Entre la Chine et les Etats-Unis : quels choix stratégiques pour le Japon ?

      Note de la FRS n°67/2020       Valérie Niquet, 

   Le 28 août, Shinzo Abe, qui a battu un record de longévité en tant que Premier ministre du Japon (2 822 jours), a démissionné et a été remplacé par Yoshihide Suga, son ancien chef de cabinet. Le nouveau Premier ministre fait face à une situation stratégique de plus en plus tendue et incertaine, dont les enjeux dépassent largement les frontières du Japon et son environnement immédiat. Ces enjeux sont encore complexifiés par les conséquences de la pandémie de Covid-19 apparue dans la ville de Wuhan en Chine, et dont le monde n’est pas sorti.

Les défis auxquels le Premier ministre Suga est confronté sont multiples. Certains peuvent être qualifiés de long terme ou invariants. D’autres sont plus inédits, ou prolongent une tendance, avec des effets nouveaux sur l’équilibre stratégique des forces et des menaces pour la région et au-delà.

Permanences

La menace balistique et nucléaire de la Corée du Nord

Concernant les menaces, bien qu’elle soit mentionnée moins fréquemment depuis la crise de la Covid-19, la RPDC (Corée du Nord) reste la menace la plus immédiate et la plus vitale pour le Japon. Contrairement à ce qui avait été espéré après la rencontre Trump-Kim à Singapour en 2018, la RPDC n’a jamais mis un terme à son programme nucléaire et de missiles balistiques. Depuis mai 2019, après un moratoire d’un an, la RPDC a effectué 35 essais balistiques, et n’a connu qu’un seul échec. Les derniers en date portaient sur des missiles à combustible solide, marque d’un progrès technologique considérable – de courte portée. Lors du défilé organisé au mois d’octobre 2020 pour célébrer le 75ème anniversaire du Parti populaire des travailleurs, le régime a présenté un missile ICBM de très grande taille, non encore testé

. Mais pour le Japon, qui abrite les plus importantes bases américaines en Asie, la menace des missiles nord-coréens de plus courte portée, testés et opérationnels, est à la fois crédible et immédiate. De même, potentiellement, que la menace d’une attaque de missiles massive de la part de la Corée du Nord
. Ces capacités croissantes et ces efforts constants de développement des capacités en dépit des sanctions, ainsi que les incertitudes concernant la stabilité et la prise de décision du pouvoir politique en Corée du Nord, sont des facteurs majeurs pris en compte dans la définition des priorités et du budget de la défense de l’archipel.

Complexité des relations entre les États-Unis et le Japon

Dans le même temps, les relations entre Tokyo et Washington sont marquées par une complexité qui constitue aussi un facteur constant qui pèse sur les choix stratégiques du Japon et que l’élection de Joe Biden n’a pas fondamentalement modifiée. Cette complexité résulte de la conjonction de deux composantes. D’une part, l’alliance de sécurité entre les États-Unis et le Japon, héritée de l’après-guerre et de la Guerre froide, est toujours au cœur de la sécurité et de la stabilité du Japon et, au-delà, de la région Asie-Pacifique, quelle que soit la personnalité du président américain. C’est ce qu’ont réaffirmé le Premier ministre Suga et le président élu Biden lors de leur premier entretien téléphonique. Cette relation particulière constitue une priorité pour tout gouvernement japonais. D’autre part, la question de la « réassurance », qui se pose notamment depuis la fin de la Guerre froide, n’a pas été totalement résolue et fait l’objet de débats depuis la disparition – avec la fin de l’Union soviétique – d’un ennemi commun clairement défini. Cet ennemi commun a été remplacé par l’émergence d’une République populaire de Chine (RPC) dont les caractéristiques idéologiques pérennes sont masquées par les réformes économiques et la stratégie d’ouverture mise en œuvre depuis 1979. Les menaces sont désormais celles des « zones grises », qui portent notamment sur l’archipel de Senkaku et d’autres îles éloignées dans l’espace maritime japonais. Pékin a fait de cette stratégie fondée sur la contestation des limites en mer de Chine orientale un moyen de pression et de contrôle de la puissance japonaise.

Le premier choc majeur qui a ébranlé l’alliance entre Tokyo et Washington, après le « choc Nixon » de 1971, s’est produit en 1998, lorsque le président Clinton s’est rendu en Chine sans faire escale au Japon, le plus proche allié des États-Unis en Asie

. L’intérêt manifesté par le vice-président Biden et la conseillère à la sécurité nationale Susan Rice en 2013 pour le concept de « relations entre grandes puissances » proposés par Xi Jinping avait également inquiété Tokyo.

Depuis lors, de multiples assurances ont été données, par le président Obama puis par le président Trump lors d’une rencontre avec le Premier ministre Abe en 2017. Plus récemment, en juillet 2020, Kevin Schneider, commandant des forces américaines au Japon, a déclaré que « les États-Unis sont déterminés à aider à 100 % le gouvernement du Japon sur la question des Senkaku »

. Enfin, selon Tokyo, Joe Biden aurait également réaffirmé cet engagement lors de l’entretien téléphonique du 12 novembre
. D’autres enjeux contribuent toutefois à accroître ces incertitudes entre le Japon et les Etats-Unis. Parmi ceux-ci, la question de la relocalisation des bases américaines à Okinawa, alimentée par des intérêts politiques locaux, est en suspens depuis plus de vingt ans.

L’attractivité de l’économie chinoise

La position de la Chine en tant que partenaire économique majeur du Japon est également une constante qui influence la prise de décision à Tokyo. Aujourd’hui, la Chine est le premier partenaire commercial du Japon, son deuxième partenaire pour les exportations après les États-Unis

. Le commerce entre le Japon et la Chine est passé d’1 milliard USD par an à la fin des années 1970 à 317 milliards en 2019. Les entreprises japonaises sont directement touchées par les menaces de découplage, et la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine menée par le président Trump a d’ores et déjà des conséquences préoccupantes pour différents secteurs. Certaines entreprises, comme les fabricants de micro-processeurs, sont concernées par l’interdiction des exportations de technologies américaines vers les entreprises chinoises comme ZTE, Huawei, et d’autres entreprises de haute technologie
. Pour les puissantes bureaucraties japonaises comme le METI (ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie) et les syndicats patronaux, les intérêts commerciaux restent un facteur majeur et la Chine – une opportunité qui ne peut être négligée. L’attractivité de la croissance économique et du marché chinois est particulièrement forte dans les grands secteurs industriels comme l’électronique, les machines-outils, l’automobile ou l’acier. Dans ces secteurs, la perspective d’une relative « détente » sur le front économique qu’initierait la nouvelle administration américaine serait vue positivement.

Evolutions récentes

La première question qui a suivi la nomination, le 16 septembre 2020, de Yoshihide Suga comme Premier ministre a porté sur la longévité potentielle de son gouvernement. Le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir doit choisir un nouveau leader au mois de septembre 2021 et des élections législatives doivent avoir lieu avant le mois de décembre 2021. Le Premier ministre Suga, en dépit de son ambition possible de rester plus longtemps au pouvoir afin d’obtenir des résultats à plus long terme, notamment sur le plan économique, pourrait être poussé à la démission si le PLD – ou son électorat – n’était pas convaincu par ses choix politiques.

Le Premier ministre Abe, qui s’est rendu dans 80 pays au cours de son mandat et a donné de la consistance au concept « d’Indo-Pacifique libre et ouvert » qu’il avait initié, a fait du Japon un acteur stratégique important sur la scène internationale. Cependant, il a également donné au monde l’image en partie faussée d’une permanence du pouvoir politique au Japon. Au cours des années qui ont précédé son arrivée au pouvoir, à l’exception de Junichiro Koizumi (2001-2006), la politique japonaise était au contraire caractérisée par un turn-over rapide des Premiers ministres, qui restaient rarement plus de deux ans en fonction. Cette alternance rapide du personnel politique a contribué à considérablement renforcer le pouvoir des bureaucrates et des chefs de factions au sein du PLD qui pourraient à nouveau peser plus fermement sur la prise de décision en politique étrangère, aux dépens de la visibilité de la puissance japonaise sur la scène internationale

. Concernant la politique étrangère, certains ont pu s’interroger sur l’implication du nouveau Premier ministre, longtemps – en apparence – cantonné aux affaires intérieures. Dans ce contexte, le rôle de Toshihiro Nikai, secrétaire général du PLD, qui a joué un rôle dans la nomination du Premier ministre Suga, pourrait s’accroître. Toshihiro Nikai est connu pour son approche plus conciliante envers la Chine. En privilégiant les enjeux économiques et de politique intérieure, il pourrait renforcer la position de ceux qui considèrent la Chine comme un partenaire économique vital pour le Japon bien plus que comme une menace potentielle. A l’inverse, le nouveau ministre de la Défense, Nobue Kishi, a la réputation d’être proche de Taïwan et désireux de poursuivre les choix stratégiques de l’administration précédente concernant la Chine
. Le jeu d’équilibre entre ces acteurs influents autour du Premier ministre Suga aura des conséquences sur la future politique du Japon à l’égard de la Chine.

