Les différences du concept d’arme hypersonique de la Chine, de la Russie et des USA

    par Alexandre Lemoine.

Ces prochaines années seront marquées par la course aux armements hypersoniques. Cette rivalité a, d’ailleurs, déjà commencé et elle se déroule activement : les États-Unis, la Russie et la Chine, ainsi que d’autres pays élaborent leur version de l’arme hypersonique. 

En ce moment, c’est la Russie qui est le leader incontestable dans l’élaboration de l’arme hypersonique. Même les experts américains reconnaissent que les États-Unis ont encore du retard sur la Russie dans ce secteur. La Russie a déjà développé le missile hypersonique Avangard qui, selon le président russe Vladimir Poutine, est capable de percer les tout nouveaux systèmes de défense antimissile (ABM). Un missile hypersonique vole à plus de 20 Ma et peut atteindre n’importe que région de la planète.

En ce qui concerne les Américains, ils ne disposent pas encore d’une telle arme. Cependant, son élaboration progresse à grand pas. D’abord, Donald Trump parlait d’une « super-arme capable de voler 17 fois plus vite que les autres missiles ». Puis a été annoncé l’essai du prototype d’un missile hyperrapide en mars 2020. La Chine travaille également sur la conception de l’arme hypersonique en espérant se doter de ses propres missiles hyperrapides.

Le terrain politique pour la création et la mise en service de missiles hypersoniques a mûri depuis longtemps : les traités sont rompus les uns après les autres, et ce en plein « désarmement », par conséquent, cela lève également les obstacles formels à une nouvelle course aux armements.

Chaque pays participant à cette course sait : l’absence de l’arme hypersonique le rend très vulnérable pour les adversaires potentiels. C’est pourquoi non seulement les États-Unis, la Russie et la Chine, mais également la France planchent sur la création de l’arme hypersonique. En même temps, selon certains experts, on ne peut pas dire que tous les pays énumérés ont effectivement avancé sérieusement en termes de conception de l’arme hypersonique.

C’est notamment le point de vue de l’experte militaire française Emmanuelle Maitre de la Fondation pour la recherche stratégique. Selon elle, les missiles hypersoniques ne font que réduire le temps suffisant pour porter une frappe : en cas de missiles traditionnels il est question de 30 minutes, et de 10 minutes pour les missiles hypersoniques.

Comment les États-Unis, la Russie et la Chine comptent utiliser les missiles hypersoniques

De plus, il existe une différence fondamentale dans les approches de l’usage de l’arme hypersonique. La Russie considère les missiles hypersoniques avec une ogive nucléaire comme un élément de dissuasion fiable, montrant qu’en cas de guerre elle frapperait avec ces missiles capables de percer tout ABM.

Les États-Unis adoptent approximativement la même approche, sauf que le Pentagone cherche une solution pour percer à l’aide de missiles hypersoniques la défense antiaérienne et antimissile russe. Tout en sachant que la défense antiaérienne russe est très efficace et bien organisée, le commandement militaire mise sur les missiles hypersoniques dont la vitesse empêchera simplement à l’ABM et à la défense antiaérienne russe de réagir rapidement.

Bien évidemment, en l’occurrence il n’est question d’aucune maîtrise des armements, car les États-Unis et la Russie souhaitent que l’arme hypersonique soit constamment améliorée en étant un moyen parfait de faire réfléchir l’adversaire aux conséquences d’une guerre. En outre, le général américain Neil Thurgood affirme : le programme d’élaboration de l’arme hypersonique doit être le plus agressif possible, sinon il sera impossible d’apporter une réponse digne à la Russie et à la Chine.

Mais la position du commandement militaire chinois est différente : Pékin songe à la possibilité d’utiliser des missiles hyperrapides dans les guerres locales en Asie du Sud-Est, par exemple, en cas de conflit éventuel en mer de Chine méridionale. À l’aide de missiles hypersoniques les militaires chinois comptent faire couler des porte-avions américains s’ils engageaient des actions agressives contre la Chine. Autrement dit, Pékin admet la possibilité d’utiliser l’arme hypersonique non seulement dans une guerre globale, mais également dans des conflits armés locaux.

Toutefois, comme l’écrit Nicolas Barotte du Figaro, au final l’efficacité de l’utilisation de l’arme hypersonique sera tout de même déterminée par la qualité du renseignement et de la désignation d’objectif. C’est pourquoi les grandes puissances accorderont une attention particulière au développement de tout nouveaux systèmes de contrôle, notamment aux recherches avancées en matière d’intelligence artificielle.

source : http://www.observateurcontinental.fr


Vecteurs hypersonique et armes nucléaires : évolution ou révolution ?

  Le 14 juin 2020, le Président Poutine défend l’avance prise par la Russie en matière d’armes hypersoniques et estime que lorsque d’autres puissances auront développé de telles capacités, la Russie saura s’en défendre.

