France / La charia supérieure aux lois de la République? «L’affrontement que l’on voit se dessiner a de quoi effrayer»

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Selon une étude de l’IFOP, 57% des jeunes musulmans placent la Charia au-dessus des lois de la République. Un bond de 10 points par rapport à l’automne 2016. Pour Céline Pina, militante et essayiste engagée en faveur de la laïcité, les pouvoirs publics doivent réagir de toute urgence afin d’éviter le pire. Analyse.

Ils sont à présent une majorité de jeunes musulmans à estimer la Charia plus importante que les lois séculières de la République française.

 

Les résultats d’un sondage mené par l’IFOP pour le Comité Laïcité République (CLR)*, rendu public le 5 novembre, révèlent ainsi que 57% des jeunes (15-24 ans) de confession musulmane sont d’accord avec l’affirmation «la loi islamique (Charia) est plus importante que la loi de la République». Ce sont 10 points de plus que dans un précédent rapport, de l’institut Montaigne, intitulé «un islam français est possible», paru à l’automne 2016. 

Tout comme en 2016, cette étude survient dans un contexte particulier: celui de la multiplication des attentats islamistes sur le sol français. À noter toutefois que l’échantillon de 515 personnes, jugé représentatif de la population de confession musulmane en France, a été interrogé au mois d’août, soit avant les attentats survenus en réponse à la republication début décembre des caricatures de Charlie Hebdo. Mais une seconde série de questions relatives aux mesures prises dans la foulée de l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine ont été posées en octobre**. Dans celle-ci, on apprend que 64% des musulmans –de tous âges– se déclarent opposés au droit de montrer des caricatures sur des sujets religieux à l’école.

Laïcité caricatures… un «inquiétant» fossé

«Inquiétant, mais pas étonnant», réagit auprès de Sputnik Céline Pina, ancienne élue locale et conseillère régionale (PS), engagée en faveur de la laïcité, fondatrice du mouvement Viv (r) e la République et auteur de l’essai Silence coupable (Éd. Kero, 2016). «Inquiétant», car cette loi islamique «va aussi bien dans l’intime que dans l’organisation des pouvoirs» souligne-t-elle avant de développer:

«C’est une logique qui s’oppose complètement à la nôtre. Donc on ne peut pas avoir sur le même territoire deux peuples qui n’ont absolument pas les mêmes références, surtout quand ces dernières sont conflictuelles. […] C’est un affrontement que l’on voit se dessiner, qui a de quoi effrayer et qui montre un échec total de l’intégration d’une population, d’une population particulière. Cet échec se fait au nom de l’adhésion à une vision très rigoriste de la religion», estime Céline Pina.

Cette dernière se montre particulièrement critique envers ceux qui, sur fond de «clientélisme» municipal, ont à ses yeux laissé l’Islam politique s’immiscer, s’installer, «prendre de plus en plus de place». «Il est logique que son influence sur les populations ciblées ait grandi, puisqu’il a été aidé et reconnu par les pouvoirs publics qui n’ont pas compris qu’ils jouaient avec un feu qui risquait de les dévorer», accuse-t-elle.

 

Depuis les attentats du Bataclan, les attentats se succèdent et se ressemblent, les hommages aux victimes aussi. Pour Céline Pina, le bilan est plus que mitigé. Dans le Figaro, cette dernière prenait récemment la plume pour s’indigner que le «pas de vague» puisse continuer à l’emporter en France et flinguer la «désinvolture d’une administration pléthorique qui paraît de plus en plus incapable de toute réaction à la hauteur.» 

À l’origine de ce coup de sang, la volonté du proviseur d’un lycée de Saône-et-Loire (Léon Blum, au Creusot) de rendre «facultatif» l’hommage à Samuel Paty, cet enseignant décapité en pleine rue à Conflans-Sainte-Honorine pour avoir montré des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. «Les élèves ne souhaitant pas s’y associer pourront prendre un temps de pause» a ainsi écrit dans un mail aux responsables des élèves en prévision de cette journée hommage dans les établissements scolaires, qui fut marquée par quelques incidents.

Face à la poussée islamiste, l’administration démissionnaire

«Les choses bougent, mais de façon extrêmement contradictoire», regrette Céline Pina. Au-delà de la «possible» dissolution du CCIF, l’essayiste souligne certains résultats obtenus par Gérald Darmanin comme la dissolution de l’ONG BarakaCity (démarche que seuls 34% des musulmans interrogés par l’IFOP** approuvent). L’essayiste souligne également la «forte attente» de la population française sur des thématiques telles que la déchéance de nationalité, d’une «prise de distance» avec la CEDH, ou encore les discussions autour de la suspension de l’espace Schengen.

