Islamisme et démocratie : idéologie politique contre loi de la majorité

Par L’hadi – Au cours des dernières années, le phénomène religieux a fait un retour spectaculaire. Réputé obsolète, au moins à terme, il est apparu curieusement résistant, voire de nouveau conquérant. Loin de reculer, les grandes religions monothéistes – christianisme, judaïsme, islam – ont vu croître constamment le nombre de leurs adeptes. Ainsi, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nombre de chrétiens dans le monde a presque doublé, celui des musulmans presque triplé et celui des juifs, malgré le génocide, augmenté d’un quart environ.

La victoire de la Révolution iranienne s’est traduite par une accélération de la montée de la vague islamiste, du Maroc à l’Indonésie. Cette vague est cependant antérieure. Elle coïncide avec la défaite de l’Egypte face à l’entité sioniste dans la guerre des Six Jours (1967) et la mort de Jamal Abdennasser (1970), qui avait combattu durement les Frères musulmans. Leur organisation, fondée en 1927, a donné naissance à la plupart des mouvements sunnites et chiites. Les causes de ce radicalisme sont multiples. Si l’on ne peut écarter l’aspect spirituel, les facteurs idéologique, politique, économique, social et culturel sont effectivement prépondérants.

L’islamisme apparaît comme une idéologie politique qui s’appuie sur la religion, en réaction contre le matérialisme des sociétés occidentales capitalistes et contre le marxisme. Les islamistes dénoncent également le modèle de développement de type occidental qui a prévalu dans les pays musulmans ayant accédé à l’indépendance depuis 1945. La pénétration des islamistes s’appuie sur un discours moral et égalitaire qui met l’accent sur les principes coraniques d’équité, de justice sociale et de solidarité.

Ce faisant, ils ont réussi à mobiliser les déshérités et une partie des classes moyennes en plein désarroi, notamment en Algérie. Néanmoins, dans les pays où ils ont accédé au pouvoir, les islamistes se sont révélés incapables d’améliorer le sort des populations.

Quant à la démocratie, on doit reprendre d’abord la question de son origine. Les raisons qui l’ont fait naître sont-elles encore celles qui la font prospérer ? S’interroger ensuite sur son double fonctionnement. La démocratie est à la fois un idéal de référence, mobilisateur de rhétorique et de projets politiques et un gouvernement effectif, fondé plus modestement sur des procédures d’élections et de négociations. S’interroger, enfin, sur les phénomènes actuels qui annoncent de profondes mutations de la démocratie en dépit – ou à cause – de son succès contemporain.

La démocratie, à bien des égards, est un régime qui ne va pas de soi. Pourtant, elle s’impose aujourd’hui comme une évidence dans la majorité des Etats de la planète. Ce système politique invoque d’improbables prémices : la loi de la majorité, pourtant constamment battue en brèche par la pression de groupes minoritaires, la conciliation entre égalité et liberté, dont les dynamiques respectives sont en fait largement antagonistes. Et son mode de légitimation ultime : le respect de la volonté générale, voire de la souveraineté populaire, exige la foi du charbonnier ou une bonne dose d’angélisme intellectuel pour être plausible. Le credo démocratique nous renvoie donc à un univers mental dont notre société rationaliste, pas plus que toute autre avant elle, ne saurait impunément faire l’économie : celui des mythes fondateurs qui ont toujours servi à dire – un ordre idéal des choses – et à masquer – le règne des rapports de forces.

Pourtant, il ne fait pas de doute que la démocratie soit l’irremplaçable mode de gouvernement de la société de demain. A la fois parce qu’elle est le seul mécanisme politique réellement compatible avec les exigences de fonctionnement des sociétés développées – le contraire de l’éléphant dans un magasin de porcelaine – et parce qu’elle répond vraiment, grâce aux techniques de l’Etat de droit, aux attentes de liberté et de sécurité personnelles générées par la société post-industrielle. Irremplaçable mais non invulnérable. Elle est, en effet, confrontée à une violence terroriste parfois spectaculaire. Son sort est suspendu à la survie d’une économie prospère. Le véritable risque de dislocation du système démocratique réside, donc, dans le déchaînement de déraisons provoquées par la peur irréfléchie d’adversaires diabolisés ou encore par la brutale détérioration des conditions matérielles d’existence.

En intensifiant le conflit des passions et la guerre des intérêts, ce dernier pourrait détériorer les délicats équilibres qui font jusqu’ici la vertu exceptionnelle de la démocratie.

L. H.

(*) Le titre est de la rédaction

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