vendredi, 19 avril 2024

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Pourquoi le Donbass a-t-il proposé à Kiev une feuille de route pour la mise en œuvre des accords de Minsk ?

Photo : Ministère russe des Affaires étrangères
  •  par Pavel Volkov 

Sur fond de tentatives de Kiev de se retirer à tout prix du processus de Minsk approuvé par le Conseil de Sécurité de l’ONU, les propositions de Donetsk et Lougansk (les deux républiques populaires du Donbass) de rester dans le processus, même au prix de concessions, ressemblent à un geste de bonne volonté. Et, bien sûr, comme un transfert du bâton à l’Ukraine, qui doit maintenant préparer une proposition de réponse.

Novembre 2020 n’apporte pas d’optimisme à ceux qui souhaitent la paix dans le Donbass. Alexeï Reznikov, vice-premier ministre ukrainien, ministre de la réintégration des territoires temporairement occupés, membre du Conseil de Sécurité Nationale et de Défense et premier chef adjoint de la délégation ukrainienne au sein du Groupe de Contact Trilatéral (GCT), a comparé le Donbass… à une tumeur.

« L’essentiel pour nous est de ne pas le reprendre [le Donbass – NDLR] comme une tumeur avec laquelle nous ne savons pas quoi faire. Mais nous comprenons que nous avons deux options. Ce sont des territoires malades, y compris mentalement. Il y a la résection complète, l’amputation, ou un traitement. Je suis pour la thérapie et le rétablissement complet de notre corps », a déclaré M. Reznikov dans le programme « Rendez-vous avec Yanina Sokolova ».

C’est avec de tels sentiments, qu’une partie de la société ukrainienne attend la « feuille de route » sur les accords de Minsk, que l’Ukraine a promis de préparer et de présenter dans un avenir proche lors d’une réunion du Groupe de Contact Trilatéral fin octobre.

Lors de cette même réunion, les représentants des républiques non reconnues ont également proposé leur propre version du programme de règlement du conflit pour approbation par la Verkhovna Rada. L’essentiel de la première partie des propositions reflète les points de Minsk-2 et se résume à l’échange de prisonniers, au régime de cessez-le-feu et au retrait des troupes. Mais la partie suivante est intéressante.

Comme nous le savons, Minsk-2 propose de modifier la Constitution de l’Ukraine de telle sorte que certains districts des régions de Donetsk et de Lougansk soient dotés d’une large autonomie, ce qui est appelé actuellement ORDLO (districts séparés des régions de Donetsk et de Lougansk – qui couvrent les actuelles RPD et RPL – note de la traductrice). Ainsi, les représentants des régions de Donetsk et de Lougansk ont proposé de n’inscrire l’autonomie du Donbass dans la Constitution que pour 30 ans, jusqu’en 2050. Puis – au plus tôt en 2045 et au plus tard en 2049 – un référendum décidera du sort futur de la région.

Qu’est-ce que c’est, si ce n’est une concession ? Il est clair qu’un travail médiatique efficace est tout à fait capable de traiter très facilement les intérêts objectifs de la population et de former une opinion « correcte » sur la question du statut spécial parmi un nombre suffisant de citoyens.

Mais ils veulent également modifier le statut spécial de la RPD-RPL. L’annexe numéro 2 de la feuille de route intitulée « Principales dispositions de la loi ukrainienne « sur les modifications et les ajouts à la loi ukrainienne » sur la procédure spéciale d’autonomie locale dans certains districts des régions de Donetsk et de Lougansk » comporte plusieurs points très intéressants.

Premièrement, les conseils de district de Donetsk et de Lougansk élus en vertu de la nouvelle loi doivent être propriétaires de tous les biens des collectivités territoriales et des ressources naturelles de la région.

Deuxièmement, le transfert des taxes à Kiev sera effectué dans le cadre d’une procédure spéciale, et non comme les autres régions.

Troisièmement, les conseils de district sont autorisés à établir une coopération économique avec la fédération de Russie, à déterminer les langues officielles, les jours fériés et les dates de commémoration.

