Le concept russe de sécurité collective dans le golfe Persique

Le 23 juillet dernier, l’envoyé spécial de Vladimir Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique, Mikhail Bogdanov, présentait le Concept russe de sécurité collective dans le golfe Persique. Ce document de quatre pages vise à désamorcer l’escalade des tensions qui agitent la zone du Golfe – un sujet majeur d’inquiétude pour la Russie.

Décrit dans le texte comme un sous-ensemble régional de l’aire Afrique du Nord – Moyen-Orient, le golfe Persique ne fait traditionnellement guère l’objet d’une approche per se dans la documentation stratégique russe. Cela rend donc ce texte unique en son genre. La dernière version du Concept de politique étrangère de la Fédération de Russie (30 novembre 2016) évoque en effet en des termes généraux, dans ses articles 92 à 96, les objectifs poursuivis par Moscou au Moyen-Orient. Toutefois, par sa nature, le Concept russe de sécurité collective pour la région du Golfe diffère fondamentalement du Concept de politique étrangère. Alors que le texte de 2016 n’a qu’une faible portée opérationnelle, le présent projet russe pour la sécurité collective dans le Golfe, a contrario, prétend disposer d’une vocation pratique. Le document emprunte les traits d’une « feuille de route » devant mener in fine à l’émergence de mécanismes de sécurité dans le golfe Persique, et, au-delà, d’une architecture de sécurité collective dans la zone Afrique du Nord – Moyen-Orient, un thème cher à Moscou. Ce concept s’adresse prioritairement aux pays riverains du Golfe, sans que ces derniers ne soient pour autant explicitement nommés dans le texte, Moscou demeurant parfaitement au fait de l’extrême polarisation qui caractérise la zone sur les questions de sécurité. Plus particulièrement, à travers ce texte, la Russie vise ceux qui, parmi les acteurs régionaux, s’inquiètent de la tournure que prennent les événements et redoutent une escalade des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran. Ce document est destiné par ailleurs à des puissances extra-régionales, pour critiquer implicitement leur action (États-Unis, France) et pour les inviter à se joindre à l’initiative russe (Chine, États-Unis, Union européenne, Inde). Parfaitement consciente que ce texte a en réalité bien peu de chance de produire une paix durable dans le Golfe, Moscou cherche plutôt à attirer l’attention sur le fait que toutes les options diplomatiques n’ont pas encore été explorées, et à apparaître à cet égard comme une force de proposition.

La présente note propose d’apporter un décryptage du Concept russe de sécurité collective dans le golfe Persique, dont la publication n’a guère suscité de réaction de la part des pays riverains de la zone, tandis que Pékin l’a rapidement saluée.

Un contexte porteur pour une proposition audacieuse

Plus qu’un simple « ballon d’essai », ce Concept reprend et formalise une série de propositions formulées par Moscou (mais jamais publiées) sur la question dès la fin des années 1990, puis en 2004 et encore en 2007. S’exprimant à l’occasion du XIe sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), réuni à Dakar en mars 2008, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, rappelait déjà l’importance attachée par Moscou à la création d’un système de sécurité et de coopération dans le golfe Persique. Il invitait en conséquence ses homologues à se pencher sur les propositions informelles faites auparavant par la Russie à ce sujet. Ce thème n’est donc pas nouveau à Moscou, où il revient régulièrement depuis plus de deux décennies. Il fait par ailleurs écho à certaines aspirations iraniennes : alors qu’il s’exprimait en février 2018 à Moscou lors de la session plénière de la conférence du club de Valdaï, consacrée au Moyen-Orient, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, rappelait ainsi la nécessité de parvenir à créer des mécanismes de sécurité collective dans le Golfe, une région qui a déjà connu quatre guerres. Citant la résolution 598 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 20 juillet 1987, il avançait l’idée que ce texte pouvait servir de point de départ en vue de la création de tels mécanismes. Le diplomate iranien reprenait là ses propos tenus quelques jours auparavant dans le cadre de la conférence sur la sécurité de Munich. La résolution 619 du Conseil de sécurité de l’ONU est également mentionnée occasionnellement par certains experts et diplomates russes estimant qu’elle pourrait fournir une base intéressante pour des mécanismes collectifs de sécurité régionale.

