Livres / Le monde des silences

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres 

Ce drôle de môme (L’enfant autiste). Essai de Houria Chafai-Salhi. Koukou Editions, Cheraga banlieue/ Alger 2018, 500 dinars, 127 pages 

Un seul objectif ? Non, plusieurs. D’abord remettre l’enfant (autiste en particulier) au centre comme sujet. Ensuite, plaider pour une alliance de travail -utile et nécessaire – entre professionnels (médecins psychiatres) et parents. 

Tout d’ abord, on a la réponse à une interrogation cruciale : Qu’est-ce que l’Autisme ? Un terme forgé, au départ, par le psychiatre suisse Bleuler pour caractériser un des symptômes principaux de la schizophrénie. Quelques signes : Un isolement extrême/ Un désir obsédant de préserver l’immuabilité de son environnement/ Un déficit de communication/Une diminution de l’empathie/Une maladresse physique… Des signes pas faciles à saisir et à comprendre tant par les parents que par l’environnement (certains professionnels y compris) malgré la pléthore d’écrits sur l’Autisme et autour de l’Autisme. 

Ensuite, la clinique de l’Autisme. Dans ce domaine et peut-être encore davantage qu’ailleurs, elle doit être interactive et contre transférentielle, associant les parents dans toutes les étapes, celle du diagnostic, celle du choix de stratégie de prise en charge et tout au long de son déroulement. 

Puis l’Etiologie de l’Autisme… Certes il y a eu ces dernières années des avancées indéniables de la recherche en neurosciences mais, en l’état actuel des connaissances, elle n’a pas encore été élucidée. Ce qui paraît certain (en tout cas pour l’auteure) ce n’est pas l’inaptitude ou le rejet inconscient des mères qui est à l’origine de l’Autisme. Il est vrai que, longtemps, dans le cadre de la théorie psycho génétique de l’Autisme, on a souvent pris les effets pour des causes, disqualifiant, étiquetant «réfrigérantes» et culpabilisant de nombreuses mères. 

Enfin la prise en charge psycho-thérapeutique d’enfants qui ont besoin de protection, de socialisation, d’éducation et d’instruction, d’où la mise en jeu d’un trépied qui combine, de façon complémentaire, un triple abord, éducatif, pédagogique et thérapeutique 

Passage intéressant, celui du cadre de la prise en charge et ses caractéristiques principales : être contenant, sécurisant et stimulant… tout en réhabilitant la notion d’empathie… (p 83 à 92) 

Aux psy’ donc d’avoir pour les enfants concernés des objectifs autrement plus ambitieux, ne se suffisant pas de traiter l’Autisme comme un simple handicap… l’assimilant à une simple déficience à rééduquer et à des comportements déviés à corriger. «La pire violence faite à l’enfant autiste est de le laisser «face à ses démons» en se bornant à réprimer ses comportements compulsifs… L’injure qui lui est faite est de le réduire à n’être qu’un anormal à normaliser … en lui déniant toute valeur originale et toute créativité» (p 92) 

Quand à l’Etat, même si «l’enfant ne lui appartient pas», son rôle est de le protéger (y compris éventuellement contre des parents abusifs) et de veiller à ce que des besoins fondamentaux soient satisfaits. Encore faut-il être fait de l’alliage subtil de la raison, de l’intelligence et du cœur. Pour l’instant, seuls les poètes (et l’auteure qui nous a présenté quelques unes de ses expériences sur le terrain tout au long de sa riche carrière), «loin du tumulte, des «bruits et de la fureur» ont su garder la substantifique moelle de ce qui fait vraiment l’essence humaine». 

A signaler une partie, assez riche, consacrée aux sources bibliographiques, à travers des fiches biographiques de scientifiques… connus ou méconnus. 

L’Auteure : Médecin psychiatre «au parcours atypique», aujourd’hui à la retraite. Une très grande dame de la médecine et de l’humain. Dès 1979, elle a investi l’asile «Joinville» (Blida), alors délaissé, pour en faire une Ecole de formation de psychiatres dés-aliénistes, devenue un pôle de recherche méditerranéen et initié sa transformation en Chu. Elle a créé, en 1992, toujours à Blida, le premier service de pédopsychiatrie avec, en appoint, la fondation de l’Association «Arpeij». Professeur invitée dans deux universités françaises : Toulouse de 1994 à 2000, puis Brest. 

Auteur de trois ouvrages («Tsouha, tu grandiras», édité en 1992 par l’ Enag, «L’écouteur de rosée», édité par l’Unicef en 2003 et «Arpéger, le métier d’éducateur» édité par Arpeij en 2012), et de plusieurs ouvrages collectifs. 

Extraits : «Il est nécessaire pour que le bébé ressente qu’il n’est plus lié à sa mère par le cordon ombilical, qu’il n’en est plus un appendice mais un sujet à part entière» (p 23) , «Pendant toute la gestation, l’homme ne vit son statut de père que par procuration, par intermédiaire et de façon uniquement symbolique puisque c’est la femme qui l’institue père. Ce n’est qu’à la naissance qu’il accède vraiment à son rôle de père» (p 25), «En transgressant l’interdit, apparemment mue, uniquement, par la «curiosité féminine» et l’audace, Eve prend le risque de l’exil de l’Eden. Risque d’autant justifié que l’ennui de cette vie végétative, sans cesse recommencée, devait lui peser lourdement. Cette audace d’Eve est à admirer, non à déplorer.» (p 29), «Aucun enfant n‘est content de sentir un adulte lui baver dessus, lui pincer les joues ou lui ébouriffer les cheveux. Toutes ces privautés que nombre d’adultes se permettent à son égard, sont, pour lui, déplacées quand elles viennent de n’importe quel quidam qu’il n’a pas choisi, tant elles sont réservées à ses proches» (p 54) 

Avis : Il y a une abondance, pour ne pas dire une pléthore d’écrits sur l’Autisme et autour de l’Autisme… mais ce «petit livre… opuscule, n‘étant pas d’ordre académique» ne fait pas que décrire. «Formulation narrative émaillée de digressions», il vulgarise un savoir utile sur l’Autisme basé sur une longue expérience. A lire, et à faire lire… et, pour les parents concernés, à conserver précieusement. 

Citations : «Etre au plus proche, ce n’est pas toucher : la plus grande proximité est d’assumer le lointain de l’autre» (Jean Oury, cité par l’auteure, p 68), «Il ne faut pas mythifier la jeunesse, elle est capable du meilleur comme du pire» (p 81), «Il est facile d’écouter, mais c’est une toute autre chose que d’être apte à entendre ce qui se dit des émotions «(pp 88-89) 

Aimer Maria. Roman de Nassira Belloula. Chihab Editions, Alger 2018, 750 dinars, 154 pages 

Maria est mariée à seize ans… elle qui, fille unique, ayant vécu aimée par des parents très amoureux l’un de l’autre. Trente ans de vie commune… avec un véritable «fils à maman», un macho comme on n’en fait (presque) plus. Quatre filles, deux garçons… et un bébé mort-né. Trente ans de silence, transformée en véritable machine à enfanter sans qu’elle éprouve le moindre plaisir. Au contraire, même… l’acte d’amour conduit par l’époux étant sacralisé. Religion oblige ! 

Trente ans de silence. Obéissant aveuglément à tout ce qu’on (le mari, la belle-mère, les imams cathodiques…) lui prescrivait (plutôt intimer) : ne pas sortir seule de la maison, ne pas regarder par la fenêtre, sortir voilée, ne pas parler aux autres… subir, sans protester… ni parler, tout ce que l’homme-époux veut à tout moment et comme il l’entend… 

Et, puis, un jour, le déclic ! Le sermon d’un imam cathodique… affirmant que «l’épouse pieuse, dévouée et croyante sera récompensée par Dieu…. qu‘elle entrera au paradis et… y retrouvera son mari… pour l’éternité… et elle le … partagera avec des femmes et des houris, chacune à son tour, sans jalousie, ni fâcherie…». Des mots qui font «tilt» dans le cerveau de la dame «qui tient pour acquis les connaissances de ces prédicateurs». 

Trente ans de peines et de «solitude», femme avant l’heure, mère avant l’heure, grand-mère avant l’heure… basta ! Faudrait-il donc retrouver «là-haut» pour une éternité qui ne finira jamais, le bourreau d’ «ici-bas»… qui, en plus, se trouvera «récompensé». Encore «baisée» au paradis par le mari ? Jamais ! 

Elle décide alors de quitter le domicile conjugal pour aller se réfugier auprès de sa mère, toujours aimante, au sein du domicile familial encore empli de souvenirs heureux… dont celui d’un lointain amour de jeunesse. Des souvenirs qui la feront sombrer dans la douce folie dans un passé heureux mais raté… les choix de vie n’ayant pas été faits de manière catégorique au moment où il le fallait ; la société, la famille, les us et coutumes, les habitudes, les vues religieuses … dominant et déterminant les comportements, même les plus regrettables et les plus dommageables. 

Deux récits se croisent : Celui des filles –désormais assez grandes- qui s’échinent à décrypter les non-dits des relations entre leurs parents (pas facile quand on sait que, souvent, le père est très sévère avec la mère et très «cool» avec ses enfants»… et que, pudeur oblige, les confidences des mamans s’arrêtent toujours à la porte de la chambre à coucher). Mais, ils comprendront. 

Celui de la mère, rétrospectif, qui éclaire la révolte subite décrétée contre sa soumission. Une révolte pour se «recoller», se «récupérer», car «brisée en morceaux». 

L’Auteure : Journaliste, ayant travaillé dans plusieurs quotidiens d’information algériens, actuellement installée au Canada. A son actif, plusieurs ouvrages : romans, poésie, essais. 

Extraits : «Elle ne s’appartient plus, elle appartient à nos corps et au corps du père ; elle est mère et épouse. Deux rôles qui l’excluent de toute autre alternative. Elle ne peut plus être femme» (41), «Depuis la nuit des temps, le système patriarcal a trouvé écho dans le religion et a fait de Dieu un allié dans cette aliénation acharnée contre tout ce qui est féminin. Ainsi se perpétue ce système qui tire sa puissance de sa verge et non pas de son cerveau, opprimant et réduisant à néant chaque voix de femmes qui voudrait sortir du chaos» (p 109) 

Avis : Féministe ? Non. Seulement défenseuse de la cause des femmes, d’abord jeunes filles mariées contre leur gré, épouses et mères… qui ne supportent plus la «suprématie» de l’homme… une suprématie «fabriquée» par la société traditionnelle algérienne et musulmane et des époux machos. A lire d’abord et avant tout par les (futurs et actuels) maris ! Et, par les parents (surtout les pères) des jeunes filles «à marier». Attention, style douloureux. 

Citations : «Quel rôle peut avoir une mère sinon celui d’une mère ? Aucune fille n’osera parler de la libido de sa mère, aucun fils n’osera imaginer que le corps d’une mère puisse être ni qu’il puisse succomber au charme, au romantisme, au plaisir, aux caresses autres que celles maternelles» (p 41), «Dans notre monde, le sexe ne s’envisage que dans la tête et ne se livre pas» (p 43), «Dans une belle famille, on passe de la fille dorlotée à la fille déchue, de la fille capricieuse à la fille dépossédée, de la fille servie à la fille servante» (p 52), «Attendre, c’est cesser d’être, c’est s’abandonner sur le bord de la route» (p 87), «Le pire dans cette déconstruction (de la femme épouse et mère ), c‘est le cas pathologique du père qui ne l’appelle que par des interjections ; hé ,ho, ha, parfois criant tu es où ? Où ya m’ra ! –hé femme ! – . La honte de dire sa femme, éloigner l’innommable, lui substituer des palliatifs pour ne pas la nommer. La nommer, c’est lui permettre d’exister» (p 111). 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *