Algérie / Développement, sommes-nous mal partis ?

     Par Said Kloul (*)

(Lorsqu’on regarde la situation actuelle des ex-pays communistes, la Fédération de Russie, les ex-satellites de l’ex-Union soviétique…, la Chine et le Vietnam, quasiment tous membres de l’OMC, on ne peut s’empêcher de se demander ce qui fait que quasiment tous ces pays, qui étaient des communistes «purs et durs», ont réussi à prendre rapidement le train du développement sur les traces et, par certains aspects, comme la Chine, dans le peloton de tête des pays développés. A des degrés différents, ils sont passés de la stricte collectivisation des moyens de production et d’une stricte gestion planifiée, centralisée et bureaucratique à une économie plus ou moins libérale, du moins lorsqu’on observe leurs slogans, leurs relations commerciales avec les pays développés et leurs performances.

Prenons l’exemple de la Chine. L’économie y est toujours planifiée, mais l’Etat chinois a accru progressivement le nombre de secteurs ouverts aux initiatives privées et réduit la bureaucratie en transférant des pans de plus en plus larges de la planification aux gouvernements locaux.

Résultat, l’excédent commercial de la Chine dépasse $500 milliards en 2020 ; elle est aujourd’hui le deuxième pays après les USA pour le nombre de milliardaires en dollars (Forbes 2021), à l’exemple de Zhong Shanshan, magnat des boissons, dont la fortune nette atteint $68,9 milliards (Forbes 2021). Ce qui a suscité notre curiosité pour nous intéresser à la Chine, pays par ailleurs intéressant à plus d’un titre, est un accord avec Exxon Mobil pour la construction d’une usine pétrochimique, occasion pour nous de faire une incursion rapide dans l’Histoire de ce pays pour mieux apprécier cette évolution. En effet, Exxon Mobil a signé au mois d’avril 2021 avec le gouvernement de la Province de Guangdong et Sinopec Engineering, filiale de Sinopec, société nationale, un accord pour la construction d’un complexe pétrochimique de «plusieurs milliards de dollars» ($10 milliards selon la presse) à Huizhou, capitale de la Province, accord initié en 2018 avec Sinopec. Huizhou possède une zone de développement économique et technologique de près de 10 km2 avec une sous-zone réservée au développement de la haute technologie, dont la pétrochimie. La construction d’une usine pétrochimique de cette importance par une société étrangère qui en sera propriétaire à 100% et qui la réalisera elle-même, du design de base jusqu’à l’exploitation, est déjà en soi révélateur. Bien plus, sans attendre la Décision finale d’investissement (FID) de son «organe de décision», et avant la signature de l’accord, Exxon y a entamé des travaux ; c’était en avril 2020 .

Toutefois, d’après Argus du 13 avril 2021, ce commencement est plus symbolique qu’un démarrage effectif.
Force est d’en déduire :
▪ Le caractère satisfaisant de la législation chinoise ;
▪ la confiance accordée par le capital étranger à la stabilité de la réglementation en Chine ;
▪ la confiance qu’il accorde à la justice chinoise ;
▪ la souplesse de l’administration chinoise.
Soulignons aussi que le gouvernement chinois n’a pas imposé de partenaire à Exxon Mobil, c’est-à-dire un chaperon.
Un peu d’histoire
Ce qui suit a été pris sur Wikipédia, journaux et sites d’organismes spécialisés ou représentations diplomatiques.
La chine d’avant l’ère moderne 
Après une économie florissante sous l’empire Ming, la Chine perd progressivement sa position dominante dans l’industrie ; elle rate la Révolution industrielle du XVIIIe siècle, résultat de la politique d’autarcie de l’Empire Qing. Celui-ci s’est empêtré dans ses relations avec le Royaume-Uni auquel il avait accordé le monopole du commerce de l’opium à partir de 1773. Après l’interdiction par la Chine d’importer de l’opium, le Royaume-Uni déclencha les «guerres de l’opium» (2 guerres entre 1839 et 1860) qui se terminèrent par «les traités inégaux». Ces traités ont octroyé à plusieurs pays européens, aux USA et au Japon des concessions et des territoires qu’ils ont occupés, y compris militairement dans certains cas ; le statut de Macao et celui de Hong Kong, avant leur récupération par la Chine, étaient des vestiges de cette période. Cette période de plus de deux siècles et demi s’est terminée par l’abdication du dernier empereur, suivie de la guerre civile puis par l’ère communiste maoïste.