La proposition russe intervient en outre dans un contexte sécuritaire régional particulièrement instable et crisogène, lié à la résurgence des tensions entre Washington et Téhéran depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. La posture américaine au Moyen-Orient sert de facto l’initiative russe, les États-Unis ayant explicitement pris le parti, depuis l’élection de D. Trump, de se retrancher autour de deux de leurs alliés principaux dans la région : Israël et l’Arabie saoudite. Mû par une logique de néo-containment de l’Iran et par un objectif de « regime change » à Téhéran, Washington a opté pour un retour à une approche dure du dossier iranien, ce qui crée un espace diplomatique que Moscou entend s’approprier en promouvant sa posture de médiateur. Le retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien en mai 2018 puis la multiplication des incidents au cours du printemps 2019 – attaques « suspectes » de tankers dans le Golfe, frappes de pipelines saoudiens par des drones partis du Yémen, arraisonnement de tankers – ont créé un potentiel d’escalade vers un conflit qui est pris très au sérieux par Moscou. La Russie peut par ailleurs compter avec l’anxiété suscitée par ces tensions chez certains membres du Conseil de coopération du Golfe, qui redoutent de se voir entraîner dans un conflit avec leur voisin iranien, dont ils seraient les premiers à faire les frais. Fin juillet, les Émirats arabes unis dépêchaient ainsi une délégation à Téhéran pour engager des pourparlers techniques avec les Iraniens sur les enjeux de sécurité maritime, tandis qu’ils entamaient quelques jours auparavant un retrait partiel de leurs forces du Yémen.

Avec cette initiative, Moscou tente de calmer le jeu en investissant un champ – celui de la sécurité collective – sur lequel elle estime disposer d’une valeur ajoutée du fait de l’expérience accumulée au cours de la Guerre froide en Europe d’une part, et, d’autre part, plus récemment en Syrie, dans le cadre de discussions délicates mettant aux prises des acteurs aux intérêts franchement divergents (format d’Astana, Congrès des peuples de Syrie à Sotchi fin janvier 2018). Le pragmatisme et l’approche désidéologisée qui ont guidé le « retour » de la Russie au Moyen-Orient jouent aussi, potentiellement, en sa faveur. En outre, le document russe n’a pas provoqué une levée de boucliers comme ce fut le cas lors de la publication, quelques semaines auparavant, du volet économique du « deal du siècle » échafaudé par l’administration Trump pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

Une approche incrémentale : la « feuille de route » russe vers la création d’une « Organisation pour la sécurité et la coopération dans le golfe Persique »

Reprenant des thèmes chers à Moscou, les principes fondamentaux sur lesquels prétend reposer le projet russe de concept de sécurité sont le rejet du double standard, de l’unilatéralisme, la reconnaissance des intérêts mutuels, l’indivisibilité et l’inclusivité de la sécurité, la non-ingérence dans les affaires intérieures des États souverains et le respect de l’intégrité territoriale des pays de la région. Le document préparé par la Russie dispose d’une portée pratique, contient des propositions concrètes et se caractérise par un cheminement incrémental devant mener à la formation d’une Organisation pour la sécurité et la coopération dans le golfe Persique (OSCGP). Moscou propose une feuille de route en deux grandes étapes pour passer de la situation actuelle à la création de l’OSCGP.

