Démolitions de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est : chronique d’une épuration planifiée

Par Amira HASS

Depuis 1967, Israël exproprie des terres pour les colonies juives à Jérusalem et contraint les Palestiniens de la capitale à construire sans permis. La décision de la Cour suprême israélienne sur Sur Baher cette semaine n’en est que le dernier exemple.

Les forces israéliennes démolissent un bâtiment à Sur Baher près de la barrière de séparation, juillet 2019.Photo Mahmoud Illean / AP
Les routes menant à la zone Wadi al-Hummus de Sur Baher sont étroites, bosselées, pleines de nids-de-poule et si raides que votre rythme cardiaque s’accélère et que votre main passe la première vitesse. Ces artères étroites traversent un  bâti très dense, incohérent dans son style et sa qualité.
Çà et là, quelques bâtiments anciens en pierre se détachent, leur beauté reste intacte malgré les ajouts précipités d’un étage ou de quelques pièces. En l’absence de trottoirs, les gens marchent entre les voitures garées et celles qui circulent. Le méli-mélo architectural de Sur Baher est l’arrière-plan visuel nécessaire pour comprendre les démolitions qui y ont eu lieu cette semaine à la limite sud-est du quartier.
Sur Baher ; le nom pourrait signifier un mur magnifique ou un secret magnifique, ce dernier faisant référence à une rencontre où, selon une tradition, le calife Omar Ibn Al-Khattab planifia sa percée vers Jérusalem en l’an 637. Les études du village contiennent des conjectures sur les changements de nom qu’il a subis depuis les époques précédentes.
Mais dans sa version actuelle, il a été mentionné pour la première fois dans le recensement ottoman de 1596. À l’époque, 29 familles d’agriculteurs et d’éleveurs peuplaient le village ; ils vivaient dans des grottes et, lorsqu’ils ont pris de l’expansion, ils ont construit des maisons autour de patios.
Pendant tout ce temps, ils continuèrent à cultiver la terre et à élever le bétail dans le grand espace entre Jérusalem et Bethléem. Lorsque Israël a occupé la Cisjordanie en 1967, le nombre des descendants de ces familles s’élevait à environ 4 700.
Aujourd’hui, le nombre d’habitants du village, qui est devenu un  » quartier « , est d’environ 24 000, y compris les habitants du village voisin d’Umm Tuba et d’un quartier créé il y a environ 100 ans par les membres de la tribu Obadiah.
L’encombrement intolérable n’est pas dû au hasard. C’est le résultat de la politique israélienne à Sur Baher comme dans d’autres villages palestiniens que l’Etat a annexés à Jérusalem. Israël a déclaré son désir de maintenir une majorité juive dans la ville par tous les moyens. Ses principaux outils sont l’absence de planification dans les zones palestiniennes, la planification déficiente, la négligence, la discrimination, les démolitions, les maigres possibilités d’emploi et la coupure des quartiers d’avec leurs espaces naturels. Cette politique témoigne d’un manque de respect à l’égard des racines profondes des résidents palestiniens dans leurs villages/quartiers et de leur appartenance de longue date à Jérusalem.

L’armée israélienne démolit des maisons palestiniennes dans le quartier de Wadi al-Hummus à Jérusalem-Est, 22 juillet 2019. Photo Mussa Issa Qawasma / Reuters

Ni l’ancienneté de Sur Baher, ni l’affluence de public à l’audience n’ont suscité l’intérêt des juges de la Cour suprême Menachem Mazuz, Uzi Vogelman et Isaac Amit lorsque, dans leur décision du 11 juin, ils ont autorisé l’Etat démolir des logements dans la seule réserve foncière qui reste au village. Environ 6 000 personnes vivent à Wadi al-Houmous, dont certaines dans des tours d’habitation situées à proximité de la barrière de séparation. Mercredi, vous pouviez sentir la crainte des locataires qu’Israël ne démolisse également leurs maisons.
Les études et rapports des groupes de défense des droits Bimkom, Ir Amim et B’Tselem, ainsi que de l’Institut d’études israéliennes de Jérusalem, du Bureau central palestinien des statistiques et du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, l’ OCHA, fournissent les faits et chiffres mentionnés ici et expliquent comment la route vers cette peur palpable a été tracée.
À la veille de l’occupation du village en 1967, son territoire se situait entre 9 000 et 10 000 dunams (900-1000 ha). Les différentes sources ont des chiffres quelque peu différents. La plus grande partie du village a été annexée à Jérusalem et se trouve à l’intérieur des frontières de la capitale. Environ 1 500 à 2 000 dunams de Sur Baher sont restés en dehors de la frontière municipale, en Cisjordanie. Mais pour les habitants, l’espace est resté le même.
Deux mesures de planification prises par Israël ont eu un effet beaucoup plus important sur la population locale : Quelque 2 250 dounams ont déjà été confisqués en 1970 pour construire Armon Hanatziv, un quartier d’Israéliens et une colonie illégale pour les Palestiniens et le droit international. Au milieu des années 90, environ 250 autres dounams ont été confisqués pour Har Homa, le quartier/colonie empiétant sur le village par sud.
Cela n’est pas seulement vrai pour Sur Baher. Depuis 1967, Israël a confisqué environ 38 % des 70 kilomètres carrés du territoire palestinien qu’il a annexé à la capitale, afin de construire des quartiers verts bien entretenus pour les Juifs.
La deuxième étape consistait à restreindre la construction dans les villages palestiniens annexés. De larges étendues de leurs terres ont été déclarées zones ouvertes sur lesquelles la construction était interdite. En même temps, pour préserver le « caractère rural », de faibles pourcentages de construction leur ont été imposés. En d’autres termes, la surface bâtie permise dans chaque lot était limitée. Pendant ce temps, dans les colonies voisines, des tours d’habitation ont été planifiées et construites pour accueillir le plus grand nombre possible de Juifs.

