De la liberté solidaire

Par Kaddour Naïmi – 

Le mot «liberté» est employé par tout le monde, à l’exception, bien entendu, des dictateurs. Et encore ! Il leur arrive de déclarer promouvoir la «liberté» quand il s’agit, en réalité, uniquement de celle de leur obéir. Telle est la caractéristique des dictateurs : ils osent appeler «liberté» l’asservissement des autres.

Liberté

Les soi-disant «démocrates» manifestent la même imposture, cependant de manière plus hypocrite. D’abord, ils se déclarent «libéraux», terme construit à partir du mot «liberté». En effet, le «libéralisme» prétend défendre la liberté. Mais de laquelle s’agit-il en réalité ? Celle dite de l’«individu», du point de vue général et, dans le domaine économique, celle du «laisser-faire, laisser-aller». Dans les deux cas, il s’agit de la liberté des personnes (comme individus singuliers ou comme caste) les plus puissants en richesse matérielle, en ruse intellectuelle, en égoïsme caractériel et en insensibilité psychique à la souffrance humaine de leurs victimes. C’est la conception de la jungle : la guerre de tous contre tous, et que le plus fort l’emporte, la fin justifiant les moyens, comme l’expliqua Machiavel dans Le Prince. Cette vision se base sur une prétendue «nature» humaine : elle existerait depuis l’apparition de l’espèce, et consiste dans la «struggle for life» (lutte pour la vie). Cette vision utilisa de manière très opportuniste la théorie de l’évolution animale de Darwin pour la transposer, de manière non scientifique mais idéologique, dans le domaine de l’espèce humaine. Ainsi, les castes dominatrices-exploiteuses crurent justifier et légitimer leur hégémonie sociale.

Cette «liberté» du «libéralisme» a vu le jour historiquement quand la bourgeoise capitaliste combattait pour se libérer du féodalisme autocratique, adversaire de toute forme de liberté d’une manière absolue. Cependant, les idéologues bourgeois capitalistes, en parlant de «liberté», ne tenaient compte que de celle individuelle (du plus puissant socialement) ; ils occultaient le fait qu’il s’agissait de la «liberté» du bourgeois capitaliste de s’émanciper de la domination féodale afin de développer sa personnelle liberté de commercer, donc d’acheter de la main-d’œuvre en échange d’un salaire, et faire du profit. Celui-ci est basé sur la règle de sa maximisation, ce qui implique la minimisation du coût de la force de travail : là réside l’exploitation capitalise. Elle se concrétise par ce que Joseph Proudhon a formulé le premier, et Karl Marx a développé : la plus-value, produite par l’exploitation de la force de travail des salariés.

Dès lors, parler de «liberté» d’une manière générale sans autre précision, et notamment de liberté «individuelle», occulte ce qu’elle contient dans la réalité : la liberté d’exploiter et de dominer, exercée par une minorité de privilégiés sur une majorité de victimes. Mais, alors, objecterait-on : qu’en est-il de la liberté, proclamée par la Révolution française de 1789 ? La réponse est dans la suite de l’exposé.

Egalité

Les considérations précédentes permettent cette affirmation : toute liberté est un leurre (une tromperie) et une injustice si elle n’est pas couplée avec l’égalité entre tous les êtres humains.

Bien entendu, ces derniers n’ont pas des caractéristiques identiques du point de vue de leur aspect physique et intellectuel. Néanmoins, ces différences n’autorisent pas de ségrégation entre les nécessités d’existence matérielle entre ces mêmes êtres humains. Au nom de quoi ? Du principe d’équité. Ce principe distingue l’émancipation de l’espèce humaine de son animalité primitive, qu’on peut également appeler barbarie.

L’équité humaine implique que tous les êtres humains sont égaux en droits en matière d’accès aux richesses naturelles de la planète, donc de nourriture, de logement, de santé, d’instruction, de loisirs, etc. Par conséquent, toute forme d’exploitation économique, de domination politique et de conditionnement idéologique porte atteinte à cette égalité entre les êtres humains. Donc, toute liberté (individuelle) qui ne comprend pas l’égalité (entre les individus) n’est que celle de l’être humain agissant comme un animal (un barbare) au sein d’une «société» qui est demeurée une jungle. Toutes les considérations des idéologues du «libéralisme» ne pourront jamais occulter ce fait, quelles que soient leurs formules hypocrites, apparemment civilisées et au «service» de l’humanité.

La fameuse Révolution française de 1789 commença d’abord par proclamer le célèbre principe «Liberté, Egalité, Fraternité». Cependant, bien vite, l’égalité fut éliminée par le la caste de Robespierre. Elle envoya à l’échafaud les partisans de l’élément le plus important de la célèbre trilogie, – l’Egalité –, précisément appelés les «Egaux» : les Hébertistes et les babouvistes. Ils étaient les révolutionnaires authentiques, radicaux ; et, malheureusement, le fer de lance de la Révolution française, les Sans-culottes prolétaires, ne se soulevèrent pas contre cette première forme de contre-révolution, autrement dit de récupération de la Révolution populaire par la bourgeoisie étatiste. Laquelle, pour se légitimer, en guise de religion, inventa l’Etre suprême. Et, pour le fêter, le même Robespierre se permit cette manifestation de pouvoir absolu personnel : se présenter en premier, devant tous les autres, à cette célébration. Vanité de despote. Adieu l’égalité ! Désormais, il y eut des «égaux mais plus égaux que les autres» : les membres de la nouvelle caste bourgeoise étatiste, représentée par Robespierre.

Donc, adieu la liberté ! Celle des révolutionnaires qui défendaient réellement les intérêts du peuple travailleur et exploité de France. Ne restait plus que la «liberté» de la caste bourgeoise étatiste d’établir un régime politique à sa convenance, en éliminant par la guillotine ses adversaires, non seulement féodaux mais également les partisans de l’égalité et des authentiques liberté (celles de tous, et d’abord des prolétaires).

De la «Fraternité» n’est restée que celle des robespierristes, nouvelle forme de caste despotique bourgeoise capitaliste. Là est la réelle histoire de la Révolution française de 1789, non pas relatée par les écrivains dominants.

Solidarité

Auparavant, ont été évoqués les droits citoyens. Venons aux devoirs. Quel est le premier d’entre eux sinon la solidarité : celle du fort avec le faible, quelles que soient les formes de cette force et de cette faiblesse ? C’est précisément la solidarité : elle est la meilleure et la plus significative preuve que l’espèce humaine s’est affranchie de sa première période, celle animale, marquée par la loi de la jungle, à savoir la domination du plus fort sur le plus faible.

Cependant, même dans le règne animal existe des formes de solidarité, relatées par Pierre Kropotkine dans ses ouvrages. Il reste néanmoins vrai que, dans le monde animal, le plus fort domine et vit aux dépens du plus faible. Par conséquent, c’est par la solidarité du plus fort avec le plus faible que l’humain manifeste son émancipation de son animalité. C’est dans ce progrès fondamental dans les relations sociales que l’espèce manifeste la meilleure partie d’elle-même : son humanité, comme supérieure à l’animalité. Là sont les authentiques civilisation et culture (1).

Dès lors, il devient compréhensible d’affirmer ceci : les personnes les plus dotées d’instruction (quel que soit le domaine), et les personnes qui ont dirigé, dirigent ou dirigeront des communautés humaines (quelles que soient leur nature et importance) ne peuvent être considérées civilisées et cultivées que dans la mesure où leurs actes et conceptions manifestent la solidarité indispensable du plus fort avec le plus faible. Autrement, leur cerveau demeure celui de l’animal préhistorique, et ceci quels que soient les diplômes universitaires obtenus.

Quelles sont les deux premières formes de solidarité ? Faire en sorte que tous les êtres humains soient : 1) considérés et traités de manière égalitaire, et cela quelles que soient les différences des aptitudes physiques et intellectuelles ; 2) considérés et traités comme êtres libres de bénéficier de tous les droits à une vie digne, auparavant évoqués.

Trinité salvatrice

Ainsi, espérons avoir montré pourquoi et comment il ne peut exister de liberté authentique sans égalité et solidarité authentiques. C’est le motif qui explique mon emploi systématique de l’expression «liberté solidaire». Dans «solidaire» est incluse l’égalité. Et s’il faut être totalement exhaustif, il faut, alors, dire : «Liberté égalitaire solidaire.»

Supprimer l’un de ces trois éléments, et vous n’aurez plus aucun des trois éléments, dans son acceptation authentique. Sans égalité de droits, comment pourraient exister la liberté authentique, autrement dit pour toutes et tous, et la solidarité du fort avec le faible ? Sans égalité, que serait la liberté, sinon celle du plus fort au détriment du plus faible. Sans égalité que serait la solidarité sinon, d’une part, celle des membres de la caste dominatrice-exploiteuse pour exercer ce privilège et, d’autre part, une aumône humiliante et insuffisante envers les dominés-exploités ?

Sans la solidarité, que serait la liberté sinon celle du plus fort au détriment du plus faible. Sans la solidarité, que serait l’égalité, sinon celle de ceux qui se croient «plus égaux que les autres», à savoir les castes oligarchiques exploiteuses-dominatrices ?

Que l’on ne s’imagine pas que ce genre de castes se trouve uniquement parmi les bourgeois capitalistes. Les bolcheviques, malheureusement, se comportèrent ainsi dès qu’ils mirent la main sur le pouvoir étatique. Et, en Algérie, on connaît le dicton populaire de l’époque du «socialisme» : «L’ichtirakiyâ ? L’auto lik we l’hmâr liy’a !» (Le socialisme ? L’auto pour toi et l’âne pour moi).

En conclusion, en présence du mot «liberté», il faut absolument veiller à savoir quelle en est la relation avec l’égalité et la solidarité. Autrement, on est au mieux dans la confusion, au pire dans la manipulation opérée volontairement par les dominateurs-exploiteurs et leurs scribes-mandarins de service, et ceci quelle que soit l’idéologie proclamée.

Bien entendu, ces considérations seront jugées «séditieuses» et fomentant la «division» sociale par ceux-là mêmes qui tirent profit de la division sociale, basée sur l’exploitation. L’unité sociale harmonieuse implique la suppression de toute exploitation de l’être humain par son semblable, pour la remplacer par la liberté, l’égalité et la solidarité. Au «chacun pour soi et Dieu pour personne», il faut passer au «chacun pour tous et tous pour chacun». Autrement, la part animale de l’être humain se conclura par l’extinction pure et simple de l’espèce humaine, sous forme de guerre nucléaire. Dans le passé, on disait «socialisme ou barbarie». Nous voici à l’époque de : solidarité ou disparition de l’espèce humaine sur la planète Terre. La solidarité authentique comprend l’égalité et la liberté collectives, donc individuelles.

K. N.

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(1) L’exposé développé de cette idée fut formulé par Michel Bakounine dans son ouvrage Dieu et l’Etat, disponible ici : http://fr.wikisource.org

(2) Voir Voline, La Révolution inconnue, disponible ici : http://kropot.free.fr/Voline-revinco.htm

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