Les vieilles armes du mensonge et de l’ignorance

 

Tribune : Accusation de complotisme, attaques personnelles, des stratégies de manipulation qui ne datent pas d’aujourd’hui.

« Complotiste », ce mot me rappelle bien des souvenirs ! Depuis quelques mois, on voit le mot fleurir partout. Répété abondamment, il finit par entrer dans la banalité : beaucoup l’utilisent couramment, sans plus s’interroger sur son sens. C’est devenu un anathème à la mode ! Ou parfois une insulte. Traiter quelqu’un de complotiste, c’est lui prêter une conviction réputée folle: un complot est à l’œuvre, invraisemblable, inenvisageable. On pourrait souligner que les complots existent, l’histoire l’a prouvé, et qu’en envisager l’existence ne relève pas forcément du délire paranoïaque, mais ce serait passer à côté du problème : l’accusation de complotisme n’est plus que stratégie rhétorique. Il s’agit de disqualifier un discours gênant en faisant l’économie de l’argumentation. On exagère les propos d’autrui, voire on lui en invente, en spéculant inconsidérément sur ses intentions, puis on le traite de dingue. Car au fond, c’est bien une forme de folie que le terme « complotiste » insinue. Au mieux, une folie douce, au pire, une folie contagieuse et dangereuse. Qu’il faut à tout prix empêcher de devenir épidémique.

Dans tous les cas, l’accusation de complotisme s’apparente à une méthode stalinienne visant à réduire autrui au silence en le traitant de fou. C’est violent. C’est totalitaire. Et je reconnais d’autant mieux le procédé que j’en ai été victime.

Il y a une bonne vingtaine d’années, Serge Garde, dans l’Humanité, et moi-même dans le Figaro, révélons l’existence de milliers de documents pédopornographiques découverts à Zandvoort, aux Pays Bas, et nous alertons l’opinion publique sur l’existence d’une criminalité organisée extrêmement dangereuse : les réseaux pédocriminels. L’affaire fait grand bruit, nos articles sont repris dans tous les médias, tant et si bien que la garde des Sceaux de l’époque, Élisabeth Guigou, finit par intervenir au JT de France 3 pour assurer qu’elle « ne veut pas que rien ne soit laissé au hasard dans cette affaire ». Le classique « il faut que toute la lumière soit faite » des politiques, quand une affaire menace de virer au scandale. À ce détail près qu’en l’occurrence, l’inconscient de la ministre lui dicte une jolie double négation ! Ha, la vérité ! Vous voulez l’enfermer, elle sort quand même ! En 2000, le problème de la pédocriminalité demeure largement tabou et l’opinion publique en ignore à peu près tout. Visiblement, les autorités de l’époque entendent bien qu’il en demeure ainsi !

Une contre-offensive ne tarde donc pas à se mettre en place, qui vise à discréditer nos révélations. Des pseudo « contre-enquêtes » sont ficelées en quelques jours, alimentées par des fuites émanant visiblement du parquet, et ne reculant pas devant des procédés fort discutables.

Les réseaux sociaux sont alors quasi inexistants et les chaînes d’information en continu n’existent pas. Il n’est donc pas possible d’asséner des contre-vérités à longueur de journées et les polémiques enflent plus lentement qu’aujourd’hui. Mais les stratégies adoptées sont les mêmes.

À titre personnelle, la publication de cette enquête est le résultat de plus d’un an de travail, et je vous prie de croire que chaque information a été scrupuleusement vérifiée et recoupée. J’ai rencontré de nombreux enquêteurs, victimes, avocats, experts, magistrats. J’ai étudié des affaires similaires. J’ai une foule de documents en tout genre. Bref, je connais très bien mon sujet.

Attaquer l’enquête et les faits révélés est donc une entreprise périlleuse quand il s’agit de désamorcer une information dérangeante mais vraie. Le problème avec la vérité, c’est que ses contempteurs se retrouvent vite à court d’arguments crédibles.

