Retour sur la visite du chef du Pentagone, Mark Esper, à Alger : Sahel, antiterrorisme et un parfum de «guerre froide»

Mark Esper reçu par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune. D. R.

   C’est la première fois depuis 14 ans qu’un chef du Pentagone effectue une visite officielle en Algérie, la dernière en date étant celle de Donald Rumsfeld en 2006.

Le chef du Pentagone, Mark Esper, a effectué, avant-hier, une visite à Alger dans le cadre d’une tournée maghrébine de trois jours qu’il a entamée mercredi dernier à partir de Tunis.

Il convient de souligner que c’est la première visite d’un ministre américain de la Défense en Algérie depuis près de 15 ans, la dernière en date étant celle de Donald Rumsfeld, en 2006. Et c’est la première sortie sur le continent africain du responsable américain depuis sa nomination.

M. Esper a été reçu par le président Abdelmadjid Tebboune, qui occupe, par ailleurs, faut-il le rappeler, le poste de ministre de la Défense et chef des Forces armées.

Ont assisté également à cette entrevue le chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Saïd Chengriha, le général-major Mohamed Bouzit, directeur général de la Documentation et de la sécurité extérieure (DDSE) au ministère de la Défense, ainsi que Noureddine Bardad Daidj, directeur de cabinet à la Présidence.

Au cours de cette audience, il a été question des «relations bilatérales et les perspectives de leur renforcement dans plusieurs domaines» a précisé la présidence de la République sur sa page officielle sur Facebook.

«Les deux parties se sont penchées également sur la situation en Libye et au Sahel» et sont tombées d’accord sur «la nécessité de poursuivre la concertation et la coordination en vue de consolider la paix et la sécurité dans la région, dans le cadre du respect de l’unité et de la souveraineté de ses Etats» poursuit la même source.

De son côté, le secrétaire d’Etat américain à la Défense a fait une déclaration à la presse à l’issue de ses entretiens dans laquelle il a souligné que «les discussions ont été très fructueuses». Les deux parties ont insisté sur l’importance de «l’amélioration de la coopération militaire entre l’armée américaine et les forces armées algériennes», a assuré le haut responsable américain.

Mark Thomas Esper a fait savoir que cette coopération s’articulera, notamment, autour de «la lutte contre le terrorisme, l’échange d’expertises et la formation militaire». L’hôte de M. Tebboune a indiqué, par ailleurs, que durant cette audience, il a beaucoup été question de sécurité régionale. «Nous avons abordé la situation en Libye pour voir comment la sortir de cette crise à travers une solution politique.

Il en va de même pour le Mali et le Sahel», a-t-il affirmé. Dans un communiqué rendu public par l’ambassade des Etats-Unis en Algérie à l’issue de cette visite, il est précisé que Mark Esper a «formulé son soutien à l’élargissement des relations militaires et a souligné le leadership constant de l’Algérie en matière de sécurité régionale».

«Le ministre Esper et le président Tebboune ont discuté de la question sécuritaire en Afrique du Nord et au Sahel ainsi que des moyens pouvant faire progresser le partenariat militaire et diplomatique stratégique entre les deux pays», ajoute le communiqué.

Il convient de souligner qu’une semaine seulement avant la venue du chef du Pentagone, un autre haut responsable américain, en l’occurrence le général d’armée Stephen Townsend, chef de l’Africom (commandement des Etats-Unis pour l’Afrique), avait fait un saut à Alger. Il a été reçu le 23 septembre par le président Tebboune.

Notons, en outre, que le directeur du Service fédéral pour la coopération militaire et technique de la Fédération de Russie, Dimitrii Chougaev, était récemment de passage aux Tagarins. Il a été reçu le 29 septembre par le chef d’état-major de l’ANP, Saïd Chengriha. Il est important de signaler que la Russie demeure un partenaire historique de l’Algérie dans le domaine militaire.

«Le partenaire de défense préféré de l’Algérie est la Russie, à qui elle achète 85% de son armement», note le Waghington Post dans un article consacré à la virée algéroise de Mark Esper. Décryptant les motivations de cette visite, le journal américain écrit : «Les responsables du Pentagone disent voir une ouverture pour élargir les liens de défense des Etats-Unis avec l’Algérie et, espèrent-ils, contrer l’influence croissante de la Russie à travers l’Afrique.»

Le journal poursuit : «Bien qu’elle soit une puissance militaire régionale significative, l’Algérie n’achète pratiquement aucun équipement militaire américain, rejetant les conditions américaines sur les exportations d’armement. Les seules troupes américaines du pays sont stationnées à l’ambassade. Le pays n’invite pas les forces américaines à mener de grandes missions de formation comme le font d’autres Etats de la région.»

Cet activisme US en Afrique doit donc être lu et analysé à l’aune de la compétition féroce qui oppose les Etats-Unis, la Russie et la Chine, et le souci de contrer l’influence sino-russe sur le continent.

Lors d’une allocution prononcée mercredi dernier au cimetière nord-américain de Carthage, M. Esper a déclaré : «Aujourd’hui, nos concurrents stratégiques que sont la Chine et la Russie continuent d’intimider et de contraindre leurs voisins tout en étendant leur influence autoritaire dans le monde entier, y compris sur ce continent.

Parallèlement, des extrémistes violents continuent de poser une menace non seulement pour la stabilité régionale, mais aussi pour notre pays. Le partenariat durable des Etats-Unis avec des pays partageant la même vision – y compris ici en Afrique du Nord – est essentiel pour relever ces défis.»


     Ce qu’a écrit le Washington Post sur la visite de Mark Esper en Algérie

Par Mounir Serraï  Le prestigieux journal américain le Washington Post, proche des républicains, revient sur la visite, jeudi dernier, du secrétaire à la Défense américain, Mark Esper, en Algérie.

Sous le titre évocateur «Pentagon calls for new cooperation with Algeria to counteract growing Russian influence in Africa (Le Pentagone appelle à une nouvelle coopération avec l’Algérie pour contrer l’influence croissante de la Russie en Afrique), le Washington Post décrypte cette visite et souligne ses enjeux, sachant qu’il est très rare qu’un responsable américain de haut rang effectue une visite en Algérie. La dernière visite du secrétaire américain à la Défense en Algérie est celle de Donald Rumsfeld et elle remonte à 2006.

D’ailleurs, même le Washington Post souligne la rareté des visites de ce genre de responsables américains en Algérie. «Lors d’une escale de sa première tournée officielle dans les pays africains, le chef du Pentagone a passé environ cinq heures à Alger, rencontrant le président Abdelmadjid Tebboune et déposant une gerbe de fleurs devant un mémorial en hommage aux Algériens morts dans la guerre d’indépendance du pays contre la France». Pour ce journal, l’Algérie est «un pays de l’Afrique du Nord largement isolé».

«Les responsables du Pentagone disent voir œuvré pour élargir les liens de défense des Etats-Unis avec l’Algérie et, espèrent-ils, contrer l’influence croissante de la Russie en Afrique», souligne ce journal basé à Washington DC, rappelant dans ce sillage que «bien qu’elle soit une puissance militaire régionale significative, l’Algérie n’achète pratiquement aucun équipement militaire américain, malgré les conditions américaines sur les exportations d’armements. Les seules troupes américaines dans le pays sont stationnées à l’ambassade. Le pays n’invite pas les forces américaines à mener de grandes missions d’entraînement, comme le font d’autres nations régionales».

«Le gouvernement algérien, qui a mené une guerre sanglante contre les extrémistes dans les années 1990, ne voit que peu d’avantages dans le type de formation antiterroriste que d’autres pays se sont empressés de recevoir l’armée américaine», ajoute le Washington Post tout en précisant que «le partenaire de défense préféré de l’Algérie reste la Russie à laquelle elle achète 85% de son armement».

Dans une déclaration, la veille, dans un cimetière militaire américain de la Tunisie voisine, où sont enterrés des milliers de soldats morts en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, Esper a souligné cette menace, affirmant que l’ordre international établi dans les décennies qui ont suivi ce combat était «sous la contrainte en cette ère de compétition de grande puissance», poursuit ce journal qui enchaîne par une autre citation d’Espe : «Aujourd’hui, nos concurrents stratégiques, la Chine et la Russie, continuent d’intimider et de contraindre leurs voisins tout en étendant leur influence autoritaire dans le monde entier, y compris sur ce continent.» «Le partenariat durable des Etats-Unis avec des pays partageant les mêmes idées – y compris ici en Afrique du Nord – est essentiel pour relever ces défis», poursuit-il.

La Russie, selon le Washington Post, a considérablement augmenté ses accès en Afrique et est le premier fournisseur d’armes de la région. Dans ce contexte, souligne ce journal, les responsables américains tentent de faire en sorte que les dirigeants africains choisissent les partenariats américains plutôt que russes ou chinois pour la défense, en mettant en avant un double atout d’un armement et d’une formation américains supérieurs.  «Tous les Américains ont un faible dans leur cœur pour un peuple qui poursuit son combat pour sa propre liberté, a déclaré Esper, après le déjeuner au palais présidentiel sur les hauteurs d’Alger surplombant la Méditerranée», écrit le Washington Post.

Citant Geoff Porter, fondateur de North Africa Risk Consulting, le Washington Post écrit que «les chances d’une expansion significative des liens de défense entre l’Algérie et les Etats-Unis étaient minces». «Les gestes sont importants en Algérie et un bon orateur ne va pas laisser les Algériens penser que les Etats-Unis sont vraiment leur nouveau meilleur ami», lit-on encore dans ce journal qui poursuit : «L’Algérie vendra-t-elle la visite d’Esper pour la consommation intérieure ? Oui, définitivement. Sa visite changera-t-elle vraiment la relation entre Alger et Moscou ? Non, pas vraiment.»

M. S.

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