Covid-19, le djihadisme au défi d’une pandémie

 Alors que le monde des sciences s’interroge sur la responsabilité de l’épidémie du coronavirus, l’islam radical résout l’énigme d’une affirmation : Dieu punit les peuples mécréants qui s’obstinent à défier son autorité. Châtiment des apostats, épreuve infligée par le Très-Haut… : les groupes armés campent une ligne doctrinale sans innovation. Pour le groupe État Islamique (EI), nous sommes en présence d’une « colère de Dieu » devenue le « cauchemar des croisés », en témoignent le bilan sanitaire de la pandémie et les incertitudes économiques liées au déconfinement. Pour Al-Qaeda, il s’agit d’une « punition » divine, qui ne saurait détourner les croyants de l’objectif final : fonder une société islamique.

Un avertissement de Dieu ?

Bien que sans concession, cette rhétorique contient des indices de contrôle de langage. Quand l’EI publie une « Directive » de protection à l’adresse de la communauté musulmane, il ne s’exprime pas en son nom propre, mais par l’intermédiaire de savants répondant à deux critères : 1. ils ne sont pas controversés, l’oumma  reconnaît leurs travaux ; 2. ils sont natifs du VIIIe siècle, ceci pour démontrer la dimension atemporelle du message prophétique. Dans l’imaginaire radical, l’islam est un invariant. Telle une roue événementielle s’obstinant à tourner tant que l’objectif califal n’est pas atteint, le passé s’entête à renaître

Dans la presse djihadiste, le titre des articles ayant trait au virus s’inspire souvent des versets coraniques, ce qui a pu conduire à des interprétations erronées. Les moteurs de recherche ont ainsi traduit le verset 85;12 : « La vengeance de votre Seigneur est sévère »

. Or, le texte original contient le mot batash, qui désigne l’oppression, l’attaque en mouvement, et l’adjectif shadid, ce qui est fort et puissant. La traduction littérale est donc : « L’assaut de ton seigneur est efficace ». L’EI réfère à l’époque mohammadienne où les nouveaux convertis sont persécutés à la Mecque. En fait de vengeance, ceci est un appel à la résistance face à une crise mondiale
.Sur les réseaux sociaux, les Green Birds, surnom donné aux internautes pro-EI, ne versent pas dans l’hystérie verbale des années 2014-2019. Le groupe souhaite que la douleur des personnes infectées soit l’occasion d’expier (kafara) leurs péchés. Du côté d’Al-Qaeda, la tonalité est identique : « Réjouissez-vous de leur mort, que ce soit de notre part ou par le coronavirus », écrit l’influent Al-Maqdissi, qui admet qu’un « infidèle » non combattant puisse recevoir des prières

Ces éléments n’indiquent nullement un infléchissement doctrinal de l’EI, qui demeure un groupe takfiriste

– Al-Qaeda restant une organisation rigoriste pourvoyeuse de violences. Ils disent leur perception d’une crise qui, avant d’être sanitaire, est perçue comme un événement théologique ; la colère de Dieu. Ces groupes, pourtant coutumiers du complotisme pour « révéler » le sens caché des événements, se hasardent peu aux théories conspirationnistes. Une association égyptienne travaillant à la vérification des faits, Matsda’esh, note que les cas de désinformation sur Internet émanent surtout d’internautes lambda. Nombre d’activistes radicaux se satisfont des gestes barrières : « Ils [les mécréants] se moquaient des femmes portant le niqab islamique – maintenant ils font la même chose »
Notons l’absence de deux thèmes traditionnels de la propagande islamiste :

  • l’heure du chaos. Le sunnisme avise les croyants de signes annonciateurs de la fin des temps (akhir al-zaman). Ceux qui connaîtront les textes sacrés auront la pleine connaissance de cette heure (sa’a) fatidique susceptible de survenir à tout instant
    . Cette thétique annonciatrice du royaume de Dieu parle aux combattants. Al Zarqawi, l’inspirateur du groupe État Islamique, disait : « Nous devons décider de l’heure zéro à laquelle nous commencerons à prendre le contrôle du terrain »
    . À lire la prose des agents d’influence islamistes, la Covid-19 n’annonce pas la fin du monde. L’heure n’est pas venue. Cette présentation du drame sanitaire permet aux groupes de taire la réalité du rapport de force militaire. L’EI et ses groupes affiliés n’a plus les moyens d’engager une guerre totale contre « mécréants », moins encore Al-Qaeda.
  • le califat, grand absent de la crise sanitaire.

