La guerre sera longue en Ukraine : l’OTAN, le grand fossoyeur de l’Europe !

Le temps joue contre l’Europe, elle qui croyait soumettre la Russie par le temps. D. R.

         par Ali Akika 

Un jour, l’histoire révélera que l’Union européenne est morte de ne pas avoir résisté à l’étreinte étouffante des Etats-Unis et d’avoir éconduit la Russie que De Gaulle rêvait d’intégrer dans une Europe de l’Atlantique à l’Oural. La guerre en Ukraine semble ouvrir la voie à ce dessein par des forces obscures qui projettent de déposséder les peuples de ce continent de leur destin… Ainsi, des ligues atlantistes et leurs milices des va-t-en-guerre jubilent et «remercient» le président Poutine d’avoir redonné vie à l’OTAN qui était en mort cérébrale, selon la formule du président français. Ainsi, les Etats-Unis semblent avoir sauté sur la guerre en Ukraine pour revigorer l’OTAN et prouver plutôt à Macron que c’est l’Europe qui est entrée dans la séquence de mort cérébrale.

Aussi cette faune dont l’intelligence a été gelée par la guerre froide ne voit-elle pas que derrière le train de l’OTAN peut cacher un autre train, celui de l’Europe dont l’unité va finir par voler en éclats. Leur raisonnement vise à masquer la responsabilité des Etats-Unis et d’accuser la Russie de jeter des pays comme la Finlande et la Suède dans les bras de l’OTAN après l’intervention de la Russie en Ukraine. Leur technique est toujours la même, mettre entre parenthèses les origines et les causes d’un phénomène, en un mot effacer l’histoire pour ne pas parler que d’un présent dont ils seraient les avocats d’une certaine histoire. Ils ont une façon bien à eux de faire l’histoire écrite par eux pour légitimer leurs actes d’agression. Ainsi, ils ont réussi à faire oublier que l’OTAN est un pacte créé contre les pays socialistes qui n’étaient pourtant liés par aucun pacte de défense. Ces pays socialistes ont créé le Pacte de Varsovie en 1955 pour répondre à l’OTAN, déjà vieux de six ans, dont le périmètre d’action concernait l’Europe, les Etats-Unis et le Canada. Cinquante ans plus tard, on retrouve l’OTAN guerroyant en Afghanistan et se préparant de nos jours à intervenir en Indopacifique pour les intérêts des Etats-Unis…

Mais revenons à la guerre en Ukraine qui a mis en marche une dynamique qui risque d’ébranler bien des certitudes. Cette dynamique a d’ores et déjà accouché d’une guerre qui va être nécessairement longue. Ce concept de guerre longue est un chapitre de l’art de la guerre où le Temps est à la fois un facteur tactique et la matrice stratégique de tout plan de guerre digne de ce nom. Avant de développer l’ensemble des ressources qui concourent à soutenir une guerre, voyons les faits et informations qui annoncent l’installation d’une guerre longue en Ukraine. Celle-ci, à peine commencée, le président Macron a pronostiqué qu’elle allait être longue et terrible. Quelques jours plus tard, le ministre américain de la Défense annonça le but de guerre de son pays : affaiblir la Russie et lui faire passer l’envie d’attaquer d’autres pays. C’est maladroit et osé mais ça l’avantage d’être clair. Le Français et l’Américain ont évidemment en main des renseignements fournis par leurs services secrets pour tenir de tels propos. Le 13 mai 2022, l’Américain Lloyd Austin, patron du Pentagone, téléphone à son collègue russe et lui demande de décréter un cessez-le feu immédiat.

Que s’est-il passé entre sa première déclaration d’affaiblir la Russie et, un mois plus tard, quémander un arrêt des combats ? Y a-t-il un lien entre l’offensive «victorieuse» des Ukrainiens d’abord à Kiev et ensuite autour de Kharkov, parallèlement aux avancées des Russes en direction de Donbass ? Ceux qui suivent l’actualité savent que les Russes se replient de Kharkov comme ils l’avaient fait de Kiev en bon ordre pour aller sur d’autres fronts, en l’occurrence celui du Donbass. Il se trouve que cette région russophone, avec Odessa ville-port du commerce ukrainien, est peut-être le but stratégique ultime des Russes. Il se trouve aussi que cette région est tenue par l’élite de l’armée ukrainienne. A la lecture de cette demande de cessez-le feu de Lloyd Austin et cette guerre de mouvement menée par les Russes, on peut déduire quelque inquiétude des Américains. Est-ce la peur de voir des régiments ukrainiens encadrés par des forces spéciales américaines se faire encercler et connaître le sort de Marioupol après avoir été coupées de leurs lignes de ravitaillement situées au nord du pays ? Ce n’est pas impossible, ça rappelle l’attitude des Américains pendant la guerre d’Octobre 73 d’Egypte-Israël qui mirent en place un pont aérien gigantesque alimentant l’armée israélienne pour l’aider à sortir de la nasse un Sharon «téméraire» qui avait traversé le canal de Suez et se faire encercler par les Egyptiens.

