(Dé)construction contre (Dé)construction : La face cachée de la démocratie américaine

    “I want him to show his birth certificate…There is something on that birth certificate that he [Obama] doesn’t like” (Trump, March 2011). […] I think he [Obama] is the worst President maybe in the history of our country   (Donald Trump, Fox New, August 2016).
“He [Trump] is one of the most incompetent presidents in the history of the United States of America” (Biden, PBS News, January 8, 2021). […] We will repair our alliances and engage with the world once again”  (Biden, Inaugural Address, January 20, 2021).

 

   

Par Arezki Ighemat *


Quand on parle de la démocratie en général — et de la démocratie américaine en particulier — on sous-entend habituellement un système de valeurs et de principes institutionnels et constitutionnels incluant : des élections libres et honnêtes dans lesquelles le candidat qui obtient le plus de votes est celui/celle qui est élu(e) ; un mécanisme de «checks and balances» (contrôles et équilibres) entre les trois branches du gouvernement (Exécutif, Législatif, Judiciaire) par lequel aucun des trois pouvoirs n’enfreint les prérogatives de l’autre ; l’existence de partis politiques d’opposition reconnus dont le rôle est de contrôler les activités du gouvernement au pouvoir ; une société civile dynamique dont la mission est de contrôler aussi bien les activités du gouvernement que celles des partis politiques ; un système de libertés comprenant les libertés individuelles et collectives (liberté d’expression, liberté de presse, etc.).

La démocratie américaine est supposée englober toutes ces valeurs et tous ces principes. Cependant, il y a un aspect de la démocratie américaine qui est vital, mais qui n’est pas très connu — ou tout au moins dont on parle très peu : c’est la pratique que j’ai appelée «(dé)construction contre (dé)construction». Selon cette pratique — non inscrite dans la Constitution américaine et non enseignée en tant que telle en science politique — le gouvernement qui arrive nouvellement au pouvoir essaie systématiquement de faire table rase de tout (ou, tout au moins, d’une grande partie) des politiques et actions du gouvernement sortant. Si le gouvernement qui arrive au pouvoir est républicain, il remet en cause les politiques et actions du gouvernement démocrate sortant. Si la nouvelle administration est démocrate, elle remet en question celles construites (ou dé-construites) par l’administration républicaine sortante. Le présent article a pour objet d’illustrer ce système de «(dé)-construction versus (dé)construction» en prenant l’exemple du nouveau gouvernement du démocrate Joe Biden et du gouvernement «républicain» sortant de Donald Trump. Nous verrons donc successivement comment l’administration Trump a déconstruit les politiques et actions de Barak Obama et comment la nouvelle administration de Joe Biden est en train de déconstruire les «acquis» de l’administration Trump.

(Dé)construction par Donald Trump de tout ce qui est Barak Obama
Une grande partie de la stratégie de Donald Trump au niveau interne comme au niveau international est de démonter l’édifice de son prédécesseur le Président Barak Obama. Et cela ne date pas seulement du temps où Obama était Président, mais remonte à avant son inauguration. En effet, Trump, conformément au mouvement d’extrême droite appelé «Birtherism», nie que Obama est né aux Etats-Unis et que, par conséquent, il ne peut pas être Président. Cette thèse, Trump la défend déjà depuis 2011 : «I want him to show his birth certificate…There is something on that birth certificate that he [Obama] doesn’t like” (Je veux qu’il montre au public son certificate de naissance…Il y a quelque chose dans ce certificat de naissance qu’il [Obama] n’aime pas) (Donald Trump, March 23, 2011). Trump poursuit en disant: «I think he [Obama] is the worst President in the history of our country” (Je pense qu’il [Obama] est le pire Président de l’histoire de notre pays) (Donald Trump, Fox News, August 2016). Trump continuera à attaquer et à démonter tout ce qu’Obama avait construit pendant ses deux termes présidentiels. Les politiques et actions adoptées par le Président Obama étant trop nombreuses aussi bien dans les domaines intérieur qu’extérieur qu’il n’est pas possible, dans un article de cette taille, de les évoquer toutes. Nous ne citerons donc que celles que nous considérons comme les plus importantes.

