Algérie-Maroc : «le 14 juillet à New York a été le point de rupture»

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L’Algérie a motivé sa décision de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc par une série d’arguments. La raison qui semble avoir précipité la prise de cette mesure est l’annonce par le Maroc de son soutien au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) lors d’une conférence organisée en juillet au siège de l’Onu.

«C’est pourquoi, et sur la base de tous ces facteurs et de toutes ces données, l’Algérie a décidé de rompre les relations diplomatiques avec le royaume du Maroc avec effet immédiat». C’est par cette sentence que Ramtane Lamamra, le ministre des Affaires étrangères, a achevé, lors d’une conférence de presse tenue mardi 24 août 2021, le long réquisitoire contre le Maroc.

Le chef de la diplomatie algérienne, qui s’est exprimé «au nom de Monsieur le Président de la République, chef suprême des Forces armées, ministre de la Défense nationale, et au nom du gouvernement algérien», a rappelé toutes les «actions hostiles, inamicales et malveillantes» commises par le Maroc contre son pays. C’est d’ailleurs une des seules fois qu’un officiel algérien s’exprime publiquement sur la guerre des Sables qui avaient opposé les deux pays en 1963.

«Cette animosité, dont le caractère systématique, méthodique et prémédité est documenté, avait débuté avec la guerre d’agression ouverte de 1963, guerre fratricide déclenchée par les forces armées royales marocaines contre l’Algérie qui venait de reconquérir son indépendance nationale. Cette guerre dans laquelle le royaume du Maroc avait engagé des armements et des équipements lourds particulièrement meurtriers a coûté à l’Algérie 850 valeureux martyrs qui ont donné leur vie pour la préservation de l’intégrité territoriale de la patrie, dont ils avaient contribué à la libération», a indiqué le ministre des Affaires étrangères.

Le grand déballage

Dans ce grand déballage, Ramtane Lamamra est revenu sur cinq décennies de crises: «rupture brutale des relations par le Maroc en 1976; accusations de l’Algérie d’avoir commis l’attentat de Marrakech en août 1994; fermeture des frontières et imposition du visa aux ressortissants algériens; violation injustifiable de l’enceinte du consulat général algérien à Casablanca, avec la profanation du drapeau national un certain 1er novembre 2013; espionnage massif et systématique de responsables et de citoyens algériens avec le logiciel israélien Pegasus; collaboration active et documentée du royaume du Maroc avec le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) et le Rachad [mouvement islamiste proche des Frères musulmans*] deux organisations terroristes; accusations insensées et menaces proférées par le ministre israélien des Affaires étrangères en visite officielle au Maroc…».

 

Mais s’il y a bien un acte que l’Algérie n’est pas prête de pardonner et qui semble avoir précipité la rupture avec son voisin de l’ouest, c’est sans nul doute la note officielle distribuée par l’ambassadeur marocain auprès des Nations unies, lors d’une réunion de l’organisation des pays non-alignés qui s’est déroulée à New York les 13 et 14 juillet 2021, dans laquelle le Maroc annonçait son soutien «au droit à l’autodétermination du peuple kabyle». Alger avait condamné énergiquement cette action «destinée à cultiver un amalgame outrancier entre une question de décolonisation dûment reconnue comme telle par la communauté internationale (la question du Sahara occidental, ndlr) et ce qui n’est qu’un complot dirigé contre l’unité de la Nation algérienne». Contacté par Sputnik, Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Communication et ambassadeur d’Algérie à Madrid de 1994 à 1998, estime que c’est cet appui franc et public aux séparatistes kabyles du MAK qui a provoqué «le point de rupture» entre les deux États.

«Le 14 juillet a été le point de rupture. L’acte en lui-même, le fait de distribuer un document officiel au siège de l’Onu, appelant la population à une sédition contre le pouvoir central, est un casus belli. C’est une déclaration de guerre. De plus, suite à cet acte, le roi du Maroc ne s’est pas excusé et n’a pas dépêché d’envoyé spécial à Alger. Le fait de n’avoir rien dit au sujet de cette note est extrêmement grave. Voilà pourquoi ce 14 juillet à New York a été le point de rupture», précise l’ancien diplomate.

 

Abdelaziz Rahabi note cependant que «l’Algérie et le Maroc étaient quasiment dans une situation de rupture depuis plusieurs années». Il rappelle qu’il n’y a pas eu d’échanges politiques et diplomatiques, pas de visites de chefs d’États ni de chefs de gouvernement et que les frontières terrestres sont fermées depuis 1994. «Le niveau des relations diplomatiques n’était pas élevé pour dire qu’aujourd’hui il y a une baisse», dit-il. Concrètement, quelles mesures devrait prendre Alger dans le cadre de cette rupture?