Toutefois, cette politique est également orientée par la nature des relations entre Washington, l’allié le plus proche du Japon, et la Chine. En raison du consensus bipartisan sur la Chine qui existe aux Etats-Unis, peu de changements majeurs sont à attendre après l’élection du mois de novembre 2020. Joe Biden pourrait faciliter le retour des Etats-Unis dans le TPP (Trans-Pacific Partnership), point positif pour le Japon. Cependant, certains dans son entourage pourraient aussi être tentés par une politique plus accommodante à l’égard de la Chine, ce qui inquiète la communauté stratégique au Japon.

Ces interrogations s’inscrivent par ailleurs dans le contexte du principal facteur de déstabilisation dans la région et au-delà, relevant de la conjonction de deux questions connexes : l’agressivité croissante de la Chine et la crise de la Covid-19.

Une Chine plus agressive dans le contexte de la pandémie Covid-19

La pandémie de Covid-19 a des conséquences de très long terme pour le Japon – et pour le monde entier, imposant une priorisation des questions de santé mais aussi des conséquences économiques de la pandémie.

Sur le plan sanitaire, le Japon, peut-être au prix d’une fermeture quasi totale du pays, et du fait d’une politique de tests peu développée qui masque les contaminations asymptomatiques, a moins souffert que la plupart de ses partenaires. Le nombre de cas, bien que difficile à évaluer, ne dépassait pas 90 000 en octobre 2020 et – plus important encore –, comme dans d’autres pays d’Asie, le nombre de décès est extrêmement faible, inférieur à 2 000.

En ce qui concerne l’économie, les conséquences sont cependant désastreuses. L’économie japonaise a connu sa plus forte contraction depuis 1945, avec un effondrement de 28,7 % pour la période avril-juin 2020

. Un autre chiffre significatif est la chute des exportations, supérieure à 15 % en août 2020. La baisse a été de 20 % pour les exportations vers les États-Unis, mais les chiffres ont été positifs pour les exportations vers la Chine, à + 5 % en août
. Ces chiffres – même s’ils pourraient s’améliorer au quatrième trimestre 2020 – ne peuvent qu’accroître l’influence de ceux qui considèrent que l’importance de la Chine en tant que partenaire économique vital pour le Japon, en période de grandes difficultés, doit prévaloir.

Pourtant, la position de la Chine à l’égard du Japon et des questions territoriales est toujours aussi agressive. L’affirmation de la puissance chinoise en mer de Chine orientale et concernant l’archipel des Senkaku n’est pas nouvelle, pas plus que le développement constant des capacités militaires de l’Armée populaire de libération (APL). De plus, contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, cette pression ne s’est pas atténuée avec la crise de la pandémie de Covid-19. Au contraire, pour Xi Jinping et les dirigeants chinois, malgré l’effet contre-productif de cette stratégie provocatrice, l’idéologie et les facteurs internes ont pris le pas sur le pragmatisme, et les tensions nationalistes sur les accommodements.

Pour le Japon, cette posture s’est traduite par la multiplication des intrusions dans les eaux contiguës entourant l’archipel des Senkaku. Publié en juillet 2020, le Livre blanc sur la défense du Japon mentionne la « tentative constante de modifier unilatéralement le statu quo autour de Senkaku et en mer de Chine méridionale en utilisant la coercition et la pression » comme une menace importante. D’avril 2019 à août 2020, les navires chinois ont été présents dans les eaux contiguës de façon quasi permanente (456 jours sur 519). Quatre incursions des garde-côtes chinois dans les eaux territoriales se sont produites en 2019 et sept en 2020, dont une au mois de juillet, les navires chinois restant dans ces eaux pendant 39 heures

. Le 11 octobre 2020, les navires chinois ont battu ce record, en restant 59 heures dans les eaux territoriales japonaises. Cette pression met à rude épreuve les forces d’autodéfense maritime et les unités de garde-côtes japonaises, qui doivent rester en alerte permanente.

A un autre niveau, une cyberattaque récente ciblant des laboratoires de recherche japonais engagés dans la recherche sur un vaccin contre la Covid-19 a pu être attribuée à des groupes installés en République populaire de Chine

. La stratégie de pression, qui ne s’est pas atténuée lors de la pandémie de Covid-19, va à l’encontre des efforts de ceux qui sont favorables à des relations plus étroites avec la Chine, et qui sont à l’origine de la visite d’État prévue mais reportée du président Xi Jinping au Japon.