Une guerre longue en Ukraine est-elle possible de nos jours avec la bombe nucléaire dans l’arsenal de guerre des grandes puissances, en l’occurrence la Russie et les Etats-Unis ?

Avec la déclaration de Lloyd Austin sur le but de guerre d’épuiser la Russie et de l’affaiblir, il «officialise» en quelque la stratégie de la guerre longue (voir mon article du 9 avril 2022). Ces derniers jours, avec la déclaration de la directrice des actions clandestines de la CIA emprunte d’une certaine gravité, on a l’impression que l’espoir d’une prochaine victoire, la fleur au fusil, n’est pas pour demain, d’où la demande de cessez-le-feu du chef du Pentagone. Et ce n’est pas la déclaration du chef des services de renseignement de l’Ukraine qui promet une victoire pour la fin de l’année qui va faire oublier les déclarations du chef des armées américaines et de sa directrice des actions clandestines de la CIA.

Les naïfs fantaisistes se rêvaient et se voyaient déjà assistant au rejet des armées russes vers leurs frontières. La guerre n’est pas un conte de fée où l’on peut entrer dans une grotte en disant «Sésame ouvre-toi» pour accaparer un trésor. Car l’option et la stratégie de la guerre longue ne sont pas à la portée de tout le monde. On le voit avec des armées occidentales au regard des défaites au Vietnam, Afghanistan, Irak. Car la guerre ne dépend pas uniquement de la possession d’un arsenal bien garni d’armes mais aussi de l’organisation économique, politique et sociale de la société sous la direction d’un pouvoir politique. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis n’ont plus gagné de guerre car, à chaque fois, ils se sont embourbés dans des pays en dépit de leur puissance militaire. Il y a donc dans l’histoire militaire plusieurs facteurs dont l’art de la guerre qui sont à l’origine de la défaite du fort par un «faible».

La guerre en Ukraine qui oppose la puissante Amérique à la non moins puissante Russie révèle l’architecture d’une guerre moderne à l’intérieur de laquelle se déroulent d’autres guerres. En dépit de leur puissance militaire, ces deux pays ne vont pas échapper aux lois et aux contraintes de la guerre qui se sont imposées hier à Jules César et Napoléon comme elles s’imposent à la conduite de la guerre aux généraux de nos jours.

Ainsi, puisqu’il s’agit de guerre longue qui semble être admise par les belligérants en Ukraine, il est un facteur qui va jouer un rôle déterminant, c’est le Temps et précisément le rapport au temps qui diffère d’une culture à une autre, de l’époque historique, etc. Ainsi, outre les ressources économiques, l’intelligence stratégique de la conduite de la guerre, les matériels et autres armes, une guerre ne peut se mener en ignorant une denrée rare et invisible appelée Temps. Une denrée rare, notamment dans les pays riches. La raison ? Leurs sociétés obéissent à de multiples contraintes consommatrices de ce temps qui passe, ce temps qui ne se rattrape pas, ce temps qui est de l’argent dans le langage populaire (1). Le temps est donc un acteur de la vie et de l’histoire et vaut son pesant d’or dans la guerre comme dans les autres secteurs de la société. Certes, on ferme les yeux sur la «consommation» du temps pour financer la défense du territoire qui n’a pas de prix. D’autres facteurs comme les intérêts économiques et de géopolitique sont aussi dotés «généreusement» de budget conséquent. L’exemple de la guerre en Ukraine illustre parfaitement cet engagement et ces dépenses dont on attend un retour sur investissement. Le prêt-bail américain de 40 milliards de dollars rappelle le prêt à l’Angleterre durant la Seconde Guerre mondiale.

