Arezki Ighemat, linguiste : «Une cartographie des variantes de tamazight pour des modes d’enseignement adaptés»

    Le linguiste Arezki Ighemat revient dans cet entretien sur l’importance de réaliser une cartographie des variantes de tamazight en Algérie, ainsi que le rôle que jouent l’adoption et le choix des langues dans l’unité culturelle et sociale du peuple algérien.

   Reporters : Quelle est l’utilité de l’initiative prise par le HCA portant sur la cartographie proposée de tamazight ?


Arezki Ighemat : L’élaboration d’une cartographie des variantes de tamazight parlées en Algérie est très importante si on veut connaître les différentes nuances qui existent entre ces dialectes. Cette cartographie permettrait de trouver les liens et les différences qui existent entre ces dialectes et d’adopter les modes d’enseignement les plus adaptés, notamment en relation au tifinagh, l’alphabet qui est censé unifier tous ces dialectes. Le challenge, en effet, est de trouver le moyen de conserver cette diversité et en même temps de trouver leur trait d’union et d’éviter qu’elles deviennent des langues mortes. L’histoire culturelle de l’Algérie dépend, dans une grande mesure, de son histoire linguistique.

Combien y a-t-il de variantes de tamazight en Algérie ?


Glottolog recense 27 langues berbères, mais les plus utilisées sont Takvaylit, parlée par quelque 5 millions de personnes dans la région de Kabylie et dans l’Algérois.
Tachawit, appartenant au groupe Zenète, est parlé par les Chaouis des Aurès et les régions environnantes.
Tasahlite qui est parlée dans les villages de la région de Béjaïa, Jijel et Sétif.
Tagargrent qu’on retrouve dans la région de Ouargla, N’Goussa, Touggourt et Oued Righ, tamzabt, et est également parlé dans la vallée du M’Zab. On estime à environ 200 000 le nombre de ses locuteurs.
Tamajaq, appelée tahaggart dans le Hoggar, est parlée surtout dans la région du Hoggar et Tassili n’Ajjer

La cartographie à établir doit être basée sur le nombre de personnes qui parlent et utilisent ces dialectes dans leur vie quotidienne.

Quelles sont les variantes les plus vivantes et les plus utilisées ?


Parmi ces dialectes, les plus utilisés en Algérie sont taqvaylit (région kabyle), tashawit (Aurès), tamzabit (Mzab) et tamaceq (Touaregs).
Par ailleurs, le débat linguistique en Algérie a été toujours l’objet de polémique. Au lieu de considérer ces langues et cultures comme une richesse nationale, certains vont sur ces différences pour séparer les individus d’un seul peuple.

A votre avis, multilinguisme ou bilinguisme, qu’est-ce qui est préférable ?


Comme nous l’avons exprimé dans notre article dans El Watan du samedi 6 juin 2020, nous pensons que le débat qui consiste à réduire le choix à deux variantes dichotomiques, arabe et/ou français d’un côté, ou français et/ou anglais d’un autre, est réducteur et fait abstraction de l’histoire linguistique et culturelle de l’Algérie et de son souhait d’intégration au sein du mouvement actuel de globalisation dans le monde. Les quatre langues, tamazight, arabe, français et anglais, sont absolument indispensables si on veut à la fois connaître l’histoire et les identités variées de l’Algérie et si on veut que notre pays ne soit pas à la traîne dans le mouvement actuel de globalisation. L’étude et le développement de ces quatre langues permettraient, en effet, l’inclusion et l’intégration des différentes ethnies et cultures de l’Algérie et d’éviter la division linguistique et culturelle que l’on connaît aujourd’hui et qui contribue souvent aux problèmes sociaux qui émergent de façon récurrente.

L’étude de quatre langues n’est-elle pas un obstacle dans l’enseignement et dans le monde professionnel ?


Il faut dire que l’idéal – je dis bien l’idéal – pour un individu est de maîtriser toutes les langues de la planète, car cela lui permettrait de comprendre les peuples et d’être compris partout et de s’ouvrir à toutes les connaissances du monde. Malheureusement, ceci est impossible pour le cerveau humain.
La question donc reste de savoir quelles sont les langues que l’on peut considérer «essentielles» et qu’un pays doit adopter pour réussir à la fois sa cohésion et son intégration au niveau national et s’ouvrir au monde. La réponse brève à cette question est que cela dépend de chaque pays, de son histoire et de sa volonté d’ouverture vers le monde. Pour l’Algérie, nous pensons qu’apprendre et développer ces quatre langues est le meilleur investissement linguistique, car il tient compte aussi bien de l’histoire du pays que de son désir ardant de contribuer à l’émergence d’un monde où la modernité et les traditions ne sont pas exclusives et cela, aussi bien au niveau national qu’international. Chacune de ces langues a un rôle spécifique à jouer dans cette direction et aucune n’est en contradiction avec l’autre. Le débat actuel qui consiste à soustraire ou à remplacer l’une par l’autre est, à notre avis, stérile et va à contre-courant des objectifs de cohésion nationale et d’ouverture sur le monde que l’Algérie se propose de réaliser.


 

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