Israël et la crise syrienne : Tel-Aviv face à ses « lignes rouges »

Aucune des options politiques ou militaires envisagées pour une sortie de crise en Syrie n’est satisfaisante pour les Israéliens. Ils ne veulent pas d’une victoire de facto de Bachar al Assad et de « l’axe chiite », mais s’inquiètent du chaos syro-irakien et de l’éventuelle arrivée au pouvoir de l’islam politique à Damas. Afin d’assurer au mieux sa sécurité dans un environnement régional volatile, Israël a donc très tôt opté pour une double approche : (1) la surveillance et le contrôle des activités des groupes armés présents dans le sud syrien, en particulier dans la région du Golan, (2) l’expression de « lignes rouges » face aux capacités de nuisance de l’Iran et du Hezbollah à sa frontière. Si la question jihadiste a fini par émerger dans les préoccupations sécuritaires israéliennes, Téhéran reste la principale menace existentielle aux yeux de Tel-Aviv. En ce sens, l’engagement militaire russe en Syrie depuis septembre 2015 a pu être perçu, par une partie de l’appareil militaire et politique israélien, comme une
opportunité pour contrebalancer l’influence de l’Iran. Néanmoins, ce positionnement prag-matique est d’autant plus risqué qu’il repose sur un pari aux variables et finalités très incertaines. Si Israël conserve sa capacités à agir ponctuellement contre les intérêts du Hezbollah et de l’Iran en Syrie (frappes contre des stocks et des convois d’armes, assassinats ciblés) il entrevoit aussi les limites du rééquilibrage russe, voire le possible renforcement de ses ennemis à la faveur d’une coopération, pour l’heure, indéfectible entre les alliés du régime Assad. La realpolitik israélienne vis-à-vis de la Russie pourrait, tôt au tard, montrer ses limites. Elle pourrait même s’avérer contre-productive pour un État israélien qui ne jaugera l’issue de la crise syrienne qu’à la lumière de la place de l’Iran et du Hezbollah dans la région.

La crise syrienne n’a jamais fait l’objet d’un large consensus au sein de l’establishment politique et militaire israélien. Certains ont vu dans le possible renversement du régime Assad une opportunité de rompre l’axe chiite Téhéran-Hezbollah et d’affaiblir le parti de Dieu. D’autres préféraient s’accommoder d’un régime syrien ennemi, mais non menaçant, plutôt que d’être confrontés à une éventuelle prise de pouvoir par les Frères musulmans, à l’instar de ce qui s’était produit en Égypte en 2011.

Dans ce flou stratégique, Israël a fait le choix d’une posture dissuasive et de limiter son immixtion dans le conflit syrien en dressant des lignes rouges à l’endroit du régime de Damas et de ses alliés, des groupes rebelles comme de la communauté internationale. Ces « lignes rouges » reposent essentiellement sur la nécessité d’endiguer l’influence de l’Iran et du Hezbollah en Syrie. L’Iran demeurant la principale menace existentielle aux yeux des Israéliens, la question du renforcement capacitaire du Hezbollah s’est imposée comme le principal sujet de préoccupation. Cette crainte explique les frappes israéliennes, depuis 2011, contre des stocks d’armes soupçonnés être destinés au Hezbollah , de même que la mobilisation diplomatique de Tel-Aviv en 2012-2013 sur la question des stocks d’armes chimiques et biologiques, et celle de 2014-2015 autour de l’activité du Hezbollah sur le Golan. La mort de Samir Kuntar , dans une frappe imputée à Israël le 20 décembre dernier dans la banlieue sud de Damas, illustre combien Tel-Aviv poursuit son propre agenda sécuritaire en Syrie.

