Le Boom de l’or au Soudan

Enjeux et perspectives pour les acteurs nationaux

Raphaëlle Chevrillon-Guibert

La perte de la rente pétrolière du Soudan du Sud, devenu indépendant en 2011, associée à la baisse mondiale des cours du pétrole, a plongé le Soudan dans une crise économique dramatique. Dans les années 2000, la hausse concomitante du prix des minerais, et plus particulièrement de l’or, a entraîné un regain d’intérêt du régime de Khartoum pour les activités minières. Cet article détaille les stratégies déployées par le gouvernement soudanais pour faire des activités minières sa planche de salut, notamment en encourageant le développement d’une production industrielle et en réorganisant la filière de commercialisation de l’or. Pour mettre en lumière les conséquences de ces nouvelles politiques économiques sur les rapports de pouvoir entre État et société, mais également entre les territoires, il étudie les modalités selon lesquelles les acteurs économiques ont réagi aux nouvelles occasions qui leur étaient offertes ainsi qu’aux nouvelles contraintes qui leur ont été imposées. Cette analyse est fondée sur un travail de terrain mené à Khartoum en avril 2014, juin 2015 et avril 2016. Haut de page

PLAN

1. Introduction

2. Le mythe de l’État développeur

3. Sauver le mythe : l’économie minière, une planche de salut pour Khartoum ?

4. Les entreprises minières et le gouvernement central au cœur de la nouvelle économie minière

5. Les enjeux du contrôle d’un secteur artisanal en sursis

6. L’adaptation des acteurs économiques soudanais

7. Conclusion : le renforcement d’un développement inégal ?

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TEXTE INTÉGRAL

1. Introduction

  • 1  En 2013, le Soudan déclarait avoir exporté 40 433 971 barils de brut contre 132 101 228 au moment (…)
  • 2  Idem.

1L’indépendance du Soudan du Sud proclamée en juillet 2011 a marqué un tournant décisif dans l’histoire du Soudan, non seulement parce qu’elle a compromis l’avenir commun envisagé par les colonisateurs du pays pour des régions aux trajectoires historiquement très différentes mais intimement mêlées depuis plusieurs siècles, mais aussi parce qu’elle a déstabilisé l’avenir immédiat du régime de Khartoum. Suite à cet événement, le gouvernement central a perdu le contrôle de près des deux-tiers des champs pétroliers exploités du pays et donc de la rente pétrolière connexe1. Compte tenu de l’effondrement concomitant des cours du pétrole, le gouvernement de Khartoum a subi une considérable perte de revenus. En 2010, le Soudan déclarait exporter pour USD 9,69 milliards de produits pétroliers contre seulement USD 627 millions en 20152.

  • 3  En 2011, les autorités soudanaises ont élaboré un plan d’urgence pour pallier cette situation. Il (…)

2Dans les années 2000, alors que la production nationale de pétrole atteignait son maximum, la rente pétrolière ne représentait qu’une faible part du PIB national. Mais elle jouait un rôle déterminant dans l’économie soudanaise puisqu’elle apportait l’essentiel des devises étrangères et représentait plus de la moitié des revenus du gouvernement central. Grâce à cette manne précieuse, le régime a multiplié les projets de développement (routes, ponts, barrages) pendant plus d’une décennie et créé de nombreuses subventions, s’affirmant comme un « État développeur » aux yeux des populations (Jones et al., 2013). Cette rente lucrative a également permis au régime de s’assurer différents soutiens. Sa perte a plongé le pays dans une terrible crise économique qui n’a épargné aucun acteur et a constitué un véritable défi pour le régime. De nombreuses entreprises étrangères ont quitté le pays, nombre d’entreprises nationales ont fait faillite et les autres résistent difficilement. Dans un pays confronté à une inflation galopante, à des pénuries de produits d’importation et à une augmentation du prix des transports, la vie quotidienne de millions de Soudanais est devenue insoutenable, d’autant plus que le gouvernement a supprimé la plupart des subventions relatives aux denrées de base en multipliant les plans d’austérité pour rétablir l’équilibre de ses comptes3. Le gouvernement soudanais envisage également un certain nombre de réformes économiques visant à développer des alternatives à cette rente, notamment dans le domaine de l’exportation des produits agricoles et miniers.

  • 4  Pour une présentation de ce projet collectif, voir http://socextra.hypotheses.org/ (consulté le 15 (…)
  • 5  Il reprend également des informations issues d’entretiens menés durant nos recherches doctorales e (…)

3Dans le contexte économique soudanais, ces nouvelles orientations vers des secteurs plus ouverts aux acteurs nationaux suscitent beaucoup d’espoir ; de nombreux investisseurs soudanais espèrent bénéficier de ces nouvelles mesures. Cette réforme du secteur minier introduite par le régime de Khartoum et les réactions qu’elle suscite parmi les acteurs économiques soudanais font l’objet de cette contribution. Il s’agit d’analyser les modalités de mise en œuvre de cette réforme ainsi que ses conséquences sur le fonctionnement concret du secteur, mais aussi les réactions des acteurs, commerçants et entrepreneurs ainsi que les stratégies économiques qu’ils ont élaborées. Ce travail montre les conséquences de ces nouvelles politiques économiques sur les rapports de pouvoir entre l’État et la société, mais également entre les territoires. Il s’inscrit dans une réflexion personnelle plus large sur les pratiques autoritaires lues à travers le prisme des activités économiques, mais également dans une réflexion collective sur les conflictualités liées aux ressources minières du Sahel4. Cet article est principalement fondé sur un travail de terrain mené en avril 2014, juin 2015 et avril 2016 à Khartoum5.

2. Le mythe de l’État développeur

  • 6  Dans le sens qu’en donne Antonio Gramsci (1996), selon qui le capitalisme entre dans une « phase h (…)

4Avant même leur prise de pouvoir en 1989, les islamistes étaient particulièrement préoccupés par le contrôle qu’ils pouvaient exercer sur l’économie. À leurs yeux, la conquête du pouvoir et la création d’une nouvelle alliance hégémonique6 étaient intrinsèquement liées à une mainmise sur le jeu économique ainsi qu’à la création de nouvelles rentes qu’il leur serait possible de distribuer en échange du soutien populaire qui leur faisait initialement défaut. Une fois ce soutien acquis, ils ont œuvré à la mise en œuvre de leurs autres priorités.

5Avant 1989, les islamistes ont élaboré leur stratégie en occupant les interstices des jeux politique et économique. Ils ont notamment conquis une place centrale dans le secteur financier à partir des années 1970, en jouant le rôle d’intermédiaires dans les circuits de remise des fonds rapatriés par les émigrés soudanais dans le Golfe. Après leur prise de pouvoir, ils ont indéniablement gagné en puissance. Ils ont investi directement l’État et l’économie en évinçant les élites de l’ancienne alliance. Au tournant des années 2000, le développement de l’industrie pétrolière a véritablement décuplé le pouvoir détenu par les islamistes en mettant à leur disposition une manne susceptible d’être redistribuée à leurs partisans, de leur permettre de gagner de nouveaux soutiens et de garantir le financement des projets de développement prévus pour certains territoires. L’économie pétrolière a permis l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie islamiste entièrement acquise au régime. Elle a également servi de fondement à une profonde réorganisation des rapports de pouvoir dans un contexte où le régime a cessé de s’appuyer sur sa légitimité religieuse, celle de la révolution islamique, pour revendiquer une légitimité modernisatrice, celle de l’État développeur. Selon Jones, Soares de Oliveira et Verhoeven (2013), dans ce dernier modèle, les détenteurs du pouvoir justifient leur place par la transformation de l’économie qu’ils mettent en œuvre et les bienfaits matériels qui en découlent. Dans ce but, ils se sont principalement appuyés sur deux stratégies économiques. La première consiste à créer des rentes en limitant l’accès à certaines ressources, à opérer une régulation sélective de l’économie, à nommer des proches de façon discrétionnaire, etc. Il s’agit donc de déployer un ensemble de pratiques que l’on peut qualifier de pratiques clientélistes classiques. La deuxième stratégie est considérée comme plus innovante pour l’Afrique. Elle consiste en une série d’initiatives gouvernementales – que les trois auteurs qualifient d’audacieuses – visant à créer de nouvelles rentes susceptibles d’être distribuées aux groupes spécifiques que le régime espère gagner à sa cause. Le développement des secteurs pétrolier et minier illustre particulièrement bien cette seconde stratégie.

