Kamto, Soro, Ajavon : Des avocats français au service des opposants africains

Democratia africana

par  Pascal Airault

Utilisant les armes juridiques et diplomatiques, plusieurs juristes français travaillent au retour politique des adversaires aux régimes en place en Afrique.

                Maurice Kamto, Guillaume Soro et Sébastien Ajavon. © DR

          
Les faits – Organes des Nations Unies, Union européenne, Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, juridictions nationales… Les avocats français explorent toutes les voies de recours pour permettre aux opposants africains d’exprimer leurs droits politiques et civiques.


Les temps sont durs pour les opposants africains. Entre les restrictions de libertés liées à la crise sanitaire, l’instrumentalisation de justice nationale qui les exclut du jeu politique, le moindre intérêt de grandes puissances plus préoccupées par les questions intérieures et les grandes crises (Méditerranée orientale, Syrie, Haut-Karabakh…), leur combat politique et l’expression de leurs droits passent, de plus en plus, par le relais des cabinets d’avocats.

C’est particulièrement le cas dans les pays de l’ex pré carré français en Afrique. Antoine Vey, ex-associé d’Eric Dupond-Moretti, travaille actuellement à desserrer l’étau autour du président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, Maurice Kamto, assigné à résidence avec sa famille depuis le 22 septembre. Il vient d’obtenir un succès. Dans un communiqué du 12 octobre, les experts du Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU demandent à Yaoundé de le « libérer », alors que sa résidence est encerclée par une centaine d’éléments de la gendarmerie et de la police. Ils demandent aussi aux autorités de cesser les intimidations à l’encontre de ses militants et les tortures. Plus de 500 personnes auraient été arrêtées lors des dernières manifestations et 200 seraient toujours en détention.

Exilés. « Je m’appuie sur les textes comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté à New York en 1966, par les Etats membres de l’assemblée générale des Nations Unies, confie Me Vey. Cela me permet
de saisir notamment les comités des droits de l’homme ou contre la torture, ainsi que le groupe de travail sur la détention arbitraire ».

Antoine Vey défend un autre opposant, Sébastien Ajavon, arrivé troisième à la dernière présidentielle béninoise. Cet homme d’affaires est réfugié politique en France après avoir été condamné en 2018 par la cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet, nouvelle juridiction au Bénin) à vingt ans de prison pour trafic de drogue. Ses avocats ont saisi la cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), qui a jugé cette condamnation illégale.

Depuis, le Bénin a révoqué son retrait du protocole de la CADHP. « Patrice Talon bafoue sa propre Constitution qui confère pourtant une valeur supérieure de la Charte sur la loi interne », déplore l’avocat français. La Criet a aussi condamné l’opposant Komi Koutché, ancien ministre des Finances, à vingt ans de prison pour détournement. Il vit en exil à Washington. Et Lionel Zinsou, autre candidat malheureux lors de la présidentielle, est inéligible pour cinq ans.

Tous les opposants accusent le président Talon de se servir de la justice pour les éloigner de la vie politique à l’approche de la présidentielle de 2021. A force de lobbying, les avocats de ces hommes politiques ont obtenu une
autre victoire, plus symbolique. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a retiré pour un an le Bénin de la liste des « pays d’origine sûrs », en raison des dérives en matière de libertés publiques et politiques.
L’ex-Premier ministre et opposant ivoirien Guillaume Soro est aussi en exilé en France. Il a été condamné à vingt ans de prison par la justice de son pays pour « recel de détournement de deniers publics ». Son équipe juridique dénonce une peine politique et mène le combat depuis Paris. Elle est composée des avocats français William Bourdon, Emmanuel Daoud, Charles Consigny et Robin Binsard. Leur consœur franco-ivoirienne Affoussy Bamba
assure la coordination.

« Ce n’est pas de gaîté de cœur que nous conduisons la bataille depuis Paris, après avoir échoué à revenir en Côte d’Ivoire et aussi à nous installer au Ghana voisin », confie Me Bamba, également figure du parti de Guillaume Soro.
Son équipe a déposé plusieurs requêtes et/ou plaintes devant les Nations Unies, les juridictions africaines et les tribunaux français contre le pouvoir ivoirien. Avec succès.
Les décisions et condamnations tombent alors que son client a été radié du registre électoral ivoirien et sa candidature à la présidentielle du 31 octobre jugée irrecevable par le Conseil constitutionnel. La CAHDP a notamment ordonné, en septembre, à l’Etat ivoirien de lever immédiatement tous les obstacles l’empêchant
de jouir de ses droits à être élu.

« Notre travail a consisté à obtenir une première condamnation, en avril, de la CAHDP, détaille Affoussy Bamba. Sur ce socle africain, on a saisi les organes des Nations Unies, de l’Union européenne, de l’Union interparlementaire et de l’Association parlementaire de la francophonie, qui nous ont tous rendu des décisions ou déclarations favorables. Nous avons gagné sur le plan du droit, de la diplomatie et sommes en passe de remporter la bataille politique puisque l’opposition appelle à la désobéissance civile pour contester la tenue du scrutin du 31 octobre auquel Alassane Ouattara, le président sortant, devrait être seul à participer. Et tout cela, sans armes ! »
Bourbon et Mortier. Ces décisions ou avis sont souvent rejetées par les Etats qui reconnaissent la CAHDP et les organes des Nations Unies. Qu’à cela ne tienne ! Elles servent à sensibiliser les ONG, comme Amnesty international et Human right watch, qui peuvent lancer et nourrir leurs rapports et faire du lobbying en espérant que Paris, Bruxelles ou Washington interviennent, publiquement ou discrètement, auprès des dirigeants concernés.
Il est fréquent de voir les opposants ou leurs avocats au 2 rue de l’Elysée – les locaux des conseillers Afrique d’Emmanuel Macron.

On les croise aussi souvent au café Bourbon à Paris, à deux pas de l’Assemblée nationale, pour rencontrer les députés qui s’intéressent aux opposants africains et à la question des droits de l’homme comme Bruno Fuchs (Haut-Rhin) et Pierre-Alain Raphan (Essonne). Ou encore non loin du Parlement belge, pour sensibiliser des députés socialistes comme Marie Arena, ou à Genève pour rencontrer Michelle Bachelet, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, très active sur les élections africaines.
Et parfois même boulevard Mortier à Paris, au siège de la DGSE, ou encore au parquet national financier (PNF) quand ils ont des dossiers, pièces ou témoignages à transmettre…

Les condamnations internationales sont aussi le socle de leur campagne dans les médias et les réseaux sociaux. Me Vey choisit les agences d’influence, en concertation avec ses clients et ses combats. Guillaume Soro s’appuie actuellement sur Patricia Balme, une communicante proche de la droite française qui s’est autrefois occupée… d’Alassane Ouattara, son grand rival aujourd’hui.


 

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