La chine au xxe siecle
Cap sur le libéralisme

– À la mort de Mao Tsé-Toung, s’achève une période caractérisée par une idéologie communiste violente et des politiques aventureuses comme celle du  «bond en avant» qui aurait provoqué une famine causant la mort de 20 à 30 millions de personnes (Wikipédia) ou la cruelle Révolution culturelle. Cette dernière a été abandonnée peu avant la mort du Grand Timonier.
– Suit une décennie de réformes économiques qui mènent la Chine à un «socialisme de marché», puis à une «économie de marché socialiste». Très tôt la Chine avait commencé à attirer l’investissement étranger autant par sa politique d’ouverture que par ses faibles coûts de production et l’immense marché qu’elle représente.
– En 1992, la Chine s’engage franchement dans le libéralisme économique lequel est officiellement adopté tout en conservant la doctrine communiste, comme le montrent ses textes fondamentaux.
Des taxes préférentielles sont instituées en faveur des exportateurs. Dès le début de la décennie 1980, il fut créé des «zones économiques spéciales» «dans le but d’élargir l’ouverture de l’économie» (article 13 de la loi sur les investissements étrangers). Dans ces zones, les investisseurs ne paient pas d’impôts pendant plusieurs années au départ puis paient un impôt réduit ; elles occupent aujourd’hui presque tout le littoral chinois.  Shanghai a été érigée en zone de libre-échange.
Le point d’orgue a été l’adhésion à l’OMC en 2001, après deux décennies de discussions. L’entreprise a été une chance pour la Chine. Cette organisation lui a imposé, comme à l’accoutumée, ses conditions pour devenir un de ses membres. Elle devint, en corollaire, un partenaire recherché du commerce international. Parmi ces conditions :
-Traitement non discriminatoire de tous les pays membres de l’OMC.
-Pendant les étapes précédant l’octroi des projets (importations, investissements), le traitement des dossiers des étrangers ne doit pas les défavoriser par rapport aux concurrents chinois sauf en ce qui concerne une liste de secteurs exceptionnels, liste approuvée par le Conseil d’État.
Cette liste a été plusieurs fois réduite depuis sa première publication. Changement récent, la liste des segments industriels encouragés pour l’investissement étranger est passée de 76 en 2019 à 125 avec «celle projetée pour 2020» (Chine : Les Investissements – 6/7/2021-site BNP Paribas).
– La Chine n’instaurera pas de contrôle des prix pour protéger les producteurs ou fournisseurs de produits ou services locaux.
– La Chine devra donner le droit à toutes les entreprises d’importer, d’exporter et de commercer librement avec l’étranger, exception faite d’un nombre limité de secteurs et dans le cadre de la loi.
– La Chine ne maintiendra pas et n’accordera pas de subventions pour l’exportation de ses produits agricoles. Au demeurant, les aides publiques ne représentent que 6% environ du revenu des agriculteurs en Chine, contre 20% aux États-Unis, 34 % dans l’Union européenne et 58% au Japon.
– La Chine doit améliorer sa législation conformément aux exigences de l’OMC.

La Chine se dote d’une législation 
Dans le «Code chinois du droit des affaires», compilation de textes de loi publiée par la Maison Larcier 1995, Robert Guillaumond écrit : «La Chine émergeait alors d’une période pendant laquelle, trente années durant, mais en souvenir d’une très ancienne tradition, ce pays s’était détourné du droit au profit d’une pratique bureaucratique fondée, en matière économique, sur le respect de la planification d’État, fortifiée par la fermeture des frontières. Pendant toute cette période, le droit avait été rangé parmi les accessoires non indispensables de la vie économique et sociale.» À la fin des années 1970, «la Chine devait alors pratiquement inventer son droit des affaires»,  note-t-il.
Depuis 1979, la Chine a travaillé sa législation pour permettre l’ouverture de son économie et rendre le processus commercial attractif pour l’investisseur étranger, faisant les bouchées doubles à partir du milieu des années 1980.
Elle a adopté de nombreuses lois et ordonnances ; à fin 2020, la loi sur les compagnies a remplacé la loi sur les investissements, la loi sur les sociétés mixtes et la loi sur les entreprises à capitaux étrangers. Elle contient, outre celles citées plus haut, d’autres exigences de l’OMC, parmi lesquelles :
– Protéger l’investisseur étranger, ses bénéfices et ses autres droits légitimes et intérêts sur le territoire chinois conformément à la loi.
– Faire participer les sociétés étrangères de manière équitable à l’établissement des standards.
– Autoriser les sociétés étrangères à vendre des actions.
– Autoriser l’investisseur étranger à transférer librement vers la Chine et hors de la Chine, selon le cas, ses contributions, ses bénéfices, ses gains en capitaux ainsi que ses revenus provenant de vente d’actifs, de royalties sur la propriété intellectuelle… à l’intérieur de la Chine.
– Protéger la propriété intellectuelle de l’investisseur à l’intérieur de la Chine.
Pour ce faire, le gouvernement charge les différents ministères concernés de promouvoir, protéger et manager les investissements étrangers. Des industriels occidentaux font remarquer que la majorité des dispositions de la loi 2020 étaient déjà incluses dans des textes législatifs précédents, certains en vigueur depuis des années et que la nouvelle loi n’apportera rien de significatif nouveau pour l’investisseur. Cette loi fait référence bien entendu à des décrets d’application que les investisseurs attendent pour voir quels changements ils apporteront.

Un développement réussi
Selon la chambre de commerce américaine à Pékin, citée par Le Figaro du 08/01/2020, les investisseurs étrangers déplorent le manque d’application des lois. Des journaux parlent de corruption. Cela n’a pas empêché, selon le même no du Figaro, qu’à fin 2018, il y eut 960 000 sociétés étrangères qui activaient en Chine. De nombreuses sociétés, en effet, sont installées et prospèrent en Chine à l’instar de TotalEnergies, BASF, Toyota, Tesla, Volkswagen, Daimler… et Exxon Mobil dont le dernier accord confirme, si besoin, la politique d’ouverture de l’économie chinoise. Dans le même temps, les privés chinois ont investi les secteurs ouverts, aux côtés des étrangers, comme les sociétés de raffinage pétrolier. Depuis 2015, ces dernières peuvent même importer par elles-mêmes le pétrole dont elles ont besoin (Petroleum Economist 16/07/2021).
En 2020, la Chine a été en tête des pays ayant bénéficié des IDE avec $144 milliards (site du bureau de l’économie et du commerce de la République populaire de Chine à Alger/2021). Les stocks d’IDE ont atteint $1769 mds à fin 2020 selon le «Rapport sur l’investissement dans le monde 2020» de la Cnuced, cité par BNP Paribas dans son rapport «La Chine : les Investissements», du 6/7/2021. L’afflux d’IDE a permis de générer un excèdent commercial de $537 mds en 2020 (Services économiques de l’ambassade de France à Pékin, 24 février 2021). En 2018, les sociétés étrangères ont participé à 20,3% du PIB chinois.
En 2021, 39% des exportations chinoises sont le fait d’entreprises à capital 100% étranger et 20% celui des sociétés mixtes. Le climat des affaires en Chine est parmi les meilleurs au monde, selon le Rapport «Doing Business» de 2020 de la Banque mondiale qui classe la Chine au 31e rang sur 190 pays (Rapport «Chine : les investissements» 6/7/2021- BNP Paribas). Depuis la fin des années 1970, certains crédos du communisme-maoïsme tels que «l’égalité des classes» et la «collectivisation» ont été abandonnés ; d’autres  caractéristiques de l’économie libérale tels que «liberté individuelle», «enrichissez-vous», «consommation», «libre-échange» furent adoptés et encouragés. Ce changement était indispensable pour faire fonctionner le marché chinois qui attire tant les investisseurs. Tout n’est pas comme le souhaite l’OMC, bien sûr, car selon l’UE la Chine, bien qu’elle continue à dissoudre des sociétés d’État non rentables, ne protège pas suffisamment la propriété intellectuelle et continue encore de protéger ses sociétés nationales. Néanmoins, de 1988 à 1992, le secteur d’État est passé de 73% à 35% de l’économie. Certains journaux avancent 25% pour 2018.
Nonobstant ce qui précède, le succès du «libéralisme» ne signifie pas qu’il n’y a pas de fortes oppositions à ces changements. Non seulement le gouvernement a instauré des contrôles stricts sur les exportations qui sont soumises à des licences, mais ces changements dans la politique économique se sont accompagnés d’un raidissement du Parti communiste chinois, lequel exerce un contrôle politique ferme sur l’ensemble. Toutes les sociétés publiques ou privées seraient obligées de recruter des membres du Parti et de favoriser l’installation d’une cellule du Parti en leur sein. Inversement, et alors qu’au début 2000 il était interdit de recruter des entrepreneurs, le Parti s’est mis à recruter des industriels ; en 2020, les professionnels et managers représentaient 50% des adhérents.
Est-ce là une partie d’un plan pour introduire un changement dans la composante intellectuelle du parti ?

Les investissements à l’étranger
Après avoir attiré avec succès des IDE très profitables à son économie et mis ses universités parmi les plus performantes au monde, en situation d’aider à développer ses propres technologies comme avec le TGV, les TIC et la conquête de l’espace, la Chine encourage ses sociétés à aller conquérir le monde notamment avec sa dernière politique «One Belt One Road» (OBOR), ou la «nouvelle route de la soie». Huawei  a fait trembler les Etats-Unis de Trump, Great Wall et Sinopec font du forage pour Sonatrach depuis le début de la décennie 2000. Sinopec exploite le gisement de Zarzaitine en partenariat avec Sonatrach depuis 2003. CNPC a commencé la recherche pétrolière en Algérie en 2003. CNOOC a des participations dans nombre de gisements comme Stabroeck (Guyane) qui renferme 7milliards de barils de pétrole récupérables dont elle détient 25% et participe actuellement à la recherche pétrolière en mer du Nord. De même CNODC, qui active aussi à l’étranger, a signé avec Petrobras un accord sur le champ géant de Buzio (11milliards de Bbl équivalents pétrole) et une production potentielle de 2MMBbl/j. China’s Silk Road Fund, un fonds d’investissement chinois, vient de se joindre à un consortium qui va acquérir 49% de Aramco Pipelines, soit un investissement de 12,4 milliards de dollars. Il serait fastidieux d’énumérer tous les appels d’offres de projets que les sociétés chinoises ont remportés hors de Chine, preuves des capacités managériales, d’engineering et de construction qu’elles ne possédaient pas il y a à peine trois décennies et de la dynamique de la politique d’ouverture.
Plus de 60% des employés des entreprises chinoises à l’étranger en 2019 n’étaient pas chinois, soit plus de 2 250 000 personnes.
En 2020 les entreprises chinoises ont investi $132 milliards à l’étranger, et ce, malgré les nouvelles barrières réglementaires érigées par les pays de l’OCDE pour protéger leurs fleurons industriels (Le Figaro 21/01/2021)
IDE et investissements à l’étranger montrent que la Chine n’a aucun complexe vis-à-vis de l’étranger.

Cas de l’Algérie
Rappelons que Mao est décédé en 1976 et Boumediene en 1978.
Une tentative de changement de cap avait été entreprise durant la période 1989-1991, annoncé par des amorces politiques dont le rapprochement avec les Etats-Unis et les pressions exercées par ce pays en faveur d’une plus grande libéralisation. Celle-ci, mal commencée avec la politique «Pour une vie meilleure» du début de la décennie, a été caractérisée par l’encouragement de la consommation des produits d’importation. Je me rappelle, alors que j’étais en tournée dans le Sahara central vers 1987-1988, avoir découvert dans le Souk Al Fellah d’Aoulef, sous une couche de poussière, des maillots de bain pour adolescentes et des palmes de natation ! Cette politique d’«ouverture» a été contrecarrée par la chute brutale des cours du pétrole de 1986, octobre 1988 étant le paroxysme d’une crise dont les effets sont toujours présents ; je ne m’aventurerai pas à décrire la manière avec laquelle a été menée cette entreprise, mais nous savons ce qui en est advenu. Une opposition feutrée à franche, mais multiforme et efficace, «couronnée» par la «décennie noire», a dévié cette tentative vers une gouvernance déliquescente dont on ne mesure pas encore toutes les ramifications.
La démarche suivie depuis est à l’évidence sans comparaison avec celle engagée par la Chine. On n’a pas suffisamment insisté sur le fait que celle-ci a très peu hésité à créer les environnements juridique, règlementaire, organisationnel et financier pour attirer ces investisseurs alors qu’elle sortait d’un régime si totalitaire qu’il aurait normalement inhibé les socialistes les plus tièdes.
À l’opposé, depuis la mi-1980, l’Algérie hésite et avance à un rythme irrégulier. Nos gouvernements successifs n’ont pas cessé de repousser des réformes et d’éluder les questions qui fâchent dont elles sont chargées. Les raisons sont certes multiples et la tâche bien difficile. Les solutions ne peuvent être donc que complexes. La décennie noire y a joué un rôle important. Tout changement de cette envergure nécessite du courage, des convictions, des capacités de réflexion compétentes organisées et une stratégie ; malheureusement, ce type d’organisation est peu courant chez nous.

