L’Algérie en marche vers le BRICS

       

Par le Pr Baddari Kamel (*)

Le président de la République M. Abdelmadjid Tebboune a évoqué la possible adhésion de l’Algérie au groupe du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), lors de sa rencontre périodique avec la presse nationale diffusée dimanche 31 juillet 2022 sur les chaînes de télévision et les stations radio nationales. «L’Algérie satisfaisait, en grande partie, aux conditions d’adhésion au BRICS», a indiqué le président de la République. «Faire partie de ce groupe mettrait l’Algérie, pays pionnier du non-alignement, à l’abri des tiraillements entre les deux pôles», a-t-il dit. Et d’ajouter : «L’Algérie s’intéresse au BRICS en ce qu’il constitue une puissance économique et politique.»
Rejoindre le BRICS donnera à l’Algérie une impulsion dans ses relations économiques avec tous les pays de l’alliance. Cette ligne correspond à la position géographique de l’Algérie et à ses caractéristiques économiques, culturelles et civilisationnelles.
À travers le BRICS, l’Algérie vise à prendre place parmi les acteurs de la gouvernance mondiale, et à atteindre, entre autres, des objectifs à différents niveaux.
Au niveau national : augmenter les capacités de l’économie, partager les connaissances, accéder aux nouvelles technologies, former des générations créatives. Au niveau régional : rechercher le soutien du BRICS pour faire avancer l’agenda à l’échelle maghrébine, méditerranéenne, arabe, africaine. Au niveau international : participer pleinement à la croissance mondiale, obtenir un soutien plus large pour la constitution d’un nouvel ordre économique mondial, réformer les institutions financières internationales, réformer les Nations unies et contribuer à la création d’un monde plus juste et équitable.

Qu’est-ce que le BRICS ?
Le BRICS doit son abréviation à Goldman Sachs Jim O’Neill, l’économiste britannique et professeur émérite de l’Université de Manchester . Le 20 novembre 2001, dans l’un de ses articles analytiques «Le monde a besoin de meilleurs BRICs», il a réuni les économies les plus prometteuses du monde en un bloc, qu’il a appelé BRIC, qui correspond au mot anglais brick. Il a écrit que ces quatre États (le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine) devaient devenir les «briques» de la croissance de l’économie mondiale. Le nouveau nom est devenu monnaie courante pour les sociétés qui investissent dans les économies de ces quatre pays. L’histoire du BRICS commence le 16 juin 2009 à Ekaterinbourg, où les dirigeants de ces quatre grands pays se sont réunis pour leur premier sommet. Les 13 et 14 avril 2011, dans la station balnéaire chinoise de Sanya, située sur l’île de Hainan, lors du troisième sommet, l’Afrique du Sud a officiellement rejoint le BRIC. Depuis lors, le groupe est connu sous le nom de BRICS.
La Chine et la Russie sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, ces pays, ainsi que l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud participent aux travaux du G20. L’Afrique du Sud joue un rôle de premier plan sur le continent africain. Le Brésil est le leader incontesté de l’Amérique latine. L’Inde et la Chine sont les deux pôles de l’Asie, la Russie occupe une position eurasienne unique, ses intérêts sont à la fois en Europe et en Asie.
Le rôle croissant du BRICS dans l’économie mondiale est déterminé par de nombreux facteurs, parmi lesquels la puissance économique des Cinq. La population combinée des États du Brics est d’environ 3,23 milliards de personnes, soit plus de 40% de la population mondiale. La population des pays du BRICS devrait augmenter de 625 millions entre 2000 et 2026, la plupart vivant en Inde et en Chine. En termes de solidité économique (https://www.statista.com/statistics/254281/gdp-of-the-bric-countries/), en 2020, le PIB total des pays du BRICS s’élevait à 25% de celui du monde (21 000 milliards de dollars) et leur part dans le commerce international était de près de 20% (6 700 milliards de dollars).
En 2021, le PIB combiné du BRICS était estimé à 23 500 milliards de dollars. Les pays du BRICS représentent 19% des exportations mondiales de marchandises, 16% des importations mondiales de marchandises, 19% des investissements directs intrants et presque autant d’investissements directs extrants. Il est prévu que d’ici à 2030, la part des Cinq dans le commerce mondial dépassera la part combinée des États-Unis et des pays européens, atteignant 37%.