«Sur le plan technique, une rupture signifie la fermeture de son ambassade puis confier ses intérêts à un autre pays. L’Algérie peut laisser un ou deux diplomates prendre une section au sein de l’ambassade de ce pays ami pour gérer les affaires courantes. Lorsque l’Iran avait rompu ses relations avec les États-Unis, Téhéran avait confié ses intérêts à l’ambassade d’Algérie à Washington. Les usages veulent que si un État n’a plus de relations avec un autre État, celui-ci doit fermer son ambassade et rappeler son ambassadeur. Le Maroc peut agir autrement. En 1976, lors de la première rupture des relations entre les deux pays, l’ambassade du Maroc à Alger était restée fonctionnelle», rappelle-t-il.

Côté marocain, la décision de rupture de l’Algérie a donné lieu à deux réactions officielles quelques heures après la conférence de presse de Ramtane Lamamra. La première est du chef du gouvernement marocain Saad-Eddine El Othmani qui s’est exprimé sur le site de Maghreb Voices, un média en ligne financé par le département d’État américain.

Dans cette vidéo El Othmani a indiqué que «la construction de l’Union du Maghreb et le retour à la normale des relations entre les deux pays voisins constituent une nécessité dictée, en premier lieu, par les intérêts communs, l’édification d’un avenir commun et les grands défis que connaît le monde actuellement».

Fahd et Mitterrand

Puis dans la soirée de mardi, c’était au tour du ministère marocain des Affaires étrangères de réagir à travers un communiqué de presse dans lequel il annonce prendre note «de la décision unilatérale des autorités algériennes, de rompre, à partir de ce jour, les relations diplomatiques avec le Maroc».

«Le Maroc regrette cette décision complètement injustifiée mais attendue – au regard de la logique d’escalade constatée ces dernières semaines – ainsi que son impact sur le peuple algérien. Il rejette catégoriquement les prétextes fallacieux, voire absurdes, qui la sous-tendent. Quant à lui, le Royaume du Maroc restera un partenaire crédible et loyal pour le peuple algérien et continuera d’agir, avec sagesse et responsabilité, pour le développement de relations intermaghrébines saines et fructueuses», ajoute ce communiqué.

Pour Abdelaziz Rahabi, il est peu probable que les relations entre les deux voisins se rétablissent dans un proche avenir. Il estime également qu’aucun pays n’engagera une médiation «au risque de se faire rabrouer par Alger». L’ancien diplomate relève que durant les crises successives, le Maroc a toujours repris ses relations avec l’Algérie sur la base «d’engagements» et suite à une médiation française ou saoudienne.

«Chaque fois que nous avons repris des relations diplomatiques avec le Maroc, cela s’est fait dans le cadre d’engagements fermes. Les Marocains envoyaient en émissaire le roi Fahd Ben Abdelaziz d’Arabie saoudite ou le Président français François Mitterrand. Ils se rapprochaient des responsables algériens pour leur dire que leurs voisins sont disposés à aller de l’avant dans les relations bilatérales. Mais il suffisait que la situation se stabilise pour qu’ils reviennent à la charge et au final, aucun des engagements n’était respecté», souligne-t-il.

Parmi les engagements communs figurant dans le communiqué du 16 mai 1988 marquant la reprise des relations entre les deux pays, se trouvaient les quatre points suivants: «la volonté de promouvoir entre les deux peuples algérien et marocain des relations permanentes de paix, de bon voisinage et de coopération, une contribution efficace à l’accélération de l’édification du Grand Maghreb arabe, une contribution au resserrement des rangs arabes autour de la cause sacrée du peuple palestinien en vue de la satisfaction de ses droits nationaux ainsi qu’une solution juste et définitive au conflit du Sahara occidental à travers un référendum d’autodétermination, régulier et libre». Du point de vue algérien, aucun de ces engagements n’a été respecté, notamment l’organisation du référendum au Sahara occidental et le soutien au peuple palestinien puisque le Maroc a désormais pour allié stratégique Israël.

*Organisation terroriste interdite en Russie


     La rupture des relations algéro-marocaines arrive au pire moment pour Rabat

LONDRES – La rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc « arrive au pire moment pour Rabat », estime le journaliste et ancien diplomate marocain, Ali Lmrabet précisant que le Palais royal est aujourd’hui particulièrement affaibli.

« La rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc arrive au pire moment pour Rabat. Les vents ne sont pas favorables au régime. Le palais royal et ses services secrets sont sortis affaiblis des multiples fronts qu’ils ont ouverts ces derniers mois », soutient l’auteur dans un article publié sur le site Middle East Eye.

« Les violations systématiques des droits humains et les grossières accusations visant des journalistes indépendants ont donné une bien piètre image d’un Maroc allié et soutien de l’Occident », assure-t-il ajoutant que « les deux offensives diplomatiques contre l’Allemagne et l’Espagne ont tourné court ».

« Le bras de fer avec Madrid après l’hospitalisation du chef du Front Polisario Brahim Ghali en Espagne et le déferlement provoqué par Rabat de citoyens marocains sur Ceuta a aussi été remporté par l’Espagne », constate-t-il affirmant que « le roi du Maroc a dû annoncer il y a quelques jours une « étape inédite » dans les relations hispano-marocaines. Il n’y a plus d’exigences ».

Cette crise a poussé, en revanche, les Espagnols à exiger une redéfinition des relations entre les deux pays.

Le Maroc a également essuyé un revers face à l’Allemagne après une crise liée à la position de Berlin vis-à-vis de la question sahraouie.

« Berlin a résisté aux pressions de Rabat sur le conflit du Sahara occidental et refuse de faire pression sur sa magistrature pour que des poursuites criminelles soient engagées contre le Germano-Marocain Mohamed Hajib, bête noire des services secrets marocains », note l’auteur de l’article.

De son côté, « l’administration Biden, en dépit de gestes amicaux envers le Maroc, ne va pas ouvrir un consulat à Dakhla, comme cela avait été promis par Donald Trump, ni reconnaître explicitement la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental », indique le journaliste.

« Récemment, le porte-parole du département d’Etat, Ned Price, s’est permis de tirer les oreilles aux autorités marocaines sur les déficiences en matière de liberté de la presse dans le royaume, citant nommément les cas des journalistes Omar Radi et Souleiman Raissouni, dont les procès ont été émaillés de telles irrégularités que même des médias marocains s’en sont fait l’écho », explique-t-il.

 

== L’avenir du GME est compromis==

 

« Plus grave encore, Rabat s’attend à un arrêt imminent de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) qui confirmerait définitivement, selon les avocats du Front Polisario, l’illégalité de l’accord de pêche entre le Maroc et l’Union européenne », poursuit Ali Lmrabet.

Sur le plan de la coopération économique, la décision de l’Algérie de rompre ses relations avec le Maroc porte un coup dur au royaume à moins de deux mois de l’expiration du contrat relatif au gazoduc Maghreb-Europe qui relie l’Algérie à l’Espagne via le territoire marocain.

« Lors de son point de presse, Lamamra a renvoyé la balle à la Sonatrach mais le renouvellement (du contrat) sera difficile si les ponts entre les deux Etats continuent à s’écrouler les uns après les autres », prédit le journaliste.

D’un autre côté, « la santé du roi Mohammed VI inquiète. Lors de son discours du Trône fin juillet, qui a été prononcé avec une journée de retard, le souverain est apparu amaigri et très fatigué », fera-t-il remarquer.

Selon Lmrabet, il ne s’agit pas là des « seules déconvenues » que connaît le régime alaouite. « La lente et inexorable détérioration de la situation sociale n’est niée par personne et les perspectives de voir le pays sortir rapidement de la crise économique s’estompent au fur et à mesure que l’on découvre les chiffres alarmants de la hausse des infections dues au Covid-19 et son corollaire, la prorogation sans fin du couvre-feu », estime-t l’ancien diplomate.

Selon Lmrabet, ce sont les critiques émises contre l’Algérie par le ministre des Affaires étrangères israéliens, en visite à Rabat, qui ont mis le feu aux poudres. Un « impair » qui vient s’ajouter au soutien affiché par la diplomatie marocaine au MAK et à la position marocaine concernant la question sahraouie.

« L’incroyable impair commis par le ministre israélien des Affaires étrangères et futur Premier ministre, Yaïr Lapid, qui a critiqué

ouvertement l’Algérie depuis Rabat, où il était en visite officielle, a fait sauter la poudrière. Une bien fâcheuse sortie israélienne qui n’a plu, évidemment, à personne au Maroc, mais dont on ne sait pas si elle a été expressément provoquée par la diplomatie marocaine, dont la ligne de conduite est chapeautée par le cabinet royal, ou simplement tolérée », relève-t-il.

« Cette provocation a incontestablement attisé un feu déjà vaillant au moment où Alger réfléchissait à une riposte après les révélations sur l’affaire Pegasus, et l’implication, selon Amnesty International et Forbidden Stories, des services secrets marocains dans l’espionnage de 6.000 numéros de téléphones portables appartenant, notamment, à de hauts responsables algériens grâce à un logiciel espion de fabrication israélienne », rappelle-t-il.


 

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