6Dans les années 2000, le secteur pétrolier en développement a adopté une structure assez typique des économies d’enclave (Patey, 2014), fondée sur l’exercice d’un contrôle direct par les autorités nationales, et en leur sein par certains groupes de pouvoir. Bien que la production soit située dans les régions périphériques du pays, ce contrôle s’opère exclusivement depuis Khartoum. Le secteur fonctionne donc de façon très indépendante du jeu économique national et en particulier des autorités infranationales (États fédérés, autorités locales, etc.), des acteurs économiques nationaux et de la vaste majorité du territoire national. Néanmoins, la population bénéficie indirectement des retombées de ce secteur par le biais des investissements gouvernementaux dans les infrastructures, des diverses subventions aux produits de base ou à l’essence, ou encore de la croissance économique qu’elle stimule. Mais ces bénéfices sont très inégalement répartis sur le territoire, les zones privilégiées étant Khartoum, les grandes villes du pays ainsi que les régions d’origine de certains groupes favorisés par le régime.

7Dans la pratique, le secteur est géré par le ministère du Pétrole et du gaz ainsi que par la Sudanese Mineral Resources Company, une agence chargée de la coordination et de l’exécution des décisions. Dotée d’un statut politico-administratif spécifique qui la dispense de se soumettre aux lourdeurs du droit public, cette agence gouvernementale a vocation à travailler de manière plus efficace. De même, le profil des employés de cette agence – des ingénieurs diplômés des meilleures universités mondiales – témoigne de la vision très spécifique du développement adoptée par les islamistes. Ces ingénieurs constituent la plus brillante élite du pays, qui seule est à même d’en assurer le développement. Aux yeux des islamistes, seules des « enclaves bureaucratiques d’excellence », pour reprendre les termes de Jones, Soares de Oliveira et Verhoeven, sont susceptibles de permettre une refonte en profondeur des modalités de la production économique et donc du développement du pays.

8Le régime islamiste en place encourage, par des moyens bien spécifiques, le développement d’un secteur minier doté de caractéristiques similaires à celles du secteur pétrolier : une production minière moderne, c’est-à-dire industrielle ou tout au moins semi-industrielle.

  • 7  C’est en tout cas le chiffre qu’annonce le ministre en charge du secteur. Il est toutefois extrême (…)
  • 8  L’Agreement on Wealth Sharing, signé en janvier 2004, fait partie des accords du Comprehensive Pea (…)

9L’extraction minière, et plus particulièrement l’exploitation aurifère, constitue une activité historique au Soudan (Ille, 2011). À l’heure actuelle, elle emploie vraisemblablement plus d’un demi-million de personnes7, sans toutefois avoir jamais véritablement occupé une place centrale dans le dispositif économique du pays principalement tourné vers l’agriculture, et plus récemment, vers le pétrole. Cependant, la hausse des prix de l’or ainsi que les avantages offerts par une rente pleinement contrôlée ont conduit le régime de Khartoum à envisager très tôt de développer le secteur aurifère pour remplacer celui du pétrole s’il venait à disparaître, une éventualité envisagée dès janvier 2004 lors de la signature de l’accord de partage sur les ressources avec la rébellion du Sud8.

3. Sauver le mythe : l’économie minière, une planche de salut pour Khartoum ?

  • 9  Cet aspect fait l’objet de recherches menées conjointement  avec Alice Franck (Paris 1-PRODIG) don (…)

10Les orientations du plan stratégique du gouvernement pour la période 2005-2011 témoignent du fait que le régime de Khartoum a anticipé les conséquences d’une potentielle séparation de la partie Sud du pays qui abrite l’essentiel des puits de pétrole. Ce plan a pour principal objectif la diversification des activités exportatrices par le biais d’encouragements à l’exportation de bétail9, de certains produits agricoles (sucre, céréales) et de minerais (or essentiellement). Il vise à favoriser un développement axé sur la zone située entre Dongola au Nord, Sennar à l’Est et le Kordofan au Sud, une zone connue sous le nom de triangle de Hamdi (Abdullahi A. Gallab, 2016, 195-196) – du nom de celui qui a été notamment le grand architecte des politiques de libéralisation et de privatisation du régime dans les années 1990.

  • 10  Entretiens et observation à l’agence, Khartoum, juin 2015.

11Dans le domaine minier, le plan fait clairement état de la volonté gouvernementale de favoriser l’industrialisation du secteur, bien que l’exploitation artisanale et semi-mécanisée représente l’essentiel de la production nationale de minerais (principalement de l’or). Pour cela, comme dans le secteur pétrolier, le gouvernement de Khartoum a créé une agence gouvernementale adossée au ministère des Mines et chargée de la supervision de toutes les étapes du processus de production des entreprises minières habilitées à travailler au Soudan, de l’élaboration du business plan jusqu’à la phase de production finale. Le profil des candidats recrutés dans cette nouvelle agence, tout comme les discours tenus par son directeur, témoignent encore une fois de la croyance tenace en la nécessité de confier la gestion du pays à ceux que Jones, Soares de Oliveira et Verhoeven (2013, 15) nomment des mandarins éclairés, omniscients et capables de mettre en œuvre les connaissances « sacrées » de la science moderne pour guider les masses arriérées10.

12Grätz (2013) rapporte l’inefficacité des mesures coercitives prises par les gouvernements ouest-africains pour contrôler l’exploitation artisanale et informelle de l’or. Il montre que la répression, les confiscations, les déplacements, les destructions de mines informelles ou encore le contrôle des accès aux sites miniers n’ont pas eu les résultats escomptés. Si ces mesures ont grandement influencé l’organisation sociale de l’exploitation informelle de l’or, elles sont loin de l’avoir fait disparaître. Grätz explique que ces mesures ont au contraire permis l’émergence de modèles d’organisation transitoires et labiles, fondés sur l’utilisation de camps plus petits et mobiles, sur un partage immédiat des gains entre les membres du camp ou encore sur des méthodes d’extraction plus précaires.

  • 11  Observations et entretiens dans les zones minières de l’État de la vallée du Nil, novembre 2016.

13Plus nuancé dans son approche, le régime soudanais entend instaurer un contrôle drastique de la production artisanale alors qu’il avait initialement choisi de l’interdire pour promouvoir à sa place le secteur industriel. Cette prise en main du secteur s’est principalement opérée par le biais de l’instauration d’un système monopolistique dans le commerce de l’or produit artisanalement, un système contrôlé par deux acteurs principaux : la Banque centrale du Soudan et sa propre raffinerie. Elle s’est également traduit par le déploiement de nouvelles stratégies de taxation des producteurs dans les zones minières11.

