INTÉRÊTS DE LA PARTICIPATION DE L’ALGÉRIE : DANS LES OPÉRATIONS DE MAINTIEN DE LA PAIX

© D. R.

Par : BOUBAYA ALI FAÏZ
CHERCHEUR UNIVERSITAIRE

“Le succès de l’intervention à l’étranger dépendra en amont de l’approbation suscitée chez l’opinion publique et dans la sensibilisation opportune des représentants du peuple relevant de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation, quant aux enjeux et retombées d’une contribution dans les OMP. Le soldat algérien doit être alors perçu comme un “mentor de paix” et non pas un “factionnaire de guerre”

Introduction : 
Pays-continent aux richesses multiformes, l’Algérie a vécu une histoire très mouvementée et a toujours su réagir face aux différentes crises, à l’instar de l’efficience de sa lutte contre le terrorisme dont elle est devenue une référence mondialement reconnue. La libération des otages américains en Iran (1981), le traité de paix entre l’Érythrée et l’Éthiopie (2000), la cause palestinienne, pour ne citer que ces exemples illustrent le prestigieux “palmarès” de l’Algérie dans son fort engagement international en faveur du règlement pacifique des conflits et son indéfectible soutien aux causes justes dans le monde.
Subséquemment à l’élection présidentielle de 2019, l’Algérie a fait preuve d’une remontée diplomatique intéressante, vu la lucidité de son approche dans les processus de règlement des conflits internes du Mali et de la Libye, ainsi que son attachement réaffirmé à une solution à la cause du Sahara occidental dans le cadre du droit international imprescriptible à l’autodétermination des peuples et à la décolonisation. Ainsi et pour intensifier sa coopération dans le domaine de la sécurité internationale, les institutions algériennes compétentes ont jugé utile d’introduire des amendements dans la nouvelle constitution de 2020, autorisant l’Armée nationale populaire (ANP) à participer au maintien de la paix hors des frontières nationales, bien entendu sous les auspices de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union africaine (UA) et la Ligue des États arabes (LEA).
Toutefois, les amendements constitutionnels en question ont alimenté une “polémique biaisée” faisant redouter une prétendue incompatibilité avec la doctrine officielle basée sur la non-ingérence dans les affaires internes des états, et aggravée par le risque des éventuelles pertes de vies algériennes lors des opérations de maintien de paix et des dépenses y afférent. À cet égard, la présente contribution vise à démystifier certains concepts liés au maintien de la paix, et à susciter une réflexion objective autour des enjeux de la future participation algérienne dans les opérations susmentionnées.

Qu’est-ce qu’une opération de maintien de la paix (OMP) ? Dans la perspective de résoudre les problèmes afférents à la paix et la sécurité dans les zones de conflits, l’ONU a l’autorité de prendre les mesures suivantes(1) : la diplomatie préventive et la médiation, le maintien de la paix (peacekeeping), la consolidation de la paix (peacebuilding), la lutte contre le terrorisme et le désarmement.
À ce titre, elle se réfère aux : chapitres VI, VII et VIII de la Charte des Nations unies, du droit humanitaire international et des droits de l’Homme. Recueillant leurs mandats auprès du Conseil de sécurité de l’ONU, les OMP “apportent à des pays en situation de conflit ou sortant de celui-ci un soutien sur les plans sécuritaire, politique et en matière de consolidation de la paix. Elles ont pour principes directeurs le consentement du pays hôte, l’impartialité et l’obligation de ne pas faire usage de la force sauf en cas de légitime défense, de défense de leur mandat ou de protection des civils si celle-ci fait partie de leur mandat”(2).

Chaque OMP est dirigée actuellement par le Département des opérations de paix (DPO) et soutenue par le Département de l’appui opérationnel (DOS) sis au siège de l’ONU à New-York.
Constituées essentiellement de “soldats de la paix”, appelés aussi “Casques bleus”(3), les OMP onusiennes sont déclinées en 3 catégories(4), à savoir : “Traditionnelles”, “multidimensionnelles” et “multidimensionnelles et intégrées” ou “robustes”. Les premières, OMP 1re génération (1948-1978), sont chargées de contrôler une trêve entre les parties belligérantes pendant que la médiation cherche une solution politique au conflit. Elles peuvent comprendre des activités liées à l’observation et la surveillance à travers des positions statiques, patrouilles ou survols et à l’encadrement d’un cessez-le-feu dans un contexte de guerre interétatique.

À l’exemple de la Minuee qui a contrôlé la zone tampon entre les forces érythréennes et éthiopiennes. Quant aux secondes, OMP 2e génération (1989-1993), elles se déploient dans des environnements dangereux à la suite de conflits internes violents, souvent intra-étatiques (ethnique, religieux, etc), en vue d’établir les bases d’une paix durable. Elles mettent en place un contexte stable en visant à restaurer la capacité de l’État à maintenir la sécurité, promouvoir le dialogue et la réconciliation et soutenir l’instauration d’institutions de gouvernance valables. On leur confie fréquemment le soutien opérationnel aux forces de maintien de l’ordre, en charge de la sécurisation des infrastructures sensibles (gouvernementales, aéroports, ports, etc.), ainsi qu’une assistance en matière de déminage humanitaire(5).

Enfin, les dernières, OMP 3e génération (1994 à ce jour), se manifestent par “l’emploi de la force au niveau tactique, avec l’autorisation du Conseil de sécurité, pour défendre son mandat contre des fauteurs de troubles constituant une menace à la population civile ou voulant perturber le processus de paix”(6).
À l’évidence, l’efficacité des OMP résident au fait dans la portée symbolique de la posture militaire tout en demeurant dissuasive et limitant l’action coercitive.

Depuis 1948, 71 opérations de maintien de la paix de l’ONU ont été déployées, dont 13 en cours gérées par le DPO présentement comme l’indique le tableau suivant(7) :

En vigueur depuis le mois de mai 1948, l’ONUST est la plus ancienne OMP en charge d’observer et de maintenir le cessez-le-feu et les accords généraux d’armistice conclus à la suite de la guerre israélo-arabe de 1948(8). Au 31 octobre 2020, 95 918 éléments sont détachés dans le cadre des susdites OMP issus de 121 pays, dont 69 888 soldats de contingent, 1307 policiers et civils, 1138 experts, 8986 agents de sûreté, 1992 gestionnaires de sûreté et 12 607 gestionnaires civils. Le principal pourvoyeur d’effectifs est le Bangladesh avec 6726 éléments suivi de l’Éthiopie (6725) et du Rwanda (6363), alors que l’Algérie contribue au sein de la Monusco avec 2 membres(9). Le budget approuvé des OMP onusiennes pour l’exercice allant du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 s’élève à environ 6,5 milliards de dollars US(10).

En Afrique et dans le monde arabe, l’ONU coordonne entre autres avec l’UA et la LEA les opérations du maintien de la paix via respectivement le Conseil de paix et de sécurité et le Mécanisme de la Ligue des États arabes pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, sachant que neuf des États membres de l’UA et de la LEA font partie des deux organisations, tandis que près de la moitié de la population arabe vit en Afrique. La vision algérienne sur les OMP : La notion de maintien de la paix est clairement énoncée et contextualisée dans l’alinéa 3 de l’article 31 de la Constitution : “L’Algérie peut, dans le cadre du respect des principes et objectifs des Nations unies, de l’Union africaine et de la Ligue des États arabes, participer au maintien de la paix.” Elle se corrèle juridiquement aux prérogatives du président de la République énumérées dans l’alinéa 3 de l’article 91 qui “décide de l’envoi des unités de l’ANP à l’étranger”, ainsi qu’à l’alinéa 4 de l’article 30 qui stipule que “l’ANP défend les intérêts vitaux et stratégiques du pays”, conférant aux forces militaires un champ d’intervention illimité géographiquement.

Certes, les OMP comprennent certains aléas, d’autant que 7 d’entre elles sont déployées actuellement en Afrique, dont 2 adjacentes au territoire national, mais l’Algérie n’y contribuera qu’en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU – laquelle requiert une suspension avérée des hostilités dans la zone de conflit – et après approbation à la majorité des 2/3 de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation(11). Selon l’éditorial de la revue de l’ANP El-Djeïch n°683/juin 2020, ce nouvel élan a pour but de s’associer davantage au maintien de la paix dans le monde, tout en visant à renforcer la sécurité du pays et à mettre en exergue son poids et sa crédibilité diplomatique dans un environnement régional on ne peut plus complexe. Intérêts de la participation de l’Algérie dans les OMP :

Hormis le sens de la responsabilité collective dans le maintien de la paix, l’initiative de participation dans les OMP servira les intérêts vitaux de l’Algérie en impliquant, similairement aux autres pays contributeurs, des “motivations” d’ordre militaire, régional, sécuritaire et économique(12).

