Carlos Ruiz Miguel, chercheur universitaire, et grand expert du Sahara Occidental :« Pedro Sanchez poursuit une politique irrationnelle, folle et nuisible aux intérêts espagnols »

 

 

 

        Carlos Ruis Miguel est un grand expert du Sahara Occidental. Dans cet entretien décapant, il ne va pas par plusieurs chemins pour dire son fait à Pedro Sanchez avec sa politique folle et irrationnelle, allant jusqu’à supposer qu’il pourrait être la victime d’un chantage marocain. Quant à ce Maroc, qui traine sa peur-panique du référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, celui-ci risque de voir ses prétentions colonialistes et d’annexion fortement contrariées grâce au conflit ukrainien, lequel lui a grandement « porté préjudice ». les données et les rapports de force changent foncièrement au sein du conseil de sécurité. Le tournant en est décisif et historique pour la question sahraouie. Un possible veto russe sur le Sahara Occidental pourrait advenir bien plus tôt que d’aucuns ne le pensent.

 

« Les forces marocaines sont concentrées autour de ce mur. Cela rend plus facile la possibilité pour les soldats sahraouis, mobiles et insaisissables, de toucher les troupes occupantes marocaines ».

 

« Après deux ans, depuis la reprise du conflit armé, le Maroc n’a pas réussi à reprendre un seul pouce de terrain supplémentaire ».

« Du point de vue rationnel, nous ne trouvons aucune explication rationnelle à cette lettre signée par Pedro Sanchez, mais qui n’a pas été écrite par lui. Donc, en l’absence de la moindre explication rationnelle, il faut envisager d’autres hypothèses. Or, parmi ces hypothèses, il y a le chantage, bien sûr ».

 

« Le Parlement espagnol a déjà désavoué deux fois la politique menée par le président du gouvernement sur le Sahara Occidental ».

 

«  Pedro Sanchez poursuit cette politique irrationnelle, folle, qui est extrêmement nuisible aux intérêts espagnols. Elle ignore et méprisent le Parlement espagnol. Pis encore. Ce mépris concerne aussi tout le staff gouvernemental, puisque la cette fameuse lettre n’a pas non plus été approuvée par le gouvernement, tel qu’exigé par la constitution ».

 

« Le gouvernement exerce un contrôle très fort sur les médias espagnols, presse écrite, radios et télés confondus. Il fait cela avec l’aide du puissant lobby marocain, et les énormes sommes d’argent que celui-ci brasse en Espagne ».

 

« L’arrêt rendu par la Cour de justice européenne en faveur du Front Polisario est à mon avis un évènement majeur et décisif ».

 

« Le Maroc panique face au référendum. Car il sait pertinemment que la population sahraouie ne veut pas être marocaine ».

 

« Le Maroc panique face au référendum. Car il sait pertinemment que la population sahraouie ne veut pas être marocaine. Le peuple sahraoui est pris en otage dans les territoires occupés. Le Maroc cherche par tous  les moyens à éviter le référendum ».

 

« On a vu que depuis 2018, la Russie s’abstient de soutenir les résolutions du conseil de sécurité sur le Sahara Occidental. Pour Moscou, ces résolutions n’exercent pas assez de pression sur Rabat afin de l’amener à se plier au droit international ».

 

« A mon avis, Moscou brandirait son veto contre tout projet de résolution qui menacerait de nuire au front Polisario ».

 

« Il devient impossible pour Washington d’attaquer Moscou pour son annexion d’une partie de l’Ukraine, si en même temps elle se permet de soutenir l’annexion marocaine du Sahara Occidental ».

 

« Le Maroc est dans une position très délicate dans sa prétention d’annexer les territoires sahraouis. Cela, sans passer par le référendum ; demandé par les Nations-Unies, et que continue de revendiquer le front Polisario. C’est dire que le conflit ukrainien a porté préjudice à la position marocaine ».

 

Entretien réalisé par Mohamed Abdoun

La Patrie News : Le conflit sahraoui perdure depuis 47 années. Autant dire un demi-siècle, puisque tous les pronostics nous indiquent que ce conflit est parti pour durer. A votre avis, la balance penche en faveur du front Polisario, ou bien du Maroc, et quels sont les atouts des sahraouis pour sortir enfin victorieux de cette confrontation ?

