Biélorussie : la révolution de couleur est mort-née

                                                    Par B.
   Paru sur Moon of Alabama sous le titre Belarus – This Color Revolution Is Already Dead. The Union State Has Killed It.

Minsk, ce dimanche. Une manifestation géante s’est tenue dans la capitale du pays. AFP/Sergei Gapon

 

La tentative de révolution de couleur en Biélorussie, que nous avions prévue en juin dernier, a évolué au cours de la semaine dernière. Mais les événements actuels nous disent qu’elle sera bientôt terminée.

Alors que le président Alexandre Loukachenko affirmait avoir remporté 80 % des voix lors de l’élection de dimanche dernier, la candidate « occidentale » Svetlana Tikhanovskaya a déclaré avoir gagné. (Si ces 80 % sont certainement trop élevés, il est très probable que Loukachenko ait été le véritable vainqueur). Des protestations et des émeutes ont suivi. Mardi, Mme Tikhanovskaya s’est vue dire en termes très clairs de quitter le pays. Elle s’est retrouvée en Lituanie.

Au cours de la semaine, plusieurs émeutes nocturnes ont été réprimées par la police. Plusieurs manifestants ont été « malmenés ». Les vidéos de ces incidents ont été utilisées par les « journalistes occidentaux » habituels comme exemple de violences policières. C’est comme si aucun de ces scribes au service de l’empire n’avait jamais observé la réaction de la police « occidentale » lorsque des bouteilles et des feux d’artifice lui sont lancés.

Dans une interview de Strana.ua, deux employés du ministère de l’intérieur biélorusse ont expliqué leur point de vue sur la situation (traduction automatique révisée) :

Le commandement a informé à plusieurs reprises le personnel que des provocateurs étrangers préparent des émeutes. Il s’agit de l’Amérique, de la Pologne, des pays baltes et de l’Ukraine. La Russie n’a pas non plus besoin d’un président fort au Belarus ; ils veulent mettre leur propre homme à la place de Loukachenko. Il se trouve que la Biélorussie est devenue, pour tous ses voisins, comme un os en travers de la gorge. Ils n’aiment pas Loukachenko parce qu’il ne laisse pas entrer les oligarques occidentaux ou russes dans le pays. Oui, et les locaux ne sont pas autorisés à relever la tête. Pour cela, tout le monde ne l’aime pas et cela rend l’atmosphère très confuse ».

« Avez-vous vu qui est venu et s’est tenu devant nous pendant la phase chaude des émeutes de lundi ? Ce sont des enfants de riches citadins, des enfants de riches un peu trop bien nourris. Ce sont des garçons, des jeunes qui ont perdu leurs repères, qui ne comprennent pas du tout ce qu’ils veulent. La plupart de mes collègues sont des gars qui viennent des villages. Et ils se souviennent que leurs parents ont connu des moments difficiles dans les années 90, jusqu’à ce que Luka vienne mettre fin au désordre. Aujourd’hui, nous ne vivons pas dans la richesse, mais nous ne sommes pas pauvres non plus. Mais beaucoup n’apprécient pas cela ».

Quoi qu’il en soit, on a dit à la police de calmer les choses. Ils ne l’ont pas bien pris (traduction automatique révisée) :

Personne ne veut être malmené comme l’ont été les Berkouts en Ukraine. Nous nous souvenons de leur sort. Nous avons un ordre, nous l’exécutons. Tout notre peuple comprend que si ces enfants de riches et leurs maîtres arrivent au pouvoir, nous serons pendus à des poteaux. On nous accuse de frapper les gens. Ils n’ont pas frappé les gens, mais ils ont exécuté les ordres, les commandants leur ont dit à l’avance – d’agir avec fermeté. Nous avons travaillé. »

Les Berkouts étaient la force de police ukrainienne qui avait été faussement accusée d’avoir tiré sur les manifestants lors du coup d’État du Maïdan en 2014, et qui a été démantelée par la suite.

Il ne semble pas y avoir beaucoup d’enfants de riches citadins à Minsk. Tout au long de la semaine, les groupes de manifestants en Biélorussie étaient plutôt réduits. Les médias « occidentaux » ont poussé les chiffres à la hausse et ont parlé d’une manifestation nationale lorsque vingt femmes se sont tenues sur un trottoir à Minsk. Les photos peuvent raconter la vérité dans de telles situations. Certains observateurs ont été très excités lorsque quelques 200 employés de l’usine de tracteurs MTZ de Minsk ont organisé une courte manifestation. Mais MTZ Minsk Tractor Works compte 17 000 employés.

La photo ci-dessous a été prise et publiée vers midi, heure locale, avant-hier. Ce devait être la principale manifestation de la journée à Minsk. Un samedi matin, par un temps magnifique, seules quelques 2 000 personnes se sont déplacées. Minsk compte environ 2 millions d’habitants. Les « gosses de riches citadins » sont venus. Et presque personne d’autre.

Nexta est, au passage, le canal de communication central utilisé dans cette tentative de révolution des couleur. Mardi dernier, un autre rapport de Stana.ua a donné quelques détails sur son fonctionnement (traduction automatique éditée) :

Le principal fournisseur de nouvelles des rues de Minsk et d’autres villes du Belarus est la chaîne Nexta Live. Aujourd’hui, elle a franchi la barre du million d’abonnés, bien qu’elle n’ait été largement citée qu’au moment du début des affrontements dans les rues de la capitale.

Elle a une chaîne sœur, Nexta, qui compte un demi-million d’abonnés. Les deux sites se transmettent principalement des messages. Mais la chaîne de base est celle dont le nom comporte le suffixe Live. Les vidéos de terrain y paraissent.

Et surtout, c’est là que sont publiés les plans d’une manifestation – à quelle heure et où se réunir pour un rassemblement, quand commencer une grève, etc.

24 heures sur 24, et surtout pendant les rassemblements nocturnes de l’opposition, ce public est mis à jour à raison de plusieurs messages par minute. Il s’agit pour la plupart de vidéos et de photos exclusives provenant directement des foyers de protestation.

En plus des vidéos, la chaîne coordonne constamment les actions des manifestants. On leur parle des mouvements de la police anti-émeute, et les sympathisants sont informés de la manière d’abriter des manifestants.

Une autre fonction de la chaîne est d’appeler constamment à sortir et d’encourager les attaques contre les policiers.

Le tout premier jour des manifestations, Nexta a été marquée par un message enthousiaste, « Les gens attaquent la police anti-émeute », comme si les agents des forces de l’ordre n’étaient pas des personnes.

Nexta est dirigée par des « activistes » pro-occidentaux anti-Loukachenko en Pologne. Le rédacteur en chef en est un certain Roman Protasevich. Il était auparavant journaliste pour Euroradio, un organe financé par la Pologne et la Lituanie, ainsi que pour Radio Liberty de la CIA. Nexta a été fondée par Stepan Putila, qui travaillait auparavant pour la chaîne polono-biélorusse Belsat, basée à Varsovie et financée par le ministère polonais des affaires étrangères. Tous deux vivent actuellement à Varsovie.

Comme ces médias produisent de nouvelles vidéos 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et publient de nombreux messages en ligne, il faut une équipe importante derrière Nexta, en Pologne comme sur le terrain en Biélorussie. Ce n’est certainement pas une opération de pacotille et elle est certainement soutenue par des nations. L’ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale d’Obama a laissé peu de doutes quant à l’identité de ceux qui sont derrière ce jeu.

(Tweet : « Les Américains doivent reconnaître que la lutte contre Loukachenko en Biélorussie est notre combat. Il fait partie de l’espèce qui a ravagé les États-Unis, la Russie, la Turquie, la Hongrie, Hong Kong, le Brésil, Israël, l’Égypte, les Philippines, le Zimbabwe et d’autres. Nous avons besoin d’une solidarité soutenue en réponse. »)

Ni l’UE, ni les États-Unis n’ont reconnu la victoire électorale de Loukachenko. Tous deux veulent clairement le voir partir. Il est question de sanctions.

Même les médias russes s’étaient prononcés contre lui :

(Tweet : « A en juger par les médias russes ce matin, cela ne s’annonce pas bien pour Alexandre Loukachenko :

– La question n’est plus de savoir s’il va partir, mais quand ».

– « Le cauchemar de Loukachenko devient réalité »

– « Difficile de voir comment il peut retourner les événements en sa faveur »)

Cela ne va pas bien pour Loukachenko. Il pourrait mettre un terme aux manifestations, mais il sait que le jeu va alors s’intensifier et que cela ne se terminera pas bien. Il a clairement besoin d’aide. Si le président russe Poutine et le président chinois Xi l’avaient tous deux félicité, aucun des deux n’a intérêt à le maintenir en fonction.

Que pourrait-il offrir ?

L’opération ukrainienne visant à simuler une menace de « coup d’État russe » au Belarus en attirant 32 anciens combattants de l’unité Wagner dans le pays avait échoué [le 7 aout dernier, NdT]. Mais les hommes étaient toujours emprisonnés en Biélorussie.

Vendredi dernier, ils ont été ramenés chez eux par un vol spécial de l’armée de l’air biélorusse. Ce vol a permis de préparer le terrain en vue de pourparlers avec la Russie.

Tôt samedi, Loukachenko est passé à la phase suivante. Il a averti publiquement [dépêche Reuters, NdT] qu’un danger pour la Biélorussie serait aussi un danger pour la Russie :

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko a déclaré samedi qu’il voulait parler au président russe Vladimir Poutine, avertissant que les manifestations de rue ne constituaient pas seulement une menace pour la Biélorussie.

« Il est nécessaire de contacter Poutine afin que je puisse lui parler maintenant, parce que ce n’est plus seulement une menace pour le Belarus », a-t-il déclaré, selon l’agence de presse d’État Belta.

« Défendre la Biélorussie aujourd’hui n’est pas moins que défendre notre espace tout entier, l’Union de la Russie et de la Biélorussie, et d’être un exemple pour les autres … Ceux qui descendent dans les rues, la plupart d’entre eux ne comprennent pas cela ».

Le mot-code dans le message public était « Union de la Russie et de la Biélorussie ». Quand j’ai lu ces mots, j’ai souri. Loukachenko déteste l’idée d’une union de la Russie et de la Biélorussie. Samedi, il l’a souligné. C’était une offre.

En 1999, la Russie et le Belarus ont signé un traité visant à former une Union de la Russie et de la Biélorussie. Ce traité prévoit une libre circulation, une défense commune et une intégration économique, ainsi qu’un parlement de l’Union. Mais depuis lors, Loukachenko a traîné les pieds sur cette question. À la fin de l’année dernière, Poutine a de nouveau fait pression sur lui pour qu’il exécute enfin l’accord. Lorsque Loukachenko a rejeté cette proposition, Poutine a coupé les ponts économiques du pays avec la Russie. La Biélorussie n’a plus reçu le pétrole russe subventionné qu’elle pouvait raffiner et vendre au prix du marché à l’ « Ouest ». Loukachenko a alors essayé de s’acoquiner avec l’ « Occident ».  Il a acheté du pétrole de schiste américain. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo est allé à Minsk. En mars, les États-Unis ont rouvert leur ambassade en Biélorussie.

Mais maintenant, l’ « Occident » que Loukachenko avait essayé de dorloter essaie de le faire tuer. Chaque ambassade américaine est aussi une base pour des changement de régime américains. Il aurait bien mieux valu pour lui qu’il n’y en ait pas dans son pays.

Comme il est la cible d’une opération de changement de régime menée par les États-Unis, et avec la pression économique à venir, Loukachenko avait évidemment besoin d’aide. Samedi, il s’est enfin rendu compte de la situation et a capitulé devant Moscou sur la question de l’Union de la Russie et de la Biélorussie.

Il n’a pas fallu longtemps à Poutine pour réagir. Environ 6 heures après la publication de la dépêche de Reuters ci-dessus, le Kremlin a publié une note sur une conversation téléphonique avec le président du Belarus Alexandre Loukachenko (gras ajouté) :

Vladimir Poutine a eu une conversation téléphonique avec le président de la République de Biélorussie Alexandre Loukachenko, à l’initiative de la partie biélorusse.

Alexandre Loukachenko a informé Vladimir Poutine des développements qui ont suivi l’élection présidentielle en Biélorussie. Les deux parties ont exprimé leur confiance dans le fait que tous les problèmes existants seront bientôt réglés. L’essentiel est d’empêcher que des forces destructrices n’utilisent ces problèmes pour porter atteinte aux relations mutuellement bénéfiques des deux pays au sein de l’Union de la Russie et de la Biélorussie.

En ce qui concerne le retour en Russie de 32 personnes précédemment détenues en Biélorussie, une évaluation positive a été donnée à la coopération étroite des agences compétentes à cet égard.

Ils ont également convenu de poursuivre des contacts réguliers à différents niveaux et ont réaffirmé leur engagement à renforcer leurs relations de pays alliés, ce qui répond pleinement aux intérêts fondamentaux des nations fraternelles de Russie et de Biélorussie.

Il me semble que Poutine a accepté l’accord. Loukachenko et sa police ne seront pas pendus à des poteaux. La Russie s’occupera du problème et l’Union de la Russie et de la Biélorussie sera enfin établie.

Cela ne signifie pas que la tentative de révolution de couleur est terminée. Les États-Unis et leur laquais, la Pologne, ne vont pas simplement faire leurs valises et partir. Mais avec le soutien total de la Russie assuré, Loukachenko peut prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux émeutes.

Cette annonce indique à l’OTAN que c’est fini :

(Tweet : « Loukachenko révèle les détails de sa conversation téléphonique avec Poutine : « Nous avons un accord avec la Russie sur la sécurité collective… et nous avons convenu : si nous le demandons, une assistance complète pour assurer la sécurité au #Belarus nous sera fournie. »)

C’est le soutien dont il avait besoin. Tout l’espoir des États-Unis et de l’OTAN de mettre d’une manière ou d’une autre le Belarus sous leur contrôle s’est envolé.

Loukachenko devrait maintenant commencer par fermer les 34 projets et organisations que la National Endowment for Democracy  finance dans son pays [La NED, une ONG financée par l’État US, est la principale courroie de transmission du Département d’État américain à l’étranger, NdT]. Les personnes impliquées dans ces projets, probablement de nombreux « gosses de riches », devraient être surveillées.

Pour l’instant, la principale question est de stabiliser la situation locale. La Russie, en tant que superpuissance, a certainement les moyens d’y contribuer. La Biélorussie est maintenant sous sa pleine protection.

Dans un an, lorsque l’ l’Union de la Russie et de la Biélorussie sera enfin établie, Loukachenko pourra démissionner pour des raisons de santé et prendre sa retraite. De nouvelles élections libres pourront alors être organisées.

Traduction Entelekheia
Photo : manifestation « monstre » à Minsk / Twitter, thread de Ben Norton


 

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