Outre l’évocation de la peste (ta’un) des temps anciens, les groupes armés se sont toujours désintéressés des questions de santé. Face aux enjeux de gouvernance liés au déconfinement, ils n’évoquent pas l’option califale pour résoudre la crise. Sachant leur persistance à démontrer que ce modèle de « lieutenance divine » réglerait les désordres du monde, le mutisme retient l’attention. Il tendrait à confirmer l’existence d’un débat interne quant à l’opportunité de franchissement du Rubicon califal. Depuis la déroute syro-irakienne, l’EI s’en garde bien, préférant déterritorialiser la lutte à la faveur du concept des espaces géographiques

. Un sympathisant dit : « 2014 a été une erreur. Il faut penser différemment, affirmer que le califat se trouve là où nous sommes. Il disparaît quand nous partons. Il revient quand nous revenons »

. Concernant Al-Qaeda, ceux qui font sa pensée stratégique, les Jordaniens (Abu Qatada, al-Maqdissi) et les Égyptiens (al-Sibaeey, Abdel Rahim), n’ont toujours pas résolu cette question portée par Ben Laden. Après sa sanctuarisation ratée dans les vallées afghanes, le Saoudien craignait que la proclamation d’un califat ne déclenche une intervention militaire occidentale et un blocus économique qui affame ses hommes

. En conséquence de quoi le groupe Hayat Tahrir al-Cham, organisation rigoriste d’inspiration al-qaedienne, ne proclame pas le califat dans la province d’Idleb (Syrie), il se comporte comme un groupe djihadiste en quête de normalité.

Visite du « ministre » de la Santé (HTS) au centre de quarantaine de Jisr al-Shoghour (source : « Coronavirus and The Salvation Government – Hayat Tahrir al-Sham », Jihadologie, 8 mai 2020)

Évoquons enfin le cas de Boko Haram, qui vit une sorte de califat de fact. Là où ses combattants opèrent, la gouvernance de Dieu est. Après avoir remercié le Très-Haut pour la pandémie qui fragilise « le règne de Trump », son chef, Aboubakar Shekau, dénigre les gestes barrières. « Nous nous embrassons, nous nous serrons la main, nous allons bien, très bien », dit-il. Tout au plus, si la crise s’aggrave, un repli tactique est envisagé vers les campements de la forêt de Sambissa, zone que l’armée nigériane bombarde régulièrement, vidéos à l’appui

La Chine, un ennemi rhétorique

Les groupes armés dénoncent la provenance chinoise du virus, estimant que le régime communiste est doublement fautif. D’une part, d’être laïc et usurier. D’autre part, d’être un oppresseur des populations musulmanes de la province du Xinjiang

Le contentieux remonte au lendemain des attentats du 11 septembre, lorsque les forces américaines pourchassant Al-Qaeda dans les vallées afghanes découvrent des escouades de djihadistes de l’ethnie ouïghoure

. Cette présence confirme ce qui bruisse dans l’Hinterland du renseignement d’alors, l’existence de contacts entre Ben Laden et les rebelles chinois. Un soutien financier leur est accordé, ponctuel et bien en deçà du minimum requis pour espérer inquiéter Pékin. L’islam radical étant minoritaire au Xinjiang, Al-Qaeda ne réussit pas à ouvrir un nouveau frontÀ partir de 2011, des centaines de combattants ouïghours rejoignent le front syrien, essentiellement des recrues en provenance de la diaspora d’Istanbul

​​​​​​. L’engagement suggérant l’existence d’un foyer djihadiste en Chine, le retentissement médiatique est fort. Il se révèlera sans lendemain. Non seulement la province du Xinjiang ne se soulève pas, mais ses djihadistes s’adaptent mal au pandémonium syrien. L’usage de l’hyper-violence, les tactiques gaspilleuses de vies humaines ne leur conviennent pas. Sur le théâtre des opérations militaires, des problèmes usuels se posent, comme la maîtrise de la langue. L’arabe classique de la narration coranique diffère grandement de l’argot des katibas irako-syriennes.Le groupe État Islamique veut également croire à un front chinois, déclaré cible prioritaire par Al-Baghdadi

Vidéo de propagande des combattants ouïghours du groupe État Islamique de la wilaya al-Furat (2017)

Face à la Covid-19, le nouveau chef du groupe État Islamique, Amir al Mawla, maintient une ligne vengeresse à l’encontre de Pékin, mais toujours sans capacité opérationnelle. Côté Al-Qaeda, outre une vidéo du Parti Islamique du Turkestan qui présente le virus comme un avertissement aux autorités de Pékin, rien ne présage d’un engagement des hostilités.