La première étape – de loin la plus ardue – présente trois volets : militaire, politico-diplomatique et informationnel. Le volet militaire consiste à mettre sur pied une grande coalition internationale contre le terrorisme sous égide de l’ONU. Ignorant délibérément la variété des acteurs que les États de la région placent derrière le label « terroristes », le texte envisage cette coalition comme ayant une vocation unificatrice. Cette proposition reprend en creux celle formulée par Vladimir Poutine à la tribune du siège des Nations Unies en septembre 2015, lorsqu’il appelait de ses vœux la création d’une grande alliance contre le terrorisme international, sur le modèle de ce qui s’était fait contre le nazisme lors de la Deuxième guerre mondiale. À cet égard, le texte se veut une critique larvée de l’action des États-Unis et de leurs alliés dans la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient dans la mesure où il semble ignorer leurs résultats pour mieux mettre en lumière leurs manquements. Ainsi, la mention de l’existence « d’un centre majeur du réseau terroriste international [qui] s’est formé dans le voisinage du golfe Persique » (p.1) ainsi que celle de la présence illégale de forces armées étrangères sur le territoire d’un État tiers, hors mandat onusien ou invitation du gouvernement de cet État (p.2), sont des allusions directes au contexte syrien. Parallèlement à la formation de cette coalition anti-terroriste, le document préconise de résoudre en priorité les conflits syrien et yéménite et de poursuivre les efforts visant à stabiliser l’Irak. Il s’agit du volet politico-diplomatique. Le travail collectif mis en œuvre dans cette optique, ainsi que l’approche par étapes privilégiée pour parvenir à une solution sur ces trois dossiers, doivent être mis à profit, selon le texte, pour renforcer la confiance entre les différents acteurs en présence. Toujours dans le cadre d’une première étape, Moscou recommande enfin de lancer une opération informationnelle de grande ampleur à l’endroit des opinions publiques régionales, et, en premier lieu, en direction de l’opinion publique musulmane. Ce volet doit suppléer et compléter le volet militaire, et battre en brèche la propagande terroriste qui sévit notamment sur les réseaux sociaux.

À cette première étape doit succéder le lancement de consultations bilatérales ou multilatérales, incluant les États régionaux et extra-régionaux, le Conseil de sécurité des Nations Unies, la Ligue arabe, le Conseil de coopération du Golfe et l’OCI. L’objectif de ces consultations doit être la formation d’un groupe d’initiative pour la préparation d’une conférence internationale sur la sécurité et la coopération dans la zone du golfe Persique. Charge à ce groupe de définir le périmètre géographique, les membres, l’agenda, le niveau de représentation diplomatique et le lieu où se tiendra ce forum de sécurité. On retrouve là l’appétence de Moscou pour les rendez-vous internationaux de haut vol qui constituent des fora privilégiés en vue de forger des « grands accords », une formule à laquelle se prête d’ailleurs plutôt bien le Moyen-Orient, de par son histoire. À ce titre, Moscou croit bon de mentionner l’accord de 2013 sur la neutralisation du stock d’armes chimiques syriennes, qu’il continue de présenter comme un succès en ce sens qu’il a permis d’éviter un recours unilatéral à la force. Cette « conférence d’Helsinki » pour le golfe Persique doit, en définitive, conduire à la création de l’OSCGP, un objectif que Moscou qualifie, dans le texte, de « central » et de « long terme ».

Une étape supplémentaire, tout aussi ambitieuse, est mentionnée dans le texte et porte sur l’instauration d’une architecture de sécurité dans la région Afrique du Nord – Moyen-Orient. D’après le document, une fois l’OSCGP créée, il conviendra de s’attacher à résoudre le conflit israélo-palestinien, présenté comme l’un des principaux facteurs d’instabilité régionale et une source de tensions qui alimente le recrutement pour les extrémistes de tous bords. Moscou attribue donc de facto à ce dossier un caractère d’urgence secondaire tout en voyant dans sa résolution un fort potentiel pour l’établissement d’une architecture de sécurité régionale. En effet, selon le document, le règlement de ce conflit constitue la condition sine qua non à la mutation de l’OSCGP en une organisation régionale pour la sécurité en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La « feuille de route » russe reflète ainsi assez logiquement une conviction à laquelle on croit fermement à Moscou : la résolution des nombreuses crises qui jonchent le Moyen-Orient (Libye, Syrie, Yémen) porte en elle les germes d’une future architecture de sécurité régionale.

