France / Mouvement du 22 Février: «La France n’a rien vu venir»

par Yazid Alilat

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Xavier Driencourt

L’ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt a reconnu dimanche 14 juillet à Alger que le mouvement populaire du 22 février a surpris tout le monde, autant les politiques que le gouvernement algériens, et le reste des chancelleries occidentales. 

La très puissante volonté de changement politique des Algériens, exprimée à travers le refus du 5ème mandat et la revendication populaire d’un changement politique et de gouvernance radicaux dans le pays, a surpris les observateurs étrangers. Le diplomate français, lors d’une conférence organisée à l’occasion de la fête nationale française, a avoué n’avoir « pas vu juste sur la force de changement en Algérie». «Nous n’avons peut-être pas vu juste », a-t-il reconnu, avant de souligner : «il faut l’avouer, nombre d’entre nous n’ont pas perçu la formidable force de changement qui sommeillait dans ce pays». L’ambassadeur français explique qu’ « en quelques jours, nous nous sommes retrouvés dans un monde transformé, aux horizons redéfinis, aux perspectives nouvelles et l’Algérie d’aujourd’hui n’est pas celle que j’ai connue durant mes années passées ici ». Terrible aveu d’un diplomate, qui connaît pourtant bien l’Algérie. Ainsi, pour Xavier Driencourt, « l’Algérie est revenue, en peu de temps, à sa vieille tradition de pays révolutionnaire », et elle est en train d’écrire, ajoute t-il, à travers les manifestations populaires pacifiques pour le changement « une nouvelle page de son histoire et de l’histoire du monde sous le regard ébahi et admiratif de la planète». Pour lui, l’Algérie donne « un exemple à tous ceux qui, voulant transformer les vieux ordres et les systèmes anciens, refusent de payer le prix de la violence ». Mais, il va plus loin en relevant, à l’adresse des Algériens, que «quel que soit l’avenir que vous écrirez, une chose restera, c’est la relation entre la France et l’Algérie ». « Nous sommes unis, a-t-il dit, dans nos différences, unis par nos populations, nos cultures, nos économies, la langue aussi que nous avons en partage. Nos rapports sont uniques dans leur genre, inédits de proximité entre deux nations si différentes par leur histoire et leurs références. » Enfin, cet ambassadeur, nommé pour la seconde fois en 2017 à Alger après un premier passage (2008-2012), estime que le Hirak « est une opportunité pour l’Algérie, c’est une chance pour la France, qui a aussi tant à apprendre de l’Algérie. C’est aussi une chance pour les Français qui, surpris comme ils l’ont été depuis ce mois de février, souhaitent mieux vous connaître». Le mouvement populaire du 22 février dernier avait été, dés le début, très suivi par Paris. Pis, l’Elysée était « en alerte rouge », selon le Nouvel Observateur, dès les premières informations sur les manifestations populaires contre le 5ème mandat de Bouteflika. Selon cet hebdomadaire parisien, citant une source de l’Elysée, «le président Macron suit de très près les manifestations», et il fait «faire l’aller-retour dans la journée de mercredi à l’ambassadeur de France à Alger. Le Président suit personnellement et de très près ce qui se passe en Algérie. Non seulement il lit tous les rapports diplomatiques sur le sujet, mais – fait très inhabituel – il a téléphoné lui-même mardi (26 février) à l’ambassadeur de France sur place Xavier Driencourt pour connaître son appréciation de la situation. Il lui a également demandé de venir d’urgence au Quai d’Orsay pour informer le ministre, Jean-Yves Le Drian». Selon la même source à l’Elysée, « rien de ce qui se passe en Algérie n’est indifférent pour la France et donc pour le Président. Les enjeux pour nous sont considérables. Avec l’Algérie, nos liens historiques, économiques, politiques, sécuritaires sont très importants. La France a des intérêts sur place, elle abrite aussi une forte communauté algérienne et franco-algérienne. Pour nous, la stabilité de l’Algérie est donc un enjeu majeur, compte tenu notamment de la proximité géographique et des liens humains entre les deux pays. Et puis, il y a l’enjeu sécuritaire, y compris sur le plan régional. Nous avons besoin d’une coopération avec l’Algérie pour la lutte contre les groupes terroristes dans le Sahel». 


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Xavier Driencourt
Xavier Driencourt, ambassadeur de France à Alger.

