Le pivot afghan de la diplomatie américaine

Alors que les élections présidentielles afghanes auront lieu en juillet, l’ancien sous-secrétaire de l’Organisation de coopération de Shanghai Vladimir Zakharov livre son analyse de la situation de ce pays, 18 ans après l’invasion américaine.

Le présence sur le territoire afghan des troupes des Etats-Unis et de l’OTAN n’a pratiquement pas donné les résultats escomptés.

Les Taliban n’ont pas été vaincus. Ils se sont, au contraire, consolidés sur une base anti-américaine et continuent d’être une force redoutable bénéficiant d’un appui financier extérieur. Sous prétexte d’«attitude humaine envers les paysans afghans», les Etats-Unis n’ont rien fait pour réduire la production et le trafic de drogues. Sur le périmètre des frontières de l’Afghanistan, ils ont mis en péril leurs relations avec le Pakistan en suspendant leur assistance militaire et économique et avec l’Iran contre lequel la guerre des sanctions a été déclenchée. En raison de l’impopularité de la guerre afghane aux Etats-Unis et de pertes militaires considérables, l’administration Obama a décidé de retirer une grande partie du contingent militaire d’Afghanistan, en de confier la lutte contre l’opposition armée aux militaires et policiers afghans. Dans ce contexte, les pertes militaires des parties belligérantes augmentent, et la guérilla renforce son contrôle sur de nombreuses régions du pays.

Complètement soumis aux ordres de Washington, le gouvernement afghan est incapable d’atteindre ses objectifs en matière de sécurité et de stabilisation du monde politique et de la vie socio-économique, caractérisée par la corruption et le désordre juridique.

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La nouvelle stratégie afghane, lancée par l’administration Trump, n’a pas mis l’accent sur un règlement politique dans ce pays déchiré par la guerre civile et Washington n’a pas pris au sérieux le danger que représentait, pour l’Europe et ses voisins, la production de drogues, qui a augmenté des dizaines de fois depuis l’arrivée des troupes américaines en territoire afghan.

La position de la Russie et des Etats membres de l’Organisation de coopération de Shanghai a joué un rôle important dans le revirement de la diplomatie américaine

Les causes de la guerre et l’absence de compromis politique entre le gouvernement et les Taliban peuvent être expliquées facilement. Washington ne pouvait tout simplement pas accepter l’exigence principale de l’opposition armée : effectuer le retrait complet des troupes étrangères du territoire afghan. L’administration américaine a de grands intérêts géopolitiques au maintien de sa présence, non seulement en Afghanistan mais aussi dans le reste de la région, afin de projeter son influence sur l’Asie centrale et de bénéficier d’un avantage stratégique face à la Russie et à la Chine.

Cependant, le contrôle croissant des Taliban sur le territoire du pays (aujourd’hui environ 60%), la guerre sans fin, l’incapacité de l’actuel régime pro-américain à Kaboul à assurer la stabilité et la sécurité du pays, ont convaincu Washington de la nécessité d’ajuster sa stratégie et de rechercher des solutions politiques et diplomatiques au problème afghan.

La position de la Russie et des Etats membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a aussi joué un rôle important dans le revirement de la diplomatie américaine. Ce n’est qu’au cours de l’année écoulée que deux réunions ont eu lieu à Moscou et Pékin au niveau des vice-ministres des affaires étrangères dans le cadre du groupe de contact l’OSC-Afghanistan, que le processus de Tachkent soutenu par la Russie a été lancé, et que les pays de l’OCS ont commencé à élaborer une feuille de route sur la question afghane. La Russie a également donné son feu vert aux négociations inter-afghanes à Moscou.

Tous ces facteurs ont eu une incidence importante sur les négociations de Doha entre le représentant des Etats-Unis pour l’Afghanistan, Zalmay Khalilzad, et les Taliban. Le représentant américain s’est rendu dans toutes les capitales des pays de la région, et a même rencontré deux fois, à Moscou et Ankara, le représentant du président russe pour l’Afghanistan Zamir Kabulov. À l’issue des négociations, le diplomate russe a déclaré que Washington avait proposé «de créer un solide cadre extérieur pour soutenir le processus de réconciliation nationale en Afghanistan», qui comprendra plusieurs pays. En outre, les parties ont convenue de poursuivre le débat sur la question afghane, et Zamir Kaboulov n’a pas exclu la participation des États-Unis à la prochaine conférence de Moscou sur l’Afghanistan. Le rôle de la Turquie et du processus d’Istanbul ont aussi été salués. À son tour, Zalmay Khalilzad a indiqué que les parties avaient convenues de la nécessité d’un dialogue intra-afghan et de la création d’un groupe de négociation composé de représentants du gouvernement afghan et d’autres acteurs politiques. Tout cela  permet d’espérer une reprise des interactions russo-américaine face au problème afghan.

Fin janvier 2019, à Doha, les Américains et les Taliban ont signé un accord de paix provisoire dans lequel ces derniers ont promis que l’Afghanistan ne serait jamais un refuge pour les terroristes. Ce point était crucial pour les États-Unis, qui ont alors déclaré qu’ils étaient prêts à commencer le retrait des troupes (naturellement, ni le calendrier et ni les effectifs n’ont été precisés).

Il est essentiel que les Taliban continuent de lutter contre l’Etat islamique 

Cependant, il n’est pas dit que les parties honoreront leurs promesses, car un certain nombre de problèmes complexes doivent être résolus. Tout dabord, la politique étrangère de Donald Trump reste otage de la politique intérieure aux États-Unis, et le président américain a les mains liées dans la promotion de nouvelles initiatives. Deuxièmement, les mesures de la diplomatie américaine sont souvent prises a l’insu du gouvernement afghan, suscitant des réactions agacées de Kaboul, qui, compte tenu de sa position de vassal des États-Unis, ne les adresse officiellement qu’à Moscou, Téhéran et Islamabad. Il ne fait aucun doute que la position de l’actuel président afghan, Ashraf Ghani, sera l’obstacle le plus difficile pour Washington. Troisièmement, le facteur temps commence à jouer un rôle important, car les élections présidentielles afghanes prévues pour le 20 juillet ne peuvent être pleinement légitimes qu’avec la participation de tous les groupes politiques afghans. Or, l’accumulation de revendications et d’antagonismes donne au règlement de la crise afghane un caractère imprévisible et extrêmement complexe. Enfin, pour toutes les parties concernées par ce règlement, il est essentiel que les Taliban continuent de lutter contre l’Etat islamique et à le considérer comme un élément étranger en territoire afghan.

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