  • 12  Il convient de garder à l’esprit le fait que, dans de nombreux pays sahéliens, le « boom » de l’or (…)

14La nouvelle législation concernant les activités minières mise en place à la fin des années 2000 interdisait l’essentiel des activités des mineurs artisanaux. Néanmoins, rapidement, la prise de conscience du régime du rôle de ces derniers dans la production de l’or a conduit à ce que leur travail soit finalement toléré. Désormais, seul le commerce illégal connaît une forte répression par le gouvernement soudanais. La production artisanale se trouve donc désormais tolérée dans la mesure où elle représente l’essentiel de la production du pays (entre 85 et 90 pour cent, selon les estimations du ministère) et emploie de nombreuses personnes12.

  • 13  Présentation d’un fonctionnaire du Ministère des mines : Suliman Ibrahim, Mohamed (2015). Artisana (…)
  • 14  Entretien avec un cadre de l’entreprise Ariab Mining, juin 2015 ; entretiens et observation, novem (…)

15Sur le terrain, cette nouvelle tolérance s’est accompagnée d’un encouragement du gouvernement à la mécanisation des activités artisanales, ce que traduit la  forte augmentation des licences accordées dans ce secteur13. Il faut noter également que les activités de ces mineurs sont fortement appréciées par les entreprises minières en quête de zones à exploiter puisqu’elles orientent les recherches sur le vaste territoire soudanais qui est aujourd’hui encore en grande partie inexploré14.

  • 15  Entretien avec le président de l’union des travailleurs du secteur minier artisanal de la localité (…)

16À l’heure actuelle, le régime souhaite donc éradiquer l’exploitation artisanale à long terme, mais il agit conformément à son intérêt immédiat en la tolérant pour atteindre des quotas de production suffisants pour rééquilibrer sa balance monétaire et pour préserver les emplois offerts à une population encline à contester sa domination si toutefois il se trouvait dans l’incapacité de maîtriser la situation économique désastreuse. Le gouvernement central tient donc un double discours en encourageant simultanément le secteur industriel et le secteur artisanal. Néanmoins, le secteur artisanal n’est que toléré du fait de l’imprécision volontaire des textes législatifs ; rien n’est fait pour garantir les droits des producteurs artisanaux15. Les travailleurs de ce secteur, dépendants de l’arbitraire du pouvoir, évoluent donc dans un contexte de plus en plus précaire.

  • 16  Le volume et la valeur des produits exportés en USD sont disponibles sur le site de la Banque cent (…)
  • 17  Sudan Tribune, 7/07/2014. 
  • 18  Sudan Tribune, 10/09/2015. Les chiffres annoncés par la Banque centrale sont plus faibles, avec un (…)

17La stratégie minière du régime semble fructueuse puisque le montant actuel des exportations du secteur minier est aussi élevé que celui du pétrole. Les statistiques officielles de 2014 indiquent que le pays a exporté pour USD 1,27 milliard d’or contre USD 1,25 milliard de pétrole, USD 792,9 millions de bétail et USD 466,3 millions de sésame (Sudan, 2014). Les chiffres du FMI montrent que l’or ne représentait que 13 pour cent des exportations soudanaises en 2011, contre 42 pour cent en 2012 et 36 pour cent en 2013, alors même que les exportations de produits pétroliers avaient à nouveau augmenté grâce au transit du pétrole du Soudan du Sud (IMF, 2014)16. Au début de l’année 2013, le gouvernement a annoncé la découverte de nouvelles réserves d’or estimées à 260 tonnes, près de la localité d’Abu Hamed dans l’État du Nil. La véracité des annonces de ce type reste difficile à vérifier tant celles-ci s’inscrivent dans une stratégie politique de légitimation. Toutefois, l’objectif affiché par le ministre des Mines, Ahmed Mohamed Sadiq al-Karuri, est que le Soudan devienne, d’ici 2018, le second producteur africain d’or après l’Afrique du Sud17. Aujourd’hui, le gouvernement soudanais estime partager la troisième place avec le Mali, après le Ghana et l’Afrique du Sud, avec une production annoncée de 34 tonnes en 2013, et de 80 tonnes en 201518.

18Le boom minier que connaît le Soudan et la restructuration mise en œuvre sous l’impulsion du régime de Khartoum participent d’une refonte en profondeur des rapports entre État et société, mais également entre les territoires du fait de la localisation des zones minières et des instances de contrôle, de l’origine des acteurs concernés, etc. Ce travail ne prétend pas mettre au jour l’ensemble des acteurs concernés mais esquisser quelques traits des grands gagnants du nouveau système et des stratégies d’adaptation des acteurs nationaux à ces nouvelles occasions offertes et à ces nouvelles contraintes.

4. Les entreprises minières et le gouvernement central au cœur de la nouvelle économie minière

  • 19  Plusieurs règlements relatifs notamment aux activités artisanales ont été établis et parfois amend (…)
  • 20  Entretiens, différentes localités minières de l’État de la vallée du Nil et Khartoum, novembre 201 (…)

19En janvier 2007, l’Assemblée nationale a voté le Mineral Ressources and Mining Development Act (MRMDA) qui s’est substitué au Mining and Quarries Act de 1972. Cette nouvelle législation a constitué le socle des projets gouvernementaux et établi de nouvelles bases légales régissant les rapports entre l’État, le foncier, les ressources du sous-sol, les usagers de la terre et les investisseurs du secteur. Cette nouvelle législation est particulièrement favorable à la production industrielle de par la taille, la durée et le type de contrat proposé aux entreprises minières. Le MRMDA, complété entre 2010 et 2015 par différents règlements et par une nouvelle loi en 201519, distingue les activités artisanales des activités industrielles. En définissant ce que sont des activités artisanales au regard de la loi, il exclut en réalité un certain nombre d’activités d’ordinaire pratiquées par les mineurs artisanaux au profit des entreprises industrielles d’exploitation des minerais (Calkins et Ille, 2014)20.

20Du point de vue des acteurs gouvernementaux, cette législation favorise également le gouvernement national, seule entité autorisée à accorder des concessions minières. En outre, le gouvernement a le pouvoir de créer des incitations visant à attirer les capitaux étrangers (par la taille des concessions, la durée des contrats, les exonérations diverses notamment des frais annuels de location, etc.). Avant même la séparation du Sud, le gouvernement soudanais avait déjà accordé à des entreprises l’autorisation d’explorer de nombreux territoires et attribué des licences de prospection et d’exploitation à de nombreuses entreprises nationales et internationales.

  • 21 Sudan tribune, 7/10/2014. Le rapport estime les réserves soudanaises à 700 000 tonnes de chrome, 10 (…)
  • 22  Entretiens, Khartoum, juin 2015 ; Sudan Tribune 9/07/2015 ; voir aussi l’article de Zachary J. Ros (…)
  • 23  Présentation officielle d’un agent du ministère des mines lors d’une journée de promotion du secte (…)

21Ce discours favorable aux investisseurs a bien sûr été accueilli favorablement par les acteurs économiques nationaux mais aussi internationaux, notamment par ceux du monde arabe avec lequel le Soudan entretient des relations depuis longtemps. Récemment, un rapport de l’organisation minière et du développement industriel arabe (AIDMO) a confirmé l’intérêt du secteur minier arabe pour le Soudan en indiquant que ce dernier disposait de réserves importantes d’or, de chrome et de manganèse21. Aujourd’hui, plus de 130 entreprises dont 15 étrangères disposent de ces licences22. En outre, près de 350 entreprises du secteur semi-mécanisé et semi-industriel se sont également vu accorder une licence23.