Zones d’impacts

Il est certainement trop tôt pour évaluer l’impact du coronavirus sur l’underground radical. Pour cette note, des chercheurs résidant dans la région sahélo-saharienne ont été consultés

. Tous ont fait montre d’une grande réserve. L’un d’eux, bénéficiant de contacts en zone contrôlée par la katiba Macina (Mali), a eu ce commentaire : « Les terroristes ne croient pas vraiment à la pandémie… ».La conflictualité au Sahara est actuellement dominée par une querelle de chouras (conseils) opposant le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GNIM) à l’État Islamique au Grand Sahel (EIGS) ; une guerre de leadership, sans aucune considération pour les questions de santé publique. Les agendas portent sur la répartition des subsides de la zakat (aumône), les litiges pastoraux ou encore les défections de combattants entre les différents groupes

À l’échelle régionale, le scénario redouté d’une baisse de vigilance conséquemment aux dispositifs de surveillance de la Covid-19 ne s’est pas produit. En janvier, le président Macron a réuni ses homologues du G5 Sahel. L’envoi sur zone de six cents soldats supplémentaires a été décidé ainsi que l’établissement d’un commandement conjoint Barkhane/G5 Sahel. Deux cent cinquante Britanniques rejoindront prochainement la mission onusienne à Bamako. Aucun relâchement du dispositif n’est à noter.

Reste qu’à l’heure du déconfinement, les perspectives d’évolution sont préoccupantes. Boko Haram a récemment lancé un assaut de centaines d’assaillants sur l’île de Bohoma

. Il est à craindre qu’un affaiblissement économique des États riverains du Lac Tchad favorise le recrutement de jeunes déshérités qui s’improviseront djihadistes pour nourrir leurs familles. Quant au recul de la présence étatique, il revêt un caractère d’urgence au Mozambique. Dans la province de Cabo Delgado, plus une semaine ne passe sans qu’intervienne une opération de hit and run de l’EI
. Au Sahel, ce sont des dizaines de milliers d’hectares abandonnés par la puissance régalienne, des espaces immenses livrés à la prédation radicale.Le choc sanitaire provoqué par la Covid-19 sera vraisemblablement absorbé par les États de la région qui, malgré de faibles moyens, possèdent la ressource morale pour ne pas plier face à la menace. En revanche, si l’hypothèse d’une seconde vague virale venait à être confirmée, le champ de tous les possibles serait ouvert.

Complexité au Proche-Orient

Au premier trimestre 2020, l’épidémie de coronavirus se déclare en Irak alors que le groupe État Islamique est en phase de résurgence opérationnelle

. Pendant que les forces régulières surveillent le confinement, l’EI renoue avec l’audace tactique en commettant des attentats à Bagdad et des attaques de postes paramilitaires
. Sous couvert de l’anonymat, des officiers irakiens s’inquiètent des réaffectations d’effectifs qui font le jeu du groupe armé. Le dispositif de sécurité lié à la Covid-19 mobilise des personnels qui devraient être alloués à la lutte anti-terroriste. En conséquence, selon eux, les pertes de l’armée irakienne auraient chuté de 50 % depuis le début de l’épidémie
.

Graphique des attaques de l’EI en Irak depuis le 1er janvier 2020 (Joel Wing, Musings on Iraqblog, 19 mai 2020)

L’inquiétude irakienne porte sur le télescopage de deux agendas. Un premier, sanitaire. Le nouveau gouvernement Al-Kazimi hérite d’une économie très affaiblie par le confinement ; la paupérisation, conjuguée à l’antagonisme sunnite/chiite, pourrait favoriser le recrutement radical. Le second est sécuritaire. Les premiers effets de l’allègement du dispositif militaire américain se font sentir

. La 5ème division de l’armée irakienne déployée à Diyala, bastion de l’EI, manque de matériels ; environ trois cents de ses véhicules sont hors service. Les snipers du groupe État Islamique tirent sur les caméras thermiques censées les surveiller, sans que celles-ci soient remplacéesLa promesse de Donald Trump de désengager les États-Unis des « guerres sans fin » n’a pas été oubliée à Bagdad. Bien que le président américain ait tempéré depuis – un retrait « serait la pire chose qui puisse arriver à l’Irak »

–, un débat s’est engagé sur les notions de retrait, de désengagement progressif ou encore d’allègement. Pragmatique, un ancien patron des opérations spéciales au Pentagone déclare : « La crise [du coronavirus] est une bonne occasion de revoir nos priorités et la valeur et les coûts d’opportunité de tous nos efforts »
Les événements pourraient lui donner raison. Si le Pentagone a réduit la mobilité de ses forces, il maintient ses pleines capacités de réaction

. Après l’élimination du général Soleimani, 3 000 parachutistes de la 82ème Brigade Combat Team sont prépositionnés d’urgence au Koweït

. En Syrie, les forces situées à l’ouest de Deir ez-Zor et de Bukamal remplissent leur mission avec parfois des incidents de tirs en présence d’éléments russes

. Quant aux programmes de soutien et de formation à la lutte anti-terroriste, ils sont opérants en Jordanie, en Somalie et au Kenya.Pour sa part, la France a ajusté l’opération Chammal

. La centaine de personnels dévolus au programme de formation de l’armée irakienne est rapatriée « jusqu’à nouvel ordre », formule sous-tendant un retour à la normale dès la crise jugulée. Les Français restent présents à l’État-major de Combined Joint Task Force de l’opération Inherent Resolve du Koweït et du Qatar. En mars, leurs Rafale ont été équipés de pods de reconnaissance de nouvelle génération (RECO-NG) qui visent à optimiser la collecte d’images des groupes islamistes. Le combat anti-terroriste se poursuit.

Identification des signaux d’évolution

La Covid-19 n’est pas un déclencheur de conflictualités

. Sa dangerosité sur le plan sécuritaire réside en l’onde de choc politique et sociale qu’elle propage. Elle accélère les crises déjà existantes et impacte les signaux d’évolution des groupes armés.Signaux d’affaiblissement des groupes armés

  • L’islam radical et la santé

Pour des groupes aspirant à diriger le monde, l’absence de contenu sur les questions de santé est source de discrédit. En 2014 déjà, Daech n’y prêtait guère attention hormis la gestion des affaires courantes des hôpitaux de Mossoul et de Raqqa. À l’inverse de la médecine traditionnelle asiatique, fort diserte sur le virus, les tabib a’achab (herboristes) des pays arabo-musulmans ne participent pas au débat sur les soins.

  • À l’index des médias

Durant plusieurs mois, les médias internationaux ont consacré la totalité de leurs éditions à la Covid-19 et à ses conséquences. La fermeture de cette fenêtre de visibilité a relégué le hashtag « djihad » aux fils Twitter de quelques passionnés. Sur Telegram, un internaute pro-EI réagit : « Même si des Kuffars gardent les yeux bandés en regardant l’écran de leurs appareils pour nous combattre sur le front médiatique, leur force est détruite sur le front physique ».

  • Géopolitique de l’après-Covid-19

Né dans l’interstice des blocs Est et Ouest qui se défiaient en Afghanistan par procuration, le djihadisme armé devra s’adapter à la nouvelle donne : une dé-occidentalisation, voire, qui sait ?, la dé-globalisation des relations internationales. Auquel cas combien de temps encore le Croisé sera-t-il l’adversaire priorisé des djihadistes ? Le communiste chinois pourrait-il lui être préféré ? Que sera le prosélytisme numérique quand Russes et Chinois auront érigé leurs intranets géants qui marginaliseront à terme un open world tombé en désuétude ? Et la citadelle Europe ? Après les lignes Siegfried et Maginot, va-t-elle se retrancher derrière les frontières Schengen ? Que sera le djihad dans le cybermonde de demain, avec ses communautés humaines épiées, surveillées et taguées ?

Signaux de consolidation des groupes armés

  • Propagande et recrutement

L’argument de la punition divine est souvent entendu avec une once d’ironie en Occident. Suggérons de ne pas négliger ce point. En Somalie, Al-Shabaab s’est réuni cinq jours avant d’adopter une position commune sur l’épidémie, laps de temps bien long pour un déclaratoire sans surprise, le châtiment des Croisés, mais délai indicateur de la complexité du cas pandémique pour sa choura. En effet, si Dieu a décidé de châtier les mécréants, qu’attend-il des groupes armés qui combattent en son nom ? Quelle est leur mission ? La question innerve les prêches en Somalie et dans l’ensemble du monde radical. La foi s’en trouve raffermie. Les énergies se catalysent puisque « Dieu envoie un message ». Les groupes usent de cette situation pour séduire et gagner l’adhésion des populations locales, susciter de nouvelles vocations. Leur argumentation est à la fois mystique et farouchement anti-occidentale :

  • La Covid-19 est le virus des pays riches. Plus de 380 000 morts. 4 000 milliards de dollars pour sauver l’économie. Les « mécréants » dépensent sans compter alors qu’ils n’avaient pas un sou pour Ebola, le virus des pays pauvres.
  • Preuve que le modèle économique dominant est en perdition, les banques qui secourent la planète prospèrent sur le ribâ (prêt à intérêt) interdit en islam.
  • Dieu châtie les personnalités qui tentent de se soustraire à son autorité, quiconque veut influer sur le devenir de l’humanité. Au premier chef, les présidents infectés par le virus (Botswana, Soudan du Sud), un vice-président (Iran), des Premiers ministres (Côte d’Ivoire, Angleterre), des ministres (Espagne), une vice-présidente d’Assemblée nationale (Burkina Faso), des députés (Italie), des sportifs célèbres, des acteurs d’Hollywood, des musiciens, des écrivains, etc.
  • Les grandes puissances ne contrôlent rien. Ni leurs populations, ni leurs frontières, ni leur destin civilisationnel.
  • Recrutement numérique

Le confinement a eu pour effet d’augmenter le taux de fréquentation des réseaux sociaux. Une étude récente confirme l’utilisation massive du Web par les agents recruteurs de la mouvance radiale. Sur 236 membres du groupe État Islamique, 49 % des hommes et 52,6 % des femmes sont recrutés par voie numérique

  • L’islam, une force atemporelle

Depuis l’Âge d’Or jusqu’au déclin du second millénaire, la oumma n’a jamais cessé de croître et de se renforcer, insensible aux crises, aux épidémies et autres drames. À l’inverse des Juifs, le peuple choisi, l’islam radical pense être le peuple voulu, missionné par Dieu au cœur d’une humanité fatalement vulnérable.

  • Une bombe épidémio-humaine ?

L’idée date de 1346, année où les Tatars assiègent la ville de Kaffa, aujourd’hui Théodosie (Crimée). Décimées par la peste, les troupes assaillantes s’apprêtent à lever le camp. Avant de partir, elles catapultent des corps infectés au-dessus des fortifications. La peste qui se propage sera fatale à un tiers de la population européenne.

Gravure du siège de Kaffa : le premier assaut bactériologique de l’histoire de la guerre

La Covid-19 a réactivé ce vieux schéma. Un djihadiste syrien dont l’identité n’a pas pu être vérifiée demande au gouvernement iranien d’employer les malades « vivants ou morts » comme des armes biologiques. Il préconise de les envoyer, à la faveur du déconfinement, répandre la souche virale à travers le monde

L’existence de ces appels à la bombe « épidémio-humaine » est confirmée par le chercheur Mady Ibrahim Kanté, qui travaille sur les violences intercommunautaires au Mali. « Le risque est élevé, dit-il, que des terroristes essaient d’exploiter la vulnérabilité des États, notamment africains, en distribuant la maladie via des personnes infectées qui se fondront dans les populations supposées ennemies »
.