Ils choisissent donc d’autres options qu’une argumentation qui aurait le mérite d’être honnête, mais serait vouée à l’échec quant au but recherché.

Attaquer les personnes à l’origine des informations dérangeantes est bien plus simple. La calomnie ou la critique personnelle virulente présente de multiples avantages. Elles peuvent non seulement discréditer la personne qui en est victime, mais aussi la rendre antipathique. Et elles constituent une menace non dite pour qui serait tenté de lui exprimer son soutien.

J’ai donc la surprise d’apprendre que des journalistes enquêtent sur ma petite personne. Mais comme il n’y a vraiment pas grand-chose à trouver, mes détracteurs doivent faire preuve de créativité.

Je me retrouve donc d’abord qualifiée de « militante », sans qu’il soit précisé pour quoi je milite, ni en quoi, d’ailleurs, cela serait un problème.

J’entends ensuite avec stupéfaction, un élu, invité sur un plateau télé, m’accuser d’être une « mauvaise citoyenne » : soutenir que la justice peut être défaillante serait une affirmation dangereuse, signant un indéniable manque de civisme. Il emprunte en cela un argument utilisé en Belgique dans le cadre de l’affaire Dutroux : les comités blancs, organisateurs de la marche blanche qui a suivi la découverte des petits corps de Julie et Mélissa, sont régulièrement accusés d’être des « anarchistes ».

Puis des voix s’élèvent pour contester l’existence d’un « grand complot ». Je suis interloquée : je n’ai jamais soutenu qu’un tel « grand complot » existât. Mais ça ne fait rien, me voilà qualifiée de « complotiste ». Il faut « raison garder » m’exhorte-t-on par média interposé. Le conseil vaut pour toute personne qui aurait le mauvais goût d’accorder du crédit à mon travail.

Faire dire à quelqu’un ce qu’il n’a pas dit pour le faire passer pour un illuminé est une stratégie classique de manipulation, ou à tout le moins d’enfumage. Il s’agit de créer de la confusion autour de l’information dérangeante, et de détourner l’attention des faits.

Quand il n’est pas question de « complotisme », les réseaux pédocriminels sont qualifiés par de « fantasmes de journaliste », un peu hors sol ou en quête de « sensationnalisme ».

Je suis mise en garde de ne pas me risquer à avancer que des « notables » pourraient faire partie de ces réseaux. Imaginer que des personnes influentes puissent avoir intérêt à nier l’existence d’une telle criminalité relèverait, selon certains journalistes, d’une paranoïa dangereuse pouvant alimenter celle d’une opinion publique crédule voire un peu bête.

La polémique est aussi amenée sur le terrain de la foi : on parle de « croyants » (les illuminés et autres complotistes, qui envisagent l’existence de réseaux pédocriminels) et de « non croyants » (les personnes raisonnables qui accepte le discours officiel : les prédateurs sexuels de mineurs sont toujours des criminels isolés, qui s’en prennent généralement aux enfants de leur propre famille). La rationalité a donc complètement déserté le débat public.

J’observe cet abandon de la raison avec un certain effarement. À moi, il semble que c’est une partie de la presse qui a perdu ses repères.

Tous ces professionnels qui « débunkent » l’information – pour reprendre un terme à la mode – ces « décodeurs » qui critiquent le travail de collègues sur un problème qu’ils connaissent visiblement fort mal, semblent avoir oublié le B.A-BA de la profession. Ils ont une opinion a priori, et cherchent avec zèle ce qui pourrait la conforter au mépris de la vérité. Les faits sont devenus complètement secondaires, et d’ailleurs, d’aucuns n’hésitent pas à les tordre. J’ai vu de pures spéculations présentées comme des faits. On disserte sur des victimes à qui on n’a jamais parlé, sur des documents que l’on n’a jamais vus, on fait mentir des expertises… Tout est bon !