Quelques exemples de dossiers en souffrance
Pour illustrer ces tergiversations, voici quelques dossiers qui piétinent :
-Les exportations hors-hydrocarbures figurent depuis près de quarante ans sur l’agenda de chaque gouvernement sans que l’on en voie le moindre progrès. La raison est que l’exportation ne peut être une affaire ponctuelle. C’est un processus incluant une organisation et une infrastructure qui touche à une chaîne de plusieurs intervenants et chaque segment doit être adapté à cette entreprise. Soit l’exportation des fruits et légumes par exemple ; un client d’une ville de la banlieue lyonnaise veut ses produits frais. Il faut donc les lui acheminer sans délai à partir du lieu où ils sont cueillis, telle que la campagne de Batna ou d’Adrar. Cela signifie : disponibilité à la demande ou sur contrat à moyen ou long terme de camions frigorifiques pour les transporter à l’aéroport le plus proche et disponibilité d’avions de fret selon un planning déterminé pour le faire parvenir à l’aéroport de destination spécifié par le client. Or, Air Algérie est la seule des deux et uniques compagnies aériennes civiles algériennes à disposer de ce genre d’aéronefs. Hélas, il y a 3-4 ans et je ne crois pas que cela ait changé, Air Algérie ne disposait que d’un nombre très réduit d’avions cargos (3 ?), lesquels, de plus, n’étaient pas de toute fraîcheur, leur disponibilité étant donc aléatoire. Le transport des vaccins et autres matériels de lutte contre le Covid-19 par les avions de l’ANP serait probablement dû à cette raison. Ce client de la banlieue lyonnaise ne vous acceptera jamais comme fournisseur si vous n’êtes pas ponctuel, si vous lui faites faux-bond une seule fois ou s’il reçoit des fruits abîmés. Je ne parlerai pas de la qualité contractuelle, donc de l’organisation du contrôle qualité qui doit exister chez les grands fournisseurs et être sans faille. Tous les segments de ce processus nécessitent une organisation huilée de bout en bout et une logistique, ce que nous ne verrons pas avant longtemps. Tout le monde comprend que ce n’est pas chaque fellah qui peut contacter des clients, faire des contrats (acheteur, transporteur, assureur, transitaire…). Jadis, la défunte Ofla avait sa propre organisation pour l’exportation… Rien de cela n’existe pour la commercialisation même sur le territoire national ; il suffit de se rappeler que ces producteurs ont souvent des excédents de production qu’ils ne peuvent même pas écouler sur nos marchés du nord et qu’ils sont obligés de jeter. Alors, de grâce, ne gaspillons pas notre salive et des temps d’antenne de télévision… et agissons !
– Autre exemple, la Cosob : depuis 1993, elle attend patiemment les clients ; les sociétés nationales elles-mêmes y sont peu représentées, on y voit le groupe El Aurassi, Saidal et Air Algérie ; d’autres y émettent des obligations comme Sonelgaz. Au total, une vingtaine de sociétés entre privées et nationales y émettent des titres. La majorité des entreprises, privées et nationales  ne sont pas prêtes à mettre une partie de leurs actions sur le marché. Comparativement, la Chine comptait déjà en 2009 plus de 1600 sociétés cotées en bourses à Shanghai et Shenzhen.
À la Bourse d’Égypte, les actions de plusieurs centaines de sociétés sont mises sur le marché !
– Les énergies renouvelables constituent un autre projet qui n’a pas réussi à sortir de ses limbes, malgré plusieurs programmes successivement annoncés depuis plus de dix ans mais qui restent sans réalisation notable.
– Je citerai un autre vieux dossier que nous avons oublié. Lors du deuxième mandat du président Bouteflika, ce dernier a constitué une commission composée des hommes les plus au fait des rouages et du fonctionnement de l’administration pour étudier et proposer un programme de «Réformes des institutions de l’État». C’était la «commission Sbih», dirigée par ce dernier, qui est le père de la Fonction publique algérienne. Lorsque le résultat de l’étude lui a été exposé, le président aurait été déçu et aurait dit au groupe qu’il avait fait montre d’excès de zèle. Il s’attendait à une réformette sans doute juste pour qu’on dise de lui qu’il a réformé l’administration. Le dossier est encore dans les tiroirs de la Présidence. Le long terme, ce n’est pas notre fort.
– La réforme hospitalière est un autre dossier chaque fois programmé, toujours conclu par une retouche cosmétique. Au lieu de réformer le système médical dans son ensemble, de la Faculté de médecine à la formation des médecins, du paramédical et des managers, aux infrastructures et équipements, y compris leur  maintenance, on se contente d’une réformette qui n’a jamais rien changé à une situation qui ne fait qu’empirer. Le  Rapport de conjoncture  de la Banque mondiale consacré à l’Algérie «Accélérer le rythme des réformes pour protéger l’économie algérienne» Printemps 2021, par son chapitre «Santé», est un réquisitoire sans appel : l’Algérie est la dernière de la classe au Maghreb-Moyen-Orient pour pratiquement tous les indicateurs !
-On peut aussi citer le Rapport Issad sur la réforme de la justice qui dort dans un tiroir à la Présidence…