Au plan intérieur, Trump a démantelé un certain nombre des actions prises par Obama. La première des plus importantes est ce qui est appelé communément «ObamaCare», ou encore «Affordable Care Act». Grace à cette mesure, plus de 30 millions d’Américains à faible revenu ont pu contracter une assurance-maladie. Heureusement que le Congrès, puis la Cour Suprême, ont refusé d’entériner la décision du 23 janvier 2017 prise par le Président Trump de remettre en cause ObamaCare. La seconde politique prise par le Président Barak Obama et annulée par Trump est dans le domaine de l’immigration. Il s’agit de la construction par Trump de son fameux «Wall» (Mur) à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, décision qu’il a prise par «executive order» du 25 janvier 2017. Parallèlement à la construction de ce mur, Trump a réalisé aussi diverses facilités permettant l’encadrement et l’incarcération des immigrants — notamment des enfants — venus des pays de l’Amérique du Sud et vivant illégalement ou comme réfugiés aux Etats-Unis. Le troisième «executive order» pris par Trump pour contrecarrer l’héritage Obama a consisté à réduire, voire éliminer, les régulations administratives qui existaient pendant la présidence Obama et qui, selon Trump, pesaient trop sur les entreprises, y compris la sienne et celles des membres de sa famille, notamment sa fille Ivanka et son beau-fils (le mari d’Ivanka), Jared Kushner. La quatrième grande décision prise par Trump pour démanteler l’édifice Obama est dans le domaine des taxes. Trump a, en effet, réduit de façon substantielle, les taxes qui pesaient sur les entreprises, dont la sienne et celles de sa famille alors qu’Obama avait, en son temps, augmenté ces taxes pour les grandes entreprises et les milliardaires.

Au plan international, Trump démantèlera aussi un certain nombre de mesures prises son prédécesseur, Barak Obama. L’une d’elles est le retrait, à compter du 1er juin 2017, des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le Changement du Climat signé à l’époque par près de 200 pays et ayant pour objectif de réduire le réchauffement du climat grâce à la réduction des émissions de gaz à effet de serres. L’autre mesure prise par Trump contre l’héritage Obama est l’annulation des relations diplomatiques avec Cuba. On se rappelle qu’Obama et Raul Castro avaient décidé le 17 décembre 2014, de normaliser les relations diplomatiques entre les deux pays. Trump a aussi annulé d’autres traités dans le domaine du commerce international. C’est le cas de deux traités notamment : le TPP (Trans-Pacific Partnership) signé entre 12 pays des deux côtés du Pacifique (USA, Singapour, Nouvelle Zélande, Vietnam, Malaisie, Japon, Pérou, Australie, Chili, Brunei, Mexique, Canada) et les Etats-Unis ; et NAFTA (North-American Free Trade Agreement) entre les USA, le Mexique et le Canada. Trump considère que ces traités sont «unfair to the United States» (non équitables pour les USA) et ont fait transférer de nombreux emplois des USA vers ces trois pays, notamment vers le Mexique.

Un autre traité stratégique duquel Trump s’est aussi retiré est le Traité sur le Nucléaire Iranien, aussi connu sous le nom de JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) signé le l4 juillet 2015 entre l’Iran et les 5+1, les cinq pays membres du Conseil de Sécurité (Angleterre, USA, Russie, France, Chine) et Allemagne. Le but de cet accord était de réduire les capacités de l’Iran en matière de nucléaire militaire et, en retour, de lever l’embargo que les pays occidentaux avaient imposé à l’Iran. Pour annuler ce traité, Trump invoquera la raison suivante : «[this Iranian Deal] is a direct national security threat to the United States» ([Ce traité avec l’Iran] est une menace directe pour les USA) car, ajoute-t-il, «L’Iran a continué à encourager les conflits, la terreur et le désordre au Moyen-Orient». En réalité, la décision de Trump est liée directement à la menace (réelle ou supposée) que constituerait ce «deal» pour Israël, l’allié stratégique des USA, et probablement au refus d’Israel de voir ce traité conclu. Trump a aussi annulé un Programme appelé DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals, Program) par le biais duquel Obama avait offert un statut légal aux “Dreamers» (les enfants des immigrés illégaux et réfugiés vivant aux Etats-Unis). Trump a complètement mis fin à ce Programme qui concerne quelques 800 000 «Dreamers».

Trump a également retiré les Etats-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avec effet le 6 juillet 2021. Le motif invoqué était que l’OMS «is slow to respond to the pandemic and being too China-centric” (L’OMS est trop lente à répondre à la pandémie et est trop centrée sur la Chine). Sur cette allégation de «centrisme» de l’OMS vis-à-vis de la Chine, Trump dira encore que l’OMS a succombé à la pression de la Chine «to mislead the world when the virus was first discovered by Chinese authorities» (l’OMS a mal guidé le monde lorsque le virus fut découvert par les autorités chinoises pour la première fois). A la suite de la décision de Trump, l’Association Américaine de Médecine dira : «The Trump administration’s official withdrawal from the World Health Organization puts the health of our country at grave risk” (Le retrait official de l’administration Trump de l’OMS place notre pays face à un grave risque». Il se trouve que les Etats-Unis sont le pays qui, effectivement, est le plus affecté de tous les pays de la planète par la pandémie de Covid-19.

(Dé)construction par Joe Biden de tout ce qui est Trump
Comme Trump a démantelé les politiques et actions d’Obama, Joe Biden a promis — et a, en fait, commencé le processus — de faire la même chose pour les politiques et actions de Trump. Le jour-même de son investiture le 20 janvier 2021, Biden a pris 17 «executive orders» dans ce sens. Les premières décisions prises par Biden ont été de renverser complètement la politique en matière de lutte contre la pandémie de Covid-19, mettant fin au mis-management — certains ont parlé de «fiasco total»–du Président Trump.

Parmi ces mesures, il y a celle obligeant tous les employés des institutions fédérales à porter le masque, à commencer par les employés de la Maison Blanche. Il restaure aussi le Directoire de Sécurité Sanitaire et de Biodéfense Globales qui avait été supprimé par Trump. Toujours concernant les masques, il a décrété ce qu’il a appelé «The First 100 days» (ou encore «100 days masking challenge) demandant à tous les Américains de porter le masque pendant les prochains 100 jours. Encore dans le même domaine, Biden a décidé d’exiger de tous les touristes et autres voyageurs venant d’autres pays de présenter la preuve qu’ils sont négatifs au Covid-19 avant leur entrée aux Etats-Unis. Toujours pour lutter contre la pandémie, Biden a mis en place tout un Programme pour vacciner les Américains dans les meilleurs délais possibles — environ 100 millions dans les prochains 100 jours — et ce grâce à la fourniture de plus de vaccins et en accélérant le rythme de leur inoculation. Il envisage même d’envoyer les services de FEMA (Federal Emergency Federal Agency), une agence qui intervient habituellement uniquement dans les cas de catastrophes naturelles (séismes, ouragans, etc.) et même l’armée pour atteindre l’objectif fixé.

Dans le domaine de l’immigration, Biden a réintroduit le Programme dit DACA, évitant ainsi aux «Dreamers» d’être déportés vers leurs pays d’origine. Toujours concernant l’immigration, Biden a demandé au Congrès d’adopter une loi qui permettrait aux immigrants qui séjournent illégalement aux Etats-Unis de pouvoir être naturalisés citoyens américains. Mais la plus importante décision du nouveau Président dans le domaine de l’immigration est d’annuler le «Muslim ban» qui interdisait l’entrée aux Etats-Unis de citoyens de sept pays musulmans (Iran, Irak, Somalie, Libye, Soudan, Syrie et Yémen). Ce «ban» (cette interdiction), imposé par Trump par «executive order» du 27 janvier 2017, touche quelques 218 millions de citoyens de ces sept pays. Biden a aussi décidé d’arrêter la construction de ce qu’on appelle maintenant «The Trump Wall» (le Mur de Trump) dont la construction avait été décidée par «executive order» le 27 janvier 2017. Ce mur, à lui seul, devait coûter la bagatelle de 21,6 milliards de dollars et devait durer 3 ans et demi, et, selon Trump, devait être financé par le Mexique. Ce mur devait, selon Trump, empêcher les citoyens de pays du Sud de l’Amérique d’immigrer aux Etats-Unis à travers la frontière mexicaine.

Dans un autre domaine, le changement du climat, Biden a signé la lettre qui permettra aux Etats-Unis de réintégrer l’Accord de Paris sur le Climat duquel Trump s’était retiré. Selon cette lettre, les Etats-Unis rejoindront à nouveau cet accord dans les prochains 30 jours. Dans le domaine des relations sociales, notamment du phénomène du racisme qui ronge la société américaine depuis l’ère du temps, Biden a pris un «excecutive order» annulant celui que Trump avait pris et qui limitait la capacité des agences fédérales et autres institutions à offrir une formation en matière d’inclusion et de diversité sociale. Cet «executive order» vise aussi à permettre aux personnes de tous les «backgrounds» d’accéder aux avantages et services fédéraux. Un autre «executive order» pris aussi par Biden est celui demandant au gouvernement fédéral de ne pas faire de discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et du genre, une décision qui annule les décisions de Trump en la matière.

Dans le domaine économique, le nouveau Président a décidé d’aider les individus à faible revenu ainsi que ceux qui ont perdu leurs emplois suite à la pandémie et d’aider aussi les petites entreprises de type familial à payer leurs arriérés de loyer ou les factures d’achats. Une autre décision concerne l’augmentation du salaire minimum qui devrait passer de 7,5 dollars à 15 dollars, ce que Trump a toujours refusé. Il a aussi pris une décision consistant à soulager les étudiants en repoussant l’échéancier de remboursements de leurs dettes jusqu’à septembre prochain. Biden a aussi décidé de geler toutes les actions de Trump visant à déréguler les règles de fonctionnement de l’administration fédérale. Il a aussi établi tout un programme pour lutter contre la faim aux Etats-Unis, notamment grâce à l’établissement de banques alimentaires. Dans le domaine de l’éthique, Biden a pris une décision demandant aux hauts fonctionnaires de l’administration fédérale de signer un «engagement d’éthique» par lequel ils déclarent qu’ils n’utiliseront pas les services et les ressources fédérales pour leur intérêt personnel et ne recevront pas de cadeaux de lobbies (compagnies, gouvernements, etc.).

Rappelons que Trump a placé tous les membres de sa famille dans des postes stratégiques à la Maison Blanche et autres organisations fédérales, ce qui est contraire à l’éthique administrative. Dans le domaine international, Biden n’a pas promis de faire réintégrer les Etats-Unis au sein du Traité sur le Nucléaire Iranien. Il va probablement soumettre ce traité à une nouvelle évaluation par les partenaires avant de prendre la décision de rejoindre ou de ne pas rejoindre le traité. Aussi dans le domaine international, il n’est pas encore clair ce que fera Biden concernant les accords récemment signés entre Israël et certains pays arabes et maghrébins (Emirats Arabes Unis, Bahrain, Soudan et Maroc) sous le parapluie du gouvernement Trump. Il est même probable qu’il ne les remettra pas en cause car cela toucherait aux intérêts du plus stratégique allié des Etats-Unis : Israël.

Conclusion
Nous avons vu, tout au long de cet article, qu’une partie importante de la démocratie américaine est la possibilité, pour toute nouvelle administration, de remettre en cause les politiques et actions de l’administration sortante. Comme exemple de cette politique, nous avons vu que le Président Trump a presque totalement démoli l’édifice politique et socio-économique établi par son prédécesseur, le Président Barak Obama. En retour, le nouveau Président, Joe Biden, est en train de remettre en question l’essentiel de la (dé)construction du Président Trump.

Ce processus de (dé)construction versus (dé)construction — ou de «revanche» versus «revanche «–est d’autant plus accentué bien sûr lorsque l’administration nouvelle a la couleur politique opposée de l’administration qu’elle remplace. Cependant, cette pratique — qui semble être un élément important mais non invoqué officiellement dans la démocratie américaine — peut avoir des effets déplorables, voire désastreux lorsque, par exemple, l’administration nouvelle remet en cause ou met fin à des politiques et actions qui vont dans l’intérêt du pays ou de la population, comme, par exemple, lorsque Trump a voulu mettre fin à ObamaCare qui est un service d’intérêt général. En dépit de cet inconvénient, la pratique de la «(dé)construction/(dé)construction»–qui pourrait être comparée, en politique, à ce que Joseph Schumpeter a nommé en économie «creative destruction» (la destruction créative) — est une pratique qui est acceptée, voire appréciée par les Américains qui pensent que, dans le long terme, cela ne peut que dynamiser l’activité politique, améliorer la gouvernance du pays et être bénéfique à la population.

Après tout, le droit de remettre en cause la gouvernance de l’administration au pouvoir est un des droits fondamentaux des individus et des peuples, ainsi que l’a rappelé le nouveau Président Joe Biden dans son discours inaugural du 20 janvier 2021 : «That’s democracy. That’s America. The right to discent peacefully, within the guardrails of our Republic, is perhaps our nation’s greatest strength” (C’est cela la démocratie. C’est cela l’Amérique. Le droit à se révolter pacifiquement, dans les limites fixées par notre République, est peut-être la plus grande force de notre nation).


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