Le Drian à Alger : La Libye et le Sahel, mais aussi les visas et l’économie

par Ghania Oukazi

La visite du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères à Alger coïncide étroitement avec la tenue de la conférence internationale de Berlin pour la paix en Libye et avec l’enlisement du Sahel dans un désordre sécuritaire inquiétant.

©Sputnik . Maxim Blinov

Après la forte poignée de main qu’il a eue dimanche dernier à Berlin avec le président Abdelmadjid Tebboune, Jean-Yves Le Drian s’est déplacé hier mardi à Alger pour, entre autres, synchroniser avec la présidence de la République et le Gouvernement, la mise en œuvre des décisions prises au terme de la conférence internationale pour la paix et la sécurité organisée par Angela Merkel au siège de la chancellerie allemande. Le site du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères a publié hier que «Jean-Yves Le Drian se rend aujourd’hui (mardi ndlr) à Alger afin de s’entretenir avec le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, le Premier ministre, Abdelaziz Djerad et avec son homologue Sabri Boukadoum». Il a rendu public l’agenda algérois du chef de la diplomatie française en faisant savoir que «Ensemble, ils aborderont les questions régionales, et en particulier la situation en Libye et au Sahel. Alors que s’ouvre la phase de mise en œuvre des principes agréés lors de la conférence de Berlin, le ministre rappellera notre attachement à ce que l’ensemble des États de la région, notamment l’Algérie, soient partie prenante des efforts internationaux de sortie de crise en Libye. Il doit également s’entretenir des perspectives de notre relation bilatérale». C’est ce qu’a précisé Le Drian à Alger. «La France et l’Algérie ont une convergence de vues et notre concertation est primordiale. L’Algérie est une puissance d’équilibre et de paix, fermement attachée au respect de la souveraineté des Etats et au dialogue politique. Elle est écoutée et respectée et sur ces bases-là. Nous pouvons avoir ensemble une relation extrêmement forte», a-t-il déclaré après s’être entretenu avec son homologue, le ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum.

«La volonté de la France d’ouvrir une nouvelle phase»

Dans le sillage de la conférence de Berlin et au titre de «l’actualité internationale et singulièrement l’actualité régionale», Le Drian a affirmé que «l’Algérie et la France vont coordonner leurs efforts, notamment sur le conflit libyen, afin de permettre la mise en place d’un cessez-le-feu durable et la reprise du dialogue politique». Il a fait savoir que les deux pays vont agir ensemble pour que les efforts initiés lors de la conférence de Berlin puissent se poursuivre».

Le diplomate français a souligné, par ailleurs, que «les deux pays vont également faire le point autour de la question du Sahel sur la base de l’objectif commun de sécurité et de lutte contre le terrorisme».

Le volet qu’il a consacré à la coopération bilatérale le laissera saluer en premier «l’ambition exprimée par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour réformer l’Algérie en profondeur, refonder l’Etat de droit et des libertés, relancer et diversifier l’économie conformément aux aspirations exprimées par les Algériens, ainsi que son engagement à conduire le pays dans un esprit de dialogue afin que tous les Algériens puissent s’exprimer sur ces réformes». Le Drian a émis le souhait de voir le Président Tebboune «réussir dans cette mission» et que la mise en œuvre de ces réformes puisse «conduire au succès de l’Algérie et des Algériens». Il a en outre fait part de la volonté de la France d’ouvrir une «nouvelle phase» dans ses relations bilatérales avec l’Algérie, soulignant que les deux pays «partagent la volonté de réengager leurs échanges au plus haut niveau (…) afin de lancer une nouvelle dynamique dans tous les secteurs de coopération». Il a rappelé que «L’Algérie a connu, au cours de l’année écoulée, une phase décisive dans son histoire. Nous avons en permanence, tout au long de cette période, répété toujours la même chose, c’était aux Algériens et à eux seuls de décider de leur avenir et trouver ensemble le chemin d’un dialogue démocratique, parce que cela faisait partie du respect que nous avons pour la souveraineté de l’Algérie.»