L’adhésion à l’omc
L’adhésion à l’OMC est un autre exemple, plus criant, de nos indécisions et, hélas, déterminant pour le développement.
D’après le site de l’OMC, dès 1987, l’OMC, ou plus exactement son ancêtre le GATT, a constitué un groupe de travail pour suivre le dossier de l’accession de l’Algérie à cette organisation.
Ce groupe s’est réuni 12 fois jusqu’en 1994. L’Algérie a présenté son Plan de  travail législatif en février 2014 et adressé une demande officielle d’adhésion le 25 septembre 1995.
Rappelons les oppositions exprimées fréquemment dans la presse nationale de l’époque, traduction d’une opposition virulente de la part des partisans du statu quo.
Action menée donc depuis le milieu des années 1980, 35 ans plus tard, elle n’a pas encore abouti et le public ignore l’état des discussions avec cette organisation et où nous en sommes dans la préparation des lois et des réglementations.
Les industriels étrangers ne se sont pas bousculés au portillon pour investir en Algérie, à l’exception des sociétés pétrolières à la fin du siècle passé, puis quelques centaines de sociétés dans divers secteurs mais sans impact notable sur le tissu industriel. L’exemple de l’industrie automobile révèle si besoin le résultat de ces IDE. On a beau sauter comme des cabris pour imposer à cette industrie de s’intégrer à 20 ou même à 15%, cela ne pourra pas se faire étant donné la quasi-absence d’industries manufacturières, que n’ont pas créé ces IDE ni nos entreprises nationales ou privées, notre politique industrielle en fait !
Le secteur des hydrocarbures qui attire en général plus facilement  est lui-même paralysé depuis deux décennies, du fait de la législation incomplète et même instable, ce qui explique en partie les baisses graves de notre production et de nos réserves. Elle souffre aussi d’un déficit d’application. Ainsi, l’ARH créée par la loi 2005 avait entre autres objectif l’accès du privé au transport et au raffinage des hydrocarbures… Ce que nous attendons toujours.
L’axe central de l’accession à l’OMC est la participation non discriminatoire (toutes discriminations confondues) du capital étranger à l’économie, la garantie de liberté de mouvements des capitaux et des bénéfices avec l’assurance d’une justice impartiale et une politique économique et sociale claire et d’une grande visibilité.
Parmi les freins qui nous empêchent d’avancer, j’en distingue trois :
– Crainte que nous ne soyons pas capables de contrôler le capital étranger, crainte objective connaissant le faible degré de préparation des administrations concernées.
– Crainte tout aussi objective due au faible degré de préparation de nos entreprises et du risque de les voir disparaître face à la compétition et dans les fusions-acquisitions. Les programmes répétitifs de mise à niveau de nos sociétés le montrent. Chaque année, y compris en 2021, l’État est contraint de combler leurs déficits.
– La troisième crainte devenue ces dernières années comme la pire des 10 plaies d’Égypte : la corruption.
Ces craintes ont leurs racines dans nos insuffisances et dans la crainte de l’inconnu.
Au lieu de nous poser des questions existentielles, les seules vraies questions qui devraient nous préoccuper sont :
– Sommes-nous capables d’élaborer une législation qui puisse répondre aux exigences de l’OMC tout en protégeant notre
économie ?
– Comment éviter que l’investisseur trompe l’État, ses lois et sa réglementation ?
Les réponses impliquent un énorme travail qui est certes aujourd’hui largement entamé :
L’Algérie a promulgué plusieurs lois et décrets d’application. Reste à savoir si ces textes sont suffisamment précis et s’ils touchent à tous les aspects des affaires ; ils doivent prêter le moins possible à interprétation. Un des griefs faits à la législation chinoise est qu’elle contient encore de nombreuses zones floues et des expressions vagues telles que l’expropriation des investisseurs qui «nuisent à l’intérêt public». Les lois et la justice doivent protéger l’État et l’investisseur. (Il me revient à l’esprit que dans les décennies 1970 et 1980, une société nationale, la plus puissante fût-elle, n’avait pas gain de cause en justice contre un agent même s’il a tort. Que dire alors d’une société étrangère ? Les choses ont-elles changé ?)
Il serait bon aussi de vérifier si, parmi les lois promulguées ces dernières années, il n’y en aurait pas qui contiendraient des dispositions préjudiciables aux investisseurs, même si ces lois ne concernent pas directement les investissements.
La stabilité de la législation et de la réglementation est, bien entendu, essentielle.
En plus de la préparation des lois, des réformes ont été conduites comme la suppression du contrôle des prix, l’assouplissement des procédures d’accession aux devises que ce soit pour les particuliers ou pour les industriels, l’ouverture de secteurs supplémentaires à l’investissement privé y compris étranger tels que celui des banques et des assurances… l’éducation.
Etant donné que les discussions avec l’OMC n’ont pas encore abouti et sont même à l’arrêt, nous pouvons conclure que le cadre juridique, l’arsenal des textes d’application qui doit les accompagner et les réformes ne sont pas encore complets ou ne sont pas satisfaisants. Le rapport de la Banque mondiale, ci-dessus, conforte cette conclusion. Parmi les réformes en panne, il y a celles des systèmes de soutien à la consommation des produits énergétiques, entamée il y a plusieurs années, des produits alimentaires de première nécessité, du transport notamment aérien, celle du code douanier encore à améliorer, etc.
Ajoutons des décisions qui ne sont pas pour rassurer les investisseurs et les institutions internationales comme le financement non conventionnel.
Le gouvernement Djerad a récemment annoncé la reprise des négociations. Est-ce bientôt la sortie du tunnel ?