Pour une partie de l’appareil militaire israélien, la question jihadiste en Syrie n’est toujours pas prioritaire. Le ministre israélien de la Défense, Moshe Ya’alon, a affirmé le 19 janvier 2016 qu’il préférait une victoire de l’État islamique à Damas plutôt que celle de l’Iran. Les Israéliens sont persuadés qu’ils pourront faire face à cette menace, si tant est que Daech (ou même le Jabhat al Nusra) menace un jour directement leur pays . L’actuel chef d’état-major de l’armée israélienne (CEMA), le général Gadi Eizenkot, a cependant déclaré début décembre 2015 qu’une victoire de l’État islamique serait un scenario pire pour Israël qu’une victoire d’Assad . Cette déclaration confirme d’abord les débats et les différences d’analyse au sein des autorités israéliennes concernant le conflit syrien. Elle illustre aussi l’ambivalence du discours israélien dans le contexte de l’intervention diplomatique et militaire russes. En effet, face aux pertes infligées en Syrie aux combattants iraniens, aux milices chiites et au Hezbollah , Israël a accueilli favorablement l’engagement militaire russe qui leur faisait espérer une marginalisation des forces iraniennes et de leurs alliés sur le terrain. En dépit des contraintes qu’elles pourraient faire peser sur leurs propres opérations militaires, la présence et l’action militaire russes en Syrie auraient l’avantage pour les Israéliens de contrebalancer l’influence de Téhéran. En réalité, depuis le début, ce scénario repose sur un pari périlleux, aux variables incertaines et multiples, qui ne font que confirmer la dépendance d’Israël à l’égard de ses alliés et partenaires pour garantir sa propre sécurité.

A défaut de zone tampon, Israël agit discrètement pour sécuriser le Golan 

Dès 2011, les autorités israéliennes se sont inquiétées des possibles débordements de la crise syrienne sur le Golan, alors que la révolte armée prenait d’abord corps dans le sud du pays, dans la province de Deraa. Elles se sont très vite adaptées à leur nouveau voisinage en offrant une assistance médicale aux Syriens du Sud et en développant des canaux de communication avec les différents groupes armés présents à proximité du Golan. Jusqu’en juin 2012, Damas contrôlait encore la partie syrienne du plateau du Golan. Depuis 2013, cette assise n’a cessé de se réduire pour ne représenter aujourd’hui qu’environ 30 %. De Quneitra jusqu’à la localité d’Agraba à la frontière jordanienne, la zone est entièrement tenue par les groupes d’opposition dits modérés ou islamistes autres que Daech. La politique opaque et discrète d’Israël sur le Golan et dans le sud syrien a pour principal objectif de sécuriser cette bande frontalière et non pas de soutenir massivement l’opposition syrienne face au régime Assad.

Le ministre israélien de la Défense, Moshe Ya’alon, a fini par reconnaître publiquement, en juin 2015, que ce n’était « un secret pour personne que les villages frontaliers syriens reçoivent une aide humanitaire ». Pour autant, l’action israélienne au profit de l’opposition syrienne ne se limite probablement pas à l’aide médicale. Depuis 2012, les rapports périodiques de la FNUOD font état d’interactions entre l’armée israélienne et des combattants syriens : discussions, transferts de blessés, passage de véhicules et de « caisses au contenu non identifié », etc. Ces liens permettent à Israël d’avoir une vision plus précise de ce qui se passe de l’autre côté de la ligne de séparation et d’anticiper les risques de débordement. Les combats entre les forces du régime et les groupes armés locaux connaissent parfois des pics d’intensité aux dommages collatéraux perceptibles en Israël. Outre des obus de mortiers tombés en territoire israélien (dont l’un ayant fait une victime en juin 2014), une roquette s’est abattue le 27 septembre 2015 sur la partie israélienne du Golan. L’armée israélienne a répliqué en procédant à des tirs d’artillerie contre des positions de l’armée syrienne.

Officiellement, les échanges entre Israël et les groupes rebelles ne concerneraient que les groupes armés dits modérés (aujourd’hui regroupés dans le Front sud), notamment soutenus par le Military Operation Center (MOC). Cependant, des messages sont également passés au Jabhat al Nusra, comme à l’été 2015 lorsque les Druzes d’Israël  ont demandé au gouvernement d’agir pour protéger leurs coreligionnaires du village syrien de Hadar (à proximité de la ligne de séparation de l’ONU sur le Golan). Israël s’est alors mobilisé pour obtenir la garantie que la communauté druze ne ferait l’objet d’aucune exaction de la part du Jabhat al Nusra, comme cela avait pu se produire le 10 juin au nord dans la province d’Idlib.