Des officiels mentent avec aplomb, et des confrères relaient complaisamment leurs propos sans la moindre vérification ou velléité de contradiction. Plusieurs cadres de la police soutiennent que ces réseaux n’existent pas, sans jamais être contredits. Or, en se renseignant un tout petit peu, mes confrères si prompts à pourfendre la « fake news », auraient su que quelques réseaux pédocriminels avaient déjà été démantelés, donnant lieu à des condamnations criminelles, y compris en France. Et qu’ainsi, un officier de la direction de la police judiciaire prétendant le contraire n’est qu’un menteur.

Certains « conflits d’intérêt » auraient du pousser ces journalistes à prendre les fuites du parquet des mineurs de Paris avec beaucoup de prudence. En effet, j’apprends, et révèle rapidement dans le Figaro, que la justice française a été saisie de l’affaire de Zandvoort un an avant la publication de l’enquête. Et que ce même parquet des mineurs l’a classée moins de deux mois plus tard pour « absence d’infraction pénale » ! (Je rappelle que l’on parle de viols d’enfants, dont certains n’étaient que des bébés). Inutile de dire que dans ces conditions, voir ressurgir cette affaire, par voie de presse, quelques mois plus tard, est extrêmement gênant pour l’institution judiciaire qui a tout intérêt à « minimiser la portée de cette affaire » pour reprendre les termes du chef du parquet des mineurs de Paris. Pourtant, cet intérêt évident à nier les faits ne tempère pas le zèle de certains de mes confrères à soutenir aveuglément la version officielle.

Je propose alors à certains de ces journalistes de consulter les documents et preuves que j’ai à ma disposition afin d’éclairer leur lanterne. Hélas, seule une journaliste de l’émission « Arrêt sur images », tentée de rejoindre l’équipe des « décodeurs» de mon enquête sur les réseaux pédocriminels, accepte. Elle vient me voir au Figaro, pour consulter notamment un CD-Rom dont beaucoup parlaient sans l’avoir vu ; le projet de « débunkage » est alors abandonné par l’émission.

Les autres confrères qui se sont complaisamment lancés dans une critique aveugle d’une enquête journalistique qui ennuie beaucoup le gouvernement, refusent tout bonnement de venir voir de quoi ils parlent. Il faut dire qu’ils se sont tellement laissés embourber dans un marécage de mensonges, d’opinions sans arguments, d’attaques personnelles flirtant avec la calomnie, qu’il leur serait certainement très malaisé de revenir en arrière.

Vingt ans et quelques coups de filet plus tard, d’Angers à Madagascar, en passant par les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, et de nombreux autres pays, il ne fait plus de doute que les détracteurs de l’existence des réseaux pédocriminels avaient tort. Quelques procès médiatisés ont secoué la chape d’incrédulité qui assurait à cette dangereuse criminalité organisée un confortable silence. Plus personne ne peut plus en nier la réalité, même si le phénomène, et sa gravité pour la sécurité publique, demeurent largement sous-estimés. Le grand public sait même que l’on trouve des pédocriminels chez des « notables », y compris dans des sphères extrêmement influentes. Le livre de Camille Kouchner nous le rappelait encore récemment. Reste à prendre des mesures à la hauteur du problème, à doter enfin la justice d’armes efficaces pour protéger les enfants de prédateurs puissants, ingénieux, prêts à tout pour s’assurer l’impunité.

Par contre, force est de constater que les stratégies de désinformation n’ont pas changé. Leurs conséquences sont juste devenues plus violentes, les réseaux sociaux et les chaines d’information continue leur offrant une caisse de résonnance largement  amplifiée.


Auteur(s): Laurence Beneux, journaliste-auteur pour FranceSoir

Laurence Beneux est journaliste et auteur de « Le livre de la honte – les réseaux pédophiles » aux éditions du Cherche-Midi et de « Droits des femmes et des enfants, l’intolérable indifférence » aux édition Michalon.


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