France / A l’IMA, les « Révolutions » au Maghreb font débat

 La redaction de Mondafrique –
26 avril 2019

Lors d’une table ronde à l’Institut du monde arabe (IMA), le 18 avril, Pierre Vermeren, universitaire, Akram Belkaid, journaliste et Selim Kharrat, humanitaire ont évalué les limites des révolutions qui se sont produites au Maghreb. Un article de Louisa Benchabane

« Qu’on parle de révolution ou pas, peu importe, ce qui se passe en Algérie est incroyable. » C’est avec ces mots qui font consensus que s’ouvre un débat à l’IMA sur « Le Maghreb: des démocraties inachevées? » . Les trois intervenants ont souligné les différences entre le printemps tunisien et la tentative démocratique algérienne.

Depuis plusieurs semaines, des centaines de milliers de manifestants battent le pavé en Algérie pour réclamer la destitution du régime en place depuis plus de vingt ans. Un élan démocratique qui s’inscrit dans une longue lignée de tentatives de renversement du régime. Cette mobilisation en effet n’est pas la première dans le pays.La prudence s’impose avant de parler de Révolution

Replongeons nous en effet dans les années 1988 à 1992. La rente pétrolière s’épuise, le régime de parti unique s’essouffle. En octobre 1988, des jeunes despérados dénoncent les pratiques d’un régime touché par la corruption et le clientélisme. La répression policière est sanglante, l’armée tire. L

Des islamistes majoritaires

Le choc de la répression est tel qu’il ouvre la voie d’une véritable ouverture démocratique. Laquelle, hélas, ne durera pas. Fin 1991, le Front Islamique du Salut (FIS), dont le chef, Abassi Madani, vient de s’éteindre au Qatar, emporte la majorité des votes dès le premier tour des élections législatives. Il n’y aura pas de second tour. La décennie noire est enclenchée. Groupes islamistes, forces de l’ordre et groupes d’autodéfense sont les auteurs de nombreuses exactions. L’Algérie est le théâtre d’une guerre civile hautement meurtrière qui va faire entre 100 000 et 200 000 morts.

Près de vingt ans plus tard, Akram Belkaid considère que « depuis son arr!vée au pouvoir en 1999, le président Bouteflika n’a pas amorcé de réformes pour gagner en pluralisme sur l’échiquier politique. Le système avait toutes les institutions nécessaires à une démocratie, mais la réalité du pouvoir était ailleurs » ?

Pour autant, la transition actuelle semble au journaliste du Monde diplomatique et du Quotidien d’Oran « mal partie ». Les Algériens ne sont pas dupes et ont conscience que les élections présidentielles, fixées le 4 juillet par les militaires, laissent des délais beaucoup trop courts pour voir les règles du jeu changées.

L’exception tunisienne

La Tunisie, laboratoire privilégié du printemps arabe, est souvent citée comme un modèle dans la région. A-t-elle vraiment réussi sa révolution? Depuis l’exil forcé de Benali, le 14 janvier 2014, « un régime hybride a vu le jour », déclare Selim Kharrat.  L’élection constituante a débouché sur un pluralisme politique et la garantie des droits d’expression et de manifestation. « Mais sur le plan social et économique c’est un échec », déplore l’humanitaire. « Face à la situation économique désastreuse dans laquelle les tunisiens sont plongés, Benali incarnait une forme d’ordre», ajoute le président de l’ONG tunisienne Al Bawsala, qui a milité activement pour le départ de Benali.

Disparue la ferveur de la révolution! C’est le retour de vieux réflexes. Pierre Vermeren appuie cette idée: « Les autoritaires profitent du désespoir pour imposer l’image d’un homme providentiel».

L’argent, le nerf de la guerre

« Dégager le régime ». Un slogan qui orne les pancartes des manifestants de droite comme de gauche en Algérie. Mais après le mouvement populaire de la rue, il faudra aborder les sujets qui fâchent. Les questions autour de l’égalité homme-femme, de la place de la religion, de la langue (compte tenu de l’arabe qui est la langue officielle au détriment du Berbère) peuvent poser problème. Avec le risque de « faire dérailler un processus démocratique déjà fragile », insiste Akram Belkaid.

Contrairement à la Tunisie lors de sa révolution en 2011, l’Algérie bénéficie  d’une rente pétrolière. « Il y a environ 80 milliards de dollars dans les réserves de changes. Le pays a les moyens de s’acheter la paix sociale, à condition que les choses changent sur le fond », explique Akram Belkaid. Encore que, les réserves ont fondu sous le règne de Bouteflika et que la manne pétrolière s’essouffle. « L’Algérie ce n’est pas comparable, mais pour l’instant il y a de quoi financer de nouvelles politiques à hauteur de plusieurs milliards de dollars », ajoute Pierre Vermeren en accusant l’Europe de ne pas avoir agi pour soutenir économiquement la démocratie tunisienne. « Une démocratie misérable aux portes de l’Europe, ça paraît très compliqué à long terme ».

Après sa révolution démocratique, la Tunisie apparaît comme un pays exemplaire dans le monde arabe. Pour  Selim Kharrat, cette image a pour effet de faire bénéficier les dirigeants tunisiens d’une rente démocratique. « Les États européens se contentent de l’état actuel de la Tunisie et les dirigeants en profitent pour faire ce qu’ils veulent .  Quand on parle de la Tunisie, il faut le faire avec le même référentiel de valeurs et de principes que pour les démocraties européennes ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *