Face au coronavirus, pourquoi le confinement pose problème en Afrique

Ce « confinement de plus », en plus de celui de la grande précarité, est pour beaucoup en Afrique un aveu de mort et de renonciation à tout instinct de survie.

Voici malgré les nombreuses épreuves l’aube d’une nouvelle décennie. L’Afrique, d’Alger au Cap –ce continent de 54 pays avec plus de 54 complexités et réalités– est aujourd’hui mise à mal une fois de plus par une catastrophe pandémique mondiale. Avec les autres parties du monde, le continent doit prendre la mesure de la situation et s’inscrire dans un plan de riposte drastique. Dans un contexte où les populations de Dakar, de Nairobi, de Kinshasa, de Rabat, de Luanda, de Bamako, du Caire, de Benghazi, de Kigali, d’Addis-Abeba, de Douala, de Lagos, d’Abidjan… sont toutes conscientes du danger et des conséquences irréversibles qui pourraient arriver. Car malgré tout, le premier objectif mondial face à cette pandémie du Covid-19 est de rester en vie et de sauver des vies.

Des masques en tissu sont distribués aux habitants des bidonvilles de Mathare, l’un des plus denses de Nairobi, au Kenya, suite à la directive du gouvernement préconisant le port des masques dans les lieux publics. Le lundi 6 avril, le président kenyan a annoncé un confinement de 21 jours à cause de la propagation du COVID-19. Cette mesure a fait suite à un couvre-feu de nuit (de 19h à 5h). / SOPA IMAGES VIA GETTY IMAGES

Voici dans quel état les Africains, d’Oran à Pretoria et de Saint-Louis à Juba célèbrent pour la grande majorité 60 ans d’indépendance. S’agissant de ce drame –Coronavirus– certains régimes totalitaires se sont empêtrés à persévérer dans des solutions à l’emporte-pièce. Ils ne font que reproduire sans une expertise des élites locales les solutions préconisées et adoptées outre-Atlantique. Véritable déni des réalités propres au continent. Ces solutions qui pour bon nombre des dirigeants africains sont plus facile à dire qu’à faire: “le confinement”.

Est-ce un mimétisme de plus? D’où sa difficile voire impossible implantation. Un confinement qui vient révéler une autre réalité préexistante aux Africains: le confinement politico-social et économique avec tous ces effets pervers dignes des dictatures trop nombreuses sur le continent. C’est la raison pour laquelle ce “confinement de plus” –pourtant solution au Covid-19– paraît pour la plus grande partie des populations africaines –dans leurs lieux de vie au plus profond des pays, pratiquant souvent les épreuves des routes impraticables et dangereuses, partageant leur quotidien dans des habitations précaires, leur manque d’eau potable, leur non accès à l’électricité qui plonge leurs vies dans les ténèbres la nuit venue– à un aveu de mort et de renonciation à tout instinct de survie. Leur misère qui bouleverse toute conscience humaine explique “le confinement de plus” comme une arme dont le but est de restreindre davantage les quelques rares zones d’épanouissement et de renfoncer les liens, les nœuds et les chaînes qui étouffent depuis bien longtemps ces peuples. Pour ces derniers, comment le confinement dans un tel état social, économique et sanitaire peut-il être une solution? Ce sont les modalités de ce confinement visiblement qui sont douloureusement vécues comme une provocation de trop.  

Les peuples africains, de part cette quasi “ultime et unique” réponse au coronavirus, comprennent bien pourquoi on ne peut pas tourner la page aussi facilement comme ça été le cas depuis les indépendances après les dérives à répétition des dirigeants qui se succèdent illégitimement et illégalement. Il faut en tirer tous les enseignements utiles. Cette pandémie a permis d’apporter à l’ensemble des communautés solidaires de l’Afrique une vision claire des lacunes et insuffisances chroniques et, par dessus tout, les preuves irréfutables de l’absence d’État, du régalien et du corps social au profit de la consolidation du socle dictatorial et totalitaire de plusieurs régimes dont la seule ambition est un maintien absolu et éternel au pouvoir. La communauté internationale dont font partie les 54 États africains rappelle que toutes ces turpitudes étatiques depuis des décennies ne se réalisent pas sous cloche. Le coronavirus met désormais à nu les affres des démocratures qui jusqu’ici pratiquent une gouvernance d’un autre âge.

C’est aussi une occasion pour la communauté internationale de dé-confiner sa vision de l’Afrique.