. Ces déclarations viennent alimenter le débat sur le caractère invulnérable des véhicules hypersoniques et leur apport en matière de dissuasion nucléaire. En effet, au vu des nombreux articles dans la presse grand public, mais également des déclarations politiques, sur la létalité de ces systèmes d’armes, qui se caractérisent par une vitesse supérieure à Mach 5 et une manœuvrabilité sur quasiment l’ensemble du vol, plusieurs analyses ont été publiées cherchant à relativiser leur menace.

Ainsi, des comparaisons sont régulièrement réalisées sur la vitesse des systèmes, permettant de rappeler qu’à ce jour, la vélocité des armes hypersoniques restent bien en-deçà de celle des ICBM et SLBM

. L’intérêt de la vélocité en matière de dissuasion est notamment de réduire le temps disponible pour la mise en œuvre d’une défense ou d’une riposte par l’adversaire. Les vecteurs hypersoniques présentent l’avantage d’avoir une trajectoire beaucoup plus directe que les missiles balistiques et donc de réduire la distance parcourue. Mais même en tenant compte de ce facteur, le temps de réaction permis grâce à des satellites d’alerte à la détection d’une attaque réalisée par un vecteur hypersonique, estimé à 16 minutes, ne serait pas inférieur à celui disponible en cas d’attaque par un IRBM ou un SLBM dans nombres de cas

. Certains estiment donc que même s’il permettait de réduire le temps de préparation disponible de quelques minutes, cela ne représenterait pas un bouleversement majeur puisque les temps de réaction actuellement estimés pour des attaques balistiques ne donnent déjà que quelques minutes pour qu’un chef d’Etat orchestre une stratégie de défense ou de riposte. Pour ce qui est de la dissuasion nucléaire stratégique, leur apport en matière de vélocité ne serait donc pas crucial

Un deuxième élément régulièrement mis en avant pour ce qui est des systèmes hypersoniques concerne la portée. Dans ce domaine, les systèmes hypersoniques ne révolutionnent cependant pas les SLBM et ICBM déjà en mesure d’effectuer des frappes continentales. Les missiles de croisière hypersoniques pourraient avoir une portée équivalente à certains missiles balistiques stratégiques tout en offrant une capacité d’emport en masse théoriquement plus importante pour un encombrement donné. Mais ces technologies restent très peu maîtrisées à ce jour. La précision des missiles de croisière hypersonique, comme des planeurs, pourrait être supérieure aux systèmes balistiques actuellement déployées. Elle pourrait être comparable à celle des missiles de croisière subsoniques ou supersoniques, tout en assurant une vélocité et une portée bien supérieure. Pour autant, ce gain en termes de précision joue un rôle beaucoup plus important pour ce qui est d’une utilisation conventionnelle que d’une frappe nucléaire, mis à part peut-être pour des frappes de très faibles puissances

Si les armes hypersoniques n’apparaissent pas comme un élément révolutionnaire en termes de capacité offensive, certains estiment que la combinaison de leurs caractéristiques leur permet de disposer d’un avantage décisif pour échapper aux défenses antimissiles adverses. C’est d’ailleurs la première justification du programme russe de planeur hypersonique, alors que Moscou dénonce régulièrement les développements américains en matière de défense antimissile

. Sur ce point, les avis sont relativement unanimes pour reconnaître la capacité de survie très élevée des systèmes notamment permises par la vélocité et la capacité de manœuvre

. Néanmoins, plusieurs auteurs insistent sur les difficultés actuelles pour intercepter des missiles balistiques stratégiques, qui semblent encore très peu vulnérables aux capacités antimissiles projetées

. D’autres notent que si les technologies sont connues pour intercepter les missiles balistiques et les missiles de croisière, il sera un jour possible d’intercepter les systèmes hypersoniques selon les lois de la dialectique offense/défense

. Certains, enfin, insistent sur la possible vulnérabilité à des défenses construites autour de systèmes à énergie dirigée, dont la capacité effective d’interception sera bien supérieure aux vecteurs hypersoniques les plus rapides

. Cette vulnérabilité est exacerbée sur les planeurs hypersoniques qui ne peuvent accroître leur manœuvrabilité qu’au détriment de la portée et/ou de la vitesse

Les systèmes d’armes hypersoniques combinent des caractéristiques extrêmes, et notamment l’utilisation de moteurs de type statoréacteur et de matériaux capables de résister à des températures très élevées. Concevoir et faire fonctionner de telles armes représente à bien des égards une prouesse technique, en particulier pour les missiles de croisière hypersoniques. Pour autant, beaucoup d’auteurs préfèrent qualifier les armes hypersoniques d’évolution dans le perfectionnement des missiles entrepris depuis la fin de la seconde guerre mondiale, plutôt que de révolution

. Ce constat est renforcé lorsque les armes sont envisagées dans une fonction de vecteur nucléaire, car leurs avantages au regard d’ICBM ou SLBM classiques sont limités. Alors que le risque de ne pas pouvoir discerner la nature nucléaire ou conventionnelle d’un véhicule hypersonique est régulièrement rappelé

, ce danger tout comme cette absence d’avantage stratégique identifié explique sans doute pourquoi la littérature, en particulier américaine, se centre avant tout sur les avantages de ces technologies pour des missions conventionnelles plutôt que pour le renforcement des capacités de dissuasion nucléaire.

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