Le site du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a inscrit sur la même page les diverses déclarations de Le Drian à cette période précise. C’est ainsi qu’il rappelle celle en date du 1er novembre 2019. On y lit entre autres : «(…). Le seul souhait de la France aujourd’hui, c’est que les Algériens trouvent ensemble les chemins d’une transition démocratique. C’est en effet aux Algériens et à eux seuls qu’il revient de décider de leur avenir. C’est ce que nous espérons pour l’Algérie, compte tenu des liens profonds qui nous rattachent à ce pays. Nous saluons l’esprit de responsabilité, de civisme et de dignité qui prévaut au sein du peuple algérien depuis le début des manifestations et qui suscite l’admiration. (…).

Boukadoum ouvre le dossier des visas

«Dans ces moments historiques, nous continuerons de nous tenir aux côtés de l’Algérie et des Algériens. Nous souhaitons que nos deux pays et nos deux peuples, en total respect des souverainetés nationales, poursuivent leur coopération dans l’esprit de respect mutuel qui la caractérise et qu’elle permette de surmonter ensemble les défis à venir». Le 6 mars 2019, Le Drian soutenait devant l’Assemblée nationale française en réponse à des questions de députés que «La France évidemment, en raison de nos liens historiques -vous avez dit passionnels- est très attentive au déroulé de cette échéance majeure. Elle appliquera trois principes : tout d’abord, l’Algérie est un pays souverain, et c’est au peuple algérien et à lui seul qu’il revient de choisir ses dirigeants et son avenir. C’est aussi au peuple algérien de définir ses aspirations, ce qui implique la transparence et la liberté du processus. Deuxièmement, l’Algérie est un pays ami auquel nous rattachent des liens multiples et ce qui se passe en Algérie a des liens directs et un fort retentissement en France, nous le constatons. Enfin et troisièmement, l’Algérie est un pays clef en Afrique et en Méditerranée, c’est pourquoi la stabilité, la sécurité et le développement de l’Algérie sont tout à fait essentiels ; c’est dans cet esprit que la France appréhende cette échéance cruciale en Algérie».

Le chef de la diplomatie française a affirmé hier à Alger que «les élections présidentielles ont eu lieu. Il y a désormais un nouveau gouvernement avec lequel la France veut travailler».

Le ministre algérien des Affaires étrangères a d’emblée abordé la question des visas en affirmant que «le dossier de la mobilité des personnes entre l’Algérie et la France doit être traité du côté français avec davantage de souplesse et de flexibilité et d’une façon qui soit à la hauteur du niveau et du volume des relations bilatérales». L’Algérie a tenu à évoquer ce dossier au regard des difficultés auxquelles font face les Algériens pour obtenir des visas auprès des services consulaires français. Des difficultés à la limite de l’humiliation que les demandeurs algériens supportent pour pourvoir rendre visite à leurs proches en France, pays où vivent des milliers de familles algériennes.

Un problème éminemment politique

Et bien que les services consulaires français en Algérie le démentent, le nombre de refus des visas aux Algériens pour des motifs surprenants a connu ces dernières années des pics effrayants. Boukadoum a tenu à cet effet à noter à l’adresse de son homologue français «la nécessité de gérer ce dossier avec davantage de souplesse et de flexibilité, et d’une façon qui soit à la hauteur du niveau des relations unissant l’Algérie et la France». Il est certain que le diplomate français mettra en avant le principe de la réciprocité qui obligera les services consulaires algériens en France à employer moins de restrictions en matière d’octroi des visas aux ressortissants français désireux de se rendre en Algérie. Un problème éminemment politique que seules les plus hautes autorités des deux pays peuvent résoudre.

Les deux ministres algérien et français se sont penchés sur «les relations algéro-françaises dans divers domaines, notamment les volets économique et politique». Les deux pays ont convenu, selon Boukadoum, de «relancer les différents mécanismes existant entre les deux pays»; en premier le Comité mixte économique franco-algérien (COMEFA) dont la dernière réunion (4ème session) s’est tenue le 12 novembre 2017, ainsi que le Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN), coprésidé par les Premiers ministres des deux pays.

L’objectif étant, selon lui, de «poursuivre le dialogue stratégique et les concertations politiques au niveau des ministères des Affaires étrangères des deux pays». Il a précisé en outre qu’à propos des investissements français en Algérie, il a perçu «une grande disposition chez M. Le Drian en vue d’encourager les hommes d’affaires français à regarder l’Algérie avec plus de flexibilité et d’audace».


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