La gestion de la crise du Covid-19 ne se réduit pas qu’à un simple confinement de trop. Il s’agit aussi d’un contentieux historique entre une Afrique aplatie, qui depuis cherche à se redresser, et l’Afrique de l’arrogance régnante, méprisante, sûre de son fait. On tend l’oreille et on entend les protestations qui parcourent l’Afrique entière: la géopolitique des peuples à l’oeuvre y compris là où l’on a imposé aux urnes avec une brutalité sans précédent de dire qu’elles se sont exprimées à plus de 90% en faveur du président sortant. De qui se moque-t-on? Ce n’est pas qu’un “confinement de plus”, il s’agit aussi du contentieux d’un système de gestion de la cité que nul ne peut laisser prospérer encore parce qu’il mène à coup sûr l’Afrique tout droit vers la tragédie des règnes sans fin, aveugles sur leur propre épuisement et sourds aux cris de détresse des peuples essorés, à la dignité arrachée qui désespère et qui demande: “Ne sommes-nous pas aussi des Africains comme vous?”. Question posée à nombre de dirigeants déguisés en panafricanistes.                 

Cette pandémie a montré que jamais certains régimes en place n’accepteront que se déroule et s’élabore un véritable mécanisme qui sortira les peuples des sentiers battus et des méthodes importées outre-Atlantique. Il s’impose aux Africains, l’impérieux et noble devoir de résistance à la spoliation perpétuelle de leur liberté et de leur droit légitime au libre choix de leurs dirigeants. Ces méthodes “copier–coller”, pas toujours sans intérêt et solutions porteuses, pousseront à coup sûr la géopolitique des peuples africains à une plus grande désespérance, à la désolation et au deuil.  

Ce tableau peut-être peu reluisant de la situation du continent, traduit la course quotidienne vers l’incertitude où les régimes totalitaires conduisent les peuples. C’est la raison pour laquelle, de Benghazi à Maputo, les peuples devraient décider de mettre en œuvre un plan commun de résistance contre tous les maux qui minent le continent dont le combat contre le Covid-19 constitue une étape cruciale. Il importe de rester vigilants face à une certaine volonté prédominante à l’échelle du continent, d’empêcher la pleine expression d’une pensée contradictoire dans les espaces publics africains. Les pouvoirs totalitaires utilisent pour cela divers outils dont l’un des plus redoutables est le déni des réalités des souffrances des peuples et l’agitation des passions basées sur la stigmatisation identitaire. Attention aux élans racistes et violents à l’égard des étrangers comme étant perçus comme ceux qui propagent la pandémie. Attention aux thèses complotistes, aux thèses conspirationnistes, aux thèses racistes, aux thèses du bouc-émissaire, aux thèses des violences inhérentes, aux thèses extrémistes, aux thèses d’ostracisme ethnique et aux fake news.

La géopolitique des peuples de Tanger à Durban veut un nouveau partenariat stratégique avec le monde. Face à la situation sanitaire, sécuritaire, humanitaire, politique, économique et sociale explosive dans laquelle certains dirigeants ont plongé le continent. La communauté internationale dont font partie les 54 pays d’Afrique vient de tirer la sonnette d’alarme en invitant les pouvoirs à plus de réveil, d’anticipation et de réponse sanitaire stratégique puissante face à la menace de l’heure. Menace qui a révélé les défaillances même des pays les plus puissants et l’infiniment petit de tout ce que l’homme a jusqu’ici conçu et enfanté à l’échelle de l’univers. Aucune puissance ne pouvait être à la taille de cette pandémie inédite. C’est une occasion pour la communauté internationale de -confiner sa vision de l’Afrique. Face à ce drame, le continent, de Nouakchott à Port Saïd, se dirige vers une récession économique et un risque de crise sanitaire d’envergure. Sera-t-elle capable de rebondir avec les mêmes méthodes et certains acteurs après un bilan effroyable? La renaissance démocratique et la prospérité économique qui commençaient à se consolider et se solidifier ici et là vont-elles subsister?    

Si le confinement est pour certains régimes totalitaires un tremplin leur permettant de s’inscrire dans la continuité de leur pratique anachronique plutôt que dans une véritable riposte au Covid-19, ces régimes croient-ils que le confinement peut tout régler? On ne confine pas l’esprit. On ne confine pas une cause; celle-ci se nourrit de la prise de conscience des uns et des autres, croît indépendamment de l’esprit qui l’a identifiée et poursuit d’elle-même son chemin jusqu’à son accomplissement. Face au Covid-19, les peuples africains ne doivent surtout pas perdre de vue que le premier objectif mondial face à cette pandémie est de rester et demeurer en vie et d’en sauver afin de continuer tous les combats et les constructions d’un bonheur possible. C’est cette première pensée existentielle et politique face à un ennemi invisible et insaisissable pour l’instant qui doit être au centre et donner un sens à toute aventure de sauvegarde et de restauration de la dignité humaine./

  • Par Jean-Claude Félix-Tchicaya Praticien chercheur pour l’Institut de Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) en géopolitique, géostratégie et sociologie
  • Hippolyte Éric Djounguep Chercheur en géopolitique et géostratégie à l’École Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (ESSTIC)

À voir également sur Le HuffPostPasse d’armes entre Trump et l’OMS sur la gestion de l’épidémie de Covid-19

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