  •  Dégradation du tissu socio-économique

Déficits publics, PIB à la baisse, chômage et colère sociale, l’impact économique de la pandémie inquiète. Sur le continent africain, 325 millions de travailleurs risquent d’être affectés, essentiellement dans le secteur informel. Les pays arabes ne sont pas épargnés, à l’instar de l’Algérie, contrainte de réduire de moitié son budget d’État

.. Tout ceci dans un climat délétère. Les libérations massives de prisonniers en vue d’enrayer l’épidémie n’ont pas intégré les risques de récidive

. Sur mer, le kidnapping de marins a augmenté de 50 % au large des côtes ouest-africaines

  • Renforcement de la finance islamique

Par effet de compensation, le gel de l’économie mondiale a revivifié la finance islamique. HTS mène ainsi des opérations de distribution « d’aides » aux familles de la province d’Idleb (Syrie), vraisemblablement financées par la zakat, alibi usuel à des compensations idéologiques en zone grise. Le crime organisé est également concerné. La Commission de surveillance du secteur financier du Luxembourg a publié une circulaire traitant des menaces liées au coronavirus, blanchiment et financement du terrorisme, menaces confirmée par la Cellule du renseignement financier

Au risque de la bonne gouvernance

Depuis que l’urgence sanitaire a été décrétée, l’islam radical s’interroge sur la nature profonde de la Covid-19.

Bien que soupçonnant la pandémie d’être le prétexte d’un message divin, le groupe État Islamique est prisonnier de son approche percussive de l’islam. Face à l’enjeu de santé publique, il reste inerte, incapable de conceptualiser un scénario de sortie de crise. L’EI « canal historique » ne sait que « ré-agir », être le versus des crises qui font l’actualité du monde. De stratégie, il n’en possède qu’une : attendre que la récession creuse les inégalités sociales et jette dans ses rangs une nouvelle génération de combattants.

À l’inverse, le djihadisme d’obédience wahhabite adjoint à son activisme militaire une approche sociétale. Après les déclarations d’usage sur le châtiment de Dieu, les Talibans ont mis en place une communication institutionnelle à l’adresse de l’OMS, des organisations internationales et du voisin iranien, qui a reçu ses condoléances pour la pandémie. Dans un Afghanistan aux infrastructures de santé déficientes, les islamistes ont imposé les gestes barrières et interdit les rassemblements dans ses zones sous contrôle (Musa Qala, Naw Zar). Des libérations de prisonniers ont été mises en scène au motif qu’il fallait « les protéger de la pandémie », et Kaboul a été accusé d’utiliser la Covid-19 comme « une arme de guerre » à l’encontre de la population afghane

.

Libération de trente-six prisonniers dans le district de Chigazy (province Faryab), le 11 mai 2020.

À terme, les enjeux de gouvernance pourraient devenir un marqueur de l’islam radical.

Rappelons qu’Al-Qaeda sévissait dans le gouvernorat de Hadramaout (Yémen) en 2015, année ou deux cyclones frappèrent

. Les populations locales estiment aujourd’hui encore que le groupe et ses relais
. Idem dans les régions rurales contrôlées par la katiba Macina (Mali), où les vertus de la décentralisation sont pratiquées quotidiennement ; chaque amir markaz, chef de centre, est assisté d’un militaire et d’un juge pour surveiller la gestion des affaires courantesMême l’imprévisible Boko Haram a saisi l’intérêt d’organiser la société – ici le commerce du poisson séché et du poivron rouge –, ne serait-ce pour se différencier de l’organisation rivale, l’ISWAP, qui fournit des services de proximité aux populations. Les routes sont sécurisées pour favoriser le commerce et l’approvisionnement en carburant. Groupe affilié à l’EI, mais avant tout organisation ancrée dans les réalités africaines, il comprend l’opportunité de suppléer aux défaillances des États. Une parodie d’administration fiscale a été instaurée. 13,8 dollars sont prélevés pour l’obtention d’un permis de pêche sur le Lac Tchad, 2,8 dollars pour chaque carton de poissons séchés. Les bénéfices contribuent à l’effort de guerre.

Il est à craindre qu’à l’aune de la pandémie, l’islam radical comprenne les enjeux de la bonne gouvernance et s’approprie ce vieil adage de Hassan al-Bannâ, le fondateur des Frères musulmans, qui estimait que l’action par le bas, l’action sociale et économique, offre l’accès le plus direct à la fondation d’une société islamique.

Tel serait le message divin. L’arme de jet du djihadisme armé, sa vraie ligne de force, est ce par quoi tout aurait dû commencer : l’islam politique.


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