Des choix complexes

Quelques jours seulement après sa nomination, le Premier ministre a eu un entretien avec le président chinois Xi Jinping – il s’agissait du premier appel téléphonique entre les dirigeants du Japon et de la RPC depuis 2018. Au même moment, le journal nationaliste Global Times, proche de la position des dirigeants chinois, « avertissait » le futur Premier ministre de ne pas accepter d’entretien téléphonique avec la présidente de la République de Taïwan, Tsai Ing-wen, et de s’abstenir de visiter le sanctuaire de Yasukuni, pour tenter d’imposer des limitations strictes à la marge de manœuvre du nouveau cabinet Suga. Ce faisant, Pékin joue sur la réticence de certains à prendre le risque d’accroître les tensions entre le Japon et la Chine

. La presse officielle chinoise a également souligné la nécessité pour le Japon et le nouveau gouvernement d’entretenir de bonnes relations avec la Chine en se concentrant sur les intérêts mutuels et les intérêts « gagnant-gagnant »
Cependant, si le Premier ministre Suga pourrait se laisser convaincre par une politique plus « équilibrée » envers la Chine, en accord par ailleurs avec les dernières évolutions du cabinet Abe, l’opinion publique contre la Chine se détériore et pourrait peser sur sa décision. Après le report de la visite d’État du président chinois Xi Jinping en raison de la pandémie de Covid-19, la pression pour annuler définitivement cette visite s’est accrue. Selon un sondage publié au mois de juillet 2020, 62 % des personnes interrogées sont favorables à l’annulation de la visite. 90 % ont déclaré avoir une perception négative de la Chine
. Dans une volonté de clarification, les premiers échanges internationaux du Premier ministre Suga ont eu lieu avec les plus proches alliés du Japon, membres du QUAD (Etats-Unis, Australie et Inde). Lors d’un premier appel téléphonique avec le président Donald Trump, il a été répété que l’alliance nippo-américaine demeure la « pierre angulaire de la paix et de la stabilité dans la région ». La Corée du Nord et le concept d’Indo-Pacifique libre et ouvert ont également été abordés, mais pas la question controversée du commerce ou de l’augmentation de la contribution financière du Japon au maintien des bases américaines au Japon. De même, dans un tweet félicitant le président élu Joe Biden, puis lors de leur premier entretien téléphonique, le Premier ministre japonais a à nouveau rappelé l’importance de l’alliance entre Tokyo et Washington, priorité de la stratégie extérieure de l’archipel.

La légitimité du débat japonais sur la défense

Le plus préoccupant pour la Chine est la légitimation croissante du débat sur les questions de défense au Japon en dépit de réticences traditionnelles dans l’opinion publique. Si le grand public place la Covid-19 et l’économie avant la menace chinoise, avec le soutien de certains cercles économiques désireux de poursuivre les échanges avec la RPC sous la protection du parapluie américain, la perception de la Chine comme une menace et un facteur d’instabilité dans la région n’en est pas moins croissante, et l’un des éléments fondamentaux qui légitiment les débats sur la capacité de défense et de dissuasion conventionnelle au Japon.

Le ministre de la Défense Nobue Kishi devrait poursuivre la voie de la nécessaire remise en question de la politique de défense depuis l’adoption d’une stratégie de sécurité nationale en 2013, ainsi que les nouvelles lois sur la défense en 2015. Le budget de la défense reste proche de 1 % du PIB, à 1,1 % pour l’année fiscale 2020-2021. Cependant, l’augmentation cumulée du budget, entre 2012 (un niveau historiquement bas) et 2019, a été de 13 %, atteignant 48,6 milliards USD, un signe clair de la prise de conscience que la défense occupe une place vitale dans un environnement de plus en plus incertain