Le soutien d’Israël à la communauté druze de Syrie n’est pas uniquement motivé par la solidarité exprimée par les Druzes israéliens (du Carmel et de Galilée) et les Druzes du plateau annexé du Golan. La problématique druze revêt un intérêt stratégique pour Israël qui s’est toujours appuyé sur certaines minorités pour asseoir sa place au Proche-Orient. En ce sens, Tel-Aviv cherche à contenir le mécontentement des Druzes d’Israël à l’égard de son action minimale dans le conflit syrien , tout en apparaissant comme défenseur de la sécurité de cette minorité musulmane hétérodoxe dans la région. Par ailleurs, les Druzes représentent un îlot de « neutralité », certes pro-régime (quoique des tensions violentes sont apparues ces derniers mois avec les autorités de Damas) mais qui ne prennent pas part aux combats contre l’opposition. En ce sens, l’activité de Samir Kuntar pour le compte du Hezbollah auprès des Druzes du Sud syrien n’était pas dans l’intérêt de Tel-Aviv. Ils représentent également un rempart, ou plutôt la dernière porte avant les zones tenues par Daech sur la route de Palmyre. Les habitants de Suweida craignent une avancée de Daech dans le Jebel druze. Pour l’heure, dans le sud syrien, la présence de Daech reste embryonnaire. Le mouvement s’appuie sur quelques combattants lui ayant prêté allégeance, comme la Liwa Shuhada al Yarmouk (200-300 combattants), basée à seulement quelques kilomètres à l’est de la frontière israélienne. Coincé entre les frontières israélienne et jordanienne (autour de hameaux comme Ibdin), le mouvement affronte Jabhat al Nusra pour le contrôle de localités comme Sahm al Jawlan. Cependant, si Daech venait à pénétrer davantage dans le Jebel druze, cela menacerait directement la Jordanie et Israël. Tout en renforçant leurs milices, les Druzes demandent donc aujourd’hui le soutien d’Amman et indirectement de Tel-Aviv.

Sud-Liban / Israël / Sud-Syrie : un Triangle stratégique à hauts risques

Si, en comparaison des autres lignes de front en Syrie (notamment dans le nord), le Golan et plus largement le front sud apparaissent comme des « fronts contenus » ou des « fronts gelés », les risques d’embrasement restent toutefois exacerbés par la présence d’Israël à proximité. Les Israéliens parlent d’une continuité du front nord « libano-syrien » et alertent régulièrement les chancelleries internationales quant à la présence du Hezbollah dans le sud de la Syrie. Pour les Israéliens, le Hezbollah conduirait deux objectifs dans le sud de la Syrie : l’un viserait à lutter contre l’opposition syrienne, l’autre à préparer les bases d’une future attaque contre Israël à partir du nord du Golan. La frappe israélienne du 18 janvier 2015 sur le Golan (ayant tué six membres du Hezbollah, dont Jihad Moughnieh, et six militaires iraniens), a non seulement confirmé la présence du Hezbollah dans cette zone, mais également dans l’ensemble de la région sud-syrienne, de Quneitra à Deraa. Le dispositif du Hezbollah aurait été renforcé dans la région de Quneitra début 2014, afin de faire face aux succès de l’insurrection dans la zone et d’empêcher d’éventuelles infiltrations jihadistes vers le Sud- Liban. Le 21 août 2015, Israël a, une nouvelle fois, ciblé un groupe de combattants pro-régime du côté syrien du Golan. Répondant à un tir de roquette, Israël a déclaré avoir ciblé un groupe composé notamment de combattants du Jihad islamique palestinien agissant pour le compte de la force iranienne al-Qods. En intervenant sur le Golan, Israël rappelle ainsi à l‘Iran que tout franchissement de ses « lignes rouges » sera sanctionné.

Israël accuse l’Iran et le Hezbollah de vouloir ouvrir un nouveau front. Au regard de l’investissement des Iraniens sur différents fronts en Syrie et de la fatigue financière et capacitaire du parti de Dieu mobilisé massivement depuis 2013, il est peu probable que Téhéran et ses alliés cherchent aujourd’hui à entrer en confrontation avec l’armée israélienne. La présence du Hezbollah dans le Sud syrien et à proximité du Golan (au nord de Quneitra) semblait même s’être réduite en fin d’année 2015 en raison d’un recentrage des priorités sur la frontière libano-syrienne, dans les montagnes du Qalamoun et autour de Zabadani. Même l’activité de Samir Kuntar auprès de la communauté druze syrienne n’aurait pas porté ses fruits, cette dernière refusant de se mobiliser militairement en faveur du régime de Damas.