 

Carlos Ruiz Miguel : Il est clair que des points de vue militaire et économiques, les rapports de force sont plutôt favorables au Maroc. Ce dernier dispose d’importantes ressources en comparaison avec le front Polisario, qui contrôle quand même une petite partie du Sahara Occidental. Très concrètement, le Maroc dispose de plus d’argent, et peut donc acheter plus d’armes. Les choses, toutefois, ne sont pas si simples qu’elles le paraissent, arithmétiquement parlant. Ces rapports de force sont en fait revenus à peu près à ce qu’ils étaient au début de l’occupation marocaine, en 1975. J’entends par là que le Polisario peut profiter de cette conjoncture favorable pour rééquilibrer la balance des rapports de force en sa faveur…

 

Justement, quels sont ces atouts dont pourrait profiter le front Polisario pour prendre définitivement le dessus sur l’occupation marocaine ?

Si le nombre de soldats sahraouis est relativement faible, son extrême mobilité fait sa grande force son extrême connaissance du terrain aussi. Aux yeux de l’ennemi marocain, il est très difficile, voire impossible, de frapper le front Polisario. D’où ces mortelles attaques aux drones qui touchent les populations civiles, après les raids menés par l’aviation marocaine classique. Les troupes sahraouies sont dispersées dans les vastes territoires désertiques. Cette tactique judicieuse limite aussi grandement les éventuelles pertes sahraouies en cas de contre-offensives marocaines. En revanche, les pertes du Maroc doivent être considérables si les attaques sahraouies touchent leurs cibles. D’autant que les positions marocaines sont fixes et parfaitement bien connues des soldats sahraouis.

 

Vous parlez de guérilla et de guerre asymétrique, n’est-ce pas ?

Tout à fait. Le front Polisario mène une guérilla plutôt qu’une guerre classique après la construction du mur de sable. Cependant, les avantages du front Polisario sont tout aussi nombreux qu’importants. Les forces marocaines sont concentrées autour de ce mur. Cela rend plus facile la possibilité pour les soldats sahraouis, mobiles et insaisissables, de toucher les troupes occupantes marocaines. Les éventuelles attaques marocaines sont moins efficaces que celles du front Polisario, car ses soldats sont mobiles et dispersés. En revanche, si le front Polisario ne se dote pas de drones lui aussi, il lui sera très difficile de changer efficacement la donne sur le terrain.

 

Selon vous, les drones seraient essentiels pour renverser les rapports de force sur le terrain…

Absolument. Depuis la construction de ce mur de sable, il est devenu évident que le Maroc est devenu incapable d’étendre son occupation, et d’occuper plus de territoires. Après deux ans, depuis la reprise du conflit armé, le Maroc n’a pas réussi à reprendre un seul pouce de terrain supplémentaire. En revanche, le front Polisario n’a pas non plus récupéré plus de territoires au-delà du mur de sable. Ainsi, et même si les forces en présence ne sont pas très équilibrées, le résultat sur le terrain est clair et sans appel : il y a bel et bien équilibre.

 

Dans l’entretien que vous avez récemment accordé à « Diariodefuerteventura » vous avez balancé un véritable pavé dans la mare, en déclarant que la lettre de soutien de Pedro Sanchez au plan d’autonomie marocain n’avait pas été écrite par lui, mais qu’il avait été « contraint de la signer ». Comment est-ce possible que le président du gouvernement espagnol se laisse humilier par les autorités marocaines ? Est-il victime de chantage lié, notamment, aux affaires de son épouse au Maroc, et aux éventuelles informations récoltées grâce au logiciel espion Pegasus ?

C’est une spéculation que nous sommes fondés de prendre très au sérieux. Simplement, parce que du point de vue rationnel, nous ne trouvons aucune explication rationnelle à cette lettre signée par Pedro Sanchez, mais qui n’a pas été écrite par lui. Donc, en l’absence de la moindre explication rationnelle, il faut envisager d’autres hypothèses. Or, parmi ces hypothèses, il y a le chantage, bien sûr.

 

Comment se fait-il que les institutions, la société civile, le Parlement, laissent aller ce « comportement irrationnel », qui prête à penser que Pedro Sanchez n’est plus maitre de ses décisions, et est tombé sous le contrôle des responsables marocains ?