En revanche, la militante souligne un sentiment d’absence de «doctrine globale», ainsi qu’une administration qui lui semble «faire un peu ce qu’elle veut dans son coin». Elle oppose ainsi à ses précédents exemples celui du soutien apporté par le ministre de l’Éducation nationale à la principale du collègue de Samuel Paty.

«Non seulement cette dame a failli, mais je suis également très étonnée du silence des collègues de Samuel Paty. Je ne sais pas si cet homme ne s’est pas retrouvé très seul, pas seulement abandonné par sa hiérarchie […] Celle-ci n’a pas été à la hauteur et a privilégié le “pas de vague”» assène Céline Pina, et d’ajouter: «Jean-Michel Blanquer, en la couvrant, semble montrer que le “pas de vague” est ce qui est choisi à l’intérieur des administrations […] on a de plus en plus le sentiment que même quand le politique décide, ses ordres ont du mal à descendre.»

Autre exemple qui pour Céline Pina illustre la prédominance du «pas de vague» au sein de l’appareil d’État face à l’islamisme: celui de l’étrange limogeage du commissaire Jean-Luc Taltavull «cassé par le préfet des Yvelines, grand ami de Pierre Bédier, qui est lui-même quelqu’un qui n’a jamais négligé le clientélisme dans sa façon de conquérir le pouvoir», assène Céline Pina.

Une lutte contre l’islamisme qui «ne plaisait pas à tout le monde»

 

Comme le révélait mi-octobre Marianne dans une enquête, le tord de ce fonctionnaire limogé par le préfet des Yvelines la veille des Municipales aurait été de souligner au détour d’un rapport la grande proximité du président du conseil départemental et ancien maire de Mantes-la-Jolie, Pierre Bédier, avec des éléments radicaux au sein d’institutions musulmanes locales. Ce commissaire avait notamment, souligne l’hebdomadaire, donné un second souffle aux services de renseignements territoriaux (RT) des Yvelines en matière de lutte contre l’islamisme radical. 

Une lutte qui «ne plaisait pas à tout le monde» concédait un ex-enquêteur du commissaire déchu, qui relatait que le Préfet de ce département francilien qui compte 500 fichés S pour radicalisme islamiste les avait redirigés sur la surveillance des milieux évangélistes.

«On n’a plus le temps des hésitations et du “en même temps”. Le gouvernement gagnerait beaucoup à établir une doctrine que tous ses ministres –et leurs administrations– partageraient sur ces questions», estime l’essayiste.

Autres points où les musulmans interrogés par l’IFOP se démarquent du reste de la population française: sur la possibilité de porter des signes religieux en tous lieux, l’instauration d’horaires de piscine réservés aux femmes et l’autorisation du burkini ainsi que de l’instauration de jour férié islamique (Aïd-el-Kébir).

Dernier point et non des moindres: la question de la loi de 1905, sur la séparation de l’Église et de l’État. Seule une petite majorité de musulmans (54%) sondés se disent favorables à la «laisser telle qu’elle est», 37% souhaitant en «assouplir certains aspects». Quant aux 9% restant, ceux-ci plaident pour sa suppression pure et simple.

 

Si sur ce tout dernier point, les musulmans ne sont pas si éloignés des 7% de catholiques souhaitant l’abrogation de cette loi. On remarquera cependant que ceux-ci devancent les personnes s’affichant comme «laïcs» au rang des plus gros soutiens de cette loi. Même chose concernant l’instauration de cours au collège sur les valeurs de la République et de la laïcité ou encore quant au respect d’observer une neutralité dans l’espace public. 

Certains y verront probablement un paradoxe, mais il semblerait qu’en France, les catholiques soient les plus âpres défenseurs de la laïcité, pilier d’une République française toujours plus divisée.

* «Étude IFOP pour le Comité Laïcité République réalisée par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon de 2.034 personnes, représentatif de l’ensemble de la population vivant en France métropolitaine âgée de 15 ans et plus (20-22 octobre 2020) et d’un échantillon de 515 personnes, représentatif de la population de religion musulmane vivant en France métropolitaine âgée de 15 ans et plus (6-17 août 2020).»

** «Dans ce rapport, deux questions portant sur des mesures consécutives au meurtre de Samuel Paty (16 octobre) ont été posées aux Français musulmans interrogés au sein de l’échantillon national représentatif de 2.000 personnes sondées du 20 au 22 octobre 2020.»


 

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