Tout est clair et tout est correct. Les questions commencent ensuite. Les conseils locaux pourront déterminer les pouvoirs de la milice populaire en tenant compte de la loi, qui séparera les fonctions de la milice et de la police nationale ukrainienne, ainsi que décider de la nomination des chefs des bureaux des procureurs et des tribunaux.

Coordonner les sphères d’activité de la police populaire avec la police nationale ukrainienne n’est pas si mal. La milice populaire du Donbass est, en fait, une garde nationale locale appelée à s’assurer qu’aucun « activiste » portant des croix gammées sur son crâne rasé n’organise de « trains de l’amitié » vers Donetsk et Lougansk. Mais qu’en est-il de la Garde nationale ukrainienne qui relève directement du ministre ukrainien de l’Intérieur ?

Les conscrits ukrainiens de certains villages de Poltava, qui sont utilisés pour les convois vers les tribunaux ou pour protéger des objets importants – que Dieu soit avec eux. Cependant, la Garde nationale inclut également des nazis d’Azov qui portent l’uniforme du ministère de l’Intérieur. Auront-ils le droit d’assurer l’ordre dans les rues de Donetsk et de Lougansk ? De manière générale, une telle question n’est évidemment pas résolue, et aucun détail n’est donné.

Il n’est pas question de créer une police municipale. L’accord sur les tribunaux et le parquet signifie que Kiev proposera des personnes, et que le Donbass acceptera ou rejettera des candidats. D’une manière ou d’une autre, ces organes resteront également sous le contrôle de Kiev. Ainsi, toute la sphère de l’ordre public dans l’ORDLO s’avère être directement contrôlée par le pouvoir central. Sauf pour la milice populaire, dont nous ne connaissons pas encore les pouvoirs.

Et la question clé est : qu’en est-il du SBU ? Non seulement cette organisation va revenir dans le Donbass, mais les chefs du SBU de Donetsk et de Lougansk ne figurent pas sur la liste des positions convenues avec les autorités locales. Ils ne feront pas l’objet d’un accord. Il semble que la direction du SBU des régions de Donetsk et de Lougansk, qui est maintenant située à Kramatorsk, sera chargée des opérations spéciales dans l’ORDLO. Mais alors, sans aucun doute, des répressions de masse peuvent commencer. Et qui va l’empêcher ? La milice populaire ?

En bref, sans les clarifications, qui ne sont pas là, tout semble totalement incompréhensible. Formellement, le pouvoir dans le Donbass sera élu par la population locale et disposera de larges pouvoirs dans le domaine de l’économie et de la culture, mais le manque d’influence réelle sur les structures du pouvoir peut facilement réduire toute cette autonomie. C’est une chose de remettre la frontière aux gardes-frontières ukrainiens, et de laisser tout le pouvoir à l’intérieur des territoires à la milice populaire, à la police municipale et au bureau du procureur auprès des tribunaux. Et une autre question est celle des pouvoirs du ministère de l’intérieur, du SBU et du bureau du procureur général. Dans ce cas, il ne restera plus rien du statut spécial.

Pourquoi les représentants de la RPD et de la RPL ont-ils fait des propositions aussi défavorables, surtout lorsque personne ne leur a demandé de le faire ? Les derniers points de la feuille de route peuvent nous éclairer sur ce point.

Tout cela se fera si l’Ukraine abroge trois lois discriminatoires qui violent les droits de l’homme – sur l’enseignement secondaire (où les enfants sont divisés qualitativement selon la langue), sur la langue d’État (ukrainisation totale et violente) et sur la réintégration du Donbass (qui transforme « l’opération antiterroriste » en « lutte contre l’agression russe », c’est-à-dire légalise l’utilisation des forces armées ukrainiennes dans le pays).

La Verkhovna Rada, dans sa composition actuelle, votera-t-elle l’abrogation de ces lois ? J’en doute fort. Donc on oublie. De plus, la feuille de route indique clairement que le transfert de la frontière avec la Russie se fera après les élections, à savoir que ce point des accords de Minsk est la principale pierre d’achoppement, ce que l’Ukraine ne veut en aucun cas faire. Et cette pilule amère ne peut être adoucie, même par la promesse de rendre leur propriété aux oligarques ukrainiens deux mois après la récupération de la frontière (et la levée du blocus du Donbass, bien sûr).

À ce moment-là, Akhmetov a certainement soufflé, car au début de la lecture du document, il pouvait lui sembler qu’il ne pourrait récupérer « ses » usines que dans 30 ans, et d’ici là, l’oligarque de 54 ans ne s’intéressera probablement plus à ces questions. Mais non, la perspective est maintenant tout à fait tangible. Mais si l’Ukraine refuse cette « feuille de route », les intérêts d’Akhmetov pourraient diverger légèrement de la politique du parti au pouvoir ?

Ainsi, formellement, les représentants de la RPD et de la RPL cèdent fortement sur leurs positions dans le document, mais en fait, celui-ci comporte des dispositions qui ne permettront jamais à l’Ukraine de l’accepter.

Les points clés de Minsk-2 (ainsi que leur séquence) sont inacceptables pour Kiev, même s’il y aura une autonomie de 30 ans, voire de 1030 ans. Et puisque nous sommes sûrs que les accords de Minsk ne seront pas respectés par l’Ukraine, qui l’empêche de proposer des feuilles de route avec des concessions qui montrent le soi-disant intérêt de la communauté mondiale pour la résolution du conflit, même au prix de l’abandon de certains de ses propres intérêts et d’exposer ainsi Kiev comme étant la partie qui interrompt le processus de paix ?

Surtout au moment où Zelensky exige directement de passer les négociations de « Minsk » au format du mémorandum de Budapest, c’est-à-dire le retrait du processus de l’Allemagne et de la France et l’entrée des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Négocier au format Budapest ressemble à une escroquerie, car le mémorandum n’est qu’une déclaration d’intention visant à garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Un tel format de négociation n’existe pas, et sans le consentement de la Russie, même s’il existait, il ne serait pas possible de passer à ce format.

Par conséquent, sur fond de tentatives de Kiev de se retirer à tout prix du processus de Minsk approuvé par le Conseil de sécurité de l’ONU, les propositions de Donetsk et Lougansk de rester dans ce processus, même au prix de concessions, ressemblent à un geste de bonne volonté. Et, bien sûr, au transfert du témoin à l’Ukraine, qui doit maintenant préparer une proposition de réponse.

La préparera-t-elle ? J’en doute. Et si c’est le cas, qu’est-ce que ce sera – encore une fois, les demandes de transfert immédiat de la frontière et le refus d’abroger les lois discriminatoires qui contredisent les accords de Minsk ? Est-ce que ça aura l’air correct ?

Mais l’attitude de l’Union européenne envers l’Ukraine n’est pas la même qu’en 2014.

Pavel Volkov

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Note de la traductrice : Après la publication de cet article, l’Ukraine a exposé les points de sa proposition de feuille de route pour appliquer les accords de Minsk. Sans surprise, et comme je le craignais (et j’avais exprimé ces craintes lors de mon dernier rapport de situation), cette feuille de route ne respecte absolument pas les accords de Minsk.
Cette feuille de route ukrainienne prévoit en effet de démilitariser totalement la RPD et la RPL avant que l’Ukraine ne reprenne le contrôle de la frontière (comme ça Kiev peut mener un scénario croate – épuration ethnique – sans aucune résistance dans le Donbass), exige que les deux républiques soient dissoutes, et que la Russie cesse de donner des passeports russes à leurs habitants. Les élections n’auront lieu qu’après.
Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine a déjà commenté cette proposition, en soulignant qu’elle n’est pas conforme au contenu des accords de Minsk. En effet, je rappelle que dans ces accords, les élections ont lieu d’abord et le contrôle de la frontière ne vient qu’en dernier. De plus il est hors de question de démilitariser les deux républiques populaires, puisque c’est le seul moyen pour elles de se prémunir contre un scénario croate dont rêve certains en Ukraine.

Alors que la feuille de route proposée par la RPD et la RPL respecte les accords de Minsk, celle de l’Ukraine les viole totalement. Voilà qui éclaire de manière définitive qui bloque l’application des accords de Minsk : l’Ukraine !

Source: Ukraina.ru

Traduction par Christelle Néant pour Donbass Insider


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