La « harga » des cerveaux algériens : Quand la « matière noire » est plus valorisée que la « matière grise »

       “If you seek to engage in “harraga” to survive, it is not hunger you are dying for, but boredom. There are no jobs, no prospects: only the fear of things getting worse”
(Amanda M’Charek, Harraga: Burning Borders, navigating colonialism, Sage Journals, April 6, 2020).

“La question de la fuite des compétences professionnelles [en Algérie] est liée à la dignité humaine et non à la question des « salaire » et de « belle vie »
(Karim Khaled, La fuite des cerveaux n’est qu’une partie apparente de l’iceberg, Reporters, 8 février 2021).

« The harga for me is only a symptom. It is a slight hemorrhage. We have other hemorrhages like the brain drain. Treating the small injury of the harga will not stop the bleeding. We must treat the whole sick social body”
(Mohamed Said Musette, quoted by Lamine Ghanmi, Algeria youth migration prompts soul searching, The Arab Weekly, November 8, 2019).

 

 

Par Arezki Ighemat*


La “harga” — phénomène qui touche aussi bien les bras que les cerveaux algériens — n’est évidemment pas un problème qui date d’aujourd’hui. L’émigration — clandestine et légale — remonte à la période coloniale, notamment après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, elle a pris de l’ampleur pendant la décennie noire (1990-2000) et s’est davantage encore amplifiée depuis ce que l’on appelle les « printemps arabes » (2010/2011 — présent). Par ailleurs, si, avant les années 1990, la harga avait concerné essentiellement les « bras » algériens, c’est-à-dire les travailleurs manuels et les détenteurs de métiers manuels, à partir des années 1990, le mouvement a touché aussi les « cerveaux » (médecins, ingénieurs, artistes, journalistes et autres catégories d’intellectuels). En outre, si avant les années 1990 la harga était surtout le fait des jeunes — notamment des jeunes hommes — depuis 1990 les jeunes filles, les couples, les familles avec enfants (souvent en bas âge) et même les personnes âgées ont pris le chemin de l’exil, soit clandestinement dans des bateaux ou barques de fortune, soit légalement après avoir obtenu un visa (suivi d’une régularisation après un certain temps passé dans le pays hôte, ou encore l’asile politique donnant droit au séjour, à un travail ou même à la citoyenneté dans le pays d’accueil). La première question à laquelle le présent article se propose de répondre — tout en sachant que les statistiques en la matière sont approximatives — est : quelle est l’ampleur du phénomène de la harga ? La deuxième question est celle de savoir quelles sont les causes principales du phénomène ? (Pourquoi les Algériens quittent le pays le plus vaste et le plus riche du Maghreb et prennent la direction des pays européens ou autres pays développés ?). La troisième question est celle des conséquences que la harga a sur le pays de départ, sur les pays d’accueil et sur les migrants eux-mêmes et leurs familles. La quatrième et dernière question est de savoir s’il y a une ou plusieurs solutions au problème de la harga. Nous essaierons, dans ce qui suit, de donner des éléments de réponse à chacune de ces questions tout en sachant que les statistiques et les analyses qui ont été avancées jusqu’à ce jour ne sont pas suffisantes et ne sont donc pas entièrement satisfaisantes.
Quelle est l’ampleur du phénomène de la harga ?
Ainsi que nous l’avons dit plus haut, la harga touche toutes les couches socio-économiques et tous les niveaux éducatifs et démographiques de la population algérienne et elle s’est amplifiée ces deux décennies passées, et plus encore depuis l’arrêt du « hirak » en raison de la pandémie du covid-19. Etant donné que le flux migratoire n’est pas croissant et que son ampleur diffère d’une source d’information à une autre, il est difficile de mesurer de façon précise le nombre de harragas, c’est-à-dire de personnes qui effectuent la harga. Par conséquent, les chiffres que nous allons avancer ne sont que des approximations. Selon « Diaspora Engagement Mapping », Algeria : Facts and Figures, April 2020 », le nombre d’Algériens vivant à l’étranger est de 1 944 784, soit environ 4,4% de la population totale algérienne. Dans ce total, 46,4% sont des femmes et 53,6% sont des hommes. Le nombre d’Algériens vivant dans la zone Europe est estimé à 1 747 220, soit 89,8% du nombre total d’émigrés algériens. Dans ce chiffre, les femmes représentent 46,2% et les hommes 53,8%. Ces chiffres indiquent que : (1) le pourcentage des femmes qui émigrent est presque égal à celui des hommes et que la destination principale des émigrés Algériens reste l’Europe, et spécialement la France, comme le montre le tableau# 1 :

Tableau#1 : Pays de destination des émigrés Algériens (2020)
Pays Nbre d’émigrés
1 France 1 575 528
2 Canada 68 822
3 Espagne 57 140
4 Belgique 27 633

Source : Diaspora Engagement Mapping, Algeria,
Facts and Figures, April 2020

Selon « WorldpopulationReview.com, le nombre d’Algériens vivant en France serait de plus de 1,7 million en 2021 (voir Hugo Howell-Meurs, Storymaps.arogis.comAlgerian International Migration : Algerian migration and its link to Globalization, August 24, 2021). Selon « Arab Barometer 2019, le pourcentage des jeunes algériens de 18 à 29 ans qui désirent émigrer était de 56%, pourcentage équivalent à celui de la Tunisie, mais inférieur à celui du Maroc. Toujours selon la même source, le pourcentage des intellectuels qui désirent émigrer est de 46% pour l’Algérie, de 51% pour la Tunisie et de 60% pour le Maroc. Sur la base des chiffres de l’INED (Institut Français des Etudes Démographiques), l’Algérie figurerait parmi les 15 pays qui fournissent le plus de migrants au monde. Pour l’AIDA (Association Internationale de la Diaspora), basée à Londres, les Algériens vivant à l’étranger seraient, en 2018, de 7 millions ou plus. Toujours selon l’AIDA, le nombre d’Algériens vivant en France serait de 5 millions dont 120 000 à 140 000 vivraient en Amérique du Nord (Canada : 110 000 ; USA : 30 000 ; Mexique : 2 000 ; quelques milliers dans les pays arabes).
Si la harga des jeunes sans emploi et des détenteurs de métiers manuels constituait l’essentiel du mouvement migratoire algérien dans le passé, depuis les années 1990 — dénommées la « Décennie Noire »–elle touche de plus en plus les diplômés et les étudiants, notamment ceux des filières scientifiques et médicales. Selon Mohamed Saib Musette, expert des migrations et chercheur au CREAD (Centre de Recherches en Economie Appliquée au Développement) : « The share of highly skilled [Algerian] migrants climbed from 5% en 1990 to 21% in 2010, [which is] equal to a multiplier of 4,2 compared to 2 for Tunisia and 1,5 for Morocco” (La part des migrants algériens de haut niveau a augmenté, passant de 5% en 1990 à 21% en 2010, [ce qui est] équivalent à un multiplicateur de 4,2 comparé à seulement 2 pour la Tunisie et 1,5 pour le Maroc) (Mohamed Saib Musette, Brain drain from Southern Mediterranean, Mediterranean Yearbook, 2016). L’évolution des migrants algériens de haut niveau est donnée dans le tableau#2 :

Tableau#2 : Part des migrants dans la région Maghreb (1990-2010)
1990 2 000 2010
Algérie 5% 17% 21%
Maroc 12% 14% 16%
Tunisie 6% 16% 21%

Source : établi par A. Ighemat sur la base du graphique donné par Musette (article cité)

