L’attaque du Capitole par les supporters de Trump: un «Coup d’Etat » contre la démocratie américaine

   “I know that everyone here will soon be marching over the Capitol building to peacefully and patriotically make, your voices heard”. […] Be there, we’ll be wild” (speech de Trump, rally “Save America March”, January 6, 2021). »

“On Wednesday [January 6, 2021], Trump incited a deadly insurrection against American democracy that targeted the very heart of our democracy” (Nancy Pelosi, Speaker, House of Representatives). »

Par Arezki Ighemat, Ph.D en économie Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)

 

Introduction

Le 6 janvier 2021, des milliers de supporters de Donald Trump ont pris d’assaut le Capitole, siège du Congrès américain à Washington D.C et symbole de la démocratie américaine. Les émeutiers—inspirés par le discours et les tweets incendiaires du Président Trump et de ses alliés à la Maison Blanche—ont pénétré ce Temple de la démocratie américaine avec pour but de perturber le processus de certification des résultats de l’élection présidentielle du 3 novembre 2020 ayant déclaré Joe Biden gagnant et Trump perdant, et, ultimement, de faire falsifier ces résultats en déclarant, illégalement, que Trump a été victorieux. Au cours de cet assaut, les supporters de Trump ont grimpé les façades du Capitole, pénétré à l’intérieur du bâtiment, brisé les fenêtres, défoncé les portes et occupé les salles des membres du Congrès, y compris le bureau de Nancy Pelosi, Speaker of « the House of Representatives ». Outre les dommages matériels causés au bâtiment du Congrès, il y a eu 5 décès dont 4 supporters de Trump, un officier de police, de nombreux blessés parmi les émeutiers, 56 officiers de police blessés, plus de 80 supporters de Trump arrêtés.

Un des objectifs de cet assaut—que certains qualifient « d’insurrection », « sédition », « trahison », « terrorisme domestique », « coup d’Etat », voire même de « self-coup », c’est-à-dire un coup d’Etat conduit par le chef du gouvernement et non, comme d’habitude, une junte militaire un autre groupe—était de capturer des membres du Congrès, notamment Nancy Pelosi et Mike Pence, le Vice-Président. Ce dernier, qui avait pour tâche constitutionnelle de certifier les résultats de l’élection du 3 novembre 2020—déjà officialisés par les autorités électorales des Etats, confirmés par les tribunaux des Etats et la Cour Suprême et donnant la victoire à Joe Biden—était particulièrement visé par les émeutiers qui scandaient le slogan « Hung Pence » (Pendez Pence), montrant une corde accrochée au plafond d’une des salles du Capitole.

Suite à cet évènement, la maire de Washington D.C a déclaré le couvre-feu à partir de 6h du soir dans le district de Washington. La police et la « National Guard » ont pu mettre fin à l’émeute et les membres du Congrès ont pu reprendre, le soir-même, le processus de certification et confirmer la victoire de Joe Biden. A la suite de cet évènement, plusieurs membres du Congrès et politiciens américains ont demandé la démission du président Trump pour « incitation à l’insurrection ». D’autres ont demandé au Vice-Président Mike Pence d’invoquer le 25è amendement de la Constitution qui stipule que, si la majorité du gouvernement est d’accord, elle peut démettre le président pour incapacité à gouverner. D’autres enfin, notamment les membres de la « House of Representatives » et les sénateurs démocrates, proposent de déclencher la procédure de « l’impeachment », ce qui ferait que Trump serait « impeached » deux fois. Il faut rappeler que la stratégie de Trump consiste à jouer un double jeu : il commence à allumer un incendie par ses propos lors de ses rallies ou dans ses tweets.

Une fois que l’incendie est déclenché, il tente de l’éteindre, mais sans abandonner complètement ses fausses prétentions et allégations. Cette stratégie, Trump l’a appliquée le 6 janvier en appelant d’abord ses supporters à prendre d’assaut le Capitole—« Be there, we’ll be wild » (soyez là, nous serons sauvages—puis, une fois la mission accomplie, de rentrer chez eux—« Go home in peace. We love you » (Rentrez chez vous en paix. Nous vous aimons). Dans le présent article, nous verrons d’abord les causes qui ont conduit à l’insurrection et le jeu double du président Trump. Nous verrons ensuite les effets à court/moyen terme sur la démocratie américaine et sur le « modèle » américain dans le monde.