– Intérêts géostratégiques : 10e plus vaste pays au monde, l’Algérie est simultanément le plus grand pays d’Afrique, du monde arabe et du bassin méditerranéen. Véritable pont, voire “zone tampon” entre l’Afrique et l’Europe, elle recèle d’importantes ressources naturelles diversifiées comme les hydrocarbures et les gisements miniers. 70% d’une des plus grandes réserves souterraines d’eau douce au monde est localisée dans le Sud algérien(13), tandis que le potentiel solaire photovoltaïque algérien pourra alimenter une durée d’ensoleillement de 3900 h/an, équivaut à 10 fois la consommation mondiale d’électricité(14). Classée en 2020 1re armée maghrébine la plus puissante et 2e africaine(15) après l’Égypte, l’ANP est la seule force en Afrique pouvant déployer une flotte aérienne entièrement composée d’avions de combat de 4e génération(16), et sera dotée vraisemblablement de chasseurs furtifs de 5e génération(17).

Ces atouts et d’autres positionnent l’Algérie comme un pays à forte valeur géostratégique ajoutée dans le monde, laquelle ambitionne à s’imposer comme une puissance multidimensionnelle décisive dans une région instable en pleine mutation, convoitée et ayant vu l’incursion de nouveaux acteurs. Son engagement dans des partenariats stratégiques et son émancipation au sein de l’UA et de la LEA via les OMP onusiennes pourra servir à se frayer de nouvelles voies dans les espaces avoisinants et ailleurs ainsi que leurs points d’accès. L’intervention algérienne à l’étranger sera optimisée par la mise en œuvre de sa bienveillance et de ses spécificités arabo-berbéro-musulmane, maghrébine, africaine et méditerranéenne pour gérer au mieux les conflits, notamment en ce qui concerne le contact socioculturel avec les populations affectées.

– Intérêts sécuritaires : Depuis trois décennies, les défis sécuritaires sont au cœur des priorités politiques en Algérie et l’histoire lui a donné raison quand on réalise l’ampleur des menaces du terrorisme, des trafics illicites et de la criminalité organisée non loin des frontières nationales ; à cela s’ajoute l’instabilité multifactorielle de la plupart des pays de la région – susceptible de devenir chronique pour certains – entraînant une ingérence militaire étrangère prégnante. Par conséquent, l’Algérie vouera au maintien de la paix une considération particulière, dans la mesure où la consolidation de la sécurité internationale dans une zone d’intérêt, par le biais de ses positionnements et ceux de ses alliés dans le cadre des OMP, renforcera la protection de ses frontières et la stabilité de sa sécurité intérieure d’une part et dissuadera les éventuels fronts antagonistes d’autre part.

– Intérêts militaires : Se situant entre le Maroc et la Tunisie, deux voisins “alliés majeurs hors-Otan des USA”, respectivement 12e (1745) et 62e (164) pays contributeurs de troupes (PCT) aux OMP, l’Algérie vise en filigrane à contrecarrer les éventuels plans de déstabilisation et consolider sa suprématie militaire dans la région à travers sa participation dans le maintien de la paix.
En outre, l’ANP pourra renforcer ses capacités de défense au confluent des autres dispositifs d’intervention (aide humanitaire, déminage, réhabilitation, etc.), en bénéficiant justement de plusieurs expériences et échanges entre pairs pertinents, via des programmes de formation, d’entraînement et de manœuvres spécialisés.

– Intérêts diplomatiques : La diplomatie algérienne a fait preuve d’un activisme significatif sur la scène internationale après l’élection présidentielle de 2019, et entend l’impulser à la faveur de sa participation dans les OMP, et ce, grâce à son expertise historique en matière de résolution des conflits.
Ce statut évolué de l’Algérie comme acteur opérationnel de la paix et de la sécurité internationales amplifiera son influence et élargira les champs d’intervention vis-à-vis de ses nouvelles perspectives diplomatiques pour conquérir, entre autres, un siège mérité de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU en cas de réforme de celle-ci.

– Intérêts économiques : La contribution de l’ANP dans les OMP favorisera l’instauration d’un environnement pacifique sur la scène internationale et dans la région, propice au partenariat commercial et au développement économique l’Algérie, à laquelle se présenteront de nouvelles opportunités lucratives. En effet, pour chaque soldat déployé l’ONU versera 1428 dollars (près de 190 000 DA) par mois(18). Celle-ci remboursera également les coûts du matériel exploité, des services de personnel et des services d’appui qui pourront s’élever à plusieurs millions de dollars US annuellement. Or la principale motivation ne réside pas dans le bénéfice financier qui en résulte(19), l’Algérie aspire plutôt à une paix durable dans les zones d’intérêt favorable à sa stabilité politique, laquelle est un facteur essentiel d’attractivité des projets d’investissement étranger direct (IDE) d’envergure, qui font partie des accélérateurs de croissance et de développement économique.

