Le cinéma algérien, à l’image de sa jeunesse, triste et plein d’espoir

La visite du président français en Algérie est l’occasion d’un retour sur le peuple algérien, sa jeunesse et aussi son cinéma. Des œuvres dans lesquelles on retrouve les souffrances et les espoirs d’un peuple.


Le film « Mascarades » réalisé par Lyes Salem en 2008 évoque une Algérie contemporaine sur un mode tragi-comique. © AFP / Dharamsala / Arte France Cinéma / Archives du 7eme Art

Pendant une vingtaine d’années, l’Algérie n’a plus eu de cinéma. Plus de salles plus de film, plus de financement. À Constantine, Annaba ou Sétif, les plus grosses villes du pays, il n’existait plus de lieu où projeter et voir un film.

Pourtant pendant longtemps le pays était friand de cinéma qu’il vienne d’Égypte ou qu’il soit algérien. Dans les années 70, époque des aventures de l’inspecteur Tahar, figure du cinéma populaire algérien, on comptait environ 400 salles.

Aujourd’hui, on compte une poignée de cinémas dans le pays, en tout une vingtaine de salles. Les années noires et la guerre civile sont passées par là, privant le pays de ses lieux de création.

Mais depuis quelques années, un vent nouveau souffle sur le cinéma algérien, pas une révolution mais un léger souffle d’espoir. Ils sont quelques réalisateurs qui ont entre 30 et 40 ans et qui offrent de véritables pépites comme l’explique Christophe Leparc, directeur de Cinemed, (festival du cinéma méditerranéen à Montpellier) et secrétaire général de la quinzaine des réalisateurs. Cette année, ce festival a ouvert ses portes à la jeune garde du cinéma algérien. 

« Une force collective qui va sans doute permettre de faire pression sur un gouvernement algérien »

Mercredi prochain, sort le film « Les bienheureux »de la réalisatrice Sofia Djama avec Sami Bouajila, Nadia Kaci. Dans son film, présenté à la quinzaine des réalisateurs à Cannes en juin 2017, la jeune femme de 35 ans raconte l’histoire bouleversante d’un couple qui a beaucoup milité pendant toute sa jeunesse, et qui a fait le choix de rester dans ce pays pendant la guerre civile quand tant d’autres l’ont quitté. Mais quand leur fils grandit, ils se déchirent autour d’un dilemme : envoyer leur enfant en Europe, loin de son pays, ou le garder en Algérie et prendre le risque d’un avenir incertain.

Le récent « En attendant les hirondelles » de Karim Moussaoui avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou, est aussi à l’image de ce jeune cinéma algérien, puissant et triste, réaliste et soudain surréaliste dans certaines scènes où le drame cède parfois la place au rire ou à la danse. 

« Ces réalisateurs forment une force collective qui va sans doute leur permettre de faire pression sur un gouvernement algérien qui ne les soutient pas toujours financièrement. Leurs films se passent en Algérie et parlent de l’Algérie et des questions algériennes », explique Christophe Leparc. 

En France, notamment au Centre national du cinéma, on a compris que cette nouvelle vague algérienne était riche de promesses. Certaines coproductions sont même envisagées entre le CNC et l’Algérie comme c’est déjà le cas pour des films tunisiens. 

_« Plus encore que l’argent »_, poursuit  Christophe Leparc,« c’est de formation dont a besoin le cinéma algérien. Former ces techniciens, ces acteurs ».L’industrie du cinéma a été laissée en friche pendant des années et tout est à reconstruire.

En attendant, l’institut français d’Alger ou le festival de Bejaïa proposent de belles programmations qui rencontrent un public. 

Après les années de plomb, le pouvoir algérien est certes sur ses gardes mais il censure relativement rarement. Ce fut le cas du film « Vote off » qui mettait en cause l’actuel président algérien Abdelaziz Bouteflika. 

Plus ces films rencontreront leur public, notamment à l’étranger, et moins le gouvernent algérien pourra les ignorer. « Quand ces films sont diffusés et primés dans des festivals internationaux, ils acquièrent une visibilité et par conséquent les autorités ne peuvent plus les contester », assure Christophe Leparc.

Dans ces films, l’Algérie est racontée, vibrante, jeune, pleine d’ennui et de joie. Une jeunesse qui s’aime, se cherche, se trompe, comme dans le film « Mascarades » de Lyes Salem qui en 2008, sous couvert de comédie, nous faisait découvrir le pays sans en masquer les aspects plus âpres.

Ces réalisateurs fabriquent un cinéma varié, un cinéma de cinéphile teinté de références qui puisent dans le cinéma de genre parfois ou le cinéma d’auteur comme en témoigne l’œuvre de Hassen Ferrari, le documentaire sur les plus grands abattoirs d’Alger, « Dans ma tête un rond-point ». 

Tous les problèmes sont abordés dans ce cinéma jeune et enthousiasmant, qui se débrouille malgré le manque de moyens et de soutien et regarde la réalité en face. Ce qui caractérise sans doute le mieux ce nouveau cinéma algérien, c’est sa capacité à s’inscrire dans le présent et dans l’avenir de l’Algérie d’aujourd’hui, aussi sombres soient-ils.

Ouafia Kheniche  France Inter  05.12.2017

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