Le tableau#2 montre que la part des migrants algériens a augmenté de 16% environ en 20 ans (1990-2010). Cependant, c’est la fuite des intellectuels, et notamment des médecins, qui a surtout retenu l’attention des chercheurs et des dirigeants politiques en raison de son impact sur l’économie. C’est ce qu’avance Farid Sait : « An estimated 500 to 1 000 doctors leave Algeria each year for France, Germany, Canada abd Gulf countries among others” (On estime qu’entre 500 et 1 000 médecins quittent l’Algérie chaque année pour la France, l’Allemagne, le Canada et les pays du Golfe, entre autres) (Voir Farid Sait, Algeria’s Health Sector Under Stress as Doctors Flee poor working conditions and low pay, Zenger, March 8, 2021). Selon le docteur Mohamed Berkat Berkani, Président du Conseil National des Médecins Algériens et membre du Conseil Scientifique de lutte Contre Covid-19, le nombre de médecins qui ont quitté l’Algérie est estimé à quelques 15 000 alors que le pays ne dispose que de 1,13 médecins pour
1 000 habitants (Farid Sait, article cité). Ces deux facteurs — la fuite des médecins et la pénurie de médecins dans les hôpitaux algériens — fait que le secteur de la santé en Algérie demande à être lui-même soigné. Selon plusieurs sources, quelques 15 000 médecins algériens exercent en France et près de 4 000 ont fait des demandes pour quitter le pays (Voir Liamine Chikhi, Algerian brain drain is pre-election headache for government, Reuters on line, February 10, 2019). Ces chiffres sont confirmés par le docteur Mohamed Berkat Berkani. Pour ce qui est des étudiants, il a été estimé que quelque 853 000 étudiants maghrébins font leurs études en France. Sur ce total, 37%, soit 31 061 sont Algériens. Le Maroc représente 46% et la Tunisie 12% du total (voir Etudes en France : les chiffres alarmants de la fuite des cerveaux, Algérie 360º, Août 2021). Selon cette dernière source, citant une étude du CREAD dirigée par Mohamed Saib Musette, « La moitié des diplômés de l’enseignement supérieur en Algérie envisagent de quitter le pays pour s’installer ailleurs ». C’est pour cette raison que plusieurs indices internationaux classent l’Algérie parmi les pays les moins attractifs pour ses diplômés. C’est ainsi que le Forum Economique Mondial (FEM) classe l’Algérie comme le 3e pays africain qui attire le moins ses talents après le Maroc qui est considéré comme « le champion de la mobilité estudiantine dans la région » (voir « Immigration : des chiffres effarants sur la fuite des cerveaux algériens », Algérie Focus, 22 Août 2021). Selon le « Global Talent Competitiveness Index (GTCI) 2019, l’Algérie figure parmi les pays qui retiennent le moins ses talents. En effet, l’Algérie est classée 105è sur 125 pays avec un Index de 28,13 sur 100 (où 100 signifie que le pays est le plus attractif pour ses compétences), le Maroc et la Tunisie étant classés 100è et 84è respectivement (Voir Arezki Benali, « Fuite des cerveaux : l’Algérie 105è sur 125 pays, Algérie Eco, 13 février 3019). Ahcène Zehnati, chercheur au CREAD et spécialiste des migrations, qui a étudié l’exode des médecins pour certaines spécialités entre 2007 et 2017, a montré que parmi toutes les spécialités étudiées — cardiologie, pneumologie, anesthésiologie, médecine générale, ophtalmologie, pédiatrie, radiologie et neuphrologie — « Psyschiatry is the specialty most affected in 2017 by the brain drain with an emigration rate of 40,27%, followed by nephrology (24,85%), radiology (24,69%), cardiology (18,21%), anaesthesiology (16,11%), ophtalmology (12,31%), pulmonology (11,51%), and pediatrics (10,03%). General Medicine has the lowest rate with 3,76%, but in termes of staff, it is first with 1 261 practicing doctors” (La psychiatrie est la spécialité la plus affectée en 2017 par le brain drain avec un taux d’émigration de 40,27%, suivie de la néphrologie (24,85%), radiologie (24,69%), cardiologie (18,21%), anesthésiologie (16,11%), ophtalmologie (12,31%), pulmonologie (11,51%), et pédiatrie (10,03%). La médecine générale a le taux d’émigration le plus faible mais, en termes de nombre de médecins, elle est classée première, avec 1 261 médecins généralistes) (voir Ahcène Zehnati, The Emigration of Algerian doctors : a normal phenomenon or a real exodus ?, International Development Policy Review, 2020 issue).
Quelles sont les causes de la harga ?
La citation suivante, que nous avons placée tout en haut du présent article, résume, de notre point de vue, la multiplicité et la diversité des causes qui peuvent engendrer la harga. : « If you seek to engage in harraga to survive, it is not hunger that you are dying for, but boredom. There are no jobs, no prospects : only the fear of things getting worse” (Si vous vous embarquez dans la harga pour survivre, ce n’est pas à cause de la faim, mais de l’ennui. Il n’y a pas de travail, pas de perspectives : seulement la peur que les choses deviennent pires) (Amanda M’Charek, Harraga : Burning Borders, navigating colonialism, Sage Journals, April 6, 2020). Cette citation montre, en effet, que si les Algériens quittent leur pays, ce n’est pas uniquement pour de meilleures conditions de vie et de plus grandes opportunités, mais c’est aussi, et peut-être surtout, parce qu’ils « meurent d’ennui ». En d’autres termes, cela veut dire que les raisons socioéconomiques ne sont que des « causes visibles » et qu’il y a d’autres raisons, moins visibles, qui peuvent être des facteurs déterminants de la harga.
Voyons d’abord les raisons visibles, c’est-à-dire socioéconomiques. Les principales raisons socioéconomiques avancées pour justifier la harga sont : faibles rémunérations, conditions de travail défavorables, manque (voire absence) d’opportunités de formation et de promotion, etc. L’étude de Ahcène Zehnati citée plus haut indique, par exemple, que le salaire d’un médecin généraliste est de
80 124 DA alors que le salaire moyen tous secteurs confondus est de 87 571 DA et le salaire des employés de l’industrie extractive [essentiellement le secteur des hydrocarbures] est de 131 022 DA. Ces chiffres indiquent que le salaire d’un médecin représente seulement 65% environ du salaire moyen de l’industrie extractive. En outre, au sein même du secteur de la santé, il y a une différence entre les salaires des médecins du secteur public et ceux qui travaillent dans le secteur privé. Ce « gap » entre les salaires du secteur de santé publique et ceux du secteur privé est la cause principale de cet « exode intérieur » des médecins et explique, en partie au moins, le déficit quantitatif et qualitatif des soins dans le secteur public de la santé. La même étude montre aussi que les salaires offerts en France aux médecins maghrébins sont beaucoup plus élevés que ceux qu’ils percevaient dans leurs pays d’origine, comme le montre le tableau#3 :

Catégorie et pays Salaire locaux Salaire en France
Médecin spécialiste Marocain 3 500 * 5 700 *
Médecin spécialiste Tunisien 1 100 * 5 700 *
Médecin spécialiste Algérien 538 ** 5 700 *

Source : () chiffres de Ahcène Zehnati (article cité) ; (*) : Calculé par A. Ighemat (salaire de 113 970 et taux de change de 212 DA l’euro “sur le marché noir”).

Le tableau#3 montre bien que le salaire d’un médecin spécialiste algérien est 6 fois moins élevé que celui du médecin marocain et 2 fois moindre que celui du médecin tunisien et 10 fois inférieur à celui d’un médecin spécialiste français. Pour certains analystes, ce différentiel de salaire — ainsi que les conditions défavorables de travail des médecins en Algérie — peut expliquer leur exode vers les pays occidentaux ou du Golfe. Pour d’autres, ce facteur est secondaire par rapport à d’autres facteurs d’ordre politique et psychologique.
Quels sont donc les facteurs non socioéconomiques qui interviennent dans la décision des intellectuels algériens en général et des médecins en particulier de quitter le pays ? Pour certains sociologues, comme Rabeh Sebaa, de l’université d’Oran, « Le phénomène de la harga exprime un profond désoeuvrement, un mal-être social et psychologique accentué par la crise économique […]. Il ne s’agit plus du cliché du jeune désoeuvré des quartiers populaires, mais elle [la harga] touche aussi les universitaires, les médecins, les femmes seules, les familles avec des enfants en bas âge… » (voir « Entretien : Rabeh Sebaa, Professeur en sociologie à l’université d’Oran et essayiste : « La solution pour juguler le phénomène des harragas est d’ordre sociétal », entretien réalisé par Sihem Bourabi, Reporters, 29 septembre 2021). Rabeh Sebaa explique que la harga ne peut pas être traitée comme un simple délit réprimable par des mesures judiciaires, mais que c’est un « phénomène de société » et un « phénomène multidimensionnel ». Il ajoute : « Maintenir cette volonté de criminalisation comme solution juridique est un aveuglement car la solution n’est pas là » (Rabeh Sebaa, article cité). Pour un autre sociologue algérien, Karim Khaled, : « La question de la fuite des compétences professionnelles — dont les médecins — est liée à la dignité humaine et non à la question des salaires et de la belle vie. Les médecins ne se réduisent pas à de simples statistiques interchangeables. Ils sont à la recherche de la dignité confisquée ». Pour Karim Khaled, la cause majeure de l’exil des intellectuels algériens est « la fuite des hégémonies et la recherche des épanouissements à la fois professionnels et sociaux » (voir « Karim Khaled, sociologue et universitaire à Reporters : La fuite des médecins n’est qu’une partie apparente de l’iceberg, Reporters, 8 février 2021). Karim Khaled poursuit : « Face à un problème aigu de gouvernance et la panne à passer à une modernité politique […] il est prévisible de voir des vagues importantes de migrations qui touchent toutes les catégories sociales… » […] Ces migrants en attente sont déçus par le système qui rémunère les médiocres et marginalise les méritants ». Il conclut en disant : « La médiocratie et l’esprit corruptible tuent tous les espoirs, les rêves et l’initiative citoyenne » (Karim Khaled, article cité). L’autre raison qui fait partir les intellectuels algériens est l’insécurité. Ceci était le cas notamment dans les années 1990 dites de la « Décennie Noire » où plus de 200 000 intellectuels tous secteurs confondus — universitaires, médecins, journalistes, artistes, etc. — avaient quitté le pays en raison de la situation d’insécurité qui y régnait. Une autre raison d’ordre psycho-sociologique pour laquelle les intellectuels algériens fuient le pays est le manque, voire l’absence totale, de reconnaître leur place et de leur rôle stratégique dans la société. C’est ce que souligne Fatima Sawli, spécialiste de médecine interne à l’hôpital universitaire de Annaba, qui parle de la répression des autorités contre les médecins chaque fois qu’ils sortent dans la rue pour manifester leur mécontentement quant à leurs conditions de travail : « This bloody repression, in addition to the miserable socio-professional conditions in which Algerian doctors and paramedics work, is the cause of hundreds of them fleeing abroad » (La répression sanguinaire, en plus des conditions socio-professionnelles misérables dans lesquelles les médecins et le personnel paramédical travaillent, est la raison pour laquelle des centaines d’entre eux fuient à l’étranger) (voir « Farid Sait, Algeria’s health sector under stress as doctors flee poor working conditions and low pay, Zenger, March 8, 2021). Le docteur Sawli ajoute : « The state marginalizes us, despises us. Our health facilities lack everything; there are no material means, no consideration or support” (L’Etat nous marginalise, nous déconsidère. Nos installations de santé manquent de tout ; il n’y a pas de moyens matériels, pas de considération et pas de support) (Farid Sait, article cité). Sawli conclut en disant : « I also intend to leave » (J’ai aussi l’intention de partir). Certains analystes ont classé les causes de l’exode du capital humain en deux groupes : les « pull factors » (les facteurs d’attraction) et les « push factors » (les facteurs de rejet). Les « pull factors » viennent des pays d’accueil : de bonnes rémunérations, des conditions de travail stimulantes, existence d’une formation continue, respect et reconnaissance de la valeur du savoir et de l’expérience, etc. L’appel suivant à candidatures fait par le Secrétariat américain aux affaires étrangères en 2020 pour attirer les médecins étrangers montre l’intérêt et la valeur que le gouvernement américain attribue aux médecins étrangers : « In late March 2020, the United States Department Bureau of Consular Affairs tweeted the following « Call for Applicants : « We encourage medical professionals seeking work in the U.S on a work or exchange visa, particularly those working on Covid-19 issues, to contact the nearest U.S Embassy/Consulate for a visa appointment » (Vers la fin mars 2020, le Bureau des Affaires Consulaires du State Department américain avait tweeté l’appel à candidatures suivant : « Nous encourageons les professionnels en médecine qui cherchent un travail aux USA dans le cadre d’un visa de travail ou d’échange, à contacter l’ambassade ou le consulat le plus proche pour un entretien en vue de l’obtention d’un visa) (voir Magdy Sawahel, Covid-19 drives medical brain drain : is it bad ?, University World News, June 25, 2020). Comparé au mépris auquel les médecins algériens font face dans leur pays, on comprend aisément pourquoi ils sont attirés par ce genre d’appels. Quant aux « push factors », ils sont liés au pays d’origine des migrants : faibles rémunérations (ainsi que nous l’avons vu plus haut), manque ou absence de reconnaissance pour le travail des médecins, un système de promotion qui encourage les non-méritants et pénalise les méritants, climat politique et sécuritaire caractérisé par la peur et la répression, perte de l’espoir que le Hirak apporte un changement dans la gouvernance, etc. Ce dernier élément — la mauvaise gouvernance — est d’ailleurs reflétée dans le « Human Development Index (HDI) qui classe l’Algérie 91è sur 189 pays avec un HDI de 0,748 en 2019.