Un texte au service des intérêts russes dans la région

L’intérêt porté par la Russie à la zone du golfe Persique s’est accru ces dernières années sur fond de crise syrienne, de chute des prix du pétrole et de sanctions occidentales liées au conflit en Ukraine. La région du golfe Persique, bien que géographiquement éloignée de l’espace post-soviétique, qui demeure l’épicentre des intérêts perçus comme vitaux par Moscou, n’en revêt pas moins une double dimension stratégique pour la Russie, bien identifiée dans le texte qui nous intéresse. S’y trouvent tout d’abord des États qui figurent parmi les principaux producteurs de pétrole (Arabie saoudite) et de gaz (Qatar). Cette dimension énergétique est affirmée dès les premières lignes du Concept russe de sécurité collective pour le golfe Persique. Le document pointe ainsi du doigt dans le premier paragraphe les risques qui pèsent sur la stabilité de l’économie mondiale et sur la sécurité énergétique en cas d’escalade des tensions dans la zone du Golfe. Puissance exportatrice d’hydrocarbures, la Russie ne peut que s’inquiéter de la volatilité du contexte sécuritaire persique, d’autant plus que Vladimir Poutine entend consacrer son quatrième mandat à la mise en œuvre de réformes intérieures coûteuses et impopulaires (retraites, augmentation de la TVA…). Aussi, c’est dans un souci de prévisibilité et de stabilité des cours du pétrole que Moscou a travaillé à forger avec les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) un mécanisme de coordination de la production de brut visant à enrayer la chute du cours du baril, ce à quoi elle parvint fin 2016, et à convaincre l’Iran de s’y joindre. Depuis sa signature fin 2016, cet accord dit « OPEP+ » est régulièrement prorogé, signe qu’il donne satisfaction, aussi bien au plan économique que politique, à ses signataires. Par ailleurs, la Russie reste convaincue que l’émergence d’un foyer terroriste à la frontière syro-irakienne constitue une source d’instabilité majeure pour son flanc méridional. Cette seconde dimension est aussi évoquée dès les premières lignes du document, et a notamment motivé en partie l’intervention russe en Syrie.  

Moscou dresse en outre le constat de l’impasse dans laquelle se trouvent les relations entre les pétromonarchies sunnites du Golfe et l’Iran au plan sécuritaire. Autrement dit, en l’absence d’un système de sécurité collective, et face à l’incapacité des acteurs régionaux à s’entendre sur des « règles du jeu », le modèle qui consiste pour les États sunnites de la région à acheter leur sécurité auprès de puissances extra-régionales occidentales contre la sécurité de l’Iran est à bout de souffle. Au chapelet de bases américaines qui jonchent la région s’est ajoutée l’implantation française aux Émirats arabes unis en mai 2009 tandis que la Grande-Bretagne prévoit d’ouvrir une base dans le Sultanat d’Oman. Dans son projet, la Russie appelle ainsi, dans une démarche présentée comme visant à bâtir de la confiance entre les acteurs régionaux, à « entamer des pourparlers en vue de la diminution de la présence militaire étrangère dans la région », présence qui contredirait le principe d’inclusivité de la sécurité dans la mesure où elle serait dirigée contre l’Iran. Et c’est là une des faiblesses du document qui, en appelant à terme au retrait des troupes américaines de la région, semble quelque peu irréaliste. Le texte recommande en effet, au bout du compte, aux acteurs régionaux de « renoncer au déploiement permanent de troupes issues d’États non-régionaux » sur leur sol. Or, ce retrait se trouve au cœur d’une des étapes fondatrices de ces mécanismes de sécurité envisagés par Moscou, ce qui fait donc courir le risque de rentre ce projet caduc aux yeux de nombreux acteurs régionaux. L’idée qui motive cette proposition est bien celle de l’autonomisation des pays du Golfe en matière de sécurité. À cet égard, il convient de rappeler que la formation d’une « alliance islamique » en 2015, à l’initiative de l’Arabie saoudite, avait été perçue en Russie, et ailleurs, comme étant également tournée avant tout contre l’Iran, et comme servant en premier lieu les intérêts saoudiens. Donald Trump avait ensuite soutenu au printemps 2017 l’idée de créer une « OTAN arabe » – une initiative qui avait déjà été mise en avant par l’administration Obama – pour lutter contre le terrorisme et contenir l’influence iranienne. Le projet russe de sécurité collective dans le Golfe prend ainsi le contre-pied de la posture américaine qui vise à isoler Téhéran en cherchant à faire reconnaître et inclure l’Iran en tant qu’acteur sécuritaire régional à part entière.

