Leymah Gbowee, pacifiste acharnée et modèle pour l’Afrique

   Rencontre avec le Nobel de la paix 2011, qui fonde sa lutte pour la paix sur la prière et la grève du sexe. Tout un programme.

«Je suis juste une fille de terrain qui a maintenant une plateforme mondiale pour s’exprimer

C’est par ces mots que Leymah Gbowee, en visite fin septembre à Paris, se définit. Cette militante libérienne pacifiste de 41 ans, co-lauréate du prix Nobel de la paix en 2011 a contribué à apporter la paix dans son pays et entend bien continuer son action dans le monde entier.

Témoin des guerres civiles

Née en 1972, celle que l’on surnomme «guerrière de la paix», n’a que 18 ans quand la guerre civile éclate au Liberia. En 1989, les troupes du National Patriotic Front of Liberia (NPFL), dirigées par Charles Taylor, commencent à semer la terreur dans le pays.

Leymah Gbowee vit alors à Monrovia, la capitale libérienne. Jeune élève brillante issue d’une famille modeste, elle souhaite devenir pédiatre. Mais ses espoirs d’études sont détruits en même temps que les écoles, les hôpitaux et les maisons des Libériens. Il n’y a plus d’eau courante ni d’électricité: le pays est dévasté.

La jeune femme assiste aux exactions commises par les hommes de Taylor: meurtres, violences sexuelles, pillages… Elle veut apporter son soutien.

«Chacun de nous, dans ce pays, a été une victime  (…) chacun de nous a besoin de guérir. (…) Tu racontes ton histoire et tu survis. Tu dépasses ton statut de victime et tu ressens le besoin d’aider. Mais pas seulement une personne: toute la société!», écrit-elle dans son autobiographie, Notre force est infinie, parue en 2012 chez Belfond.

Militante pour la paix

Elle s’investit dans le milieu associatif et devient assistante sociale grâce à un programme de l’Unicef. La militante tente de venir en aide aux premières victimes de la guerre: les femmes victimes de violences sexuelles et les enfants, transformés en soldats par les milices de Taylor.

Sa vie personnelle est tout aussi chaotique que la situation politique du pays. Le père de quatre de ses enfants est un homme alcoolique, violent et infidèle. Elle-même passe les premières années de sa vie de militante dans la pauvreté. Mais Leymah Gbowee ne perd pas espoir, notamment grâce à la religion. L’Eglise luthérienne occupe une grande place dans son existence:

«La foi est au centre de mon identité. Tout ce que je fais est le travail de Dieu», affirme-t-elle.

Prières et grève du sexe

En 2000, Leymah Gbowee fait un pas de plus sur le chemin de l’activisme. Elle fonde le Women in Peacebuilding Network (WIPNET), une organisation de femmes pour le maintien de la paix en Afrique de l’Ouest. La première assemblée réunit des femmes de six pays ouest-africains (Sierra Leone, Guinée, Nigeria, Sénégal, Burkina Faso, Togo).

Deux ans plus tard, la militante fonde un nouveau mouvement pacifiste, le Women of Liberia Mass Action for Peace. Des milliers de femmes, toutes religions, toutes ethnies confondues, défilent vêtues de blanc contre le régime de Charles Taylor. Un mouvement de contestation basé sur la prière… et la grève du sexe. Une stratégie qui remonte à l’Antiquité, également utilisée dans d’autres pays (Turquie, Kenya, Colombie…)… et qui se révèle payante: Charles Taylor est contraint d’associer les femmes aux pourparlers de paix. Lorsqu’il est poussé à l’exil, puis finalement condamné par la CPI à 50 ans de prison pour crimes contre l’humanité, tout le mouvement se réjouit.

Le Nobel n’est pas une fin en soi

Le prix Nobel de la paix en 2011 consacre l’action de Leymah Gbowee. La militante est récompensée en même temps qu’Ellen Johnson Sirleaf, l’actuelle présidente libérienne, pour avoir «mobilisé et organisé les femmes au-delà des lignes de division ethnique et religieuse pour mettre fin à une longue guerre au Liberia et assurer la participation des femmes aux élections».

Mais cette femme de caractère garde la tête froide. Elle espère que la médiatisation ne va pas lui «monter à la tête». Pour elle, le prix Nobel représente surtout de nouvelles opportunités. Il lui apporte les contacts, les réseaux et les moyens matériels nécessaires pour travailler à la paix au niveau mondial:

«Cette récompense m’a donné encore plus de travail, je ne risque pas d’être au chômage tout de suite!», s’amuse-t-elle.

Car il y a encore beaucoup à faire. Dans son autobiographie, Leymah Gbowee mesure les progrès déjà faits et le chemin qu’il reste à parcourir.

D’après elle, «les femmes n’occupent pas assez le devant de la scène internationale alors que leur action pour la paix et la justice est considérable. Les médias doivent accorder davantage d’importance au travail des communautés féminines».

Par son parcours et ses aspirations, Leymah Gbowee est une figure emblématique de l’émancipation des femmes en Afrique. Elle est un modèle pour les femmes du continent en quête de vie meilleure.

Anna Romani


La rédaction de Slate Afrique :

 

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