  • 24  Observations et entretiens dans les zones minières de l’État de la vallée du Nil, novembre 2016.

22Calkins et Ille (2014) décrivent le gouvernement national comme un point de passage vers les ressources aurifères du Soudan. Celui-ci joue le rôle de médiateur entre le capital mondial et les territoires. Ces auteurs montrent que la loi qui accorde les pleins pouvoirs au gouvernement national permet à ce dernier de nier les préoccupations des personnes qui vivent et utilisent les territoires donnés en concession. Les contrats d’exploitation ne tiennent pas compte du fait que les terres allouées aux investisseurs étrangers ou nationaux ne sont pas inhabitées et qu’elles sont souvent utilisées par les populations locales pour les pâturages de saison et l’agriculture pluviale. Au niveau des zones minières, il n’est pas rare que des conflits éclatent entre les entreprises et les mineurs artisanaux qui travaillent sur les territoires qui leur ont été donnés en concession24.  

  • 25  Entretiens avec des investisseurs soudanais, Khartoum, juin 2015.

23Mais, si cette nouvelle législation affaiblit considérablement les autorités locales en leur déniant tout rôle dans la passation des contrats, celles-ci conservent en pratique un rôle dans le processus. Elles autorisent en effet l’accès au terrain à des milliers de chercheurs d’or qui, localement, font fi des accords gouvernementaux en extrayant le précieux minerai dans les zones réservées aux projets miniers promus par l’État. Elles jouent également un rôle de médiation entre les investisseurs nationaux qui lancent leurs activités dans une nouvelle concession et les populations locales, notamment en cas de conflit. En pratique, les investisseurs nationaux tentent le plus souvent de gagner le soutien des autorités locales avant de solliciter une licence auprès du gouvernement central. Les entreprises étrangères font de même, souvent par le biais d’un partenaire local engagé dans ce but25.

  • 26  Observations et entretiens dans les zones minières de l’État de la vallée du Nil, novembre 2016.

24Enfin, elles jouent également un rôle dans la taxation de la production artisanale qui s’opère localement au moment de la raffinerie du matériel extrait par les mineurs du sol et sur les machines utilisées par ces derniers. Cependant à ce sujet, leur rôle tend à diminuer depuis 2015 où le gouvernement a choisi de mandater la Sudanese Mineral Resources Company pour effectuer ces opérations de taxation, un point qui suscite de vives contestations dans certaines localités minières26.

  • 27  Entretiens avec des investisseurs soudanais, Khartoum, juin 2015 ainsi qu’en avril 2014 et entreti (…)

25S’il est désormais interdit à un producteur artisanal d’exporter son or, les entreprises industrielles ou semi-mécanisées le peuvent toujours. Mais, outre la licence d’exportation qu’il leur faut obtenir du ministère du Commerce, les entreprises sont également tenues d’utiliser la raffinerie de la Banque centrale et d’obtenir ensuite une autorisation spécifique de cette même institution sur laquelle sera spécifié la quantité d’or exportée. L’entreprise doit ensuite rapatrier au Soudan les devises étrangères obtenues grâce à la vente de l’or, des devises qui seront ensuite consignées à la Banque centrale. Les entreprises souhaitant retirer leurs devises doivent justifier de leur utilisation (développement de l’entreprise, achat de produits importés, etc.) ou les convertir en monnaie locale. Des agents de la Banque centrale sont chargés de surveiller les entreprises dans les Émirats arabes unis qui traitent l’essentiel des transactions, et ce dans le but de s’assurer que les fonds issus des ventes ne soient pas en partie détournés vers des comptes offshore27.

  • 28  Entretiens à l’agence, Khartoum, juin 2015.

26La Banque centrale est particulièrement bien informée sur les circuits de l’or du fait de l’obligation faite aux entreprises de raffiner au Soudan l’intégralité de l’or qu’elles exportent. L’agence gouvernementale créée sur le modèle de celle du le secteur pétrolier a elle aussi pour objectif à peine voilé d’encourager la production minière par le biais de la modernisation des techniques et de la rationalisation des procédures, mais également de donner au régime un droit de regard sur les faits et gestes des entreprises28.

27De nombreuses mesures ont donc été prises pour encourager l’essor de la production minière industrielle dans son ensemble. Cependant, les progrès accomplis à ce jour sont en grande partie imputables à l’amélioration de la qualité de l’or produit par le secteur artisanal qui a bénéficié de l’ouverture d’une raffinerie à Khartoum en septembre 2012 ainsi que de la création du système monopolistique contrôlé par la Banque centrale du Soudan permettant l’exportation de l’or produit artisanalement.

5. Les enjeux du contrôle d’un secteur artisanal en sursis

28Si la réforme du secteur minier vise à les éliminer à terme, les activités artisanales demeurent pour l’instant essentielles pour le régime qui entend en contrôler les bénéfices. À cette fin, Khartoum a adopté une stratégie fondée sur l’augmentation de la production artisanale grâce à la mécanisation des activités, à l’amélioration de la qualité de l’or produit grâce à l’utilisation d’une raffinerie mais aussi, et surtout, sur le contrôle de sa commercialisation. Cette nouvelle organisation vise à faire de la Banque centrale l’acheteur ultime de l’or produit artisanalement au Soudan, son unique vendeur sur le marché international et le seul bénéficiaire des devises étrangères qui lui font tant défaut.

  • 29  Le Nord espère toujours en bénéficier par l’imposition de taxes de transit sur le pétrole emprunta (…)

29La baisse colossale des exportations pétrolières depuis la séparation du Soudan du Sud et la chute des cours du pétrole ont amené le pays au bord de la banqueroute. Le pays a notamment souffert d’un manque drastique de devises fortes dans les caisses de la Banque centrale devenue incapable d’alimenter les banques commerciales en devises étrangères et de jouer son rôle de régulation et de stabilisation du système monétaire. Les réévaluations successives du taux de change officiel ou l’imposition de conditions strictes relatives au transfert de devises « fortes » à l’étranger n’ont pas suffi à tarir le marché parallèle qui reste florissant29.

30Cet article n’a pas vocation à évaluer la justesse des choix gouvernementaux mais à souligner le caractère critique du manque de devises étrangères et donc l’importance du commerce de l’or et surtout de son exportation à un moment où les cours internationaux sont encore particulièrement hauts. La réorganisation du secteur minier mise en œuvre par le gouvernement soudanais vise donc notamment à renflouer les caisses vides de la Banque centrale. Il s’agit sans doute même de son principal objectif à court terme.

  • 30  Les informations qui suivent proviennent de nos entretiens menés à Khartoum en avril 2014, juin 20 (…)

31Ainsi, dès 2012, le gouvernement soudanais a créé de toute pièce un monopole d’exportation de l’or artisanal à son profit, et ce bien que le pays se targue de mener des politiques économiques libérales. Depuis cette date, seule la Banque centrale du Soudan est autorisée à exporter l’or produit par le secteur traditionnel30.