Quels sont les effets de la harga sur les pays d’origine, les pays d’accueil et les migrants ?
La fuite du capital humain a des conséquences notables sur les pays d’origine et les pays d’accueil des migrants, mais elle a aussi des effets sur les migrants eux-mêmes. Plusieurs approches ont été utilisées pour évaluer ces effets. La plus connue est celle qui considère la fuite des compétences comme une situation de « Win-Win » (gagnant-gagnant). C’est l’approche dite du « brain drain » versus le « brain gain ». Cette approche considère que les pays d’origine, s’ils perdent leurs compétences, ne sont pas totalement perdants car les migrants envoient dans leur pays d’origine des fonds qui sont utilisés par leurs familles restées dans le pays et pour faire des investissements dans certains cas. Par ailleurs, selon cette approche, les pays d’origine bénéficient de l’apport et du transfert de connaissances que les migrants ramènent avec eux quand ils retournent au pays. Le problème est que cette approche suppose que les migrants retournent dans leurs pays d’origine après un certain temps plus ou moins long, ce qui, pour une grande partie d’entre eux, n’est simplement pas vrai. Par ailleurs, certaines études, comme celle par exemple faite par Miyagiwa, Hague and Kim (1995) — citée par Ahcène Zehnati — et portant sur la théorie de la croissance endogène, et spécialement la relation entre le capital humain, l’émigration et la croissance — ont montré que l’émigration a des effets négatifs sur la croissance économique des pays d’origine et sur leur stock de capital humain. Cette dernière conclusion a été vérifiée pour le cas de l’Algérie par mon collègue, feu Smail Goumeziane, économiste et ancien ministre du gouvernement Hamrouche (1989-1991) qui montre, chiffres à l’appui, que l’Algérie est beaucoup plus perdante que gagnante par l’émigration de ses compétences. Goumeziane estime, en effet, les dépenses faites par l’Etat algérien dans la formation des compétences qui quittent le pays — ce qu’il appelle les « transferts ou exportations invisibles de capitaux » — à environ 1,5 à 2 milliards de dollars chaque année. Dans un article intitulé « Quel gachis !, publié dans « Libre Algérie », un journal proche du parti FFS, il estime que les pays qui accueillent les compétences algériennes engrangent un gain de 60 milliards de dollars équivalant au coût de leur formation si elle avait été faite en France. Il ajoute : « C’est un coût payé par l’Algérie et ce sont les pays d’accueil qui en profitent ». Il a évalué la perte de richesse nationale pour l’Algérie à quelques 105 milliards de dollars en contrepartie de quoi l’Algérie n’a rien reçu. Il dira que « ces chiffres ne tiennent pas compte de la perte d’expérience et de savoir-faire subie par l’Algérie du fait de ces départs ». Goumeziane dira encore : « Si on suppose que dans ces pays [les pays d’accueil] chaque cadre [Algérien] contribue directement à hauteur de 20 000 dollars par an, cela signifie que la part globale du PIB créée par ces cadres dans les pays d’accueil sur 30 ans est de l’ordre de 300 milliards de dollars ». Il ajoutera encore : « Au total, le départ de 500 000 cadres algériens a engendré un bénéfice de 465 000 milliards de dollars pour les pays d’accueil en 30 ans » (voir Hebba Selim, Le coût colossal de « l’exportation invisible » des cadres algériens sur 30 ans selon Smail Goumeziane, in VitamineDz, et The Huffington Post, Algérie, 24 septembre 2016).
Une autre approche souvent utilisée pour évaluer les effets de la fuite des cerveaux est celle qui considère que le départ des compétences vers l’étranger n’est pas un simple phénomène de mobilité, mais une véritable « fuite » des cerveaux. C’est ce que soutient le sociologue algérien Karim Khaled dans son livre intitulé « Les intellectuels algériens : exode et formes d’engagement, Editions Frantz Fanon, 2020). Selon Karim Khaled, « Pour l’Algérie, il s’agit de la « fuite » et non de la mobilité. Pour les autres pays où les systèmes politiques sont plus ou moins ouverts et compétitifs, la question se pose en termes de mobilité naturelle » (voir Karim Khaled, article cité). Pour Karim Khaled, la fuite des compétences algérienne ne