Bref rappel des tendances et des faits
Au cours du XXe siècle, plusieurs étapes peuvent être distinguées dans le développement de l’économie mondiale. La première étape au premier tiers du siècle —1900-1940 —, influencée par la Première Guerre mondiale et par la plus grave crise économique du XXe siècle, provoquée par le krach boursier de Wall Street aux USA, «le Jeudi noir» 24 octobre 1929 en raison d’une surproduction de biens et du manque de masse monétaire pour l’achat de ces mêmes biens, ainsi que par la révolution russe, qui a instauré le régime bolchévique, qui prendra le nom d’URSS (Union des Républiques socialistes soviétiques), le 29 décembre 1922. La deuxième étape — 1940-1945 —, après la Seconde Guerre mondiale, la formation de deux systèmes économiques polaires s’est accélérée : le système des pays capitalistes (économie de marché, propriété privée des moyens de production) et le système des pays socialistes (économie centralisée, propriété publique des moyens de production). Les USA et l’URSS ont créé leurs propres sphères d’influence, en les sécurisant avec des blocs militaro-politiques (OTAN et Pacte de Varsovie).

La confrontation entre les deux systèmes s’est accompagnée d’une course aux armements conventionnels et nucléaires. Une guerre froide a commencé. L’expression de «guerre froide» a été utilisée la première fois par George Orwell, le 19 octobre 1945, dans l’article «You and the Atomic Bomb» publié dans l’hebdomadaire britannique Tribune. Presque simultanément avec la création de l’ONU, le 22 juillet 1944, le système économique de Bretton Woods, qui applique les accords du général White, a été créé. Il était basé sur un rattachement du système monétaire mondial au dollar, seule monnaie à être désormais convertible en or. Pour la première fois, des organes de gestion économique supranationaux non étatiques ont été formés, en particulier le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale le 27 décembre 1944, dont les principaux objectifs sont l’application des accords de Bretton Woods. Ces deux institutions financières sont situées à Washington, promue capitale du nouvel ordre monétaire international.
La troisième étape, située entre les années 1946 -1970, est marquée par le processus de libération des peuples d’Asie et d’Afrique de la domination coloniale. Les anciens pays colonisés sont appelés pays en développement ou pays du tiers-monde, bien que, jusqu’à présent, ces pays soient dépendants de la situation économique des pays industrialisés. Les USA, le Japon et l’Allemagne ont connu un développement économique sensible, le yen et le mark acquièrent le statut de monnaies internationales avec le dollar américain. Dans les années 1970, les pays occidentaux étaient confrontés à plusieurs crises économiques.
L’État «providence» mis en place par les sociaux-démocrates et les libéraux, prônant l’intervention active de l’État dans la vie économique pour le bien-être général, a cessé de faire face à sa mission. Ainsi, des groupes politiques conservateurs sont entrés dans l’arène du pouvoir.
Appelés néoconservateurs, ils ont mené des réformes basées sur le retour aux «valeurs libérales» par la privatisation des biens de l’État , la réduction des impôts et le rejet de toute forme de solidarité sociale qui sapait les fondements de la concurrence marchande.
En ce sens, le G7 des pays anciennement industrialisés est un produit de la crise économique des années 1970. La quatrième étape, la fin des années 1980 et le début des années 1991, correspond à l’effondrement du système de production socialiste et la chute de l’URSS le 26 décembre 1991, lorsque le drapeau soviétique a été abaissé et le drapeau russe a été hissé au-dessus du Kremlin pour la première fois.

La désintégration des pays qui constituaient le système socialiste mondial a ensuite conduit à la désintégration de leurs organisations internationales — le Comecon (Conseil d’assistance économique mutuelle) et le Pacte de Varsovie. In fine, le système capitaliste mondial a pris un caractère planétaire. Deux processus multidirectionnels se sont produits dans le monde : d’une part, l’internationalisation et l’intégration des liens économiques dans le monde capitaliste, d’autre part, la désintégration des États multinationaux et la formation d’États nationaux sur le territoire de l’Europe centrale et du Sud-Est. Au demeurant, l’opposition à l’idéologie capitaliste a perdu son appui, se transformant en un discours absolument marginal, et les États qui ont continué à défendre l’idéologie socialiste ont soit progressivement dérivé vers des relations économiques libérales, soit ont été qualifiés par les puissances occidentales d’États voyous, isolés par la société internationale. La quatrième étape est caractérisée par l’activation des structures d’intégration économique. Un accord a été signé dans la ville de Maastricht (Pays-Bas), qui a jeté les bases de l’Union européenne (UE) en 1992, l’Espace économique européen (EEE) en 1994. Le progrès scientifique et technique joue un rôle décisif dans le développement des relations économiques mondiales. En général, la part des dépenses scientifiques dans l’économie mondiale était en 1980 de 1,9%, 1990, 2%, et actuellement plus de 3%.