Cependant, les frappes russes intervenues dans le Sud syrien depuis septembre 2015 pourraient préfigurer une volonté du régime (aidé au sol par les combattants chiites) de regagner du terrain dans la province de Deraa et de Quneitra. Depuis la fin de l’année 2015, le Hezbollah se serait redéployé dans cette zone, en particulier à Cheikh Miskin bombardé régulièrement par l’aviation russe et en passe de repasser sous contrôle intégral du régime. Si les combattants du Parti de Dieu tentent de se rapprocher du Golan, les risques de dérapage avec Israël seraient alors accrus. Les conséquences seraient d’autant plus graves qu’elles affecteraient automatiquement le Sud-Liban. Fin janvier 2015, à la suite de la frappe israélienne sur le Golan, le Hezbollah a répliqué à partir de la zone autrefois contestée des fermes de Chebaa. Les affrontements avec l’armée israélienne ont fait trois morts, deux soldats israéliens et un Casque bleu espagnol de la FINUL. A la suite de la mort de Samir Kuntar le 20 décembre dernier, le Hezbollah a également répliqué à partir de son fief sud-libanais en tirant des roquettes sur Israël. Hassan Nasrallah a alors promis que cet assassinat serait vengé.

Israël joue les équilibristes avec la Russie

Israël dialogue avec les groupes rebelles présents à sa frontière, tout en maintenant une relation privilégiée avec la Russie. La proximité de Tel-Aviv avec Moscou sur le dossier syrien est motivée par le même pragmatisme de sécurité. Un canal de discussion et de « déconfliction » s’est ouvert entre les deux pays, en octobre dernier après la visite de Benyamin Netanyahu à Moscou, pour coordonner leurs actions militaires et faire valoir les garanties de sécurité de Tel-Aviv. Pourtant, de facto, l’action russe sert les intérêts (au moins à court terme) de Téhéran, en renforçant le régime Assad et en soulageant l’Iran, les milices chiites et le Hezbollah  dans leurs opérations de terrain. L’intervention russe laisse donc apparaître une ambivalence avec la préservation des intérêts israéliens. Même si certains analystes préfèrent y voir une opportunité pour la sécurité d’Israël , cette relation d’intérêt confirme qu’Israël est aujourd’hui dépendant de Moscou dans ses anticipations de la crise syrienne.

Israël a rappelé à la Russie qu’il ne tolérerait aucun transfert d’armes vers le Hezbollah et qu’en dépit du déploiement russe de son système de défense anti-missile S-400, il continuerait d’agir en Syrie chaque fois que nécessaire. Début décembre 2015, Israël aurait mené des raids au nord de Damas contre un convoi syrien transportant des missiles balistiques. La presse syrienne a également rapporté que le 31 octobre des frappes israéliennes auraient visé un convoi d’armes dans le Qalamoun en direction du Liban. Ces opérations se seraient répétées encore à deux reprises au mois de novembre. Toutes ces opérations n’auraient donc rencontré aucune opposition de la part des Russes qui contrôlent aujourd’hui une large partie de l’espace aérien syrien. Vladimir Poutine a-t-il donné l’assurance à Benyamin Netanyahu qu’il ne livrerait jamais les S-300 promis à Bachar al-Assad, ni tout autre armement à destination du Hezbollah ? Ou se sont-ils plutôt entendus sur un jeu à somme nulle « les premiers livrent, les seconds détruisent » ? Il semblerait, en effet, que le Hezbollah reçoive depuis plusieurs mois de l’armement russe, notamment des missiles antichars . Dans tous les cas, les Israéliens continuent leurs incursions dans les espaces aériens libanais et syrien sans susciter de réaction de la part de Moscou. La récente explosion ayant tué Samir Kuntar dans un quartier sud de Damas confirme que la Russie n’a ni la volonté, ni les moyens, de stopper les opérations israéliennes qu’elles soient conduites par l’aviation, par un drone ou par des missiles lancés à partir de la région de Tibériade. Le laissez-faire russe suscite d’ailleurs les railleries et les critiques sur les réseaux sociaux arabes et dans la presse libanaise et syrienne pro-régime. Le Hezbollah, lui-même, pourrait finir par s’agacer de la realpolitik russo-israélienne.