Conclusion : 
La participation aux OMP onusiennes est fructueuse à plus d’un titre. Constituant d’ores et déjà une pierre angulaire sur la voie de l’édification d’une “Algérie nouvelle”(20), elle permettra de garantir une place prépondérante au sein de la communauté internationale. Par ailleurs, les contextes dans lesquels se dérouleront les opérations précitées doivent être expertement examinés, au risque de payer un prix politique si les objectifs débordaient au-delà du strict cadre du maintien de la paix.
Des comités de pilotage interministériels regroupant les institutions de la Défense, l’Intérieur, les Affaires étrangères, les Finances et autres doivent être installés pour coordonner la mise en place d’une stratégie cohérente et d’un dispositif réglementaire concerté sur la participation algérienne aux OMP respectant les standards requis de l’ONU, l’UA et la LEA. Le succès de l’intervention à l’étranger dépendra en amont de l’approbation suscitée chez l’opinion publique et dans la sensibilisation opportune des représentants du peuple relevant de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation, quant aux enjeux et retombées d’une contribution dans les OMP. Le soldat algérien doit être alors perçu comme un “mentor de paix” et non pas un “factionnaire de guerre”.


Références :
(1)- Les cinq mesures sont rapportées de la rubrique “Maintenir la paix et la sécurité internationales” du site internet de l’ONU. Consulté en ligne : https://www.un.org/fr/sections/what-we-do/maintain-international-peace-and-security
(2)- Glossaire du manuel du Conseil de sécurité des Nations unies, Consulté en ligne : https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/glossary
(3)- N’ayant pas d’armée, l’ONU fait appel aux pays membres pour fournir des casques bleus, constitués de militaires, policiers et civils, pour œuvrer conjointement dans le cadre du maintien ou rétablissement de la paix.
(4)- Charles-Philippe DAVID, La guerre et la paix : Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, Paris, Presses de Sciences Po, 2006.
(5)- LANGHOLTZ, Harvey J, Principes et orientations des opérations de maintien de la paix des Nations unies, Peace Operations Training Institute Williamsburg, USA, 2013.
(6)- Département des opérations de maintien la paix (DOMP) et Département de l’appui aux missions (DAM), Opérations de maintien de la paix des Nations unies : principes et orientations, New York, Nations unies, 2008.
(7)- Les lieux d’intervention de l’ONU pour le maintien de la paix consultées en ligne : https://peacekeeping.un.org/fr/where-we-operate
(8)- Voir les détails de l’Organisme des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve ONUST dans Wikipédia.
(9)- Les statistiques consultées en ligne : https://peacekeeping.un.org/fr/troop-and-police-contributors
(10)- Consulter la note n° A/C.5/73/21 de l’ONU établie en application du paragraphe 8 de la section I de la résolution 49/233, incluant un tableau récapitulant les crédits approuvés au titre desdites OMP.
(11)- Voir l’alinéa 3 de l’article 91 de la Constitution de 2020.
(12)- Alexandra NOVOSSELOFF, “Pourquoi s’engage-t-on dans une OMP ? Quelles sont les retombées attendues ?”, table-ronde de l’Observatoire “Boutros-Ghali du maintien de la paix” sur les prérequis d’un engagement au maintien de la paix des Nations unies, New-York, 4 octobre 2017.
(13)- Voir la nappe de l’Albien dans le rapport “Nappe du continental intercalaire : Algérie/Tunisie”, UNESCO, 1972.
(14)- CHERIFI Sara et HADDAD Mohamed, l’énergie solaire : un moteur du développement durable en Algérie, Les Cahiers du CREAD, vol. 35. n° 03 / 2019.
(15)- Selon le classement du site spécialisé : www.globalfirepower.com
(16)- Voir les caractéristiques navales algériennes sur le site “Military Watch” : https://militarywatchmagazine.com/article/africa-s-five-top-air-forces-protecting-the-skies-from-from-algiers-to-addis-ababa
(17)- Selon le rapport du site d’informations russe “topcor” : https://topcor.ru/17612-su-57-letjat-v-afriku-rossija-zastavila-indiju-pozhalet-za-otkaz-ot-istrebitelej.html
(18)- Voir les mécanismes de financement des OMP sur : https://peacekeeping.un.org/fr/how-we-are-funded
(19)- Alexandra NOVOSSELOFF, Id.
(20)- Slogan officiel extrait de l’alinéa 10 du préambule de la Constitution de 2020 : “Le peuple soucieux de traduire dans cette Constitution ses aspirations à des mutations politiques et sociales profondes pour l’édification d’une Algérie nouvelle telles qu’exprimées pacifiquement depuis le Hirak populaire originel du 22 février 2019”.


 

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