32Chaque matin, la Banque centrale fixe le prix auquel elle achètera l’or dans la journée et, à partir de ce montant donné, l’ensemble des intermédiaires entre les producteurs et la Banque tente de négocier des marges bénéficiaires. Pourtant, le système initialement conçu par le gouvernement limitait le nombre d’intermédiaires susceptible de vendre à la Banque l’or produit artisanalement. Seuls quelques uns étaient habilités à devenir les intermédiaires finaux de la Banque – en 2015, ils n’étaient que cinq. Ce nombre n’était officiellement pas fixe et chaque commerçant en mesure de faire un dépôt de 85 kilos d’or à la Banque centrale (par l’intermédiaire de sa raffinerie) était censé pouvoir obtenir une accréditation. Mais, en réalité, il était apparemment très difficile de l’obtenir. À l’origine, la quantité nécessaire pour obtenir une accréditation était même supérieure (300 kilos), mais elle a été réduite sous la pression de certains acteurs du secteur, ce qui a permis l’entrée de deux nouveaux intermédiaires au plus haut niveau de la chaîne commerciale. Au début de l’année 2016, le dépôt minimal de 85 kilos a lui aussi été supprimé suite à un lobbying intense des commerçants de l’or – rassemblés au sein de la fédération des unions des commerçants de l’or – auprès de la branche en charge des activités d’exportation au sein de la chambre de commerce du Soudan. Les commerçants sont très satisfaits du succès de leur action mais restent extrêmement critiques à l’égard du gouvernement et de sa politique de monopole qu’ils jugent inappropriée et irréaliste. Selon eux, la lourdeur des procédures de cette institution publique et l’absence de concurrence placent la Banque centrale en situation de faible compétitivité face aux acteurs privés du marché international et lui imposent de vendre son or à un prix inférieur à celui du marché international. En 2013, le FMI a par exemple estimé que, en moyenne sur l’année, l’or de la Banque centrale du Soudan avait été vendu à un prix inférieur de 0,21 $ par once à celui du marché international et ce, bien que la Banque achète la production des mineurs artisanaux au prix du marché international (IMF, 2014).

  • 31  En avril 2016, les effets de la suppression du monopole des cinq grands commerçants ne se faisaien (…)

33En outre, alors que les zones de production se trouvent loin de la capitale, dans les diverses régions du Soudan, la réorganisation mise en œuvre sous l’impulsion du régime soudanais a concentré dans la capitale les clefs du secteur, qu’il s’agisse du monopole commercial de la Banque centrale, des intermédiaires principalement basés dans le marché de l’or de Khartoum31, du rôle du gouvernement central et de son ministère des Mines dans l’attribution des autorisations et la gestion des procédures, ou encore de la raffinerie elle aussi située à Khartoum.

  • 32  Sudan Tribune, 10/06/2014.
  • 33  Les acteurs du marché noir sont régulièrement arrêtés et emprisonnés. Certains sont placés en rési (…)
  • 34  Sudan Tribune, 27/05/2014.
  • 35  Sudan News Agency, 3/08/2015.

34Néanmoins, le fait qu’il existe un décalage spatial entre le lieu de production et celui des procédures et de la commercialisation finale de l’or permet à différents acteurs de disposer d’une certaine marge de manœuvre, parmi lesquels les collectivités locales et les acteurs des zones de production (Calkins et Ille, 2013 ; Tubiana, 2014 ; Ille, 2016), les commerçants intermédiaires et ceux qui souhaitent établir des circuits parallèles. En 2014, des agents du gouvernement ont estimé que les deux-tiers de la production artisanale échappaient au circuit officiel32. Pour limiter la contrebande d’or, le ministre des Mines, en accord avec la Banque centrale, a donc annoncé en 2014 l’ouverture de points d’achat dans tous les États producteurs d’or qui viendraient s’ajouter à ceux de Khartoum. Parallèlement à la lutte féroce menée par le gouvernement central contre le marché noir de l’or33, des mesures incitatives ont été élaborées dans le but d’offrir aux producteurs des prix particulièrement attractifs supérieurs à ceux du marché international34. En août 2015, une directive présidentielle a annoncé l’intention du gouvernement de racheter l’intégralité de l’or produit par les producteurs artisanaux35. Dans les faits, la Banque centrale a fait tourner la planche à billets pour acheter l’or aux producteurs locaux au prix élevé du marché noir avant de le revendre sur le marché international en utilisant le taux de change officiel beaucoup plus bas. Les experts du FMI ont condamné ce choix peu viable à long terme. Ils estiment que les injections massives de liquidités effectuées dans ce cadre pendant trois ans ont alimenté l’inflation déjà galopante (FMI, 2014).

35L’interdiction d’exporter hors monopole et la politique de rachat à prix fort de la Banque ont conduit à de profonds remaniements des filières du commerce de l’or. Les commerçants qui exportaient de l’or avant 2012 et qui ont été sommés d’interrompre leurs activités pour se concentrer sur le seul marché national ont subi des pertes considérables, d’autant plus qu’ils bénéficiaient de marges très importantes depuis la flambée du prix de l’or de 2007. Certains se sont néanmoins adaptés à cette nouvelle donne économique.

6. L’adaptation des acteurs économiques soudanais

  • 36  Entretiens, Khartoum 2009 et juin 2015.

36Les grands commerçants qui trônent aujourd’hui au sommet de la pyramide du système de commercialisation de l’or artisanal sont, pour la plupart, des acteurs historiques du secteur. Parmi les cinq commerçants qui avaient été habilités à revendre l’or à la Banque centrale, on peut par exemple évoquer l’éminent cheikh de la famille Tbydi dont les membres travaillent depuis plusieurs générations dans le commerce de l’or36. Certains sont des proches directs du régime et les autres font pour le moins partie de la bourgeoisie qui a prospéré sous la domination islamiste, qu’il s’agisse de membres de l’ancienne bourgeoisie qui ont été intégrés dans la nouvelle alliance hégémonique ou d’acteurs qui ont émergé dans ce contexte (Chevrillon-Guibert, 2017). Trois de ces entreprises commerciales habilitées à vendre l’or à la Banque centrale sont particulièrement connues pour leurs liens avec l’appareil d’État. L’une d’elles est par exemple dénoncée par ses concurrents parce qu’elle est détenue à un haut fonctionnaire de la Banque centrale.

  • 37  Seul le secteur industriel des grandes mines est ouvert aux entreprises étrangères.

37Dans les secteurs industriel, semi-industriel, et celui artisanal mécanisé les incitations gouvernementales conjuguées à la crise économique que connaît le pays et à la hausse du prix de l’or à l’échelle internationale ont trouvé des échos très favorables chez de nombreux investisseurs nationaux et internationaux37.

38Parmi les grands investisseurs nationaux, le secteur très prisé du recyclage des résidus miniers du secteur artisanal attise de fortes convoitises mais il semble être réservé aux alliés directs du régime.

  • 38  Entretiens avec des entreprises minières internationales, Khartoum, avril et novembre 2016
  • 39  Entretiens Khartoum, juin 2015.

39La situation particulière du Soudan – notamment l’embargo américain, mais aussi les liens privilégiés que le pays entretient avec d’autres pays du monde musulman (notamment l’Arabie saoudite et la Turquie) ou encore avec des puissances comme la Chine (Large et Patey, 2011) – colore de façon spécifique le spectre des entreprises internationales qui investissent aujourd’hui dans le secteur minier soudanais. Depuis que la banque BNP Paribas s’est vu infliger une amende conséquente à cause de ses transactions avec l’Iran et le Soudan notamment, les entreprises occidentales sont plus réticentes à investir au Soudan, d’autant plus que la tendance du régime à changer d’attitude en fonction de l’évolution de la conjoncture nationale ou internationale est susceptible d’effrayer les éventuelles candidates38. En 2014, la compagnie d’aviation Lufthansa qui desservait le pays depuis plus de 50 ans a par exemple décidé de cesser ses activités soudanaises en raison des difficultés qu’elle rencontrait pour travailler dans le pays. Dans le secteur minier, l’entreprise internationale historique Ariab, initialement franco-soudanaise puis soudano-canadienne, a finalement été rachetée par un riche homme d’affaires égyptien proche des Frères musulmans. Faute d’un accord satisfaisant relatif au partage des bénéfices et du pouvoir au sein de l’entreprise, il a revendu l’intégralité de ses parts au gouvernement soudanais39. L’échec de ce partenariat a sans doute été en partie provoqué par la chasse aux sorcières lancée en Égypte contre les Frères musulmans et leurs alliés après leur éviction du pouvoir.

  • 40  Aujourd’hui, l’ONG américaine Enough ! fait campagne pour que l’or produit au Darfour soit considé (…)

40Les conflits qui ravagent certaines zones minières soudanaises inquiètent également les entreprises internationales qui craignent l’instabilité et les risques connexes, mais aussi les potentielles mesures que la communauté internationale pourrait prendre à l’encontre des minerais extraits dans ces régions40.

  • 41  Entretiens Khartoum, avril et novembre 2016.

41Aujourd’hui, une quinzaine d’entreprises internationales et un peu plus d’une centaine d’entreprises nationales ont obtenu des licences de production industrielle. Néanmoins, la taille des projets varie beaucoup et, pour l’instant, la majorité des entreprises sont encore en phase exploratoire. Il semble que seules certaines de celles qui travaillent de façon industrielle à partir des déchets des mineurs artisanaux produisent actuellement de l’or41.

  • 42  Présentation d’un responsable du ministère des Mines à l’intention des investisseurs dans le secte (…)
  • 43  Comme souvent au Soudan quand il s’agit d’activités lucratives que le gouvernement souhaite taxer (…)

42Parallèlement, de nombreuses entreprises nationales ont investi dans des activités mécanisées et semi-mécanisées qui nécessitent une mise de fonds beaucoup moins conséquente. Le ministère des Mines a annoncé que près de 300 petites entreprises avaient obtenu des licences pour mener ces activités de plus petite envergure42. Toutefois, il est difficile de savoir combien d’entre elles sont en phase d’exploitation43.

43Au cours de nos recherches, nous avons plus particulièrement étudié ces petits investisseurs dans le but de comprendre leur nature, leurs pratiques ainsi que les modalités selon lesquelles ils saisissent les occasions créées par ce boom de l’or et réagissent aux contraintes, etc. Ce travail en est à ses prémisses, mais certains points nous semblent déjà pouvoir être relevés.

44Tout d’abord, il semble que les mécanismes de favoritisme classiques soient pleinement opérationnels dans le nouveau système. Les hommes d’affaires ou les proches du régime obtiennent les meilleurs contrats, c’est-à-dire ceux qui leur permettent de bénéficier du partage des bénéfices le plus avantageux avec le ministère des Mines ou des concessions les mieux situées. De manière générale, ils obtiennent également les licences pour exploiter les résidus miniers du secteur artisanal, une activité particulièrement intéressante dans la mesure où elle permet d’extraire l’or à faible coût pour peu que l’on dispose des fonds pour acheter l’usine nécessaires au recyclage des déblais (environ USD 2 millions).

  • 44  Entretiens, Khartoum, juin 2015.

45De nombreux conflits ont éclaté dans les zones connues pour leur potentiel aurifère et donc propices à la concurrence entre investisseurs pour l’obtention des droits d’exploitation. Le cas de Jebel Amir au Darfour est en ce sens assez typique. Cette région a abrité un conflit violent entre des acteurs très proches du régime et d’autres qui l’avaient été auparavant et se sont par la suite trouvés dans l’opposition (Tubiana, 2014 ; Bartlett, 2016). De même, au Kordofan, un conflit moins médiatisé a opposé l’entreprise historique Ariab, pour laquelle le gouvernement cherchait un acquéreur, et un groupe de jeunes investisseurs de la région. Ces derniers ont obtenu légalement une licence pour prospecter sur un espace revendiqué par Ariab. Pour se faire entendre et éviter d’être purement et simplement évincés, ces entrepreneurs ont fait jouer leurs liens avec les élites locales (maires des villages et autorités traditionnelles) qui se sont rendues à Khartoum pour organiser un sit-in dans la salle d’attente du ministère des Mines. Ils ont persévéré pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que leurs doléances soient entendues et reconnues44.

  • 45  Le mouvement islamique, véritable colonne vertébrale du régime à son arrivée au pouvoir en 1989, a (…)

46L’élite moins politisée qui s’est imposée dans le paysage économique du Soudan dans les années 2000 a elle aussi trouvé sa place dans la nouvelle organisation. Elle est néanmoins dépendante de tendances clientélistes similaires à celles opérant dans les milieux proches du régime (de Waal, 2007 ; 2009). Il convient de rappeler que, bien avant son arrivée au pouvoir, le mouvement islamique abritait des élites extrêmement diverses qui se livrent une concurrence féroce au sein même de l’État. Celle-ci se manifeste par des jeux d’alliance au sein même du pouvoir, mais également avec diverses élites économiques et politiques dans les périphéries. La scission du mouvement au tournant des années 200045 a encore accentué le phénomène.

47D’autres acteurs de moindre envergure sont également parvenus à pénétrer ce secteur, des jeunes gens instruits qui voient le boom minier comme une occasion à saisir pour exploiter leur savoir académique dans un contexte où le marché du travail souffre considérablement de la crise. Nombre d’entre eux sortent juste de l’université et ne disposent pas d’une expérience dans le domaine minier. Ils investissent généralement en groupe dans une activité semi-mécanisée car ils ne disposent chacun que d’une faible somme à investir (quelques milliers de USD). Une fois leur licence d’exploration obtenue, certains démarchent des entreprises étrangères pour s’associer avec elles. Dans le cadre de ces partenariats, les entreprises étrangères jouent le rôle de principale source de financement tandis que l’associé soudanais assure le suivi du projet au jour le jour.

  • 46  Le système des transports illustre de façon criante les fortes inégalités qui caractérisent la pol (…)
  • 47  Voir nos remarques quant aux tentatives de certains acteurs américains de faire apparaître l’or so (…)

48Il est intéressant de noter que les entrepreneurs originaires de régions autres que celle de Khartoum cherchent généralement à obtenir des licences pour des concessions situées dans leur territoire d’origine. Ils s’intéressent également à d’autres régions situées au Nord et à l’Est de Khartoum réputées pour leurs réserves de minerais et leur développement et donc plus propice aux activités d’exploitation. Le régime a en effet privilégié cette région en y construisant de grands barrages et en goudronnant plus de 1 000 kilomètres de route entre 2001 et 200946. Le Darfour n’a pas bénéficié du même traitement puisque le projet de route reliant Khartoum à El Fasher et El Geneina, entamé il y a plus de 20 ans, n’est toujours pas terminé. Cette route, baptisée « route de l’Inghaz » (du Salut) – du nom auto-proclamé du régime à ses débuts –, était l’un des projets phares des islamistes à leur arrivée au pouvoir. Mais il n’a jamais abouti. Aux yeux des entrepreneurs nationaux, le Nord et l’Est du pays présentent aussi l’immense avantage de proposer un environnement pacifique plus propice à des activités extractives. De plus, l’or produit dans cette région risque moins d’être considéré comme provenant d’une région en guerre et donc banni de nombreuses transactions internationales, un risque que les investisseurs cherchent à éviter47. Notons également que les régions du Nord du pays attirent les investisseurs pour la faible emprise des autorités traditionnelles qui ont été supprimées depuis plusieurs décennies.