En guise de pas concrets visant à construire un socle de confiance a minima entre les acteurs régionaux, Moscou propose par ailleurs une série de mesures portant sur le contrôle des armements conventionnels. Il s’agit là encore d’une mesure qui trouve un certain écho à Téhéran. Lors d’une interview accordée en août 2019 alors qu’il se trouve en France, Mohammad Javad Zarif dénonçait le fait que les « États-Unis ont transformé [la région du Golfe] en un dépôt d’armes ». Parmi ces mesures : l’instauration de visites de sites militaires, l’institution d’une « ligne directe » pour les situations d’urgence, l’échange d’informations sur les achats d’armements… Or, les armuriers russes tentent de se tailler une place sur le marché de l’armement des pétromonarchies du Golfe, qui reste encore aujourd’hui largement dominé par les entreprises de défense occidentales. Parallèlement à ces recommandations, la Russie propose en outre la création de zones démilitarisées et de zones où le déploiement de matériels militaires serait soumis à des contraintes, y compris le déploiement de systèmes anti-missiles (p. 3, paragraphe 2). Il est possible de voir ici une référence aux systèmes anti-missiles américains de type Patriot et THAAD. Toutefois, la Russie serait-elle prête à renoncer à la vente et à la livraison potentielles de systèmes S-400 dans la même logique de création de ces dites zones, alors même que l’importance des clients moyen-orientaux s’est accrue dans le portefeuille des armuriers russes ? Le signal est en tout cas ambivalent et à contre-courant des efforts russes pour réinvestir ce marché – notamment à l’aide de fleurons de son industrie, tels les systèmes anti-aériens (Buk, Pantsyr, S-400).

Ces propositions peuvent cependant être interprétées comme visant à prévenir la prolifération de capacités balistiques au Moyen-Orient. La Russie rappelle régulièrement à ce propos que son territoire est depuis plusieurs années à portée des missiles sol-sol iraniens, et que la nucléarisation de l’Iran n’est pas non plus dans son intérêt – pas plus que le développement de l’arsenal balistique de la République islamique. Les idées mises en avant concernant le contrôle des armements comme celles portant sur le renforcement du régime du Traité de non-prolifération (TNP) et la création d’une zone exempte d’armes de destruction massive (ou ZEADM, voir p. 3 du document) s’inscrivent ainsi dans la continuité de positions adoptées de longue date par Moscou.

Conclusion

À travers ce document, la Russie souhaite apparaître comme une force de proposition sur un sujet de sécurité régionale de portée internationale. Vu du Kremlin, les crises et conflits qui affectent le Moyen-Orient constituent autant de laboratoires pour tester une future architecture de sécurité régionale. Si certaines des propositions contenues dans le document semblent avoir été formulées informellement par Moscou lors de la dernière décennie, les positions russes au Moyen-Orient n’étaient alors guère de nature à en crédibiliser la publication. La Syrie et le « retour » de la Russie sur la scène stratégique moyen-orientale ont changé la donne, tandis que le contexte de tensions renouvelées dans le Golfe offre à Moscou  une « tribune » pour promouvoir son projet.

Toutefois, ce texte russe se heurte à un certain nombre d’écueils. Bien qu’empruntant les apparences d’une « feuille de route » avec son lot de propositions concrètes et son ton très realpolitik, ce document n’en demeure pas moins grevé par les griefs russes à l’égard de Washington, ce qui se traduit par des propositions à certains égards peu réalistes. Il en va ainsi de l’appel au retrait des forces étrangères – comprendre les troupes américaines – stationnées dans la région. Cette mesure apparaît déconnectée de la réalité, en dépit des signaux envoyés par Donald Trump, qui semble enclin à réduire la voilure de l’engagement américain à l’étranger. Certains diront en outre qu’à travers cette initiative Moscou cherche avant tout à cimenter diplomatiquement son succès militaire syrien. D’autres pourraient enfin estimer que ce concept de sécurité collective profite avant tout à Téhéran, dont le Kremlin cherche à faire accepter le rôle en tant qu’acteur sécuritaire régional à part entière par ses voisins. Le peu de cas fait de la proposition russe par les acteurs concernés – mis à part la Chine et l’Iran –peut s’expliquer par ces faiblesses.

A minima, avec son texte, la Russie prend date sans certainement se faire trop d’illusions sur son devenir, en espérant qu’il ne subisse toutefois pas le sort du projet de traité sur la sécurité européenne proposé par Dmitri Medvedev, alors président, en 2008. Ce dernier avait été balayé d’un revers de la main par les Européens qui lui reprochaient notamment son caractère irréaliste.

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