Les causes ayant conduit à l’insurrection et le jeu double du président Trump

Il faut rappeler et souligner qu’un des traits qui caractérisent Trump est qu’il est erratique et qu’il change de discours et d’opinion constamment. Il peut, par exemple, dire une chose le matin et dire son contraire l’après-midi. Il en a été ainsi dans le cas de l’insurrection du 6 janviercontre le Capitole. Donald Trump, lors du rallye « Save America March », commence par un discours incendiaire où il appelle ses supporters à marcher vers le Capitole, le siège du Congrès à Washington D.C. Et, à la fin de l’assaut, il fait un autre discours pour appeler ses mêmes supporters à arrêter la marche et à rentrer chez eux. Nous verrons donc successivement comment Donald Trump a contribué au déclenchement de l’assaut du Capitole, puis comment il y met fin.

Lors du rallye organisé le 6 janvier sous le slogan « Save America March » (Marche pour Sauver l’Amérique), Trump—accompagné de ses enfants et de ses alliés de la Maison Blanche—fait un speech appelant ses supporters à marcher sur le Capitole afin de perturber le processus constitutionnel de certification des résultats de l’élection présidentielle du 3 novembre 2020 au bout de laquelle Joe Biden a été élu président. Le but de cette marche est de convaincre les membres du Congrès que c’est Trump qui a gagné l’élection et que si Joe Biden a été déclaré gagnant, c’est parce qu’il y a eu fraude électorale. Trump compte notamment sur son Vice-Président Mike Pence, pour convaincre le Congrès que c’est lui, et non Biden, qui a été réélu.

Dans son discours mobilisateur, Trump commence par dire que « Nous sommes ici réunis, au cœur de notre « Capitole national », pour une seule et simple raison : sauver notre démocratie ». Et, pour justifier la marche—ou plutôt l’assaut—sur le Capitole, Trump dira : « Vous ne récupérez pas votre pays par la faiblesse. Vous devez montrer votre force et montrer que vous êtes forts ». Trump continue sa diatribe en déclarant : « We will never give up, we will never concede…You never concede where there is theft involved” (Nous n’abandonnerons jamais, nous ne concèderons jamais. Vous ne concédez jamais lorsqu’il y a un cas de vol). Il répète ensuite sa fameuse allégation selon laquelle il y eu fraude électorale : « Pendant des années, les démocrates s’en sont sortis vainqueurs grâce à la fraude électorale.

Les Républicains [à l’opposé] se sont toujours battus à la manière d’un boxeur dont les mains sont liées derrière son dos ». Il congratule ensuite ses supporters qu’il appelle à marcher, leur disant : « Vous êtes plus forts, plus intelligents…vous êtes les vrais citoyens qui ont construit cette nation ». Il les appelle alors à se battre : « Vous devez faire en sorte que vos gens se battent, et s’ils ne veulent pas se battre, nous devons les défier ». Il poursuit ses fausses allégations et informations comme par exemple : « Vous savez ce que le monde dit de nous : que nous n’avons pas d’élections libres et justes et que n’avons pas de presse libre et honnête…La presse est l’ennemi du peuple ». Il rappelle ensuite le but de sa diatribe : « We’re going to walk down, and I’ll be there with you. I’ll be watching” (Nous marcherons [sur le Capitole] et je serais là avec vous. Je serai là en train d’observer). Il s’en prend ensuite aux membres Républicains du Congrès qui s’aventureraient à certifier la victoire de Biden : « We get to get rid of the Weak Congress people…Let the weak ones get out, this is time of strength” (Nous devons nous débarrasser des membres faibles du Congrès…Qu’ils partent, ceci est le moment de la force). Il rappelle encore—car la répétion, souvent plusieurs fois, est une autre de ses stratégies—que l’élection a été volée par les démocrates : « Ne soyez pas dupes, cette élection a été volée à vous d’abord, à moi et au pays ». Il appelle encore une fois ses troupes à se battre férocement : « We fight, we fight like hell, and if you don’t fight, you are not going to have a country anymore” (Nous nous battons, nous nous battons comme en enfer, et si vous ne vous battez pas, vous n’aurez plus de pays du tout).

S’adressant à son Vice-Président, Mike Pence—dont la mission est de certificer, conformément à la Constitution, les résultats de l’élection—Trump dira d’un ton menaçant : « J’espère que vous serez du côté de ce qui bon pour notre pays. Et si vous ne le faites pas, je serai très déçu de votre part…J’espère que vous aurez le courage de faire ce que vous avez à faire ». Trump dira alors à ses supporters : « Be there, we’ll be wild” (Soyez là, nous serons sauvages). Il faut souligner que Donald Trump n’est pas seul dans cette aventure contre le Capitole. Ses enfants—qui ont tous des postes-clès à la Maison Blanche—et son avocat personnel Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York, y sont aussi impliqués. Par exemple, son fils aîné, Don Jr., s’adressant aux Républicains, leur dira : « [le Parti Républicain] n’est plus le parti des Républicains.

C’est le parti de Donald Trump ». Il ajoutera « qu’ils [les Républicains], peuvent être soit des héros, soit des zéros ». Il se fera encore plus menaçant lorsqu’il déclare : « Ces gens [les Républicains] ont intérêt à se battre pour Donald Trump…Vous savez, je serai dans votre jardin dans environ 2 mois ». Don Jr. fait ici allusion à la réélection des membres Républicains du Congrès que son père a l’habitude d’aider. Le ton virulent et menaçant de Don Jr. a fait dire à Jon Reinish, stratégiste démocrate basé à New York, que « Don Jr. is a more acidic version of his father. He is like gasoline on the fire » (Don Jr. est une version plus acide que son père. Il est comme l’essence sur le feu).

Son autre fils, Eric Trump, sera aussi virulent : « Nous vivons dans le plus grand pays du monde. Nous ne nous arrêterons jamais de nous battre…Nous devons marcher sur le Capitole ». Il ajoutera : « Je ferai personnellement tout pour combattre tout Sénateur républicain qui ne prendrait pas position pour cette fraude électorale. Ils seront « challengés » lors de leur prochaine élection et ils perdront ». Dans une interview qu’il a accordée à Sean Hannity de Fox News, Eric Trump dira : « Tout Sénateur ou autre membre du Congrès qui ne se battra pas demain [6 janvier] verra sa carrière terminée parce que le Mouvement MEGA [Make America Great Again, lancé par son père en 2016] n’ira nulle part, il demeurera ». Rudy Giuliani, ancien maire de New York, et avocat privé de Donald Trump, était également présent au rally « Save America March » et a été jusqu’à suggérer que cet assaut contre le Capitole soit ce qu’il appelle « A trial by combat » (Un tribunal par duel), un peu comme les duels que l’on voit dans les films Western où le survivant du duel est celui qui est déclaré gagnant.

Une fois l’assaut terminé, Donald Trump joue le pompier. Dans une vidéo tweetée, il tentera de calmer un peu les choses. Dans cette vidéo, Trump joue avec les mots—comme c’est aussi sa spécialité. Il commence par dire à ses supporters : « Je comprends votre peine, je sais que vous avez été affectés. On nous a volé l’élection. Ce fut une élection gagnée par nous de façon écrasante. Mais vous devez rentrer chez vous maintenant ». Trump ajoutera, pour flatter ses supporters et ses alliés Républicains, une information qui, en fait, est loin d’être vraie : « Rappelez-vous, nous sommes le Parti de la loi et de l’ordre » (We are the Parti of Law and Order). Il fait ensuite semblant de condamner les manifestants lorsqu’il dit : « Les manifestants qui ont infiltré le Capitole ont défié le siège de la démocratie américaine. A ceux qui ont commis des actes de violence et de destruction, vous ne représentez pas notre pays !. Et à ceux qui ont transgressé la loi, vous paierez ! ».

Trump terminera son discours d’accalmie en disant : « So, go home with love and in peace. Remember this day forever. So, go home, we love you. You’re very special » (Rentrez chez vous avec amour et paix. Rappelez-vous ce jour pour toujours. Allez chez vous, nous vous aimons. Vous êtes très spéciaux). Ainsi donc, après avoir encouragé ses supporters à marcher sur le Capitole et à tout faire pour modifier les résultats de l’élection du 3 novembre 2020, Trump leur dira « Nous vous aimons ». Ce jeu à double face de la part de Trump, Nancy Pelosi le caractérisera de la manière suivante : « On Wednesday [6 january, 2021], Trump incited a deadly insurrection against American démocracy that targeted the very heart of our democracy” (Le mercredi 6 janvier 2021, Trump a incité une insurrection fatale contre la démocratie américaine qui a ciblé le cœur-même de notre démocratie [le Capitole]).