Protection de notre économie
Pour suivre et contrôler les investissements étrangers ou locaux, il est nécessaire de former les inspecteurs, les contrôleurs et tous les managers des Impôts et des douanes sur les lois, les réglementations, sur la finance internationale puisque le mouvement des capitaux sera libre pour tous les acteurs agréés et sur les techniques de détection des malversations ; les petites recettes ne suffisent pas toujours.
L’aspect comptable est certes important, c’est la base du contrôle, mais ceci n’est pas le tout ; une approche économique est indispensable. Contrôler ne doit pas être synonyme de punir. Ces commis de l’État, y compris les jeunes, doivent comprendre et admettre que l’investisseur a le droit et doit  gagner de l’argent dans le cadre de la loi, qu’il peut faire des erreurs mais qu’il n’a pas le droit de faire des fautes intentionnelles graves.
L’exemple du Groupe Abdelmoumen Khalifa illustre bien l’ambiance qui entourait l’investissement privé il y a seulement une dizaine d’années ; a-t-elle changé ? Khalifa a nui à l’économie nationale sans que les institutions, dont c’est la responsabilité, aient réagi pour l’en empêcher. Nous savons que nombre de hauts fonctionnaires y avaient trouvé de substantiels intérêts. Lorsqu’il a été condamné, ses actifs ont été liquidés et des milliers d’emplois furent perdus alors qu’il aurait été plus judicieux, comme cela se fait actuellement, de préserver ces sociétés ou au moins une partie de leurs milliers de postes de travail. À moins que l’on ait voulu effacer toute trace de cette affaire ?
La découverte des malversations peut être un indicateur de réussite pour un agent ou pour un service de contrôle ; mais c’est la réussite de la politique économique qui nous importe et celle-ci n’est pas dans la découverte de malversations en soi mais dans la promotion du développement de l’économie et de l’emploi, ainsi que la dissémination des compétences techniques et managériales à travers tout le pays sans que des préjudices sérieux soient portés aux intérêts de la nation. La Chine nous en donne la preuve éclatante. Bien entendu, on ne peut juger que sur plusieurs années ; il faudra donc être patient.

Tentative de parallèle entre la Chine et l’Algérie 
L’incursion que nous avons faite dans l’histoire de la Chine nous montre une différence notable entre ce pays et le nôtre.
En plus de sa culture plusieurs fois millénaire, qui n’a pas besoin d’être rappelée, la Chine a été un pays industrialisé avant l’Occident, un pays qui, il y a trois siècles, s’autosuffisait et à qui nous devons bien des innovations comme le papier, l’imprimerie, la poudre à canon, la boussole, la soie, l’acier, la brouette, la porcelaine, etc. Elle n’a entamé sa lente régression que depuis le XVIIIe siècle.
L’Algérie a certes appartenu à une civilisation florissante, celle de Ibn Sina, Ibn Rochd, médecins philosophes, des mathématiciens Al-Khawarizmi, Abu-Kamil Al Misri, Al Samawal Al Maghribi, Al Kourachi l’algébriste de Bejaïa, le mathématicien astronome Al Biruni et bien d’autres. Elle a appartenu à la civilisation de Baghdad, de Kairouan, de Cordoue, de Samarcande, de Tlemcen et de Bejaïa où Leonardo Fibonacci, le grand mathématicien de Pise (fin du XIIe siècle-début du XIIIe), a appris le calcul et d’où il a rapporté en Europe les chiffres arabes notamment le zéro et le calcul décimal. Cette civilisation, malheureusement étouffée par les clercs qui détenaient l’autorité suprême, celle de la religion, a disparu dans une longue agonie depuis le XIVe siècle, entraînant les sciences avec elle. La myriade d’émirs qui gouvernaient depuis lors étaient trop occupés par le «pouvoir que par le savoir. Des siècles d’ignorance nous en séparent donc.

Résultat, notre pays était, il y a à peine 60 ans, un pays à majorité physiquement rurale ; il l’était à presque 100% mentalement et tout autant analphabète ; ce n’est pas peu de dire qu’en 1962 les personnels enseignants, celui des administrations et des hôpitaux, en particulier l’encadrement, étaient presque inexistants et que nous avons dû faire appel à des Égyptiens, Irakiens, Syriens pour enseigner l’arabe à nos enfants (je ne parle pas de la qualité si décriée de ces enseignants). Nous avions un petit nombre d’individualités qui sont passées par Al Zitouna ou Al Azhar ou avaient fait les lycées franco-musulmans. Ces diplômés se voyaient un plus grand destin. Ceux qui avaient fait les écoles de Djamiat al Oulama avaient les éléments de base pour lire et écrire correctement et possédaient des rudiments de littérature. Mais leur nombre était bien modeste. Vers 1957/1958, à Alger, nous étions à peine quelques dizaines à nous présenter à l’examen du certificat d’études primaires en arabe. Nous avions peu d’enseignants de français, lesquels furent de surcroît immédiatement promus directeurs d’école, inspecteurs ou dans l’administration, sans préparation d’ailleurs ! Il existait des bacheliers (très peu avaient atteint le supérieur) ; certains avaient arrêté leurs études prématurément et pouvaient occuper les postes après quelques stages, mais peu y avaient opté : toutes les administrations étaient vides ; un tel appel d’air était irrépressible. Ce fut alors le début de l’assistance technique individuelle, rare, ou d’État, par milliers, français, belges, des francophones.
On croyait gagner du temps et éduquer tous les enfants du pays en même temps ; affaire menée à marche forcée. On pensait que l’on avait des bottes de sept lieues.