7. Conclusion : le renforcement d’un développement inégal ?

49De manière générale, les différents territoires du Soudan ont très inégalement bénéficié des politiques de développement du régime. Le sous-développement des régions périphériques – aujourd’hui le Darfour ou les régions du Kordofan du Sud, et auparavant le Soudan du Sud – constitue pourtant le cœur des revendications de la plupart des opposants au régime. La problématique centre/périphérie qui se manifeste par le biais de ces différents conflits s’inscrit dans un cadre plus large que la seule discrimination dont sont victimes les personnes issues de ces régions dans l’appareil politique et administratif. Il est nécessaire de prendre en compte les fortes disparités de développement économique que les politiques minières mises en œuvre par le gouvernement ne semblent pas chercher à résoudre. Au contraire, le développement minier voulu par le régime dessine un « espace autoritaire » qui exclut à nouveau les régions périphériques et leurs acteurs. Il se voudrait entièrement contrôlé par le gouvernement central et axé sur certains acteurs économiques dont le régime souhaite obtenir le soutien. Mais nous avons montré que ce projet est loin d’avoir atteint ses objectifs puisque la production d’or est encore en grande partie artisanale, qu’elle s’effectue dans des régions éloignées de la capitale et qu’elle suppose des compromis locaux dans un contexte où le gouvernement central est contraint d’infléchir ses politiques sous la pression de diverses oppositions. L’analyse a par ailleurs permis de constater que le régime soudanais ne fonctionne pas de façon unilatérale mais qu’il s’appuie simultanément sur différentes stratégies mixtes fondées sur des institutions, des réseaux et des moyens juridiques mais aussi sur des approches illégales comme celle d’un patrimonialisme marqué ou encore sur un pouvoir bureaucratique fort, autant de facteurs qui rendent difficile l’appréhension des rapports de domination qui prévalent dans ce système économique.

50Enfin, il est important de prendre en considération le rôle que l’économie minière pourrait jouer dans un certain rééquilibrage territorial. Les mines d’or sont pour la plupart situées dans des régions soudanaises périphériques, et notamment dans celles aujourd’hui en conflit (Darfour, Kordofan du Sud). Leur situation limite intrinsèquement la dynamique inégalitaire des politiques de développement liées notamment au pétrole (mais aussi, historiquement, à l’agriculture d’exportation) à l’origine d’un développement très asymétrique du territoire (Niblock, 1987 ; Chevrillon-Guibert, 2013). Dans le domaine de l’exploitation minière, le déroulement des activités tout comme les conflits qu’elle suscite au niveau local favorisent le redéploiement des stratégies territoriales régionales des investisseurs et atténue ainsi le contrôle total que cherche à instaurer le pouvoir central. Cette logique est particulièrement manifeste dans les activités semi-mécanisées qui attirent les investisseurs soudanais. Le processus des activités minières suppose que les investisseurs se déploient dans les régions, qu’ils trouvent des relais et des compromis avec les acteurs locaux et qu’ils instaurent un système de communication entre leur centre d’exploitation et la capitale, siège des procédures administratives et financières et lieu de résidence de la plupart d’entre eux. Ce fonctionnement diffère profondément des grandes mines industrielles (très peu présentes au Soudan, à l’exception de l’entreprise Ariab) dont les conséquences du système économique sont similaires à celles de l’économie pétrolière, deux économies enclavées qui excluent les territoires et la plupart des acteurs nationaux. Ainsi, les nouvelles politiques perpétuent les asymétries entre les acteurs proches du régime et ceux qui ne le sont pas mais aussi entre les autorités centrales et les autorités locales. Elles provoquent en parallèle une redéfinition des rapports aux territoires régionaux sans pour autant que la structure autoritaire et profondément inégalitaire instaurée par le pouvoir ne soit remise en cause puisqu’elle est l’instrument de sa propre protection.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1  En 2013, le Soudan déclarait avoir exporté 40 433 971 barils de brut contre 132 101 228 au moment où sa production a atteint son maximum (en 2009) ; en 2015, le pays n’a exporté que 12 115 647 barils de brut. Les chiffres officiels sont disponibles sur le site internet de la banque centrale du Soudan dans la rubrique Foreign Trade Statistical Digest http://www.cbos.gov.sd/en/node/478 (page consultée le 6 juin 2016).

2  Idem.

3  En 2011, les autorités soudanaises ont élaboré un plan d’urgence pour pallier cette situation. Il a été remanié en juin 2012 et en septembre 2013. Pour un résumé de ce plan, voir le rapport du FMI (IMF, 2012).

4  Pour une présentation de ce projet collectif, voir http://socextra.hypotheses.org/ (consulté le 15 novembre 2016).

5  Il reprend également des informations issues d’entretiens menés durant nos recherches doctorales entre 2005 et 2011.

6  Dans le sens qu’en donne Antonio Gramsci (1996), selon qui le capitalisme entre dans une « phase hégémonique » lorsque la bourgeoisie domine non seulement du fait de ses capacités de coercition mais également parce qu’elle est devenue la direction politique. Le caractère hégémonique de l’alliance renvoie à « une collaboration pure, c’est-à-dire un consentement actif et volontaire (libre) » de ceux qu’elle domine.

7  C’est en tout cas le chiffre qu’annonce le ministre en charge du secteur. Il est toutefois extrêmement difficile de se faire une idée exacte de ce chiffre tant l’essentiel de cette activité échappe à toute régulation et comptabilité nationale.

8  L’Agreement on Wealth Sharing, signé en janvier 2004, fait partie des accords du Comprehensive Peace Agreement (CPA) marquant la fin de la guerre avec la rébellion du Sud. Ce dernier a été finalisé en 2005.

9  Cet aspect fait l’objet de recherches menées conjointement  avec Alice Franck (Paris 1-PRODIG) dont les résultats ne sont pas encore publiés.

10  Entretiens et observation à l’agence, Khartoum, juin 2015.

11  Observations et entretiens dans les zones minières de l’État de la vallée du Nil, novembre 2016.

12  Il convient de garder à l’esprit le fait que, dans de nombreux pays sahéliens, le « boom » de l’or a principalement été alimenté par le développement d’une production artisanale dans les régions où des filons ont été découverts, un développement qui a attiré des dizaines de milliers de mineurs, voire des millions. L’afflux de mineurs, tout comme les exploitations elles-mêmes ou les nouvelles sources de revenus créées dans des contextes économiques très pauvres, conduisent à de profonds bouleversements à la fois sociaux, économiques et environnementaux (Wadi et Alredaisy, 2015). Les gains potentiels suscitent des espoirs (Schwartzstein et Cecco, 2015) et des convoitises et sont par conséquent à l’origine de nombreux conflits relatifs à l’usage qui doit être fait de ces ressources ou à la répartition des produits de leur exploitation (Bartlett, 2016).

13  Présentation d’un fonctionnaire du Ministère des mines : Suliman Ibrahim, Mohamed (2015). Artisanal Mining in Sudan – Opportunities, Challenges and Impacts. Presentation at the 17th Africa OilGasMine conference, Khartoum, 23-26 novembre.: http://unctad.org/meetings/en/Presentation/17OILGASMINE%20Mohamed%20Sulaiman%20Ibrahim%20S4.pdf (consulté le 17 novembre 2016).