Aussi intrigante est l’action militaire russe dans le Sud syrien. Le 29 novembre dernier, Moshe Ya’alon a reconnu que des avions russes avaient pénétré l’espace aérien israélien de « manière accidentelle ». L’aviation russe conduit, en effet, depuis le mois de septembre 2015 des vols de reconnaissance et des frappes dans le sud de la Syrie. L’aviation russe a conduit plusieurs raids dans le Sud syrien, à Deraa, Cheikh Maskin, mais également près des localités de Tal Antar, Kufr Nasaj, Hara et Aqraba, pour certaines situées à une dizaine de kilomètres de la frontière israélienne. Ces zones sont soit disputées, soit sous le contrôle des nombreux groupes d’opposition syrienne, qu’il s’agisse du Front sud ou du Jabhat al Nusra. Le sud de la Syrie revêt certes un intérêt pour le régime (porte d’entrée vers la Ghouta et Damas, routes de commerce et de trafics vers la Jordanie) mais il ne représente pas un front actif et décisif pour le moment. Les récentes offensives du Front sud sur Deraa durant l’été 2015 se sont soldées par un échec. Le régime maintient ses positions au nord de la ville et contrôle les axes routiers conduisant à la capitale.

Dans ce contexte, les actuelles frappes russes pourraient avoir pour objectif de protéger l’axe Deraa-Damas, notamment en regagnant le contrôle de Cheikh Miskin. Elles pourraient aussi annoncer une nouvelle offensive d’ampleur du régime dans la province de Deraa, mais aussi à proximité de Quneitra. Au même moment, le soutien du MOC, notamment des Jordaniens et des Américains, semble s’être réduit ces derniers mois. Sur place les groupes du Front sud ont l’impression d’être progressivement lâchés par leurs parrains, alors que les pays du Golfe réorientent et renforcent leur soutien au nord vers des groupes islamistes (Jish al Fath, Jish al Islam, etc.). Les règlements de compte entre les différents groupes d’opposition du sud se seraient accrus dernièrement, tandis que certains combattants, voire commandants locaux, auraient décidé de déserter craignant une reprise de la région par le régime. Si les frappes venaient à s’intensifier et si l’aide aux rebelles devait encore se réduire, des combattants du Front sud pourraient être tentés de rejoindre les rangs du Jabhat al Nusra (aux frontières déjà poreuses avec les autres groupes). Cela risquerait également de provoquer de nouvelles vagues de réfugiés vers la Jordanie . Israël, et surtout la Jordanie, seraient alors directement impactés par le bouleversement des rapports de force dans la province de Deraa et à proximité du Golan.

Là est donc toute la complexité, voire l’ambiguïté, des Israéliens qui ne veulent pas d’une victoire de l’actuelle opposition, mais qui craignent les conséquences d’une victoire du régime syrien. Tel-Aviv mise donc sur Moscou pour contrebalancer le poids de l’Iran en Syrie, tout en comptant sur la coalition anti-Daech pour endiguer la menace jihadiste. Ce pari tend à sous-estimer la présence incontournable de l’Iran et de ses alliés sur le terrain ; la réticence russe à intervenir au sol et donc sa dépendance vis-à-vis des différentes forces chiites ; la pénétration iranienne pérenne des milieux économiques syriens (notamment dans le secteur de l’immobilier) ; la capacité de résilience du Hezbollah qui joue un rôle central dans la protection des frontières libanaises ; ou encore les risques d’ « overstretch » russe. (Ce dernier pays étant courtisé par certaines chancelleries occidentales dans la lutte anti-Daech, comme par les acteurs régionaux, en premier lieu Israël, la Jordanie et le Liban) pour protéger leurs intérêts. Par ailleurs, personne ne peut prédire l’évolution des relations entre Moscou et Téhéran qui, pour l’heure, semblent toujours très proches. Il est peu probable que la Russie réussisse à négocier avec les Etats-Unis et les pays du Golfe une sortie de crise non acceptée par les Iraniens et sans avoir au préalable affaibli les principaux mouvements d’opposition sur le terrain.

Dans ce contexte, quelques voix au sein de l’appareil militaire israélien évoquent aujourd’hui les risques d’enlisement de la Russie en Syrie et observent, non sans désillusion, une coordination russo-iranienne solide. Sans aller jusqu’à prédire que la Syrie devienne le nouveau « Vietnam » de Vladimir Poutine , force est de reconnaître qu’Israël n’a d’autre choix que le pragmatisme et la compartimentation de ses coopérations d’intérêts à défaut de pouvoir peser sur la reconfiguration de son environnement proche.

Elisabeth Marteu, 28 janvier 2016

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