La Chine n’a pas fini sa longue marche vers l’hégémonie économique mondiale

Si l’on considère les indices de développement, la Chine se classe entre l’Arménie et l’Équateur. Nicolas Asfouri / AFP

La réussite spectaculaire de l’économie chinoise depuis 40 ans est souvent analysée à partir du niveau du produit intérieur brut (PIB) et de sa croissance. Bien que réducteur, cela permet notamment des comparaisons internationales et des classements.

Depuis quelques années, les comparaisons avec les États-Unis conduisent à se demander s’ils sont toujours les leaders de l’économie mondiale ou si la Chine est désormais la première puissance économique.

Selon la Banque mondiale, en 2019, le PIB total de la Chine atteint 23 460 170 millions de dollars, celui des États-Unis : 21 374 418. Ces chiffres sont en parité de pouvoir d’achat (PPA), c’est-à-dire qu’ils tiennent compte des différences de pouvoir d’achat entre les pays, du fait qu’avec un dollar, l’on n’achète pas la même quantité de biens dans chacun des deux pays.

Si l’on s’en tient à cela, la Chine est bien la première économie dans le monde. Pourtant, si l’on passe au critère du PIB par habitant, qui peut approximer le niveau de vie, on comprend tout de suite que la comparaison mérite d’être approfondie puisque ce chiffre est, en 2019 et en PPA, de 16 117 dollars US pour la Chine et de 62 527 dollars US pour les États-Unis.

Quant au critère de l’indice de développement humain proposé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui intègre à côté du PIB des indicateurs de santé et d’éducation, il classe la Chine au 85e rang (sur 189 pays) en 2018, moins bien que la Colombie, l’Albanie, l’Algérie ou le Sri Lanka. Les États-Unis sont au 15e rang. Pour la Banque mondiale, la Chine est dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure.

Rapport sur le développement humain 2019, PNUD.

Mais même en s’en tenant au PIB pour estimer la puissance économique chinoise, on doit donc prendre certaines précautions.

En effet, cet agrégat calculé comme la somme des valeurs ajoutées à laquelle s’additionnent les impôts nets des subventions, reflète les flux de production des différents secteurs d’activité. Son évolution dans le temps permet de connaître le taux de croissance, celui-ci étant donc le résultat de l’activité économique. Ses nombreuses limites ont été souvent soulignées par les économistes, mais il demeure le principal indicateur de production.

Des chiffres définis à l’avance

En effet, en Chine, ce taux est le plus souvent un objectif fixé par le gouvernement central mais aussi par les autorités de chaque niveau administratif : provinces, préfectures, etc.

Ce n’est donc pas un constat a posteriori comme on l’observe dans les autres pays mais un chiffre défini a priori.

Il y a bien là une activité économique réelle. En effet, les autorités politiques vont initier des investissements offrant des débouchés aux entreprises, souvent dans le domaine des infrastructures. Cependant ces investissements peuvent être inefficaces et ne pas créer de valeur. Un immeuble sans habitant ou une route inutile sont des dépenses improductives.

Ce système s’articule autour d’une particularité de la Chine qui tient au fait que les gouverneurs des provinces sont nommés par le Parti communiste et que leur carrière est étroitement liée à leur aptitude à atteindre les objectifs de croissance fixés par le gouvernement central. La même contrainte pèse pratiquement à tous les niveaux de la hiérarchie administrative où les responsables politiques sont nommés et non élus.

Décryptage : pourquoi il faut prendre les chiffres de la croissance chinoise avec précaution (Xerfi Canal, 2014)

Le fait d’avoir une évaluation par l’autorité de niveau supérieur impacte les choix de politique économique et entraîne des distorsions. En effet, pour avoir plus de chances de promotion, les officiels locaux fixent des objectifs de croissance élevés, parfois plus que le gouvernement central.

Comme, de surcroît, les responsabilités des gouvernements locaux en matière de dépenses se sont accrues sans augmentation des recettes, ils favorisent les investissements les plus rentables à court terme. On observe une distorsion en faveur des dépenses d’infrastructures au détriment des dépenses d’éducation ou de santé dont les effets sont à beaucoup plus long terme.

Ainsi, pour gravir plus rapidement les échelons, un officiel local, par exemple un gouverneur provincial, est incité à fixer un objectif de croissance pour sa collectivité au moins aussi important que celui fixé par le gouvernement central ; et pour l’atteindre, il soutient les investissements rentables à court terme, même s’ils ne créent pas véritablement de richesse ou ne soutiennent pas la croissance de long terme.

Progrès vertigineux

La relation positive entre décentralisation et croissance a été mise en évidence au début des réformes et cette organisation institutionnelle fournit des incitations aux responsables politiques. Mais le système de récompenses et de fixation a priori d’un objectif de croissance risque d’hypothéquer la croissance future, notamment en raison d’un investissement insuffisant en capital humain, au bénéfice de dépenses d’infrastructures qui ont pour principal effet d’accroître l’endettement des collectivités locales.

Donc, le résultat en termes de PIB correspond bien à une activité économique, mais largement dictée a priori. Il est donc peu pertinent de le comparer directement au chiffre du PIB américain.

On peut noter que, lors du Congrès national du peuple en mai 2020, le premier ministre Li Keqiang, contrairement à l’usage, n’a pas annoncé d’objectif de taux de croissance mais s’est plutôt focalisé sur l’emploi. Cela a été perçu positivement car l’annonce d’un objectif de croissance n’aurait principalement représenté que l’effort que le gouvernement était prêt à faire en matière d’investissement pour limiter les effets de la crise sanitaire.

On peut ajouter que deux autres éléments illustrent le fait que la Chine n’est pas encore la première puissance économique mondiale : son niveau technologique et le rôle de sa monnaie.

L’évolution de la politique économique chinoise affiche principalement comme priorités le développement du marché intérieur et la montée en gamme de la production. Ce dernier objectif a justifié des investissements importants en recherche et développement, des transferts de technologies et l’élaboration du plan « made in China 2025 » visant à développer l’innovation domestique.

En raison des investissements à réaliser pour lutter contre la crise sanitaire, le premier ministre Li Keqiang n’a pas annoncé d’objectif de taux de croissance lors du Congrès national du peuple, en mai dernier. Une première. Leo Ramirez / AFP

Si l’on considère la situation de l’économie chinoise au début des réformes, les progrès sont vertigineux ; la Chine est devenue un acteur important dans la recherche mondiale et leader en matière d’innovation dans certains secteurs comme les technologies financières.

Pourtant, la production industrielle chinoise est encore très dépendante de la technologie étrangère. Le dépôt de brevets de la part de la Chine s’est très fortement accru mais ils font l’objet de beaucoup moins de citations que les brevets américains, alors que celles-ci reflètent la vraie puissance technologique d’un pays.

C’est bien dans cet esprit qu’a été élaboré le plan « China standard 2035 », le prochain objectif de la Chine étant de définir elle-même les normes qui prévaudront au niveau international, alors que ce sont aujourd’hui les normes américaines.

Enfin, si le renminbi a développé sa présence dans le monde et a accru son rôle de monnaie de réserve, il est loin de détrôner le dollar comme monnaie internationale.

L’économie chinoise poursuit donc sa transformation, aujourd’hui particulièrement dans le secteur bancaire qui est le plus grand du monde mais encore peu internationalisé, et son potentiel de croissance est certain. Pour autant, son classement devant les Etats-Unis sur la base du PIB ne correspond pas à la réalité de son activité économique.



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