peut pas être ramenée à la question des rémunérations et des conditions de travail. Pour lui, il s’agit de la fuite des hégémonies et de la recherche de meilleures perspectives au niveau personnel et social. Selon cette approche, les compétences algériennes fuient parce qu’elles n’évoluent pas librement et ne reçoivent pas la considération et le respect qui est dû à leur profession. Toujours selon Karim Khaled, les conditions de rémunération et les conditions de travail passent au second plan par rapport aux conditions de vie et au climat politique qui règnent dans le pays et qui sont caractérisés par un manque de liberté et l’absence de perspectives d’avenir pour les candidats à l’exil et leurs familles.
La fuite des compétences a aussi des effets sur les migrants eux-mêmes et leurs familles. Cependant, ces effets sont mitigés. Pour certains migrants, c’est une véritable délivrance : ils connaissent un réel épanouissement sur le plan professionnel et familial. Deux cas de « success stories » peuvent être cités. Le premier cas est celui du Dr. Elias Zerhouni « who became an American citizen and a brilliant cardiologist. In his career, he servent as Vice-Dean of Johns Hopkins University of Medicine and in 2002 was appointed by George W. Bush as the nation’s fifteenth Director of the National Institute of Health” (Dr. Zerhouni est devenu citoyen américain et un brilliant cardiologue. Dans sa carrière, il a servi comme Vice-Doyen de l’Université Johns Hopkins de médecine et, en 2002, a été nommé par George W. Bush comme le quinzième Directeur de l’Institut National de la Santé pour l’ensemble de la nation) (voir Abdenour Toumi, Is Algeria facing a brain drain ?, The Arab Daily News, May 20, 2019). L’autre « success story » est celle du Dr. Kamel Youcef Toumi, professeur au Département d’Engineering mécanique au MIT (Massachussetts Institute of Technology). Il y a aussi le cas de Assia Djebar, l’illustre écrivaine algérienne qui a été nommée comme membre de l’Académie Française. Le Dr. Kamel Salhi dira d’elle : « Aujourd’hui, c’est à l’extérieur que Assia Djebar nous représente mieux et ce n’est pas d’Alger qu’elle est membre de l’Académie Française » (voir L’Algérie et la fuite des cerveaux : quelques raisons et conséquences, entretien avec le Dr. Kamel Salhi, AitAbdelmoumen.com, 2020). Pour d’autres migrants, c’est le calvaire : ils n’arrivent pas à trouver un emploi équivalent à celui qu’ils avaient en Algérie et à leurs diplômes et sont souvent obligés d’accepter des emplois subalternes. C’est le cas de beaucoup de médecins qui sont forcés de prendre des emplois d’infirmiers ou même au-dessous du niveau d’infirmiers. Pour pouvoir prétendre à un emploi du niveau de leurs diplômes et de leur expérience, ils doivent passer un examen qui les oblige souvent à refaire complètement leurs études de A à Z, ce qui provoque chez eux une grande frustration. Beaucoup de ceux qui trouvent du travail ont un statut précaire, leurs salaires sont inférieurs à ceux des médecins français, et ils souffrent de discrimination, notamment s’agissant de leur promotion. Selon Victoire Cottereau, « Beaucoup d’entre eux attendent toujours leur régularisation ; ils sont cantonnés dans des statuts précaires : FFI (Faisant Fonction d’Internes), PAA (Praticien Attaché Associé) et ne sont pas inscrits sur la liste des médecins du CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins Français). Cottereau ajoute : « Payés jusqu’à 2 fois moins que leurs collègues français, contrains de patienter des années pour passer les concours qui leur permettent d’obtenir le plein statut, nombre de médecins algériens font pourtant le choix de venir en France pour y travailler ou se former » (voir Charlotte Bozonnet, Rester ou partir en France, le dilemme des médecins algériens, Le Monde Afrique, 26 septembre 2018). Selon Mathias Wargon, médecin exerçant au CHU de Paris (Saint-Denis), « Les stagiaires algériens associés qui travaillent comme internes gagnent 1 500 euros alors que pour les mêmes postes, un médecin à diplôme français gagne 3 500 euros » (voir Maacha H, France : près de 5 000 médecins diplômés en Algérie attendent leur régularisation, ObservAlgérie, 14 avril 2020).