Dans son discours d’accalmie, Trump avouera une chose qui est inhabituelle : avoir perdu l’élection. Voici comment il fait cet aveu à peine dissimulé : « A new administration will be inaugurated in January 20th. My focus now turns to ensuring a smooth, orderly and seamless transition of power” (Une nouvelle administration sera inaugurée le 20 janvier prochain. Mon attention maintenant c’est d’assurer une transition paisible, organisée et sans faille du pouvoir). Le moins qu’on puisse dire, c’est que Trump n’a aucune consistance et aucune continuité dans ses idées, ses décisions ou actes. Il se contredit constamment, que ce soit dans ses tweets, rallies ou conférences de presse qui, dit en passant, ont quasiment arrêté d’avoir lieu depuis plusieurs semaines.

Les effets sur la démocratie américaine et sur son rôle comme « modèle » dans le monde

Avant d’aborder les effets à moyen/long terme de l’attaque du Capitole—que certains appellent par plusieurs noms « insurrection », « sédition », « terrorisme domestique », etc—sur la démocratie américaine à l’intérieur et sur ce qui était jusqu’à ce jour perçu comme le « modèle » de la démocratie dans le monde, nous allons d’abord mesurer les dégâts humains et matériels de cette attaque sur la société et l’économie américaines.

Après avoir assisté au rally « Save America March » du 6 janvier, les supporters de Donald Trump ont marché sur Pennsylvania Avenue, l’avenue qui mène au Capitole, puis ont pénétré dans lebâtiment dans le but d’interrompre le processus de certification des résultats de l’élection qui a donné la victoire à Joe Biden sur Donald Trump. Lors de leur intrusion au Capitole, les manifestants ont brisé portes et fenêtres et détruit ou/et volé divers documents et vandalisé certaines salles ainsi que le mobilier qui s’y trouvait. Les membres du Congrès qui avaient entamé le processus de certification ont dû être évacués par les forces de sécurité qui les emmenés dans les sous-sols du bâtiment. Les dégâts matériels et moraux causés dans les différentes salles du Capitole ne sont pas encore évalués à ce jour, mais beaucoup disent qu’ils sont énormes. Cependant, ce sont surtout les conséquences humaines qui sont les plus notables : 5 morts dont 4 parmi les manifestants et 2 policiers (l’un des suites de ses blessures, l’autre par suicide) ; un nombre encore inconnu de manifestants blessés, dont 5 hospitalisés ; 56 agents de police du district de Washington blessés ; 60 policiers basés au Capitole blessés, dont 15 hospitalisés ; 80 manifestants arrêtés pour terrorisme domestique.

A la suite de cet assaut, plusieurs membres du cabinet de Trump ont démissionné pour indiquer leur mécontentement après ce qui s’est passé. Les premiers démissionnaires sont : Elaine Chao, Ministre des Transports et épouse du « Majority Leader » au Sénat, Mitch McConnell ; Betsy Devos, ministre de l’éducation ; Chad Wolf, ministre chargé de la Sécurité Intérieure ; Tyler Goodspeed, Chef du « Council of Economic Advisers » ; Stephanie Grisham, Directeur de bureau de la Première Dame, Melania Trump ; Anna Christina Niceta, Secrétaire aux Affaires Sociales ; Matthew Pottinger, Assistant-Conseiller à la Sécurité Nationale ; Mick Mulvaney, Envoyé Spécial en Irlande du Nord, etc.  A cela, il faut ajouter les démissions de plusieurs officiers de sécurité et de police: le Chef de la police du Capitole, Steven Sund ; le « Sergeant-in-Arms » du Sénat, Michael C. Stenger ; le « Sergeant-in-Arms » de la « House of Representatives », Paul D. Irving. Par ailleurs, Trump lui-même et certains membres de sa famille ont été privés de leurs comptes sur les media sociaux (Tweeter, Facebook, etc). Egalement, certaines grandes compagnies privées—qui avaient l’habitude de faire des donations aux membres du Congrès—ont arrêté de le faire. A la suite de tous ces évènements, les mesures de sécurité ont été renforcées à l’intérieur et à l’extérieur du Capitole.

Quels sont les effets de cette insurrection sur la démocratie américaine et sur l’image de cette démocratie dans le monde ? Au plan intérieur, cet assaut a eu pour effet de diviser la société américaine d’une façon jamais égalée entre les Républicains et les Démocrates. Cet assaut a aussi montré que les institutions et la démocratie américaine en général ne sont pas aussi solides que les Américains le pensaient, mais qu’en réalité, elles sont très fragiles. En particulier, le mythe selon lequel les services de sécurité et d’intelligence américains sont omnipotents et omniprésents a été brisé. Un autre mythe qui a été également brisé est celui selon lequel les Américains sont suffisamment éduqués et conscients pour distinguer entre le vrai et le faux, entre le mensonge et la vérité. L’assaut contre le Capitole a montré qu’il n’en est rien et qu’une grande partie de la société américaine—environ 75 millions, représentant grosso modo les supporters et l’électorat de Donald Trump—sont facilement manipulables et qu’ils croient tout ce que leur idole—ici Donald Trump—leur raconte. Ce que vont retenir les enfants américains de l’évènement du 6 janvier est que leurs politiciens et leurs leaders ne sont pas aussi sains (et saints) que ce que leur Constitution leur apprend et que ces leaders peuvent gouverner dans l’impunité, le mensonge et la ruse. Et lorsqu’ils réalisent que l’Etat de Droit (the Rule of Law) dans lequel ils ont toujours crû vivre n’existe pas vraiment et que leurs leaders politiques, à leur tête le Président de la République, se comporte comme un dictateur digne des dictateurs des Républiques Bananières et se considère au-dessus de la loi, ils finiront par ne plus avoir confiance en la politique et en leurs institutions. Ils sont tentés de dire : « Si le Président de la République ment et transgresse les lois, pourquoi pas nous ».

L’autre conséquence de cet assaut est l’érosion—voire la disparition—de l’image de l’Amériquedans le monde. Jusqu’à l’évènement du 6 janvier, l’Amérique était perçue par le reste du monde comme le « modèle » de démocratie « par excellence ». L’Amérique avait, jusqu’à ce jour, l’habitude « d’exporter » son modèle institutionnel et constitutionnel dans ce qu’on appelait alors, de manière euphémique, « democracy promotion » (promotion de la démocratie). Que ce soit par le biais des sections diplomatiques et économiques des ambassades à travers le monde ou des programmes développés par les universités et certaines ONG américaines, les principes démocratiques et les institutions américaines sont « enseignés » dans un grand nombre de pays à déficit démocratique qui croient que le modèle américain de gouvernance est idéal. Cependant, lorsqu’ils ont vu les images « live » de l’assaut contre le Capitole sur leurs écrans de télévisions le 6 janvier—la désacralisation du symbole-même de la démocratie américaine—les peuples du reste du monde ont commencé à mettre en question le « modèle » américain. Leur première réaction est de dire : « Vous voulez donner des leçons de démocratie au reste du monde alors que votre propre démocratie est en train de tourner en République Bananière ». En particulier, les pays à déficit démocratiques et les régimes autocratiques d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine vont se dire : « Puisqu’il n’y a plus de modèle de démocratie à imiter, nous pouvons donc poursuivre notre « démocratie à nous », c’est-à-dire l’autocratie avec son lot de répression, de censure de la presse et d’emprisonnements.  Après ce qui s’est passé le 6 janvier au Capitole, le reste du monde va penser que le « gendarme de la démocratie » du monde est en voie de perdre de sa force de conviction et de punition et que par conséquent ils peuvent appliquer le fameux dicton : « Quand le chat n’est pas là, les souris dansent ».

Conclusion

Nous avons vu tout au long de cet article que le « Coup d’Etat »–terme utilisé par beaucoup d’analystes politiques–qui a eu lieu le 6 janvier au Capitole, et qui a été inspiré et encouragé par le discours incendiaire du Président Trump et les déclarations des membres de sa famille et de son équipe à la Maison Blanche, notamment son avocat personnel Rudy Giuliani. Nous avons vu aussi qu’en dépit du discourts fait par Trump après « coup » visant, en apparence, et en apparence seulement, à tempérer les choses et à calmer ses supporters, les effets du « coup » sur la société américaine, sur la démocratie américaine à l’intérieur et dans le reste du monde ont été gigantesques.

Ces effets sont tellement importants au niveau national que des rapports du FBI et des services d’intelligence américains—sur la base des tweets et messages postés sur les média sociaux et autres media—prévoient que des « coups similaires » auront lieu entre le 16 janvier et le jour d’inauguration du nouveau Président Joe Biden, le 20 janvier. Ces émeutes sont prévues d’avoir lieu non seulement au Capitole à Washington D.C, mais dans les Capitoles des 50 Etats des Etats-Unis. Après la diffusion de cette information, les services de sécurité et de police américains ont relevé le niveau de risque et de menace posés par ces annonces. Cependant, en dépit de ces mesures de renforcement de la sécurité, les Américains sont toujours anxieux, et pour cause. Car, dans sa déclaration du 12 janvier, le Président Trump continue de propager ses fausses allégations et ses « conspirational theories » habituelles, notamment celle selon laquelle l’élection du 3 novembre 2020 lui a été « volée » (« stolen », selon son expression) et croit que ce « vol » aura des conséquences au niveau national dans un avenir proche, faisant référence, sans aucun doute, aux émeutes prévues d’avoir lieu d’ici le 20 janvier. Entre temps, trois issues à la crise actuelle ont été suggérées. La première est la démission du Président Trump, ce qui est hautement improbable, connaissant son ego et son narcissisme aigus.

La deuxième issue serait que le Vice-Président Mike Pence—après avoir réuni la majorité du cabinet gouvernemental—invoque le 25è amendement de la Constitution qui prévoit la destitution du Président en cas d’incapacité de gouverner. Cette solution a été recommandée par le Congrès, mais refusée par Mike Pence. La troisième possibilité est « l’impeachment » du Président Trump par le Congrès, ce qui ferait que Trump serait « impeached » deux fois durant son terme, du jamais vu dans les annales de l’histoire présidentielle américaine. Cette solution est hautement probable et un vote sur « l’impeachment » par le Congrès est même prévu pour le mercredi 13 janvier. Il reste toujours la question : « Que fera Donald Trump entre maintenant et le 20 janvier : décidera-t-il de se « pardonner » lui-même et de pardonner les membres de sa famille, ce que lui reconnaît la Constitution ? Déclenchera-t-il un conflit avec un des pays dits « axes of evil » comme l’Iran, la Corée du Nord ou la Russie? ». « Those are the questions ».


   Par Arezki Ighemat, Ph.D en économie, Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)


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Un ancien officier de renseignement canadien dévoile les dessous de «l’insurrection» à Washington

Par 

Insurrection, terrorisme, coup d’État… autant de termes évoqués pour décrire la prise d’assaut du Capitole, à Washington, le 6 janvier dernier. Sont-ils pertinents? Au micro de Rachel Marsden, Phil Gurski, ancien officier de renseignement canadien, décortique cet incident qui a choqué le monde.

Ce qui s’est passé à Washington, DC, la semaine dernière, quand une foule de partisans survoltés de Trump a pris d’assaut le Capitole, suscite des questions.

La sécurité des bâtiments comme le Capitole est normalement celle d’une forteresse, semblable à ce que l’on trouve dans les aéroports. L’idée que les forces de l’ordre et la sécurité n’ont pas pu contenir une foule et l’ont laissé entrer directement dans la rotonde du Capitole est ahurissante, sans même parler du fait que des gens ont pu accéder aux bureaux privés des membres du Congrès, y compris celui de la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi. 

Alors, comment l’expliquer? Qui est responsable de ce fiasco? Et ce dont nous avons tous été témoins à travers les images diffusées dans le monde entier peut-il vraiment être qualifié de terrorisme ou d’insurrection?

Phil Gurski, président de Borealis Threat and Risk Consulting au Canada, qui a travaillé au sein des services canadiens de renseignement pendant plus de 30 ans, dont 15 ans avec le Service Canadien du Renseignement de Sécurité, réagit a l’événement:

«S’il y en a qui n’ont pas pris au sérieux le problème de l’extrême droite aux États-Unis, qui pensaient que le terrorisme était seulement quelque chose qui est mené par les islamistes, les djihadistes, maintenant ils savent que c’est faux. Toute personne devrait accepter le fait que la menace violente de certaines personnes qui se disent de l’extrême droite est réelle et que ça va continuer.»

Le FBI n’implique pas les Antifas dans les événements violents du 6 janvier à Washington. Affaire classée? Phil Gurski ne croit pas non plus à cette hypothèse:

«Étant donné que j’ai travaillé au sein des renseignements pendant plus de trente ans, je ne dis jamais que c’est impossible. Il y a toujours une possibilité. Mais de ce que j’ai vu jusqu’ici, je n’ai rien vu [qui permette de dire, ndlr] que c’était probable ou même sûr qu’il y ait eu quelques partisans des Antifas, qu’ils aient infiltré l’émeute et la foule le 6 janvier. Selon moi, c’est une tentative de dévier le débat de l’extrême droite en incluant la possibilité qu’ils fussent d’extrême gauche.»


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