Il faut placer des nuances à votre question. Le Parlement espagnol a déjà désavoué deux fois la politique menée par le président du gouvernement sur le Sahara Occidental. Il a adopté deux résolutions abondant dans ce sens. Le président a ignoré ces résolutions parlementaires. Il poursuit cette politique irrationnelle, folle. Cette politique est extrêmement nuisible aux intérêts espagnols. Il est possible de dire que cette politique menée par le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez et son ministre des Affaires Etrangères, José-Manuel Albares, ignorent et méprisent le Parlement espagnol. Pis encore. Ce mépris concerne aussi tout le staff gouvernemental, puisque la cette fameuse lettre n’a pas non plus été approuvée par le gouvernement, tel qu’exigé par la constitution. C’est une position « personnaliste », que l’on peut considérer comme totalement illégale.

 

Pour vous, la lette marocaine signée par Pedro Sanchez n’a rien changé au plan légal et du statut des territoires non-autonomes qu’est le Sahara Occidental. Puisque, selon vous encore, le conseil de sécurité a « désavoué Madrid » dans sa dernière résolution. Alors, pourquoi toute cette gymnastique diplomatique, et pourquoi risquer cette crise institutionnelle majeure ?

Le gouvernement exerce un contrôle très fort sur les médias espagnols, presse écrite, radios et télés confondus. Il fait cela avec l’aide du puissant lobby marocain, et les énormes sommes d’argent que celui-ci brasse en Espagne. Ce lobby marocain influe même sur les médias espagnols. Cela, même si l’écrasante majorité de la population espagnole considère que cette décision est folle, carrément absurde. En regardant les débats télés par exemple, on n’y invite que ceux qui soutiennent cette décision. Il y a même eu une prétendue experte pour décrire cette absurde décision de « stratégie géniale ». Cela, même si les preuves s’accumulent pour démontrer qu’il s’agit au contraire d’une stratégie désastreuse. Ce contrôle totalitaire imposé aux médias vise à influencer l’opinion publique.

 

Au regard du droit international, l’Espagne demeure la force administrante du Sahara Occidental. D’ailleurs Pedro Sanchez n’a pas besoin de se déplacer au Maroc pour négocier la délimitation des frontières maritimes. Et le front Polisario dans tout cela ? N’a-t-il pas son mot à dire aussi, quand on se souvient des décisions de justice rendues en sa faveur par la Cour de justice européenne ?

Oui. Cette décision de justice est, à mon avis, un évènement majeur et décisif. Nous attendons la décision finale concernant le recours introduit sur l’annulation des accords économiques contractés par le Maroc, et incluant le Sahara Occidental. Si cette décision finale est favorable au front Polisario, cela ne sera pas seulement déterminant dans les relations espagnoles avec le Maroc, mais aussi sur l’issue définitive de ce conflit. Si cette décision est favorable aux Sahraouis, toute la stratégie de Pedro Sanchez et son MAE va s’effondrer comme un château de carte.

 

Certes. Mais on voit bien que le Maroc officiel ignore vertement le droit international, ainsi que la justice…

Effectivement. Voilà pourquoi cette décision finale tant attendue pourrait être extrêmement décisive pour l’issue de ce conflit. Cela n s’est vu qu’une seule fois dans l’histoire. Il s’agissait de l’apartheid en Afrique du Sud. Le résultat final est désormais connu de tous. Les agissements du Maroc, qui sont contraires au droit international seront sanctionnés enfin. Ces violations auront un jour un coût très lourd pour ceux qui en sont responsables.

 

Vous faites confiance au droit international. a MINURSO, comme son nom l’indique, est une force d’interposition onusienne chargée d’organiser un référendum. Pourquoi est-ce que le Maroc a changé d’avis, après en avoir accepté le principe dans l’accord de cessez-le-feu de 1991, conclu sous l’égide de l’ONU et de l’ex-OUA ? Est-ce la peur du verdict populaire des urnes ?

Bien entendu. Le Maroc panique face au référendum. Car il sait pertinemment que la population sahraouie ne veut pas être marocaine. Le peuple sahraoui est pris en otage dans les territoires occupés. Le Maroc cherche par tous  les moyens à éviter le référendum. Il joue désespérément jusqu’à maintenant une carte perdue d’avance : celle du déni de justice, et du droit international. Il refuse aussi l’application des résolutions du conseil de sécurité, qui prévoient toutes la tenue de ce référendum.