14  Entretien avec un cadre de l’entreprise Ariab Mining, juin 2015 ; entretiens et observation, novembre 2016.

15  Entretien avec le président de l’union des travailleurs du secteur minier artisanal de la localité d’Abu Hamed, également député au parlement national de la circonscription. (Khartoum, novembre 2016)

16  Le volume et la valeur des produits exportés en USD sont disponibles sur le site de la Banque centrale (Sudan, 2014).

17  Sudan Tribune, 7/07/2014. 

18  Sudan Tribune, 10/09/2015. Les chiffres annoncés par la Banque centrale sont plus faibles, avec une estimation de 30,4 tonnes d’or pour 2015, 13 tonnes de fer et de cuivre et 48,4 tonnes de chrome : http://www.cbos.gov.sd/sites/default/files/digest_q4_2015.pdf (page consultée le 6 juin 2016)

19  Plusieurs règlements relatifs notamment aux activités artisanales ont été établis et parfois amendés (l’Artisanal Mining Regulation en 2010et les Regulations for organizing the exploitation of Mineral resources de 2012) ; plusieurs propositions sont en cours d’examen. Une nouvelle loi a également été votée en 2015 : le Mineral Wealth and Mining Resources Development Act 2015.

20  Entretiens, différentes localités minières de l’État de la vallée du Nil et Khartoum, novembre 2016.

21 Sudan tribune, 7/10/2014. Le rapport estime les réserves soudanaises à 700 000 tonnes de chrome, 100 000 tonnes de manganèse, 53 millions de tonnes d’amiante, 25 millions de tonnes de talc, 150 millions de tonnes de gypse, 1,5 million de tonnes de kaolin et plus de 15 millions de tonnes de magnésite.

22  Entretiens, Khartoum, juin 2015 ; Sudan Tribune 9/07/2015 ; voir aussi l’article de Zachary J. Rose« Sudan’s Gold Rush » dans le Geopolitical Monitor du 29/04/2013.

23  Présentation officielle d’un agent du ministère des mines lors d’une journée de promotion du secteur auprès d’opérateurs à Khartoum en septembre 2015 : http://www.mineafrica.com/documents/C5%20Sudan.pdf (consulté 22 février 2016).

24  Observations et entretiens dans les zones minières de l’État de la vallée du Nil, novembre 2016.

25  Entretiens avec des investisseurs soudanais, Khartoum, juin 2015.

26  Observations et entretiens dans les zones minières de l’État de la vallée du Nil, novembre 2016.

27  Entretiens avec des investisseurs soudanais, Khartoum, juin 2015 ainsi qu’en avril 2014 et entretiens à la Banque centrale, Khartoum, juin 2015.

28  Entretiens à l’agence, Khartoum, juin 2015.

29  Le Nord espère toujours en bénéficier par l’imposition de taxes de transit sur le pétrole empruntant son pipeline jusqu’à Port Soudan, ainsi que sur les services de raffinerie. Néanmoins, les difficultés actuelles du Soudan du Sud et les relations houleuses entre les deux anciens ennemis rendent instable cette source de devises.

30  Les informations qui suivent proviennent de nos entretiens menés à Khartoum en avril 2014, juin 2015, avril et novembre 2016.

31  En avril 2016, les effets de la suppression du monopole des cinq grands commerçants ne se faisaient pas encore sentir, mais il est néanmoins peu envisageable qu’un grand commerçant situé hors de la capitale prenne le pas sur le marché de l’or à Khartoum dans la mesure où le système reste extrêmement centralisé. Surtout le gouvernement a interdit l’établissement des laboratoires évaluant la qualité de l’or en dehors du marché de l’or de Khartoum ce qui rend difficile de grosses transactions en dehors de la capitale qui se baseraient dès lors seulement sur une expertise humaine.

32  Sudan Tribune, 10/06/2014.

33  Les acteurs du marché noir sont régulièrement arrêtés et emprisonnés. Certains sont placés en résidence surveillée par la sécurité nationale en dehors de toute procédure légale et leurs familles ont été victimes d’intimidation. Entretiens Khartoum juin 2015 et avril 2016.

34  Sudan Tribune, 27/05/2014.

35  Sudan News Agency, 3/08/2015.

36  Entretiens, Khartoum 2009 et juin 2015.

37  Seul le secteur industriel des grandes mines est ouvert aux entreprises étrangères.

38  Entretiens avec des entreprises minières internationales, Khartoum, avril et novembre 2016

39  Entretiens Khartoum, juin 2015.

40  Aujourd’hui, l’ONG américaine Enough ! fait campagne pour que l’or produit au Darfour soit considéré comme issu d’une zone de conflits, ce qui aurait pour conséquence de le bannir du marché international (Kumar, 2015). Voir également à ce sujet le projet de sanctions américaines à l’encontre du commerce de l’or soudanais (Khalid Abdelaziz et Ahmed Aboulenein, 2016) « Sudan summons U.S. envoy over Darfur sanctions draft resolution », Reuters, 10 février). Pour une discussion stimulante sur cette question, voir l’article de Enrico Ille (2015).

41  Entretiens Khartoum, avril et novembre 2016.

42  Présentation d’un responsable du ministère des Mines à l’intention des investisseurs dans le secteur minier, Khartoum septembre 2015 : http://www.mineafrica.com/documents/C5%20Sudan.pdf

43  Comme souvent au Soudan quand il s’agit d’activités lucratives que le gouvernement souhaite taxer et contrôler, la méfiance prime vis-à-vis du chercheur. Entretien avec le responsable de la production des entreprises minières à l’agence publique en charge du secteur, Khartoum, avril 2016.

44  Entretiens, Khartoum, juin 2015.

45  Le mouvement islamique, véritable colonne vertébrale du régime à son arrivée au pouvoir en 1989, a connu de profondes dissensions internes qui ont conduit à la scission du mouvement en deux groupes à la fin des années 1990. Le premier soutient Omar el-Béchir et constitue le cœur du parti du régime, le National Congress Party (NCP). Le second est entré dans l’opposition à la suite de Hassan al-Turabi, le leader intellectuel du mouvement pendant près de quarante ans. Ce dernier a pris la tête d’un nouveau parti d’opposition baptisé Popular Congress Party (PCP). Cette scission a conduit les partisans d’Omar el-Béchir à gagner de nouveaux soutiens dans le monde des affaires car nombre d’hommes d’affaires islamistes étaient des proches d’Hassan al-Turabi. L’économie pétrolière a été un gros levier dans le cadre de ce travail de clientélisation du monde des affaires.

46  Le système des transports illustre de façon criante les fortes inégalités qui caractérisent la politique de développement du régime soudanais. Dans les années 2000, plus de 2 800 kilomètres de routes ont été goudronnés dans les régions considérées comme « utiles » (Nord Soudan, Est et Centre) tandis qu’à peine quelques centaines l’ont été par exemple au Darfour (Abdalla Bashir Hassan, 2015).

47  Voir nos remarques quant aux tentatives de certains acteurs américains de faire apparaître l’or soudanais comme provenant de zone de conflit du fait de la production darfourienne. Haut de page

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

Raphaëlle Chevrillon-Guibert, « Le Boom de l’or au Soudan », International Development Policy | Revue internationale de politique de développement [En ligne], 7.1 | 2016, mis en ligne le 29 novembre 2016, consulté le 06 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/poldev/2231 ; DOI : 10.4000/poldev.2231


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