mémoires. Mais je crois qu’il faut avancer vers une relative paix des mémoires pour précisément affronter les défis de l’avenir, pour ne pas rester prisonniers, tout le temps, du passé parce que l’Algérie et la France ont besoin l’une de l’autre». Il a ajouté que «les débats entre historiens de toutes façons, existent depuis très longtemps sur l’histoire française et algérienne. Mais naturellement, il faut poursuivre ce débat».

«Je ne peux que me féliciter, poursuit-il, du fait que les deux responsables d’Etat puissent encourager ce type de production». L’auteur de La gangrène et l’oubli, la mémoire de la Guerre Algérie a livré quelques pistes sur les aspects autour desquels devraient s’articuler cette coopération : «Je travaille avec d’autres historiens qui sont des universitaires, et si on peut effectivement être encouragés, notamment par la création de postes, par l’accès aux archives, par la libre circulation d’une rive à l’autre de la Méditerranée, si on peut faire en sorte que cette coopération soit fructueuse pour aider les historiens à rédiger cette histoire, bien entendu, je n’en suis que plus favorable (…) Aujourd’hui, 60 ans après, on peut effectivement trouver des points d’accord sur la caractérisation du système colonial, un système injuste, inégalitaire, arbitraire, violent. Et on peut avancer sur la base de cet accord dans l’écriture historique pour pouvoir parler aux nouvelles générations.»


Directeur général des Archives et conseiller chargé de la mémoire auprès de la présidence de la République, Abdelmadjid Chikhi a déclaré, dans un entretien publié, hier, par l’AFP, qu’il ne s’agit pas, dans le cadre de la démarche du «travail conjoint», entre l’Algérie et la France, sur les questions de la mémoire coloniale, d’écrire l’Histoire, mais «pour lancer, peut-être, un dialogue» sur ces questions. Désigné pour être le vis-à-vis de l’historien français Benjamin Stora, Abdelmadjid Chikhi affirme qu’«en proposant de désigner des deux côtés une personnalité », «il ne s’agit pas d’écrire l’Histoire », mais « peut-être, un dialogue sur les problèmes de mémoire». «La mémoire, c’est quelque chose de beaucoup plus vaste. Il s’agit de voir comment amener les deux pays à gérer leurs mémoires », ajoute Chikhi, estimant qu’il s’agit de « confronter et discuter » les visions algérienne et française « en matière des problèmes de mémoire ». A la question de savoir si les « débats mémoriels ne risquent-ils pas d’envenimer les relations franco-algériennes », Chikhi estime qu’il faut « réfléchir » pour que les « problèmes de mémoire (…) ne puissent pas gêner la fondation de rapports normaux entre deux Etats indépendants ». « C’est la vision que nous nous faisons en Algérie. Nous voulons avoir des rapports sereins avec nos voisins, même s’il y a une mer qui nous sépare de l’autre rive ». Sur l’attente de la partie algérienne de la France, sur le dossier de la mémoire, Abdelmadjid Chikhi répond : « Nous avons subi 132 ans d’une colonisation qui a été atroce, très destructrice. La Société algérienne a été désarticulée. Nous sommes en train d’essayer de la remettre sur pied et les problèmes de mémoire se posent ». Ajoutant qu’en ce qui concerne l’Algérie, « nous faisons le travail» et «il faut que le même travail soit fait de l’autre côté» pour «confronter nos idées et peut-être arriver à une vision qui ne soit pas trop contradictoire, ni une vision à sens unique». « Donc nous voulons des rapports sereins dans le respect mutuel et également dans l’exploitation des problèmes de mémoire, selon les circonstances de chaque pays », a-t-il conclu. Pour rappel, s’expliquant en marge d’une cérémonie en hommage à l’avocate et militante Gisèle Halimi, décédée mardi dernier, M. Chikhi a indiqué, jeudi, que la partie algérienne attend de savoir quelles sont les intentions françaises après la désignation de Benjamin Stora pour travailler sur le dossier de la mémoire avec l’Algérie et quel volet sera évoqué pour le lancement de ce travail commun », ajoutant que « l’on parle d’une écriture commune de l’Histoire, qui est, toutefois, ni souhaitable ni possible». «Benjamin Stora était à l’origine de l’initiative de l’écriture commune de l’histoire, mais il y a longtemps, en exprimant le souhait de voir des historiens, algériens et français, se rencontrer afin d’écrire l’histoire commune. Je pense qu’il a renoncé dernièrement à cette idée, lorsqu’il avait reconnu que c’était difficile», a expliqué M. Chikhi, se disant, à cet effet, convaincu que «cela est vraiment très difficile, compte tenu de motivations qui diffèrent d’ «une partie à une autre». «Nous voulons une Histoire nationale homogène et chronologique, alors qu’ils veulent une histoire fragmentée », a-t-il ajouté.

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