Quelles solutions au problème de la fuite des compétences ?
Plusieurs solutions ont été proposées, voire appliquées, pour tenter de freiner l’exode des cerveaux algériens ainsi que ceux d’autres pays, mais le flux de migrants n’a, non seulement pas été résorbé, mais il s’est au contraire accentué ces dernières décennies et plus encore depuis l’arrêt du « Hirak » en 2020 en raison de la pandémie du covid-19.
La solution qui a surtout été appliquée est de type juridique ou répressif. L’Algérie, par exemple, a adopté des lois traitant la harga et l’émigration illégale en général comme un délit. Ces lois, bien évidemment, sont accompagnées de mesures répressives contre les candidats à l’émigration, notamment ceux qui émigrent illégalement. Pour ce qui est des diplômés de l’enseignement supérieur, une note du Ministère de l’Enseignement Supérieur algérien a été envoyée aux universités algériennes, les obligeant désormais à demander l’aval du Ministère des Affaires Etrangères chaque fois qu’elles veulent établir des contacts ou des partenariats avec les universités étrangères. La note précise que la décision a été prise parce que « Certaines parties [comprendre : les universités algériennes] activent avec l’intention de vider les instances scientifiques et de recherche scientifique algériennes de leurs ressources humaines et de leurs compétences pour les transférer vers d’autres entités [comprendre : les universités et centres de recherche étrangers] » (voir Djamel Boutebour, Algérie : une mesure pour freiner la fuite des cerveaux, Algérie 360°, 5 octobre 2020). Toutes ces mesures d’ordre juridique et répressif n’ont pas réussi à ralentir et encore moins à stopper les flux de migrants algériens. Pour le sociologue Rabeh Sebaa, « Il faut une véritable prise en charge qui dépasse la dimension juridique » (Rabeh Sebaa, article cité). Pour Rabeh Sebaa, « Il s’agit aujourd’hui de réfléchir sérieusement à trouver les moyens adéquats pour une prise en charge en amont comme en aval ». Le même chercheur poursuit : « Il s’agit de mobiliser des compétences humaines telles que éducateurs, psychologues et assistantes sociales, pour une réelle prise en charge du quotidien ». Si cette solution s’adresse surtout aux émigrés non diplômés, il ne reste pas moins que certains de ses aspects s’appliquent aussi aux migrants diplômés.
Certains chercheurs proposent comme solution de mobiliser les compétences nationales installées à l’étranger pour donner des cours soit « en personne » sous forme de missions de courte/moyenne durée, soit par via le système de « vidéo-conferencing ». C’est ce que préconise par exemple Graciano Masauso, membre de « Africa Health Organisation (AHO) lorsqu ‘il déclare « One alernative — if not a solution — should be to use the academic brain power in the diaspora to teach courses in African universities. Such a circulation of skills would open new prospects for African countries at a time of inescapable globalization” (Une alternative — sinon la solution — devrait consister à utiliser les capacités intellectuelles académiques de la dispora pour donner des cours dans les universités africaines. Une telle circulation des connaissances ouvrirait de nouvelles perspectives aux pays africains dans le contexte d’une globalisation inévitable) (Wagdy Sawahel, article cité). Pour Masauso, un tel transfert inverse de savoir encouragerait les médecins africains à rester dans le pays car ils n’auraient plus besoin d’aller se former ou accroître leur formation à l’étranger. Certains autres chercheurs, comme Binod Khadria, ancien professeur à l’Université Jawaharlal Nehru (Inde), proposent de créer un « pool » de médecins — qui pourrait être appelé « Global Health-Keeping Force » qui opèrerait à l’image de la Force de l’ONU pour le maintien de la paix — qui serait disponible lorsque les pays ont une crise dans leur secteur de santé et qui pourrait encourager les compétences africaines à rester dans leurs pays. Le Dr. Mohamed Berkat Berkani rejoint l’idée du transfert inverse du savoir lorsqu’il dit : « Pour faire évoluer le niveau médical en Algérie, il est intéressant de faire appel aux médecins algériens établis à l’étranger ou à des étrangers pour des opérations « spot » [missions de courte durée], mais il serait encore plus intéressant de garder nos jeunes médecins ». Comment garder ces jeunes médecins, le Dr. Berkani ne le précise pas. Un autre médecin algérien, le Dr. Ibtissem Hamlaoui, spécialiste de chirurgie cardio-vasculaire et présidente du « Forum Cœur d’Algérie » (FCA) demande à l’Etat de prendre les mesures nécessaires non seulement pour éviter qu’ils partent à l’étranger, mais aussi pour travailler dans ce qu’elle appelle les « zones d’ombre ». En particulier, le Dr. Hamlaoui a proposé une action bien précise : « l’Etat pourrait accorder des crédits à des groupes de médecins de différentes spécialités pour les aider à créer des polycliniques, avec obligation d’investir dans les régions nécessiteuses ». Le Dr. Hamlaoui propose aussi au ministère de la santé et celui de l’enseignement supérieur « de mettre en place des formations qui permettent aux médecins de faire certains actes de spécialités tels que : faire des radios, des IRM, des scanners, afin d’éviter que les patients ne fassent des kilomètres pour les faire dans des cliniques spécialisées ». Le Dr. Hamlaoui propose enfin une réforme du système de sécurité sociale « afin, dit-elle, que l’argent qui rentre dans cette caisse soit utilisé pour investir dans le secteur médical » (voir Kamal Louadj, La fuite des médecins en France suscite l’inquiétude de l’Algérie, Sputnik France, 4 mars 2021).
Certains médecins ont proposé de réduire le « gap » existant entre les médecins du secteur public et ceux du secteur privé, gap qui provoque un « exode intérieur » des compétences, notamment par l’abrogation de la double activité [hospitalière et privée] et une réévaluation des salaires dans le secteur public. Toutes ces mesures sont utiles, mais la solution, selon certains analystes, se trouve dans la sphère politique, notamment dans un changement radical du système de gouvernance et du système d’organisation et de gestion du secteur de la santé. Une autre mesure organisationnelle serait de créer un Secrétariat d’Etat à l’Immigration (ou un Office National d’Immigration) qui aurait pour mission d’évaluer, de suivre les flux d’émigration et de prendre les mesures adéquates en vue de réguler ces flux ainsi que d’encourager les compétences nationales à être utilisées par le pays et non par les pays développés qui disposent de compétences importantes.