. L’accent est mis sur la construction d’une « force de défense multi-domaine » capable de défendre le territoire, y compris les îles éloignées, mais aussi de donner aux JSDF (Japan Self- Defense Forces) la capacité de mettre en œuvre une contribution plus proactive à la paix, y compris loin de ses côtes, ainsi que le principe d’autodéfense collective autorisé depuis l’adoption d’une nouvelle loi sur la défense en 2015, l’une des principales réalisations du cabinet du Premier ministre Abe
Malgré les ouvertures de la Chine pour regagner des soutiens dans le contexte de ses relations tendues avec les États-Unis, le nouveau gouvernement japonais semble donc vouloir conserver un équilibre prudent, entre le maintien d’une relation fonctionnelle avec la Chine et la démonstration de l’engagement du Japon à son niveau de capacités – tant militaires que diplomatiques – pour contrer l’agressivité croissante et les risques de déstabilisation posés par la RPC. En septembre 2020, les JSDF ont participé une fois de plus à des exercices communs en mer de Chine méridionale et dans l’océan Indien, mobilisant le Kaga, le plus grand destroyer japonais, ainsi qu’un sous-marin et d’autres bâtiments. L’escale au Vietnam était dans ce contexte particulièrement significative, de même que la visite du nouveau Premier ministre Suga en Asie du sud-est, la première à l’étranger. Auprès des partenaires de Tokyo dans la région, au Vietnam et en Indonésie, le Premier ministre a réaffirmé l’importance opérationnelle du concept d’Indo-Pacifique libre et ouvert, et évoqué la possibilité de nouvelles coopérations en matière de vente de matériel militaire

. Le rôle du Japon pourrait être de contribuer au renforcement de l’équilibre stratégique entre son allié incontournable, les États-Unis, les Etats participant au format QUAD et les membres de l’ASEAN, mais aussi une Union européenne de plus en plus engagée dans la région ainsi que certains de ses États membres. Significativement, la première visite à l’étranger du ministre des Affaires étrangères du nouveau gouvernement Suga a été pour l’Europe et ses principaux acteurs. Si cette évolution se confirme, cela contribuera grandement à accroître le poids du Japon sur la scène internationale.


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A voir : Chine-Etats-Unis : entre statu quo, attentes chinoises et risques de provocations   



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  Mer de Chine du Sud : les revendications de Pékin battues en brèche

Les porte-avions américains USS Ronald Reagan et USS Nimitz patrouillent en formation en mer de Chine du Sud, le 6 juillet 2020. (Source : APNEWS)
   Le 21 janvier dernier, dans une note verbale transmise aux Nations Unies, le Japon a déclaré les revendications de Pékin en mer de Chine du Sud « sans fondement » car étant en contradiction avec la Convention des Nations unies sur le Droit de la mer. Cette réaction japonaise vient s’ajouter à la déclaration, le 13 juillet 2020, des États-Unis, par la voix de l’ex-secrétaire d’État Mike Pompeo, dans laquelle l’Amérique juge les prétentions chinoises dans cette zone « illégales ».
« Nous le disons clairement : les revendications de Pékin sur les ressources offshore dans la plus grande partie de la mer de Chine méridionale sont complètement illégales, de même que sa campagne d’intimidation pour les contrôler », avait déclaré l’ancien chef de la diplomatie américaine. Mike Pompeo avait rappelé qu’un tribunal de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye avait jugé en 2016 que la Chine n’avait pas de base légale pour revendiquer des « droits historiques » sur cette zone.
Il s’agit là d’un virage sur l’aile de la diplomatie américaine qui s’était jusqu’à présent abstenue de prendre position dans les différends territoriaux dans cette région, se contentant d’y affirmer la « liberté de navigation ». C’est aussi un changement notable de la politique du Japon à l’égard des revendications chinoises.
Du 1er au 5 juillet 2020, des manœuvres militaires chinoises autour des Paracels avaient brusquement fait monter la tension dans cette zone. Washington y avait répondu en y envoyant deux porte-avions, le Ronald Reagan et le Nimitz, accompagnés de leur armada, un déploiement de forces sans précédent depuis 2014. Les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni, la France, le Japon et l’Australie dépêchent régulièrement des navires de guerre dans la zone pour y affirmer « la liberté de navigation » dans des « eaux internationales ». Un sous-marin nucléaire d’attaque français s’y est aventuré tout récemment.

