“Le Maroc est la puissance occupante du Sahara occidental, mais l’Espagne est toujours sa puissance administrante”

Entretien avec le Professeur Carlos Ruiz Miguel

Carlos Ruiz Miguel est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Saint-Jacques de Compostelle depuis 2001. Il est également titulaire de la Chaire Jean Monnet de la Commission européenne. Il a écrit plus de 10 livres et des douzaines d’articles universitaires, dont beaucoup se rapportent au Sahara occidental. Parmi eux se distingue  » El Sahara Occidental y España : historia, política y derecho : análisis crítico de la política exterior española  » (Sahara occidental et Espagne : histoire, politique et droit : analyse critique de la politique étrangère espagnole). Plus récemment, il a co-écrit El Sahara Occidental. Prontuario jurídico. 15 enunciados básicos sobre el conflicto (‘Sahara Occidental’. Un aide-mémoire judiciaire. 15 énoncés de base sur le conflit « , qui promet de devenir un ouvrage de référence dans l’étude du conflit. Il est également directeur du Centre d’études sur le Sahara occidental de l’Université de Saint-Jacques de Compostelle. C’est sans aucun doute l’une des références académiques sur le conflit du Sahara Occidental.

Le professeur Carlos Ruiz Miguel donnant une conférence sur le Sahara Occidental

Dans les accords de Madrid du 14 novembre 1975, entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie, le gouvernement espagnol a autorisé la mise en place d’une nouvelle administration maroco-mauritanienne. Qu’impliquaient réellement les Accords de Madrid ?

Les accords de Madrid n’établissaient PAS une administration « maroco-mauritanienne » mais une administration « hispano-marocaine-mauritanienne ». C’est une administration TRI-et non BI-partite qui devait êtret mise en place. L’Espagne n’a PAS cédé sa « souveraineté » dans cet accord, ni à ces deux pays, mais a plutôt cédé son « administration » à l’entité tripartite.

L’Espagne n’a pas valablement cessé d’être une puissance administrante selon les Nations Unies.

Bien que l’Espagne n’ait plus le contrôle du territoire, elle reste liée par certaines obligations internationales des puissances administrantes, telles que celles qui l’obligent à empêcher l’exploitation illégale des ressources naturelles du territoire.

Signature des Accords tripartites de Madrid (14 novembre 1975)

Quel est alors le statut actuel du Maroc et de l’Espagne par rapport au Sahara occidental et quelles sont leurs responsabilités ?

Le Maroc est la puissance occupante du territoire. Leurs responsabilités sont celles que les Conventions de Genève et la Convention de La Haye imposent aux puissances occupantes.

L’Espagne est la puissance administrante  du territoire, « de jure », puisqu’elle ne contrôle pas le territoire « de facto ». Ses obligations sont celles des puissances administrantes qui sont énoncées, entre autres, dans des résolutions sur les activités économiques et autres affectant les intérêts des peuples des territoires non autonomes.

Depuis des décennies, les Sahraouis défendent leur droit à l’autodétermination. En quoi consiste ce droit et où est-il garanti ?

Le droit à l’autodétermination et à l’indépendance a été reconnu au peuple du Sahara occidental par les Nations Unies.

Ce droit est reconnu par la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies et signifie qu' »en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».

Existe-t-il une différence entre le droit à l’autodétermination des Sahraouis et celui que certains ont soutenu en Catalogne, au Kosovo ou en Écosse ?

La différence est de fond. le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui a été reconnu par l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et la Cour internationale de Justice.

La Catalogne, le Kosovo ou l’Ecosse n’ont vu reconnaître ce droit NI par l’Assemblée générale, NI par le Conseil de sécurité NI par la Cour internationale de Justice.

La position du Maroc a toujours été contre l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination et il a fait valoir qu’il existe d’autres moyens de résoudre le problème, tels qu’un statut d’autonomie au sein du Maroc ; cette option est-elle valable au regard du droit international, pourrait-elle être un moyen de garantir le droit à l’autodétermination et mettre fin au conflit ?

Il n’est PAS vrai que la position du Maroc a « toujours » été contraire à la tenue d’un référendum d’autodétermination. Le Maroc a accepté ce référendum lorsqu’il a accepté le « plan de règlement » et les « accords de Houston » établissant ce référendum.

La proposition marocaine d' »autonomie » n’est PAS conforme au droit international car elle part d’une prémisse illégale, à savoir la souveraineté marocaine sur le territoire. C’est précisément parce qu’elle repose sur une prémisse illégale que cette proposition ne peut garantir le droit à l’autodétermination ni mettre un terme au conflit.

Camp de réfugiés El Ayoun à Tindouf. Photo Mamina

Le Conseil de sécurité et l’ONU soutiennent depuis longtemps les cycles de négociations entre les parties comme moyen de résoudre le conflit. Au début du mois de décembre, une nouvelle série de pourparlers aura lieu : pensez-vous qu’il s’agira d’un tournant dans la résolution du conflit ? Pensez-vous que c’est la manière de le résoudre ou pensez-vous que l’ONU devrait faire preuve de plus de vigueur dans la résolution du conflit ?

Il est difficile de le savoir si ça va être le point de basculement DÉFINITIF du conflit.

Mais il est certain qu’il s’agit d’un tournant dans la dynamique actuelle, qui était bloquée depuis dix ans.

Je pense que les pourparlers ou les négociations (par le biais du Chapitre VI de la Charte des Nations Unies) ne sont PAS le bon moyen de résoudre ce conflit. Il est certain qu’après si longtemps, ce conflit aurait dû être réglé par le Chapitre VII de la Charte, c’est-à-dire par l’imposition d’une solution par le Conseil de sécurité.

L’ONU n’est pas intervenue aussi activement sur le territoire pour trouver une solution que dans d’autres cas récents tels que le Kosovo ou le Timor oriental, quelle est la raison de cette différence et quelle en est la justification ?

Une nuance : au Kosovo, l’ONU voulait intervenir, mais l’indépendance du territoire n’a pas été approuvée, même si elle était soutenue par le bloc de l’ OTAN. C’est-à-dire qu’il y avait un veto de la Russie, mais un soutien total des USA et du bloc de l’OTAN.

Au Timor oriental, la question a été réglée parce que la puissance occupante (l’Indonésie) n’avait aucun lien étroit avec une grande puissance membre permanent du Conseil de sécurité.

Au Sahara occidental, le Maroc bénéficie du plein soutien de la France, avec laquelle il entretient une proximité maximale. Mais le soutien français seul ne suffit pas à imposer une issue conforme aux intérêts franco-marocains, même s’il sert à bloquer d’autres solutions.

La lutte pour l’autodétermination au Timor oriental, précédemment occupé par l’Indonésie et un pays indépendant depuis 2002, ressemble un peu à la lutte sahraouie : quelles similitudes et différences voyez-vous entre les deux cas ? Quels facteurs sont entrés en jeu pour que le Timor oriental organise enfin un référendum sous l’égide de l’ONU alors que le Sahara occidental attend toujours ?

Comme je l’ai dit? entre le Sahara occidental et le Timor oriental, il y a une différence essentielle : la puissance occupante du Timor oriental n’avait pas le soutien inconditionnel d’un membre permanent du Conseil de sécurité, mais la puissance occupante du Sahara occidental en a un (la France).

L’instabilité au Timor oriental mettait en péril la sécurité juridique de certaines activités économiques dans la région et, comme l’Indonésie ne bénéficiait pas d’un appui INCONDITIONNEL, il a été décidé de donner une sécurité juridique à ces activités par la décolonisation.

Au Sahara Occidental, il y a eu des moments de grande instabilité mais quand les activités économiques étaient moins importantes que maintenant. Maintenant qu’il y a plus d’activités économiques, il y a moins d’instabilité sur le territoire… mais il y a une instabilité juridique considérable due aux jugements européens. Toutefois, le soutien INCONDITIONNEL de la France vise à assurer la sécurité des activités économiques par la fraude ou le fait accompli.

Pedro Sánchez et le roi du Maroc, Mohamed VI, à Rabat. EFE

Quelle a été la position de l’Espagne au cours des dernières décennies et comment s’est-elle positionnée dans les différents processus de négociation et plans de paix ? Comment l’Espagne devrait agir, à votre avis ?

La position officielle de l’Espagne, depuis l’abandon du territoire, est fixée dans la lettre du 26 février 1976. Cette position n’a pas changé.

Cependant, bien que l’Espagne continue à soutenir le processus de paix de l’ONU (qui, synthétiquement, continue à considérer que le territoire n’a pas été décolonisé et que la décolonisation doit se faire par l’autodétermination), le fait est que la politique étrangère a changé au cours des quatre dernières décennies. Fondamentalement, les deux tendances ont été :

– Équilibre en Afrique du Nord (politiques de Suarez et Aznar)

– Inclination (plus ou moins ostensible) pour le Maroc (Calvo-Sotelo, González, Zapatero, Rajoy et Sánchez).

C’est un fait objectif que la politique marocaine a été un échec. Non seulement Ceuta et Melilla sont plus menacées que jamais, mais la péninsule elle-même est soumise à une pression migratoire du Maroc sans précédent dans l’histoire de l’Espagne.

Sur le plan économique, de nombreuses entreprises ont fait de grosses affaires au Maroc, oui, mais on fait taire le fait que beaucoup d’autres ont été escroquées ou boycottées (Telefónica, par exemple). Dans le même temps, cet effort d’investissement a été officiellement canalisé vers le Maroc sans tenter de l’orienter vers l’Algérie ou la Mauritanie.

Il est évident que la politique de respect des engagements pris par l’Espagne en son temps (la décolonisation par référendum) est la politique la plus intelligente et celle qui permet d’obtenir le plus de respect dans le concert international, en plus du fait qu’il pourrait être économiquement plus rentable de concentrer l’effort d’investissement sur d’autres théâtres d’opérations.

Traduit par  Fausto Giudice 

Merci à Tlaxcala
Source: http://www.descifrandolaguerra.es/entrevista-al-catedratico-carlos-ruiz-miguel/
Date de parution de l’article original: 13/12/2018
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=24938

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