Conclusion
Nous avons vu que le phénomène de la harga, et particulièrement de la harga des cerveaux, a commencé depuis longtemps en Algérie, mais qu’il s’est amplifié depuis la période de la « Décennie Noire » (1990-2000) et plus encore depuis le coup d’arrêt donné au « Hirak » par la pandémie du covid-19. Nous avons vu aussi que les causes de ce phénomène ne sont pas uniquement d’ordre social et économique — salaires et conditions de travail — mais que les causes profondes sont à chercher dans le climat politico-culturel qui règne dans le pays, climat marqué par une instabilité politique et sociale fréquente, l’absence d’une politique d’insertion de la population dans son ensemble et des intellectuels en particulier, le manque de transparence dans la gestion économique et culturelle, l’absence d’espérance quant à l’avenir, etc. Ce sont surtout ces dernières causes qui ont poussé une grande partie des Algériens, notamment les intellectuels, à quitter le pays pour des horizons meilleurs. Cette situation a été bien résumée par le Dr. Kamel Salhi, cité plus haut : « Lorsque le commerce, l’industrie et les autres secteurs de la vie d’un pays ne croient plus à l’université et à la recherche, lorsque la gestion de cette dernière est en fonction des humeurs des uns et des caprices des autres, lorsque l’administration dicte les règles de la recherche, il reste le trabendo dans les rues, un patronat précaire, Danone et Darbouka à la télé. Alors les chercheurs ne croient plus aux discours et ne trouvent pas d’interlocuteurs à qui vendre leur substance cérébrale. Que faisons-nous alors dans les centres de recherche des pays développés ? C’est simple, nous la vendons [la substance cérébrale] à des partenaires qui savent investir et comment servir leurs nations » (Kamel Salhi, article cité). Nous avons également passé en revue les effets de la harga sur les pays de départ — dans notre cas, l’Algérie — sur les pays de destination et sur les migrants eux-mêmes et leurs familles. Nous avons vu que ces effets sont plutôt globalement négatifs pour les pays d’origine et plutôt positifs pour les pays de destination, et qu’ils sont mitigés sur les migrants eux-mêmes (négatifs pour certains, positifs pour d’autres). Quant aux solutions au problème de la harga, elles sont multiples et variées. Par ailleurs, elles ne sont pas, comme le pensent certains chercheurs et responsables politiques algériens dans la sphère socio-économique — augmentation des salaires et autres stimulants matériels — mais qu’elles se trouvent plutôt dans la sphère politico-culturelle et dans l’ambiance et le climat politique qui règnent dans le pays. Nous avons vu que c’est surtout ce dernier facteur — une meilleure gouvernance à même de redonner confiance aux citoyens en général et aux migrants en particulier — qui peut réduire la propension à vouloir quitter, ou plutôt « fuir » le pays. Comparant l’accueil qui est généralement réservé aux chercheurs dans les universités algériennes, Kamel Salhi dira : « Lorsque vous vous apprêtez à rejoindre votre chaire [comprendre : à l’étranger] et qu’on vous annonce qu’il y a un arrivage de centaines de livres venant directement d’Afrique du Nord pour que votre équipe [de recherche] et vos étudiants puissent continuer à travailler selon votre plan, vous avez envie de finir vos jours et d’être enterré sous ces livres. Lorsque vous arrivez pour diriger votre chaire et que vous trouvez une assistante, un personnel qualifié et un groupe de chercheurs des plus enthousiastes et disponibles, vous oubliez de manger et de dormir sans tomber malade » (Kamel Salhi, article cité). Le problème est que l’Algérie valorise davantage ses ressources naturelles — essentiellement le pétrole et le gaz — et n’accorde aucune valeur à ses ressources humaines qui sont, elles, très appréciées par les pays étrangers qui les accueillent à bras ouverts et qui leur offrent les conditions qu’ils ne trouvent pas dans leur pays d’origine. La fuite des cerveaux est, au fond, le résultat de cette attention accordée plus à la « matière noire » qu’à la « matière grise ».


  • Ph.D in economics. Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)

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