Aujourd’hui, le maintien de l’ordre mondial est facilité grâce à diverses institutions multilatérales : l’ONU, le FMI, la Banque mondiale, l’UE, le G20, le G7, etc. Encore aujourd’hui, la domination du dollar sur les marchés financiers aide les USA à maintenir leur position d’hégémonie économique, mais leur permet également d’employer l’arme des sanctions économiques pour punir leurs adversaires. Cependant, ce rôle exceptionnel du dollar a conduit certains pays, dont la Russie et la Chine, à rechercher un nouveau système financier qui dépouillerait la monnaie verte. Est-ce vraiment possible de faire cela ? L’avenir du rôle international du dollar dépendra de son utilisation dans les systèmes monétaires nationaux de nombreux pays.

L’Algérie, des atouts exceptionnels
Rejoindre le BRICS constitue un moyen pour l’Algérie d’être considérée comme un pays émergent à part entière, doté de surcroît d’une performance économique, de bonne gouvernance, de stabilités politique et démocratique, ainsi que d’activisme diplomatique crédible. Laissons les chiffres parler.
Le pays possède le deuxième plus long réseau autoroutier après l’Afrique du Sud. Il possède l’un des réseaux de chemin de fer les plus développés d’Afrique qui s’étend sur 4 498 km parcourant le sud, le nord, l’est et l’ouest du pays, et possédant plus de 350 km électrifiés (source : site SNTF). L’Algérie est le pays le moins inégalitaire en Afrique (source : Pnud-2019). L’Algérie est le pays le plus avancé d’Afrique à l’indice du développement humain (source : https://www.populationdata.net/palmares/idh/afrique/2019).
À noter, au passage, que cet indice de synthèse «mesure la longévité, la santé, le niveau d’éducation, le niveau de vie, l’inégalité entre les genres». L’Algérie possède 20% des réserves minières mondiales à valoriser, a estimé l’expert en énergie Ali Kefaifi (https://news.radioalgerie.dz/fr/node/9315).

L’Algérie est fière de son armée qui est la deuxième puissance militaire d’Afrique (source : Global Fire Power – 2021), disposant d’une puissance de frappe considérable, consacrée à la défense du territoire national. Si les atouts que possède l’Algérie venaient à être valorisés à leur juste mesure, ils feraient du pays une puissance incontestable en raison de sa position géostratégique unique, de l’énorme potentiel de son économie, de l’engouement de sa jeunesse, de son territoire qui fait d’elle le plus grand pays de l’Afrique et de la Méditerranée et le dixième au niveau mondial, de sa position géostratégique à la croisée du monde arabe, de l’Afrique et de l’Europe, de l’étendue de ses côtes avec la Méditerranée (1 622 km), de da position géographique (elle est limitrophe à sept pays : Tunisie, Libye, Niger, Mali, Mauritanie, Sahara occidental et Maroc).
Ces atouts feront d’elle une véritable puissance politique et économique capable d’agir de façon décisive en faveur de la paix, et de s’intégrer dans le BRICS pour multiplier ses échanges commerciaux et économiques avec tous les continents. Parmi ses atouts, nous citons également la jeunesse de sa population. En effet, les jeunes de moins de 35 ans représentent les 2/3 de sa population, souvent de niveau universitaire car, chaque année, l’enseignement supérieur délivre plus de 350 000 diplômes. Certains ont même constitué une diaspora souvent bien formée qui fait le bonheur des laboratoires de recherche étrangers, et qui garde un attachement au pays d’origine. Si le pays ne s’adosse à l’étape actuelle que sur les hydrocarbures, la tendance est vers la diversification.
Il possède d’autres filières qui ne demandent qu’à être valorisées comme les mines, les énergies vertes qui forment le plus grand gisement solaire du bassin méditerranéen, l’agroalimentaire, l’agriculture, l’élevage, la pêche, le tourisme… L’Algérie compte, par ailleurs, de véritables entrepreneurs qui portent une réelle volonté de réforme et de progrès, capables de transcender les obstacles pour transformer la face de l’Algérie dans le respect des lois de la République.

Conclusion
L’intégration de l’Algérie dans le BRICS en fait un acteur incontournable, qui marquera ce siècle et insufflera un nouvel ordre sur la scène internationale. Dans le contexte du BRICS, il y a plusieurs défis qui demandent à notre pays de les relever simultanément : la diversification de l’économie pour réduire l’indépendance du pays à la rente pétrolière, l’investissement dans la recherche pour s’approprier les nouvelles technologies, l’investissement dans l’industrie d’avenir, la sauvegarde de l’environnement, la refonte de l’école et de l’administration, le développement de sa capacité à attirer des capitaux, l’espoir pour les jeunes de vivre ensemble dans la diversité…
B. K.

(*) Professeur des universités. Université Mohamed-Boudiaf, M’sila.
Courriel : [email protected]

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