Pénurie de logements

En 2017, lorsque Ir Amim et Bimkom ont publié leur rapport  » Deliberately Planned  » analysant les graves problèmes de logement à Jérusalem palestinienne, seuls 8,5 % de tout Jérusalem (soit 15 % de Jérusalem-Est) étaient réservés au logement palestinien, alors que 37 % de la population de la capitale sont Palestiniens.
Même dans cette petite zone, la construction autorisée est limitée, de sorte que le nombre de personnes par chambre est beaucoup plus élevé chez les Palestiniens que chez les Israéliens ; c’est pourquoi les fils mariés et leurs familles vivent avec leurs parents dans le même appartement. Cette pénurie de logements a poussé des milliers de Palestiniens de Jérusalem vers des quartiers voisins qui n’ont pas été annexés à Jérusalem et a généré la pratique massive de construction sans permis.
Un plan directeur pour Jérusalem élaboré en 2000 et approuvé en 2009 a été ironiquement suspendu en raison des possibilités de développement qu’il offrait à certains quartiers palestiniens. Les auteurs du rapport de 2017 – l’architecte Efrat Cohen-Bar de Bimkon et Aviv Tatarsky d’Ir Amim – notent que les nombreux ordres de démolition, l’aggravation de la pénurie de logements et la prise de conscience que la municipalité ne planifierait plus pour les Palestiniens locaux ont poussé les habitants de Jérusalem-Est à élaborer eux-mêmes, à leurs frais, des plans directeurs détaillés. Mais la municipalité retarde le processus d’approbation.
De 2009 à fin 2016, des plans directeurs détaillés – seul moyen d’obtenir des permis de construire – ont été approuvés pour les quartiers juifs de la ville, prévoyant 10 000 logements. Dans les quartiers palestiniens, des plans isolés ont été approuvés, ne prévoyant que des centaines de logements. Seulement 8 % des permis de construire d’appartements à Jérusalem à cette époque étaient destinés aux Palestiniens.
Depuis 2009, les autorités israéliennes ont démoli ou forcé les propriétaires à démolir 69 structures à Sur Baher. Le prétexte des démolitions était l’absence de permis de construire. Quarante-six de ces structures étaient des maisons peuplées ou en cours de construction, selon l’OCHA. Trente familles – 400 personnes, dont environ la moitié étaient des enfants de moins de 18 ans – ont perdu le toit au-dessus de leur tête.
Parmi les bâtiments démolis, cinq se trouvaient à l’extérieur des frontières de Jérusalem, c’est-à-dire dans la zone définie comme la Cisjordanie – trois bâtiments dans la zone dite C et deux dans la zone A. Cette semaine, sous prétexte de leur proximité de la barrière de séparation, la démolition de 10 structures à Wadi al-Houmous, deux d’entre elles habitées, a été ajoutée, ainsi que les fondations de trois bâtiments.

Le transfert silencieux de population

La construction de Wadi al-Houmous a commencé alors qu’il s’appelait la Cisjordanie et n’avait pas encore été divisé artificiellement en zone A sous la responsabilité de l’administration et de la police palestiniennes, zone B sous la responsabilité administrative palestinienne et zone C sous l’autorité administrative d’Israël en plus de son autorité militaire sur la Cisjordanie entière. Cela a été fait avant la mise en œuvre des Accords d’Oslo II en Cisjordanie et avant le régime d’interdiction de circulation entre Jérusalem et la Cisjordanie qui a été mis en œuvre en mars 1993.
Une campagne juridique menée par le groupe de défense des droits et le suivi par Ha’aretz ont permis de mettre fin à cette absurdité et de rétablir le statut des habitants de Wadi al-Houmous. Au début de l’année 2000, une lutte juridique ultérieure a permis d’empêcher la séparation artificielle du quartier de la partie de Jérusalem de Sur Baher, et en 2005, la barrière de séparation a été construite à quelques centaines de mètres à l’est de la frontière municipale. Ainsi, dans les classifications artificielles des occupations et des accords, Wadi al-Houmous est une zone hybride.
C’est aussi un hybride sociologique : il est habité par des habitants de Jérusalem et de Cisjordanie, certains mariés à des habitants de Jérusalem. Tous les six mois, les Cisjordaniens sont obligés de renouveler un permis de séjour s’ils veulent vivre dans leur propre maison.
Des personnes qui ont déménagé d’autres quartiers palestiniens y vivent également, y compris du camp de réfugiés de Shoafat. La nécessité de résoudre la pénurie de logements surmonte la peur des communautés traditionnelles d’accueillir des « étrangers ». Un appartement construit avec un permis de l’Autorité palestinienne coûte entre 70 000 $ et 100 000 $, contre 300 000 $ à 350 000 $ pour un appartement similaire dans la partie de Sur Baher à Jérusalem.
Lorsque l’arrêté militaire interdisant toute construction sur une bande de 300 mètres de large de part et d’autre de la barrière de séparation a été publié en 2011, il y avait déjà 134 structures dans la zone interdite à Wadi al-Houmous. La pénurie de logements à Jérusalem était plus forte que tout autre ordre, et une centaine d’autres bâtiments ont été construits depuis. Ils sont tous répartis entre les zones A, B et C. Les démolitions ont donné lieu à une vague de dénonciations de l’étranger. Vont-elles arrêter les prochaines démolitions ?


Localisation des propriétés palestiniennes démolies à Wadi al-Hummus T

Traduit par  Fausto Giudice


Merci à Tlaxcala
Source: https://bit.ly/32YXI9Z 
Date de parution de l’article original: 26/07/2019
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=26644


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