Au regard de tous ces éléments énoncés succinctement ci-dessus, le rapport des réels adversaires avec cette guerre est déterminé par l’histoire et l’appartenance à la région où se déroule la guerre en question. A l’évidence, la Russie ne se bat pas à des milliers de kilomètres de chez elle comme dans une vulgaire guerre de conquête. L’Ukraine est un pays habité par des millions de Russes, sans compter les mariages mixtes, un pays où l’histoire, la culture et l’âme russes se mêlent avec celles de l’Ukraine symbolisée par l’Ukrainien Nicolas Gogol, un classique de la littérature mondiale. Outre sa puissance militaire, ses ressources et de se battre à partir d’un territoire immense, la Russie a donc d’immenses capacités et motivations de résister à une guerre longue qui a conditionné son destin existentiel. Ce n’est évidemment pas le cas des Etats-Unis qui se battaient au Vietnam pour le «destin de la liberté» et qui a perdu cette guerre contre laquelle le peuple américain est descendu dans les rues par millions.

Les facteurs qui influent sur la guerre longue

La possession de l’arme de dissuasion nucléaire oblige les belligérants à se «satisfaire» de la guerre conventionnelle qui leur offre le «choix» entre la guerre-éclair et la guerre longue. Disons tout de suite que la guerre-éclair en Ukraine est une vue de l’esprit. L’ampleur du contentieux historique entre la Russie et l’Ukraine qui se conjugue avec le jeu d’autres acteurs étrangers ne peut être «traité» par une guerre courte. A cela, il faut ajouter des traces qui remontent à la révolution russe de 1917 aggravées par les circonstances de la chute de l’URSS et ses conséquences. On ne court aucun risque à parier que la guerre en Ukraine sera longue. L’incertitude réside dans sa durée et sur la nature et la profondeur de ses effets sur les acteurs et l’environnement international. En dépit de la complexité et des incertitudes qui enveloppent cette guerre, il est des «stratèges» qui décrètent doctement que la guerre est d’ores et déjà gagnée et perdue. Gagnée militairement par la Russie mais perdue politiquement par la même Russie.

Comment faire confiance à de tels «experts» singeant «les jeux de l’amour et du hasard» de Marivaux qui deviennent les «jeux de la guerre et du hasard» ? Ces «experts» ignorent certainement que le mot hasard signifie chance dans la langue arabe. Or, dans la guerre, il n’y a aucune chance de rencontrer une main bénie qui vient au secours de quelqu’un. On n’est pas étonné de la part de ces «experts» qui sautent par-dessus la jambe de l’histoire des guerres, de leur nature, de leurs buts et de leur époque. Ils ne font confiance qu’à leurs certitudes, une sorte de chekchouka (ratatouille) de préjugés et d’arrogance arrosée de la supériorité d’un mot que l’on entend beaucoup ces temps-ci, la civilisation. En vérité, l’équation de la guerre longue est sur la table. On peut mesurer, compter, évaluer l’efficacité de ses éléments.

C’est d’abord l’adhésion des peuples des pays en guerre, ce sont les forces armées sur le terrain, les capacités industrielles et agricoles, les richesses économiques et financières de ces pays, les alliances et soutiens sur le plan international, etc. La question centrale est celle du temps qui joue sur l’usure ou l’effritement des éléments cités ci-dessus. La mesure du temps est inséparable à la fois de l’époque et de la délimitation du champ de son application. Une guerre est un long processus dynamique où se déroulent moult actions et manœuvres tactiques limitées dans le temps et au service d’une stratégie. Celle-ci porte ses fruits quand elle n’est pas limitée par la contrainte du temps pour emporter la bataille décisive qui a pour nom la soumission de l’ennemi, c’est-à-dire la victoire. Ainsi, la guerre est une entreprise de destruction qui implique une vision intellectuelle ample, apte à maîtriser les exigences du temps pour éviter la variable de l’incertitude qui peut échapper à l’homme.

Et cette faiblesse, plutôt ce défaut, on le voit s’exprimer sous la forme arrogante et naïve dans la «supériorité» de ces «civilisés». Ils pensent le neutraliser ou rivaliser avec le temps simplement par le verbiage de discours qu’on appelle la fuite en avant. Dans la guerre, le temps est ce maître des horloges car il est à la fois un facteur et une matrice. Lui faire jouer une fonction pour satisfaire une envie ou vivre un fantasme ne garantit pas la victoire. Ce genre de fantasme se prête sur une scène de théâtre où l’on peut faire son cinéma… la réalité est plus complexe et âpre, c’est ce qui fait sa beauté et notre attachement à la vie.

A. A.

1- Le temps, c’est de l’argent expression populaire, sans doute héritée de time is money en vogue dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis.


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