LES EUROPÉENS PRENNENT POSITION

Mais Washington et Tokyo ne sont pas seuls. D’ordinaire discrets sur cette question, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont créé la surprise le 16 septembre dernier, en envoyant simultanément à l’ONU leurs propres notes sur le sujet dans lesquels ils considèrent « injustifiées » et contraires au droit international les revendications chinoises sur cette zone. Les notes diplomatiques de ces trois pays ont exprimé leurs désaccords avec les sept notes émises par la Chine précédemment.
C’était la première fois que les trois plus grandes puissances européennes — membres du G7 — expriment ensemble une vision commune et confirment leur position unifiée sur la question de la mer de Chine. En outre, cette position a été soigneusement pesée, discutée, préparée par ces trois pays. Elle démontre leur inquiétude face aux conflits en mer de Chine méridionale, ainsi que la nécessité d’expliciter les vues européennes sur cette question.
Dans les notes diplomatiques européennes, il est dit que « le fait qu’un État continental se considère comme un État archipélagique pour tracer une ligne de base droite ou une ligne de base pour un État archipélagique est injustifié ».
Quelles sont les revendications chinoises ? Pékin estime que plus de 80 % de la mer de Chine du Sud, y compris l’intégralité des îles Spratleys et Paracels, font partie de son territoire sacré. La Chine délimite ce territoire, d’une superficie de quelque 3,5 millions de kilomètres carrés, par le fameux « tracé en neuf traits » qui s’étend de la côte méridionale chinoise jusqu’au sud de la Malaisie.
Elle sert toujours de référence aujourd'hui : la carte de la mer de Chine du Sud dessinée par la Chine en 1947 avec la "ligne en onze traits" montre les revendications chinoises sur la quasi-totalité de la zone.

Elle sert toujours de référence aujourd’hui : la carte de la mer de Chine du Sud dessinée par la Chine en 1947 avec la « ligne en onze traits » montre les revendications chinoises sur la quasi-totalité de la zone. A noter qu’on parle aujourd’hui de « ligne en neuf traits » après que l’ancien Premier ministre Zhou Enlai a effacé deux traits dans le Golfe du Tonkin. (Source : Wikipedia)
Les revendications chinoises ont été invalidée en 2016 par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye à la demande des Philippines. Mais Pékin n’en démord pas et proclame sa souveraineté sur ces vastes étendus sur des considérations historiques souvent fictives. Pékin considère que les îles Spratleys et les îles Paracels et toute cette vaste zone sont un territoire chinois depuis près de deux millénaires, mettant en avant d’anciens manuscrits qui parlent de ces archipels comme étant chinois, de même que des poteries et des monnaies trouvées sur ces îles, comme des preuves.
Carte des revendications en mer de Chine du Sud.
Carte des revendications en mer de Chine du Sud.

ARGUMENT JURIDIQUE INSUFFISANT

Cette zone est devenue un point chaud du monde, du fait principalement de sa militarisation par la Chine. Plusieurs pays riverains, dont les Philippines, le Vietnam, Bruneï et la Malaisie, contestent les revendications chinoises. Ces différents pays se disputent sa richesse halieutique et la présence probable d’importants gisements sous-marins de pétrole et de gaz naturel. Au total, 10 % de la pêche mondiale est effectuée en mer de Chine du Sud. Celle-ci est en outre un carrefour stratégique de routes commerciales d’une importance capitale puisqu’elle est la route la plus courte entre le Pacifique Nord et l’océan Indien. 70 % du trafic mondial de conteneurs et 50 % des flux d’hydrocarbures et de gaz naturel liquéfié transitent par la mer de Chine du Sud.
« La plupart de ces pays s’appuient sur le verdict de la Cour d’arbitrage de La Haye en 2016. Il précisait, non pas que les revendications de la Chine sont nulles et non avenues, mais que ces revendications, en particulier celles qu’elle nomme « historiques », ne sont pas valides du point de vue du droit international », estime Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et enseignant à Sciences Po Paris.
« C’est-à-dire que le droit international ne reconnaît pas les revendications « historiques » comme étant, sur le plan purement juridique, un argument suffisant, poursuit cet expert de la Chine et des deux Corées. Ce n’est pas de dire que la Chine n’a pas le droit d’avoir des revendications en mer de Chine méridionale, mais c’est de dire que l’argument de la Chine qui consiste à dire qu’il y aurait des revendications « historiques » et que, deuxièmement, ces revendications « historiques » légitimeraient le fait que la Chine possède une souveraineté sur l’ensemble d’une zone – c’est ce que fait la Chine, non pas seulement une revendication sur des îlots, mais sur l’ensemble d’une zone, ce que l’on appelle « la ligne en neuf traits » -, cela, sur le plan purement juridique, est quelque chose qui n’est pas acceptable. »
Par Pierre-Antoine Donnet

 A propos de l’auteur:

Pierre-Antoine Donnet

Ancien journaliste à l’AFP, Pierre-Antoine Donnet est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l’Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié « Le leadership mondial en question, L’affrontement entre la Chine et les États-Unis » aux Éditions de l’Aube.


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