Par Tarek B. – En digne héritier d’une diplomatie soi-disant d’influence qui repose encore sur les certitudes bien ébranlées de l’ordre international ancien, l’ambassadeur de France à Alger a cru bon de convoquer l’histoire fantasmée de son pays, pour exprimer une bienveillance bien suspecte à l’égard du hirak algérien, le tout enrobé de la sempiternelle sucrerie diplomatique flairant bon le paternalisme de mauvais aloi. C’est, en tout cas, ce que l’on retient du discours allusif prononcé par Xavier Driencourt, à l’occasion de la célébration de la fête du 14 Juillet. La célébration de l’exemplarité du mouvement populaire algérien par un pays pourtant très proche du clan Bouteflika – friande qu’elle était de sa prodigalité et de ses largesses – est assez flagrante pour ne pas interpeller notre opinion publique.

Il y aurait, effectivement, artifice à ne pas relever dans ce discours enjoliveur, les germes d’une forme d’ingérence soft dans nos affaires intérieures. Il ne faut pas s’étonner que M. Driencourt ait voulu faire son miel des acquis arrachés par le hirak algérien. Il y décèle, là, une opportunité toute trouvée pour essayer de se débarrasser, un peu trop facilement, du passif encombrant d’une relation bilatérale privilégiée et ô combien fructueuse sous l’ère du président Bouteflika, car faites d’avantages substantiels et exclusifs, consentis au rythme des échéances électorales dans notre pays et du nécessaire quitus de l’ancienne puissance coloniale. Le tout au nom d’un chimérique «partenariat d’exception» à ranger résolument dans le registre des vœux pieux.

Il n’est, d’ailleurs, pas anodin que l’ambassadeur français n’attribue aucun qualificatif aux relations politiques, ni même humaines, qui lient les deux pays. Le «nous» franco-algérien par lequel il conclut son laïus cache mal un embarras manifeste, car l’objectif du tour de passe-passe est de se racheter une conduite au prix d’une simple saillie rhétorique. Ca ne mange pas de pain et, surtout, ça permet de prendre date pour l’avenir.

Au peuple algérien et à la jeunesse qu’il croit pouvoir subjuguer par la magie du verbe, au détour de quelques phrases bien sentencieuses, il suffit juste d’éplucher les statistiques sur la très forte baisse du nombre de visas délivrés par la France aux Algériens, ou encore la réaction disproportionnée des autorités françaises aux scènes de liesse de notre diaspora en France, suite à la qualification de l’EN de football à la finale de la CAN-2019, pour se convaincre du contraire : la faconde de circonstance de M. Xavier Driencourt fait partie de ce que l’on appelle l’affichage, pour ne pas dire l’enfumage diplomatique.

Son éloge panégyrique ne suffira pas à faire oublier les contacts, étroits, suivis et avérés entre le président Macron et certains plénipotentiaires algériens connus pour sauver le soldat Bouteflika à travers une pseudo feuille de route concoctée par le clan et adoubée par l’ancien colonisateur. Les Algériens n’ont pas la mémoire courte et ils constatent, aujourd’hui, que les remarques de l’ambassadeur, outre le fait qu’elles constituent quand même un début d’ingérence dans nos affaires intérieures, posent la question cruciale de la nécessaire distanciation que Paris se doit absolument d’observer lorsqu’il s’agit de dynamiques sociales et politiques propres à un pays sourcilleux pour tout ce qui touche à son indépendance et à sa souveraineté.

Cet ambassadeur, dont les «sorties de route» sont déjà nombreuses et variées, devrait surtout s’abstenir de donner des conseils paternalistes sur la «vigilance» qui est requise pour cueillir les «fruits les plus sûrs». Son mea culpa tardif n’exonérera en aucune manière le pays qu’il représente de ses accointances avérées et solidement établies avec le clan, et ce, longtemps après le 22 février.

Est-ce, sans doute, le sens à donner à cette phrase alambiquée et qui suinte la pénitence rétrospective : «Les vieux pays révolutionnaires (la France) peuvent dire leur dette à ces temps troubles mais libres». Quelle dette ? Début d’aveu sur des manigances avec le premier cercle du clan ? On attend de voir. En effet, pour être vraiment crédible, la sincérité, réelle ou feinte, de l’ambassadeur devrait l’inciter à en dire plus, sur ce registre en particulier.

Enfin, ce diplomate, qui se découvre sur le tard une vocation d’exégète des mouvements révolutionnaires, devrait plutôt nous donner son sentiment sur le phénomène des Gilets jaunes en France. Ce serait assurément très instructif.

T. B.

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