Aux sources des échecs  
Nous n’avions donc pas la même trajectoire que la Chine, la voie que nous avons empruntée ne pouvait pas nous mener au développement. L’adhésion à l’OMC par son impact sur l’afflux des IDE et le commerce est un jalon important sur le chemin de la mondialisation et du développement du tissu industriel. Nous l’avons vu pour la Chine.
On peut se demander pourquoi les autorités de notre pays n’ont pas défini pour cette entreprise une stratégie et une feuille de route précises applicables par tous les secteurs concernés, avec des exigences de résultats afin de réussir ce pari et surtout, ce qui doit en résulter, la diversification de l’économie, L’Arlésienne dont on parle depuis 40 ans ?
La crainte de la mondialisation est trop forte ! On peut être pour ou contre cette mondialisation. La question est : peut-on l’éviter ? Même si l’on s’enferme à triple tour, la mondialisation s’imposera à nous mais par ses méfaits. Alors autant se préparer pour en être un acteur et en tirer le maximum possible de bienfaits.
Globalement on peut se demander quelles sont les entraves dont souffre le développement ? En plus de la décennie noire dont l’origine remonte à 1986 et qui a constitué un des freins au développement dans son ensemble et bien sûr au projet d’accession à l’OMC, on peut reconnaître quelques raisons liées à des croyances qui nous paralysent. Certaines sont religieuses, d’autres sont véhiculées par notre inconscient, peut-être du fond de notre Histoire ; d’autres principes sont consacrés par la Révolution du 1er Novembre 1954 ou introduits dans son sillage et transformés, au fil des ans, en croyances dogmatiques sinon discutables, en tout cas non discutés.

A les regarder lucidement, on s’aperçoit que ce sont le plus souvent des principes interprétés de façon erronée ou restrictive.
● L’émotion
L’Algérien est ombrageux dès qu’il s’agit de l’intérêt national au point qu’il réagit souvent de manière sentimentale ce qui peut expliquer la grande opposition aux processus que nous avons soulignés. Il voit les affaires avec son cœur pas avec sa tête au point qu’il sacrifie l’essentiel. Rappelons-nous le tollé général déclenché par la loi 2005 sur les hydrocarbures interprétée comme un bradage des richesses nationales.
L’expression « الزلط و التفرعين » est bien de chez nous, non ? Les entreprises étrangères sont vues comme des sociétés qui viennent pour «prendre» les richesses de l’Algérie. J’ai vécu des cas de propositions de coopération avec des sociétés étrangères, refusées par méfiance, peut-être par peur de l’étranger et doute de nous-mêmes ; mais sans raison objective. النيف و الخصارة n’est-ce pas ?
● Le «social»
Le «social» de la formule «État démocratique et social» de la Déclaration de Novembre 1954 confirmé par l’expression programme «République Algérienne Démocratique et Sociale» du Congrès de la Soummam a affecté profondément notre attitude vis-à-vis des problèmes ; son interprétation constitue une entrave au développement. Les auteurs de ces textes ont été certainement inspirés par le socialisme prédominant chez les pays du tiers-monde. Le «social» a trouvé écho dans la «rahma» et la «fraternité» de notre fibre religieuse.
L’interprétation erronée et restrictive qui est faite de ce grand principe a eu des répercussions sur plusieurs volets de la vie économique et sociale. Nous avons commis l’erreur en effet d’en déduire que «l’égalité sociale» devait être réalisée sans tarder, dès l’indépendance du pays, ce qui non seulement était irréalisable mais aussi, ainsi considéré, ne pouvait qu’obérer la vraie réussite, pas seulement la retarder. Il aurait fallu le voir comme un but à atteindre à un horizon de temps à arrêter en fonction des ressources et de la croissance démographique ce qui avait besoin d’un plan stratégique précis et d’une feuille de route.
Notons au passage que le caractère «démocratique» n’a pas gêné les décideurs politiques des premières décennies de l’indépendance. Ils l’ont mis entre parenthèses sans le moindre scrupule ; mais pas celui du «social». Serait-ce la conséquence de 130 années de misère coloniale sous l’occupation française ? (Je ne m’étendrai pas sur l’inaptitude au management des dirigeants postindépendance).
▪ La situation du système éducatif de l’école à l’université, à l’origine de tous nos problèmes, est une conséquence de notre interprétation du «social». Les dirigeants, au lendemain de l’indépendance, ont tenu à scolariser tous les enfants en âge d’être scolarisés malgré un corps enseignant chétif et au détriment de la qualité. Nous continuons encore de nos jours, pour satisfaire tout le monde, à privilégier le nombre par rapport à la qualité. On a introduit des années durant la fameuse عتبة à l’examen du bac et l’on y abaisse la moyenne d’admission à moins 10 pour une raison ou une autre. On cède même aux pressions régionales qui réclament le droit à une université ; on la leur donne comme on donne un jouet à un enfant. Il y a 2 ou 3 ans, une chaîne de télévision avait rapporté le chiffre d’une soixantaine de doctorants dans une université du sud du pays, que je ne nommerai pas ; si l’information est exacte, combien de directeurs de thèses dignes de ce nom cette université avait-elle ? Finira-t-on par faire des blagues sur nos «douctours» comme on se gaussait d’antan de ceux d’un certain pays frère ?
La sacro-sainte égalité sociale a même exclu l’idée d’organiser en parallèle des écoles d’élite lesquelles, instituées dès les premières années de l’indépendance, auraient permis l’émergence de cadres de haut niveau, de professeurs et de chercheurs ce qui nous aurait sauvés depuis longtemps. Notre Université ne serait pas classée parmi les dernières de la planète. Je connais les préventions contre cette idée : les enfants de qui y auront droit ?
La plus grande tare que nous aurions évitée serait de produire des têtes selon un moule unique, une pensée unique et tournées vers la part la plus obscure de notre passé. L’Ecole dont nous rêvons, nous aurait produit des têtes qui pensent par elles-mêmes, rationnelles, critiques et capables de discuter les interdits, les dogmes et les tabous, à la recherche du Vrai et du Bien.
▪ Nous avons fait la même chose avec d’autres infrastructures comme les aéroports. Il suffit de voir le nombre de vols hebdomadaires d’avant la pandémie de Covid-19 de certaines lignes. Nombreuses sont celles qui ne peuvent pas payer leurs frais d’exploitation.
▪ Autre conséquence du «social» : de nombreuses sociétés nationales, nous l’avons vu plus haut, perdent chaque année de l’argent et nous continuons à les soutenir à bout de bras d’année en année, sans qu’un programme contraignant et limité dans le temps soit imposé à leur management pour sortir du rouge la comptabilité de leurs sociétés et les rendre performantes. Les syndicalistes s’opposent de toutes leurs forces aux licenciements économiques bien sûr mais aussi pour sanctionner une faute grave. Il faut dire que l’UGTA, nourrie au «social» depuis sa création, a le tabou du licenciement dans les gènes. Il faut dire aussi que nos entreprises portent en elles un péché originel commis par les anciens dirigeants et même par les pères de l’économie qui les voyaient presque autant absorber le chômage que créer de la richesse. Dans les années 1973/1974, le gouvernement avait imposé à Sonatrach de recruter sur ses bases du Sud plusieurs centaines de chômeurs presque tous sans aucune qualification ou diplôme et dont elle n’avait pas besoin !
L’emploi est un des buts du développement qui doit recevoir toute notre attention. Il ne peut être sacrifié tant que toutes les pistes viables pour en conserver le maximum possible n’ont pas été explorées. Il est hélas aussi inacceptable de garder une société qui perd de l’argent. La recherche de solutions pour la rendre rentable doit être menée tambour battant, quelques mois sans plus. Il serait irresponsable de retarder des années durant sa dissolution car le coût de ce retard peut servir à créer d’autres emplois.
● Le grave déficit en structures d’études dont souffre notre pays n’est pas pour faciliter le développement. Il nous faut des dizaines d’agences et instituts de recherche et d’études performants que les services de l’État et les entreprises solliciteront pour leur faire des diagnostics, des études, de la prospective, leur éclairer la voie et les aider à prendre des décisions. Des dizaines d’agences et instituts s’intéressent aux hydrocarbures aux USA.
● Nombreux sont ceux qui refusent de dissocier l’intérêt financier de l’usure lequel, pourtant, peut être défini par voie réglementaire afin d’en limiter les excès. Faut-il rappeler que le capitalisme s’est développé dans les régions protestantes où l’intérêt financier était licite contrairement aux régions catholiques, qui ont changé d’avis depuis. Confondre intérêt et usure est, à mon sens, une interprétation pour le moins restrictive.
● Plusieurs raisons (pas toutes) de notre attitude vis-à-vis de la distanciation sociale dans la lutte contre le Covid-19 viennent de nos croyances religieuses comme « صلة الرحم »

Conclusion
Des problèmes multiples paralysent et freinent nos programmes, nos projets de changement et nos actions ; ils grèvent le développement. Certains problèmes prennent leurs sources dans notre culture, dans ses composantes anciennes et modernes, politiques, religieuses et historiques. Nous en avons énuméré quelques-unes. Celles-ci s’adressent au cœur qui prend le dessus sur l’intelligence et le raisonnement. Le fonctionnement aux sentiments brouille notre GPS et nous fait oublier les objectifs essentiels. Examinons avec lucidité nos credo ; évaluons avec sang-froid leur impact sur notre développement et ramenons-les à leur juste dimension.
Les écrits des pères de la Révolution sont sacrés pour nous ; mais il ne faut pas les appliquer à la lettre lorsqu’ils sont en opposition avec les exigences du développement, ce que nos anciens ne pouvaient pas prévoir. L’avenir de tout le peuple en dépend.
Notre Histoire a certainement un impact sur notre attitude vis-à-vis de l’étranger que l’on envie et admire tout en se méfiant de lui de manière atavique. Une éducation nourrie à la rationalité, ouverte sur la modernité et sur la culture universelle autant que sur la nôtre peut nous réconcilier avec le monde et notre brillant passé.
Le développement est une entreprise d’envergure et de complexité telle que les dirigeants doivent en avoir une vision ambitieuse et lui fixer des objectifs à atteindre. Un des premiers soucis de l’État devrait être de se doter d’outils de réflexion et d’étude et de combler le manque de structures compétentes en encourageant leur création et en poussant ses administrations et ses sociétés à les consulter. La libéralisation de l’économie ne signifie pas libéralisme débridé qui écrase tout sur son passage ; mais le social ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : Une société est faite pour créer de la richesse d’abord et, si possible, faire du social mais mesuré.
Le professeur Omar Aktouf a souligné récemment qu’Adam Smith a écrit : «Si vous laissez trois hommes d’affaires agir comme ils l’entendent sans surveillance ni contrôle de l’État, vous aurez trois bandits qui volent le pays.» Les hommes d’affaires sont nécessaires ; le rôle de l’Etat est de faire des lois et de contrôler. Alors armons-nous avec des lois et des réglementations et organisons un contrôle intelligent pour réussir le développement, la diversification de notre économie et la prospérité du pays.


S. K.
(*) Ancien directeur de la division forage de Sonatrach. Ancien conseiller pour l’amont au P-DG de Sonatrach.


 

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