 

Au regard du droit international, le Maroc est un force occupante et colonialiste. Pourquoi est-ce que le conseil de sécurité se refuse à adopter des résolutions contraignantes, sachant que l’actuel statut-quo profite avant tout au Maroc, qui continue de piller les richesses du peuple sahraoui ?

C’est une excellente question. Pour y répondre, force est de relever que depuis toujours, le Maroc a joui d’un soutien actif et discret de la part de membres permanents du conseil de sécurité. Il s’agit, pour le passé, des Etats-Unis et de la France. Je ne sais comment ce sera à l’avenir. En tous cas, tant que ce genre de soutiens persiste, le Maroc peut persister impunément dans cette politique de défi au droit international. Voilà pourquoi j’insiste encore sur la décision finale de la Cour européenne. Voilà pourquoi j’ai dit aussi que cette décision va avoir un coût économique exorbitant pour le Maroc.

 

Moscou devient de plus en plus influente en Afrique. Faut-il s’attendre à un durcissement de ton à l’endroit du Maroc au niveau du conseil de sécurité après la rencontre Bogdanov-Khatri Addouh ?

Cette rencontre peut en effet avoir des répercussions sur les décisions futures du conseil de sécurité. On a vu que depuis 2018, la Russie s’abstient de soutenir les résolutions du conseil de sécurité sur le Sahara Occidental. Pour Moscou, ces résolutions n’exercent pas assez de pression sur Rabat afin de l’amener à se plier au droit international. En revanche, et jusqu’à présent, la Russie n’a jamais opposé de vetos à ces résolutions.

 

Cela ne saurait tarder…

Si les Etats-Unis vont au-delà d’une certaine limite, il y a une forte possibilité que la Russie recourt à cette mesure extrême. A mon avis, Moscou brandirait son veto contre tout projet de résolution qui menacerait de nuire au front Polisario.

 

Le fameux Tweet de Trump, qui n’a aucune assise pratique, juridique et légale, a lié entre elles les questions sahraouie et palestinienne. A la faveur du conflit ukrainien, ya-t-il risque d’un repli russe sur la question sahraouie ?

A mon avis, c’est très improbable. Le conflit ukrainien a des retombées sur le conflit sahraoui. Il devient impossible pour Washington d’attaquer Moscou pour son annexion d’une partie de l’Ukraine, si en même temps elle se permet de soutenir l’annexion marocaine du Sahara Occidental. C’est absolument impossible du point de vue du droit international, et du bon sens tout simplement. C’est dire que le Maroc est dans une position très délicate dans sa prétention d’annexer les territoires sahraouis. Cela, sans passer par le référendum ; demandé par les Nations-Unies, et que continue de revendiquer le front Polisario. C’est dire que le conflit ukrainien a porté préjudice à la position marocaine.

 

Est-ce que la carte du chantage à l’émigration tient toujours la route depuis l’invasion de 10.000 migrants en août 2021, et le carnage du mois de juin passé ?

Le Maroc joue toujours cette carte de l’émigration illégale. C’est logique. Car, du côté européen, il n’y a aucune politique claire face à ce chantage. Si par exemple, l’UE conditionnait la poursuite de l’exportation des produits agricoles à la fin de cette émigration, je vous assure que celle-ci prendrait fin en 20 jours à peine.

 

En effet, le nerf de la guerre, c’est l’argent. Et on a vu que très souvent sa politique étrangère était sous-tendue par des considérations pécuniaires…

Oui. Absolument. Le Maroc reçoit beaucoup de millions d’euros de la part de l’UE. D’où, la possibilité qu’il y ait des complices au sein de cette Union européenne. Comment justifier, en effet, le transfert régulier de ces millions d’euros à royaume qui, certes, multiplie les promesses, mais ne passe jamais à l’acte.


N.B : Carlos Ruiz Miguel est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Saint-Jacques-de-Compostelle (USC) et directeur du Centre d’études sur le Sahara occidental (CESO) de cette université. Il est aussi auteur de divers ouvrages et études sur le Sahara Occidental.


 

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